Anne Linsel
2010

En 2008, Pina Bausch a confié à Jo Ann Endicott et Bénédicte Billiet le soin de reprendre avec des adolescents de 14 à 18 ans sa célèbre pièce de 1978, Kontakhof. Tous les samedis, 46 élèves de 12 écoles différentes de Wuppertal qui ont répondu sans souvent rien connaitre de la danse à une annonce et ont passé près d'une année ensemble à répéter la pièce.

Jo, qui interprétait la fille en rose en 1978 fait répéter Joy et l'une de ces camarades et tente d'inculquer les principes de la chorégraphie de Pina Bausch aux adolescents. Joy ne parait pas très décidée à jouer un rôle et les adolescents peinent à garder le regard fixe et la tête droite lors des jeux de scènes où garçons et filles se provoquent. Bénédicte surveille sur son monitor TV l'adéquation entre le placement des adolescents et ceux des danseurs professionnels de 1978.

Apres quelques répétitions, Pina Bausch vient leur rendre visite pour apprécier le résultat. Elle le fait avec la plus grande gentillesse. Les adolescents, qui ont le plus grand respect pour la femme le plus célèbre de leur ville sont aussi intimidés par le regard qu'elle porte sur leur travail. La quarantaine de jeunes va être répartie en deux groupes. Le premier qui assurera la première et les représentations officielles et le second qui servira de doublure. Aucun choix ne parait encore définitif. Pina leur dit de penser au jeu de scène, aux garçons de regarder les filles et non le public. Elle insiste aussi sur la fixité de la tête et du regard.

Safet, un jeune rom bosniaque que sa mère élève seule avec ses quatre frères depuis leur arrivée en Allemagne dit le respect qu'il a pour les femmes ; pour le courage de sa mère et pour le désir de s'accomplir par le travail des filles de son âge.

Les répétitions se succèdent. La scène du déshabillage du garçon et de la fille nécessite que la pudeur naturelle des adolescents soit vaincue. Jo y arrive avec finesse. Hoffmann déclare avoir beaucoup appris, beaucoup s'amuser et en pas avoir le trac.

Lors d'une répétition, les adolescents parlent d'une anecdote amoureuse, triste (la jeune fille qui croyait sa cousine son alter ego, jusqu'à ce qu'elle sorte avec son petit ami) ou burlesque (Hoffman qui entraine avec un ami deux filles dans le noir pour les embrasser et qui, lumière allumée, s'aperçu qu'il avait embrassé son ami). Ces anecdotes seront plus tard intégrées au spectacle.

Jo annonce aux trois danseuses principales leurs rôles dans la pièce. Joy sera la fille en rose. Ses deux amis auront des rôles importants. Hoffman est déçu que son camarade ne soit retenu que dans le second groupe. Safet qui était pourtant arrivé en retard à deux répétitions est sélectionné dans le premier groupe

Joy est interviewée à son tour. Elle parle du traumatisme qu'a été la mort brutale de son père, de l'effondrement que cela a représenté pour elle et sa famille. De sa joie de danser pour sa mère et aussi pour son père qui aurait été fier d'elle.

Le samedi matin les adolescents quittent leur domicile et se retrouvent dans le monorail suspendu de la ville ou près du théâtre. Leur complicité est grande. J

Pina Bausch vient une dernière fois regarder le travail des danseurs. Elle s'inquiète de voir à quel point Jo doit encore les guider. Elle leur dit à quel point elle est heureuse et fière qu'ils portent sa pièce dans le monde. Face caméra elle dit sa joie de voir ces enfants monter un spectacle dont les erreurs même serviront la pièce.

C'est le jour de la première. Un triomphe.

 

On craint d'abord une laborieuse copie, avec des adolescents, d'un spectacle mis en scène pour des danseurs professionnels. La pièce parlant aussi bien de l'aliénation des adultes aux stéréotypes que de l'aliénation des danseurs aux chorégraphies trop bien réglées, on aurait alors une déclinaison supplémentaire : les enfants imitant des danseurs singeant des comportements sexuels stéréotypés. L'attention à la chorégraphie originale dont fait preuve Bénédicte Billiet et le rappel du sens de la pièce par Jo Ann Endicott, garantes toutes deux de cette nouvelle version, fait ainsi d'abord un peu peur.

Et puis...le miracle opère. Le professionnalisme des danseuses impressionne et la vitalité, la décontraction et la compréhension progressive des adolescents de participer à une expérience unique émeuvent aussi bien que l'intervention tardive d'Anne Linsel avec ses interview des enfants. Le charisme de Pina Bausch, grande silhouette avec une cigarette toujours allumée, ainsi que la décrit Hoffman, fait le reste, son autorité, sa générosité, sa douceur irradient chacune des séquences

Les jeunes se découvrent capable d'avoir des amis, de parler sans peur en s'appuyant sur un discours qu'ils rodent à chaque répétition ; leur permet de mieux parler d'eux même et du monde qui les environne.

"Kontakthof est un lieu où l'on se rencontre pour lier des contacts, affirmait Pina Bausch. Se montrer. Se défendre. Avec ses peurs. Avec ses ardeurs. Déceptions. Désespoirs. Premières expériences. Premières tentatives. De la tendresse, et de ce qu'elle peut faire naître." Pour la chorégraphe, cette pièce était un laboratoire. En 1999, elle l'avait déjà remise sur le métier avec des acteurs de plus de 65 ans dont elle voulait qu'ils la façonnent avec leur expérience de la vie.


Anne Linsel a suivi le travail de Pina Bausch dès son entrée au Tanztheater de Wuppertal en 1973. Elle n'avait toutefois réalisé jusque-là que deux courts documentaires pour la télévision sur elle en 2000 et 2006. En apprenant, le souhait de Pina Bausch de reprendre en 2008 avec des adolescents un spectacle qu'elle avait déjà repris en 199ç avec des personnes de 65 ans et plus qu'elle a décidé de faire un film. Rainer Hoffmann crédité comme coréalisateur est le chef opérateur du film. Pina Bausch a vu le spectacle naitre, son 42e sur 43 mais n'a pu voir le documentaire.

 

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Les rêves dansants - Sur les pas de Pina Bausch

(Tanzträume). Avec : Jo Ann Endicott, Bénédicte Billiet, Pina Bausch, Joy, Safet, Kim, Maria, Hoffman.... 1h32.

Genre : Documentaire
Thème : La danse