Chaque jour, pendant dix jour, je vous présente deux photogrammes et une bonne raison d'avoir vu ou revu My own private Idaho. A vous de m'indiquer celle qui vous a le plus touchée et d'en proposer une autre pour continuer le jeu.

 

1 - River Phoenix et Keenu Reeves

River Phoenix, disparu deux ans plus tard, trouve le rôle qui le propulsera au rang de mythe et Keanu Reeves un de ses rares grands rôles. Tous deux partagent le prix d'interprétation masculine au festival de Venise.

 

2- Sur les traces du Henry IV de Shakespeare

Seul le spectateur attentif et patient sera sans doute intrigué par le nom de William Shakespeare crédité des dialogues additionnels à la presque toute fin du générique. S'il a une bonne connaissance du dramaturge anglais, il lui reviendra alors la proximité entre Scott et Henry V (dénommé Hal par ses compagnons ou prince Henry tant que son père, Henry IV, est vivant), entre Bob et Falstaff ou entre Mike et Poins. Cinq scènes du drame historique de Shakespeare, Henry IV, sont en effet reprises ici souvent à la lettre....ou ironiquement transformées.

C'est d'abord la reprise de la dernière tirade de scène 2 de l'acte I ou Hal affirme "... Je veux faillir mais pour faire de mes défaillances un mérite, en rachetant le passé quand les hommes y compteront le moins". Ici Bob entend cette promesse faite contre lui par Hal mais ne semble pas y prendre garde.

L'attaque des pèlerins (acte II, scène 2) est transformée en attaque des organisateurs du concert ou Scott, déguisé, récupère la recette dérobée par Bob avec cette remarque peureuse de Falstaff : "Ils sont plus nombreux, ne sera ce pas eux qui nous voleront ?". Mike joue alors de rôle de Poins Gadshill accompagnant Hal dans sa farce. S'en suivra la transposition de la scène 4 de l'acte II dans la taverne de la Hur où Falstaff grossit son agression de deux à seize hommes et qui voit l'arrivée du shérif recherchant Falstaff ("Si la virilité n'a pas disparue de ce monde, je suis un hareng saur.. "N'es-tu pas un couard, tu me traites de couard", répond Poins/Mike).

L'entrevue de Scott Favor avec son père, le maire de Portland reprend la scène 2 de l'acte III où Hal ne parvient pas à convaincre Henry IV qu'il est un fils digne de son cousin Hotspur (ici transformé en Bill Davis, entrepreneur écologiste et membre du sénat). Enfin à la toute fin de la seconde partie de Henry IV, Henry V devenu roi, s'adresse à Falstaff en ces termes ici repris : "Je ne te connais vieil homme, mets-toi à tes prières… et il le bannit. L'épilogue de la pièce annonce que Falstaff mourra bientôt d'une mauvaise fièvre... ce qu'il fait ici (on sait que Shakespeare se verra contraindre par la reine de faire revivre Falstaff dans Les joyeuses commères).

On notera aussi que la tenancière du squat, la vieille Jane Lightwork reprend le personnage de Mistresse Quickly et que certains passages euphemisés chez Shakespeare sont affirmés ici plus crûment. Ainsi Scott demandant à Bob devenu bien gros depuis combien de temps tu n'as pas vu ta bite ? (qui n'était que son genou chez Shakespeare)

 

3-Pour une double initiation

Le drame historique de Shakespeare met en jeu la part de réel et d'imaginaire nécessaire pour devenir un homme. Si le futur Henry V accepte la tutelle de Falstaff, c'est parce que son imaginaire est bien plus riche que le réel souvent sinistre qui règne à la cour. Enrichi de cette expérience, Henry V se révélera le plus grand roi qu'ait connu l'Angleterre. Cette position définit le parcours de Scott qui se montre très protecteur envers chacun des membres de la petite troupe de prostitués, sans mentir à aucun et sans faire jamais preuve de cynisme.

Cette entrée dans le monde adulte est coûteuse. Scott verra d'un œil envieux le joyeux enterrement de Bob alors qu'il est contraint aux cérémonies officielles de la mort de son père. Mais il avait choisi d'évoluer, de bannir Bob et de ne plus s'occuper encore et toujours de Mike, ivre qui traîne sur un trottoir et auquel il n'accorde pas un regard.

 

4 -Entre Falstaff et La fureur de vivre

Van Sant très cinéphile ne pouvait ignorer le Falstaff d'Orson Welles et, dans la reprise de la scène 4 de l'acte II, William Richert trouve des accents wellesiens que Van Sant souligne avec des contre-plongées avec effet de plafonds rabaissés. Ce film qui annonce la tétralogie de l'adolescence (Gerry, Elephant, Last days, Paranoïd park) retrouve aussi parfois les tons et les couleurs de La fureur de vivre.

