2/Duo
1997

C'est le matin, Yu s'en va travailler et Kei, encore au lit, déclare que le travail l'ennuit. Il soutire du fric à Yu pour sa journée et, en réponse à sa compagne qui lui demande quoi ramener le soir, il lui dit souhaiter des gâteaux. Un temps, Kei s'amuse à lancer des biscuits dans le petit bocal au poisson rouge.

Yu travaille comme vendeuse dans une boutique de mode avec une amie et se montre toujours pleine d'entrain pour convaincre les clientes d'acheter des robes que l'on devine aussi élégantes que chères. Kei a obtenu un rôle de figurant dans un film mais le metteur en scène lui déclare que la scène pour laquelle il a été appelé est supprimée. Soulagé de n'avoir pas à prononcer les deux phrases qu'il s'échinait à répéter ("Ce projet ne se fera pas chef. Il n'est pas réaliste"), Kei remercie l'équipe de tournage, indifférente, et s'en retourne chez lui. Il s'affale devant la machine à laver installée sur la pallier extérieur. C'est là que le retrouve Yu le soir qui prépare le repas sans rechigner. Yu lui demande des nouvelles de sa journée et Kei n'avoue pas n'avoir rien tourné. Yu maquille Kei qui se lasse de ce jeu et se met en colère.

Le matin, Yu est seule dans son lit. Kei l'appelle au téléphone ne sachant pas où il est. Il lui donne rendez-vous le midi pour déjeuner en amoureux. Yu est ravie mais n'a qu'une heure pour déjeuner et précise à Kei d'être là pour 12h00. Kei arrive avec trois quarts d'heure de retard. Yu lui reproche son retard et son excuse futile: être dépourvu de montre. Kei la demande en mariage. Yu surprise, fait comme si elle n'avait pas entendu puis, devant la demande répétée de Kei, lui en demande la raison avec insistance. Le couple promet d'en discuter le soir.

Yu dans une sorte d'autoanalyse faite en dialogue avec la voix off de la caméra s'interroge sur son refus. Elle interprète la demande de Kei comme une chose triste qu'il porte en lui.

Le soir Yu a rendez-vous avec une amie qui est serveuse dans un bar. Elles discutent en buvant un peu plus que de raison.

Le soir, chez eux, Yu redemande à Kei pourquoi il lui a demandé de l'épouser. Kei ne veut pas répondre. Il pense qu'il pourrait ne pas travailler et s'occuper de la maison, s'occuper de Yu et du ménage. Lorsqu'il commence à ranger, c'est pour mieux tout mettre par terre, tout casser, même le bocal du poisson rouge qu'il laisse tomber de l'étage.

Le lendemain, il téléphone à Yu et s'excuse de s'être emporté. C'est Yu qui lui demande s'ils pourraient se marier. Kei dans une sorte d'autoanalyse face à la caméra déclare qu'il ne sait pas bien pourquoi il a fait cette demande. Sans doute parce qu'il considère qu'il n'est pas grand-chose jusqu'ici.

Yu a invité trois amies à la maison, Kei trouve qu'elle a fait trop de sauce tomate. Yu s'effondre et devient hystérique. Kei peine à la calmer. Les trois amies arrivent. Yu déclare qu'ils vont se marier puis se rétracte puis le redit. Ses amies sont interloquées. Kei leur demande de partir. Yu accepte leur départ.

Kei face à la caméra dit ne pas savoir ce qui met Yu dans cet état.

Yu défait ses vêtements des cintres et les met dans un sac. Elle demande à Kei de se rendre au pressing... et a disparue lorsqu'il rentre. Kei ne trouve que le miroir de la chambre brisé, comme si Yu s'y était violemment cognée la tête.

Dans un café, Kei a fait venir l'amie de Yu. Il lui demande si elle a des nouvelles de Yu qui a disparue depuis dix jours. L'amie n'en a aucune et reproche à Kei de ne pas avoir été assez prévenant. Kei lui demande de payer son café car il n'a pas d'argent. L'amie est surprise; s'en va puis revient lui laisser un peu plus d'argent.

