In the Family

2011

Thème : La famille

Avec : Sebastian Banes (Chip Hines), Patrick Wang (Joey Williams), Trevor St. John (Cody Hines), Lisa Altomare (Betsy). 2h49.

Martin, 12 000 habitants, dans le Tennessee. Chip Hines, un jeune garçon précoce de 6 ans, ne connaît que la vie avec ses deux papas, Cody et Joey. Et c'est une belle vie. En ce mois d'octobre, c'est souvent, papa Cody qui vient le chercher à l'école. Moins souvent, c'est papou Joey qui s'en charge en le surnommant affectueusement Chipmouk. Cody, instituteur de mathématiques en CP est en effet souvent plus disponible que Joey, architecte d'intérieur très pris par des clients exigeants, Marge et Paul Hawks. Joey doit même renoncer à une fête d'anniversaire retenu par une nouvelle exigence de Marge. Cody et Chip lui emmèneront néanmoins sa part de gâteau sur son lieu de travail.

Un matin, juste avant de conduire Chip à l'école, Joey reçoit un appel téléphonique : Cody qui se rendait à un entraînement sportif tôt le matin a été victime d'un grave accident de voiture.

A l'hôpital, Joey et Chip retrouvent Dave Robey, le mari d'Eileen, la sœur de Cody qui est repartie travailler. Ce sont en effet les parents et frères et sœurs de Cody qui ont été les seuls prévenus par l'hôpital. Eileen n'a prévenu Joey qu'assez tardivement. Après l'opération, lorsqu'on permet à la famille de voir Cody toujours inconscient, Joey en est empêché par l'infirmière en chef qui se fait un plaisir de s'en tenir au strict règlement. Ce sont pourtant les seuls Joey et Chip qui restent la nuit veiller dans l'hôpital. Brusquement, un chirurgien vient leur annoncer que Cody est mort.

Après l'enterrement, Joey a du mal à reprendre le cours normal de sa vie. C'est Chip qui, d'une certaine façon, lui montre l'exemple en réinvestissant la cuisine des actes simples, partager un verre ou trier le courrier, qui se faisaient auparavant à trois. Alors que Chip est au salon, Joey se souvient pourtant avec tristesse comment la rencontre de Cody dans cette même pièce alors qu'il était marié à Rebecca avait démarré sous les meilleurs auspices. Rebecca l'avait sollicité comme maitre d'ouvrage pour leurs travaux qui n'avançaient plus. Le lendemain, Joey trouve en Gloria, une collègue amie de Cody, une nouvelle amie qui se fait un plaisir de continuer à leur fournir ses petits plats mijotés.

Joey sollicite Eileen pour l'aider à faire le tri dans les papiers de succession. Il n'a retrouvé qu'un formulaire de testament dans les papiers de Cody. Eileen lui révèle alors qu'un vieux testament établi à la naissance de Chip, peu avant qu'il ne fasse partie de la famille, la désigne comme tutrice de l'enfant. Elle a déjà transféré des comptes de son frère pour prendre en charge cette nouvelle responsabilité. Joey s'insurge et ramène Chip avec lui.

Pour la fête de Thanksgiving, Joey doit accepter de ne plus être invité avec Eileen avec laquelle il est désormais fâché. Il conduit ainsi seul son fils chez ses grands-parents. Il se souvient combien il fut bien accueilli mais avec gêne toutefois par sa belle-famille lorsqu'il feta avec eux le premier Thanksgiving. Le soir alors qu'il s'apprête à manger seul, Anne, la mère de Blacky, un copain de Chip, et Helen, son amie décoratrice, viennent lui tenir compagnie. Le lendemain alors qu'il vient rechercher Chip, il trouve porte close chez les grands-parents. Sally, la grand- mère, lui explique qu'Eileen a exercé son droit de garde sur Chip tel qu'en a décidé le juge. Lorsqu'il se rend chez Eileen, celle-ci a appelé la police pour l'empêcher ainsi de protester. Le soir, en rentrant du commissariat, Joey se souvient de comment il avait écouté Cody, effondré après la mort de Rebecca en couches.

Les jours passent et Joey ne voit pas comment revoir Chip d'autant plus qu'Eileen lui a fait porter une interdiction d'approcher son enfant. Gloria lui conseille un bon avocat. Celui-ci ne peut toutefois que lui confirmer que les notions de "parent psychologique" ou de "parent de fait" ou de "parent présumé" que pourraient manier des avocats peu scrupuleux ne tiendront pas devant un juge. Les avocats conseillés par ses amies ne donnent pas de meilleurs résultats. Anne transmet pourtant à Chip un des cubes aux dragons qui faisaient sa joie. Anne l'entend écouter sur un magnétophone l'histoire du dragon Paistie que Joey a inventé. Chip ému repasse en boucle le "hey Chipmouk !"que son papou lui adresse sur la bande magnétique.

C'est Paul Hawks, ravi de ses travaux de reliure et ému par son histoire qui reprend alors pour Joey son métier d'avocat. Il lui fait trois observations : ce n'est pas parce que la loi a des limites que l'on vaincra en l'attaquant de front. Ce n'est pas parce que la loi a des limites que l'on ne peut pas l'utiliser  à son profit lorsque la partie adverse n'est plus un ennemi. Les juristes vivent dans un tribunal pas lui. Il doit donc d'abord savoir ce qu'il est prêt à modifier, à abandonner et ce qu'il ne veut pas changer.

