Renaud Victor
(1943-1995)
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Biographie par Sandra Alvarez de Toledo sur le DVD Le moindre geste

En 1972, Renaud Victor a vingt-cinq ans. Il gagne sa vie comme plombier et suit en auditeur libre des cours de sociologie, d’ethnologie et de cinéma à l’université de Vincennes. Militant d’extrême gauche, proche des maoïstes, il participe aux actions du collectif de production et de diffusion Cinélutte créé par Richard Copans.

Immédiatement après avoir vu Le Moindre Geste (sans doute lors d’une projection organisée par le Service de la recherche de Pierre Schaeffer, à laquelle avait assisté Françoise Dolto), il décide de rendre visite à Deligny à Monoblet dans les Cévennes. De cette rencontre allaient dépendre son existence de cinéaste et sa manière d’envisager le cinéma, autant dire sa vie. Ensemble, ils réalisent deux films, Ce Gamin, là et Fernand Deligny, à propos d’un film à faire. Ensemble ils en projettent quantité d’autres. Leur amitié se construit autour d’un projet de film perpétuel. De l’un on passe à l’autre. L’un ne se fait pas, l’autre se fait. Deligny parle, Renaud Victor écoute et filme. Deligny « pérore », Renaud absorbe, jusqu’à plus soif, les leçons du vieux maître qui enseigne que l’image ne se fait pas, ne se prend pas. « Je filme quoi ? » demande alors le « preneur d’images ». « Est-ce vraiment la question qui se pose ? Ce n’est pas évident. Il faut se vacciner contre l’habitude d’un réalisateur : filmer », répond Deligny. En bon pédagogue, celui-ci pose les bases d’un cinéma expérimental, soustrait aux exigences de la productivité et du marché, un cinéma libre de son temps et de son espace, un cinéma qui n’imagine pas d’images mais les laisse venir à lui, un cinéma possédé par les images plutôt qu’en possession d’elles, un cinéma « d’espèce », dégagé de l’anthropocentrisme, désassujetti de la norme du langage et du faire. Grâce à Renaud Victor qui l’écoute, Deligny met en forme ces visions. De leurs échanges naissent Acheminement vers l’image, puis « Camérer », plusieurs versions de « Camérer », autant de textes critiques qui font écho à ceux des Duras, Godard, Straub et Huillet, et d’autres, leurs contemporains.

Ce Gamin, là est une réponse à L’Enfant sauvage de François Truffaut, qui produit Ce Gamin, là. Truffaut exige un documentaire, des coupes drastiques, un commentaire. Renaud Victor est un réfractaire. Il entend rester libre de ses choix : « Je suis militant avant d’être cinéaste », déclare-t-il. Deligny et lui voudraient un film de quatre ou cinq heures. Truffaut refuse, il prévoit une sortie commerciale. Ce Gamin, là est projeté à Paris au Saint-André des arts en janvier 1976. 4000 spectateurs voient le film en trois semaines. Ce Gamin, là fait la Une du Monde sous le titre : « La “tentative Deligny” mise en cinéma ». Autres temps : ceux del’antipsychiatrie, de Surveiller et punir et La Volonté de savoir, des films de Laing et Bellochio, des dernières années de l’Union de la gauche… Fernand Deligny, à propos d’un film à faire (1989) est le dernier avatar d’un conte-scénario, La Voix du fleuve.

Là où la fiction ne prend pas, les producteurs (Bruno Muel et Thierry Garrel) trouvent une solution : filmer Deligny parlant. Renaud Victor plonge le vieux pédagogue dans une lumière douce et le laisse parler. Entre ses monologues, ils insèrent des bribes d’images de La Voix du fleuve (devenu entre-temps Toits d’asile). Le résultat de cette pure expérimentation est l’un des très beaux essais de l’histoire du cinéma, pendant du Camion de Marguerite Duras, dont Renaud Victor aimait les films et dont il adapta secrètement La Maladie de la mort. Sans Deligny, Renaud Victor est encore cinéaste.

Après Ce Gamin, là, il réalise Hé ? Tu m’entends…, un film à très petit budget qui met en scène la vie d’une famille ouvrière dans un HLM de Grenoble (avec sa femme Monique Parelle et leur fils Cyrill dans les rôles de la mère et du petit garçon). Le Meilleur de la vie, tourné à Nîmes en 1984, est sa seule véritable fiction, mise en œuvre dans le cadre d’une production classique, avec des acteurs professionnels (Sandrine Bonnaire et Jacques Bonnafé). Les deux films sont étrangement, chacun à sa manière, l’antithèse des leçons de Deligny : narratifs, sociologiques et psychologiques. Après Le Meilleur de la vie, il écrit plusieurs versions d’un scénario de fiction intitulé Un jour, dehors, inspiré de récits de repris de justice dont les personnages et les vies le fascinent. Le film n’a pas lieu. En 1990, il réalise son dernier documentaire, De jour comme de nuit, à la prison des Baumettes à Marseille. Après un tournage éprouvant avec les prisonniers, Renaud Victor apprend qu’il a un cancer. Il meurt en 1991. Il est enterré à Monoblet, à quelques kilomètres du hameau de Deligny.

Filmographie :

1975 Ce gamin, là,
 

Dans les Cévennes en 1974. Document poétique centré sur le personnage de Janmari, enfant autiste d'origine brésillienne.

   
1989 Fernand Deligny, à propos d’un film à faire,
 

Avec Aziz Bouchoui, Fernand Deligny, Gisèle Durand, Renaud Victor. 1h07.

   
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