Des mois ont passé. Kei, habillé d'un costume d'employé, regarde un match dans un parc la nuit. Le matin, il conduit sa voiture. Soudain, surgissant de dessous un pont, il voit Yu en vélo. Il la suit en voiture. Yu habite dorénavant un appartement désolé le long d'une voie ferrée et lui demande de ne pas avoir de remord. La Yu qu'il connut n'est plus. Kei veut la ramener chez eux. Elle refuse.

Face à la caméra, Yu explique avoir trouvé le repos dans son métier d'ouvrière d'usine. La vente de vêtements l'obligeait à entretenir des rapports courtois avec tous et tous comptaient sur elle. Il en était de même avec Kei. À l'usine et seule, ces obligations ne pèsent plus sur elle.

Kei a décidé de quitter l'ancien appartement. Il fait ses paquets. Yu, élégamment habillée, vient lui rendre visite.

Frémissante histoire d'amour entre deux jeunes adultes qui essaient dans un premier temps de préserver leur amour sur une situation déséquilibrée. Yu est responsable, conciliante et généreuse. Kei est rêveur, peu courageux et volontiers colérique. Lorsque Kei la demande en mariage, Yu doit s'interroger sur sa possibilité de survivre à ce déséquilibre qui, jusqu'alors, ne l'engageait pas vraiment.

A l'origine, le film s'appelait La femme au miroir, et racontait l'histoire d'une femme à double personnalité en quête d'elle-même. Suwa abandonne l'écriture d'un scénario classique pour une esthétique plus simple et documentaire. Le choix de la photographie et du cadre relève du seul domaine de Masaki Tamura, l'expérimenté chef opérateur de Eureka (Aoyama), Tampopo (Itami), Suzaku (Kawase, 1996) ou Himatsuri (Yanagimachi). Les acteurs acceptent avec conviction d'improviser les dialogues face aux situations que leur soumet Suwa. De cela, se dégage une esthétique de la pauvreté, de l'ouverture aux autres et aux risques, en adéquation avec le sujet d'un jeune couple en formation.

Les scènes où les dialogues sont improvisés par les comédiens durent très longtemps. Suwa en coupe des pans entiers au montage pour les rendre plus denses. La caméra à objectif fixe n'ayant pas bougée, le raccord dans l'axe est impossible. Suwa renonce au jump-cut ou à des masquages par inserts de cendrier ou gros plan d'une partie du corps. Il préfère laisser la trace de la suppression d'un morceau de pellicule par un bref passage au noir. Ce plan noir laisse une trace documentaire du tournage comme les interviews face caméra des personnages sont la marque de l'adéquation entre personnages et acteurs.

Suwa concentre ses treize jours de tournage sur les tensions au sein du couple dans un appartement où chaque objet fait sens : le bocal au poison rouge, le miroir de la chambre, le grand lit avec sa couverture bleu-jaune. Quelques rares mouvements d'appareils, de légers panoramiques dans de longs plans séquences, sans aucun éclairage artificiel semble-t-il, donne une grande unité esthétique à la photographie qui joue des alternances interieur/exterieur, nuit/ jour comme autant de respiration ou de tension au sein du couple.

La fin est ouverte : Yu a cessé de jouer un rôle ; Kei est devenu responsable. Sans doute, les deux jeunes gens pourront-ils se retrouver. Mais ce couple universel est aussi singulier. Privé de l'ancrage documentaire offert par Suwa nous ne pouvons decider de ce qu'il adviendra d'eux.

Jean-Luc Lacuve le 08/11/2012.

 

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(2/dyuo). Avec : Hidetoshi Nishijima (Kei), Eri Yu (Yu), Makiko Watanabe, Miyuki Yamamoto. 1h30.

Genre : Drame sentimental
Thème : Le couple