Michael Moore a décidé denquêter sur lattirance que les Etats-Unis ont toujours eue pour les armes. Il commence son documentaire par une banque qui offre un pistolet à chaque nouveau client. Mais le sujet du film le ramène à sa propre enfance. A lâge de quatorze ans, élevé dans le Michigan, une région où les gens sont très attachés à la chasse, il gagna un prix de tireur délite, et reçut ainsi une adhésion à vie à la Nationalité Rifle Association (NRA), lobby des armes américain dirigé par Charlton Heston. De lintérieur des Etats-Unis jusquau Canada, Michael Moore interroge ceux que la possession libre des armes effraie et essaie de déterminer pourquoi les gens se sentent rassurés avec une arme.
Moore est un agitateur professionnel. Littéralement, il fait bouger les choses. Cette agitation souriante de Moore qui fait de ses films autant des comédies sociales que des documentaires ne l'empêche pas de tenir l'un des discours les plus argumentés et convaincants contre l'inanité des discours libéraux aux Etats-Unis. Mais le projet de Moore est peut-être plus touchant encore. Profondément humaniste, il croit que le dialogue permet d'atteindre l'intimité des êtres qui s'en tiennent habituellement à un discours de surface, débité avec plus d'inconscience que de mauvaise foi. Moore est ainsi souvent réellement peiné de la schizophrénie de ses interlocuteurs, tenus à un discours simpliste pour assurer ce qu'ils croient être leur liberté alors qu'ils sont inconsciemment acteurs et victimes du délabrement des structures sociales.
Moore échappe à la schizophrénie américaine qu'il dénonce en s'appliquant à lui-même ce qui n'est pas loin d'être une auto-analyse psychanalytique. La radicale différence de tout documentariste avec Michael Moore c'est en effet qu'il appuie son discours sur son histoire personnelle (cette absence d'ancrage personnel rendait plus abstrait son précédant film The big one). Bowling for Columbine est souvent présenté comme un documentaire sur la circulation des armes aux Etats-Unis. Mais si Moore s'intéresse à ce sujet c'est qu'il est lui-même originaire du Michigan d'un des deux états des USA les plus surarmés avec le Colorado et qu'il est réellement membre du N. R. A. (National Rifle Association, association des propriétaires d'armes à feu, lobby parlementaire et économique), qu'il dénonce pour y avoir été naturellement inscrit par ses parents. Le garant de la sincérité de ce film, c'est lui-même. Le film super huit du début, le montrant fier de ses armes à feu et les diplômes de tireurs qu'il a acquis enfant sont à l'origine de son interrogation actuelle.
A l'origine apparente de ce projet, il y a la tuerie dans le lycée Columbine de Littletown dans la banlieue de Denver, capitale de l'Etat du Colorado, où deux lycéens abattent douze de leurs camarades et un professeur. Eric Harris et Dylan Klebold avaient choisi l'option bowling pour leur cours d'éducation physique, d'où le titre du film. Mais Moore tient surtout à parler du drame parallèle survenu quelques jours plus tard dans une école de la banlieue de Flint, sa ville natale où une fillette de six ans s'est fait tuer par un camarade de son âge. Le contrepoids en horreur entre le Michigan, et donc son histoire personnelle, et le drame du Colorado, vécu collectivement, est renforcé par l'interview du personnage d'un troisième drame, le propriétaire de la grange dans laquelle deux jeunes gens des milices du Michigan, à laquelle Moore appartint enfant, préparèrent l'attentat d'Oklahoma City.
Souvent Michael Moore ne peut faire plus que recueillir les témoignages sans pouvoir contraindre les gens à réfléchir davantage. Ainsi du discours de la jeune femme membre de la milice du Michigan. "Si nous ne défendons pas nos familles qui le fera", ou du responsable de chez Lookheed niant l'influence du complexe militaire de Littletown, où l'on construit des missiles intercontinentaux, sur les jeunes de la ville. A ces discours, il oppose une accumulation d'indices prouvant, si ce n'est le contraire de ce qui vient d'être dit, du moins que ce discours devrait amener à s'interroger. Moore rappelle ainsi les conflits violents dans lesquels les USA ont été impliqués en ayant peut-être le tort de tirer trop parti de la coïncidence entre le jour où les Américains ont déversé le plus de bombe sur le Kosovo et le jour de la tuerie de Littletown.
L'investigation journalistique est heureusement poussée souvent beaucoup plus à fond. Il n'a ainsi probablement pas été facile de se procurer les bandes vidéo de la tuerie de Littletown et l'enregistrement sonore de celle de Flint. Moore s'entoure aussi assez classiquement du témoignage de spécialistes. Ainsi ce professeur qui lui fait visiter Los Angeles pour lui prouver que même à South Central la criminalité n'y est pas si terrible et qu'elle sert surtout de prétexte à masquer des problèmes plus graves telle que la pollution avec ces brumes de gaz qui cachent Hollywood et la délinquance financière en focalisant la haine sur les jeunes noirs. Les interviews de Marilyn Manson et de l'auteur du dessin animé South Park sont moins classiques mais tout aussi éclairants. Marilyn Manson met le doigt sur la stratégie américaine : faire peur pour faire consommer ; "Si vous n'êtes pas beau vous ne siortirez avec aucune fille, si vous n'achetez pas d'armes vous serez en danger". Et le créateur de South Park rappelle la pression qui est mise sur les adolescents, leurs parents les obligeant années après années à être les premiers en oubliant toute créativité.