 

5-le bonheur refusé

Mike est un personnage tragique. Avec Scott, autour du feu de camp, il dira rêver d'une vie normale qui en aurait fait quelqu'un de bien : "Une vie normale comme papa, maman, un chien, tout ça ". Et, à Scott qui lui demande ce qu'est un père normal, il ne se donnera pas la peine de répondre. On apprendra un peu plus tard qu'il a vraisemblablement pour père son frère Richard et que sa mère à tué son amant avant de subir de longues années de prison qui ont aussi traumatisé Mike, tout jeune alors. Il s'est pourtant accroché à l'image apaisante de sa mère : grandi, il repose sur les genoux d'une mère imaginée vieillie ou surgissant ensuite du souvenir d'une bande super-8.

Sans ce point d'accroche, sa mère se dérobant sans cesse, le réel est refusé à Mike. Exclu d'un parcours temporel qui lui permettrait de passer à l'âge adulte, il ne lui reste plus que cet espace de l'Idaho auquel il revient sans cesse et qu'il croit reconnaître comme chez lui.

 

6- L'espace et le temps

Si le récit de Scott suit une trajectoire classique avec transformation, c'est bien celui de Mike qui structure le film. Et pour Mike, le temps n'existe pas. Sa vie est une suite de présents séparés par des crises de sommeil qui se reflètent et se renvoient les uns aux autres.

Dans ce premier grand film sur l'adolescence fragilisée par l'absence des parents, Van Sant met en place une structure en forme de cristal. Une image ne s'enchaîne pas à une autre dans une progression vers la sortie de crise (de l'adolescence). Le souvenir d'une autre image se révèle alternativement et presque aléatoirement bonne ou mauvaise et emprisonne le personnage au sein d'une prison mentale en forme de cristal dont les facettes sont alternativement brillantes ou assombries.

Le film s'ouvre et se clôt sur une crise de narcolepsie sur une route de l'Idaho que Mike prétend être toujours la même, la même qu'il voit avec Scott lorsque leur moto est en panne. " Je sais toujours où je suis quand je regarde la route" affirme crânement Mike pour expliquer : "J'ai déjà été sur cette route, c'est ma route. Une gueule ravagée qui dit "bonne journée (have a nice day), ce genre".

Cette volonté pathétique de se trouver son "own private Idaho" est démentie par une vision attentive de ces trois endroits apparemment semblables. A l'arrière plan de la route du début du film, on voit une montagne enneigée qui vient d'ailleurs en gros plan hanter le sommeil de Mike. Hors cette montagne est absente lors de l'arrêt de la moto et lors de la séquence finale. Mike ne trouve ainsi pas plus de refuge dans l'espace qu'il n'en a dans le temps. Le long défilé de la route est ainsi un fantasme de continuité aussi irréel (suggéré par les nuages en accéléré) que le temps haché de Mike qu'il essaie compulsivement peut-être de mettre en ordre avec le chronomètre du début.

 

7- Le désir comme une maison sous le soleil ou qui s'écroule avec fracas

Sans solution dans l'espace et le temps réel, Mike est conduit à sans cesse faire ressurgir de son esprit des images fantasmées, tour à tour apaisantes ou inquiétantes.

Ce sont ainsi Les images de maisons vides désertes et qui ne demanderaient probablement qu'à être occupées reviennent aussi de façon récurrente : sous les nuages puis en en plein soleil ou s'écroulant lorsque Mike parvient à la jouissance dans le bouge minable de Seattle où il a atterri.

 

8- une remontée aux sources bloquée

Ce sont aussi des images des origines, celle des saumons qui remontent le courant ou, chez Alena, après la vision de quelques poissons kitch, de la conque dans laquelle il entend la mer, effet qui ne se reproduit pas quand Alena s'en saisi.

Tout pareil appel aux mythes des origines, dans la scène du feu de camp où Mike déclare son amour à Scott, van Sant a mixé aux crépitements du feu des chants indiens presque imperceptibles mêlés à ceux de coyotes et de bruits de train.

 

9- Tout savoir sur la narcolepsie

La première image du film donne la définition du mot narcolepsie, brusques accès de sommeil. Scott ajoutera pourtant bientôt que la narcolepsie est provoquée par des réactions du cerveau sous l'effet du stress et c'est bien souvent lorsqu'il croit voir sa mère (dans la rue ou en Alena) que Scott s'écroule.

 

10- Voyager entre Portland, Seattle et Rome

A la fin du film, un carton nous souhaitera une bonne journée ("have a nice day") faisant écho au salut que la route semblait adresser à Mike dans l'Idaho. Ce ne manquera pas d'être pour un film qui nous aura aussi fait voyager de Portland à Rome.

 

Jean-Luc Lacuve le 23/09/2009

 

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