Joey ayant réfléchit à cela, Paul obtient du cabinet d'avocats sollicité par Eileen que la déposition de son client ne soit validée qu'avec la présence d'Eileen et Dave. Joey enfile la chemise que portait Cody lors du fameux après-midi où il l'embrassa pour la première fois en écoutant une chanson de Chip Taylor. Devant ce tribunal familial dirigé par l'odieux Jefferson Robinson, Joey fait preuve de tant d'humanité et de désir d'être un bon père que tous sont émus.

Le soir, Eileen et Dave viennent lui ramener son fils pour qu'il passe le week-end avec lui. Les liens familiaux sont de nouveau renoués au plus grand bonheur de tous.

Patrick Wang porte une grande attention à la psychologie, toujours d'une grande finesse, cherchant à comprendre l'autre et à éviter de le blesser. Il aime la  beauté des objets investis du travail de l'artisan ou de l'artiste : le réveil matin en forme de fusée,  les cubes sculptés, le travail de reliure. Cette attention portée au fond comme à la forme en fait le cinéaste précieux d'un récit rythmé par des plans longs porteurs d'émotions.

Quatre plans d'exception

Les plans longs du film sont les plus chargés d'émotion. Ainsi du gâteau apporté à Joey après la fête des enfants organisée par Ann  à laquelle il n'a pu assister. La caméra saisit la voiture arrivant au premier plan avec Cody et Chip, puis les laisse s'éloigner dans la profondeur de champ et qu'arrive Joey auquel Chip finit par donner le gâteau caché derrière son dos. La caméra loin de la scène n'enregistre pas les paroles échangées et cette discrétion renforce le jeu muet de la surprise faite au père par l'enfant.


Deuxième plan long, celui de la cuisine après l'enterrement. Joey a du mal à reprendre le cours normal de sa vie. C'est Chip qui, d'une certaine façon, lui montre l'exemple en réinvestissant la cuisine des actes simples, partager un verre ou trier le courrier, qui se faisaient auparavant à trois. L'absence de Cody dans le plan alors qu'il en occupait le centre lors du premier déjeuner à trois renforce l'émotion.

Le troisième plan long est celui du troisième flash-back où Joey revenu du commissariat affronte seul le retour à la maison. Lui revient alors sa longue conversation avec Cody qui venait de perdre Rebecca et s'était saoulé. Ce plan long, pour une fois à la caméra portée, est initié par le même plan étrange du dernier soir avec Cody : Joey était rentré tard et avait ouvert le frigo pour prendre une bière avant de s'éloigner dans  la profondeur de champ. C'est cette même entrée de l'acteur qui est repris ici, saisi à  mi-corps avec sa veste et la bière à la main dans le plan avant que le corps entier n'apparaisse. La même reprise du plan  rappelle au spectateur que Joey pense en rentrant au dernier soir vécu avec Cody. Ce moment qui suit, pas particulièrement dense et explicatif, est une remontée de mémoire involontaire qui se déploie alors dans un unique plan long, hommage au souvenir de la dernière conversation, anodine, sur le lit avant le matin de l'accident

Le quatrième  plan long est celui d'Anne écoutant le conte de Paistie, dragon sculpté sur le cube en bois, qu'écoute hors-champ Chip. En cadrant Anne de plus en plus approchée, Wang en fait notre alter-égo, ému que nous sommes, comme elle, par l'écoute attentive de Chip.

Des pointes du passé sur les nappes du présent

En dehors de ces quatre plans extraordinaires, la mise en scène de Patrick Wang est faite plus généralement de plans longs avec un minimum de champ-contrechamp afin de faire advenir l'émotion par le seul jeu des acteurs au sein de l'espace. Il ne sollicite pas davantage l'émotion par le recours à de la musique off.

Au sein de ces grandes nappes de présent, surgissent quatre flashes-back qui expriment les manques affectifs ressentis par les personnages. Ces flashes-back ont ainsi moins pour but de révéler un élément essentiel de l'histoire que d'être de purs moments d'émotion, déclenchés par la mémoire involontaire. Ils ne suivent d'ailleurs pas l'ordre chronologique, sollicitant l'attention du spectateur pour les resituer, parfois longtemps après leur vision.

C'est notamment le cas de la première rencontre avec Cody et Rebecca. Plus simple est, la première visite aux parents suggérée par Chip s'éloignant seul vers le seuil de la maison.  Le fameux flash-back de Cody saoul après la mort de Rebecca, en plan continue, retarde quant à lui, le premier baiser échangé avec Cody, objet du quatrième flash back.

Une telle  attention portée à la forme avec laquelle les choses sont dites fait un peu regretter la forme très conventionnelle du procès final pourtant porteur d'émotion. Les plans longs sont abandonnés au profit de classiques champs-contrechamp sur les visages odieux ou sympathiques des avocats, sur les émotions de la greffière ou d'Eileen et Dave pendant que Joey raconte sa vie. Au mieux pourra-t-on dire que Wang respecte la forme classique du film de procès quand son héros est contraint au cadre juridique.

Cette fin un peu bâclée sur un très beau texte sur la transmission ne doit pourtant pas faire oublier la grande force et douceur d'un film qui prône une psychologie réconciliatrice exemplaire.

Jean-Luc Lacuve le 13/09/2015, après le ciné-club du jeudi.