L'interrogation du père d'un jeune garçon abattu de Littletown sur l'effarant écart entre les plus de 11 000 morts par arme à feu aux Usa et ce chiffre inférieur à 300 en Allemagne en France en Angleterre et à la centaine au japon ou au Canada amène aussi Moore à enquêter personnellement (attention toutefois à ce chiffre qui doit être rapporté à la population mais qui comprend aussi probablement , pour la moitié environ, les morts par suicide...à vérifier). Il visite ainsi les villes du Canada les plus proches de là où il habite : une petite bourgade de 7 000 âmes puis Windsor, en face de Detroit. On a trouvé ici où là un peu faible que Moore préfère le Canada à un autre Etat américain qui réprime le commerce des armes. Mais son excursion au nord du lac Ontario est l'occasion de s'interroger sur le discours des médias. D'un côté séries violentes et discours sécuritaire de l'autre une télé lente et pédagogique qui essaie d'expliquer au lieu de faire peur. Fidèle à la preuve par l'expérimentation personnelle, Moore vérifie lui-même que les habitants ne ferment pas leur porte à clé ("Thank you for not shooting me !").
De tous ces témoignages Moore tire la thèse du film. La pulsion du surarmement provient de la peur de chaque américain, entretenue par le discours des affairistes des politiques et des médias. Les affairistes ayant intérêt à faire consommer et les politiques à faire oublier les vrais problèmes en imposant un iméprialisme qui nourrit la paranoïa sécuritaire et entretien les entreprises d'armement militaire et les médias à exploiter le goût du spectaculaire. Bush peut ainsi affirmer que les USA ont un ennemi sans nul besoin d'argumentation ou de preuve. Ce discours conduit à des abérations sociales telles que les programmes sociaux qui conduisent les mères sur les routes loin de leurs enfants. Moore s'attardant longuement sur l'inanité sociale et éducative de ces programmes (interwievs du maire et du sherif et d'un passager du bus pris par la mère du jeune garçon)
Moore se propose donc de littéralement réveiller les Américains englués dans le discours sécuritaire. A l'image de l'humoriste Chris Rock (celui qui propose le contrôle des balles, si elles valent très chères, il y aura moins de balles perdues !), de les reveiller par le rire. Pour cela, il utilise le happening avec une réelle efficacité. Après être passé par une banque où l'on offre un fusil à répétition pour l'ouverture d'un compte, Moore emmène deux survivants de Columbine au siège de la chaîne de supermarchés K-Mart. Là, il proteste contre la vente libre de munitions pour armes d'assaut. Au premier rendez-vous, la chargée des relations publiques, très maladroite lui sert un discours de surface. Moore revient el lendemain avec la presse locale.Terrifiée par les caméras, la direction cède et retire de la vente les munitions incriminées. L'autre sommet de Bowling for Columbine a été tourné à Hollywood avec l'une des plus grandes vedettes de l'histoire du cinéma. Se prévalant de son adhésion à la NRA, Moore s'introduit dans la résidence de Charlton Heston, porte-parole de ce lobby. Celui-ci s'aperçoit peu à peu que Moore lui pose de vraies questions (est-il normal qu'un enfant de six ans puisse se procurer une arme à feu et qu'il tue ainsi une fillette ? N'est-il pas provocant de venir faire des discours défendant la vente libre des armes dans des villes endeuillées ?). A ces questions posées calmement, Heston voit bien qu'il ne peut pas répondre et reçoit comme une révélation le fait qu'il pourrait s'excuser pour sa conduite. Pitoyable et lâche, lui qui s'était donné l'air jeune et en forme pour l'interview fuit à petit pas le documentariste qui lui demande de regarder la photo de la fillette tuée. Charlton Heston, troublé et acculé ne changera probablement jamais mais, pour qui voudra bien voir le film, la preuve est faite que son discours ne tient pas.
Moore c'est l'anti Costa Gavras. D'un film de ce dernier, on sort découragé car sous prétexte de dénoncer les puissants, on n'a finalement fait que démontrer qu'il est inutile de se révolter puisque les multinationales auront toujours le dernier mot. Chez Moore, le discours n'endort jamais, l'important étant d'être toujours debout pour se révolter et, quelque fois, une entreprise peut changer de stratégie et un individu prendre conscience d'une réalité ignorée C'est toujours ça de pris en attendant de supprimer dans le deuxième amendement le droit de posséder une arme