Agnès Varda s'expose à la Fondation Cartier à Paris
jusqu'au 8 octobre. La cinéaste qui inaugura la Nouvelle Vague avec
La pointe courte (1954) et Cléo de 5 à 7 (1961), avant la bande
de garçons des Cahiers du Cinéma, est célèbre
pour ses films L'une chante l'autre pas, Sans toit ni loi, Jacquot de Nantes
(sur son mari Jacques Demy), Les glaneurs et la glaneuse et nombreux courts-métrages.
L'année dernière, nous avions déjà admiré
le travail de cette jeune femme de 78 ans à la Galerie Martine Aboucaya
où elle présentait Le triptique de Noirmoutier jouant sur le
hors champ par un amusant coulissement de persiennes, et surtout Les veuves
de Noirmoutier, où 14 écrans entourent un quinzième central.
En face, sont installées 14 chaises avec 14 casques audio. À
chaque chaise et casque correspond le son de l'une des séquences, les
chaises dessinant en miroir le même damier que l'ensemble des séquences
projetées. L'image composite reste la même, mais le son change.
À soi de retrouver la veuve à qui il appartient... L'une d'entre
elles est évidemment l'auteur. Ces deux installations sont présentées
au sous-sol avec trois autres, celles-ci conçues, comme celles du rez-de-chaussée,
à l'occasion de cette exposition dont le thème est l'île
de Noirmoutier où la cinéaste possède une propriété.
En 2005, Agnès Varda recevait ses amis déguisée en patate
(sic), clin d'il à ses premiers pas d'artiste plasticienne à
la Biennale de Venise en 2003 où elle avait présenté
Patatutopia et à sa taille, haute comme trois pommes (de terre) !
Au rez-de-chaussée de l'immeuble dessiné par Jean Nouvel, sont
installées trois uvres. Ping Pong Tong et Camping est un petit
film de plage en boucle, projeté sur un matelas gonflable, avec en
alternance le percussionniste Bernard Lubat qui tapote bombardé de
balles de ping pong ou le BACHotron de Roland Moreno, le génial inventeur
de la carte à puces (aussi allumé que le fut Einstein dans sa
vie quotidienne, voyez son site si vous pouvez en croire vos oreilles !).
Seaux, raquettes, pelles en plastique aux couleurs vives, encadrent l'écran,
et sur le côté, une autre boucle vidéo montre des tongs
encore plus fantaisistes que celles accrochées tout en haut. C'est
gai, ludique et charmant. Dans La cabane aux portraits sont accrochés
d'un côté 30 hommes et de l'autre 30 femmes ; c'est plus sévère,
sauf si les cartes se mélangent quand la nuit tombe et que la Fondation
ferme ses portes ? N'oublions pas qu'Agnès Varda commença au
théâtre comme photographe de plateau, en particulier en Avignon
avec Jean Vilar ! Dans le catalogue de l'exposition ressemblant à un
très beau livre pour enfants et particulièrement réussi,
elle fait appel au décorateur de l'expo, Christophe Vallaux, pour ses
dessins (voir ci-dessus). Ma cabane de l'échec est une serre dont les
murs sont constitués des chutes de pellicule du film Les créatures,
déjà tourné dans l'île, flop de l'année
1966 avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli, dont on ne peut voir que les
images anamorphosées pendant le long des murs ou un extrait, plus loin,
sur une vieille table de montage...
Au sous-sol, Le passage du Gois simule la route submersible qui relie l'île
au continent, une barrière automatique scande les marées, empêchant
ou laissant passer les visiteurs. Le Tombeau de Zgougou est représenté
par un tumulus sur lequel est projeté un petit film d'animation avec
des coquillages. On connaissait déjà l'Hommage à Zgougou,
bonus du film Les glaneurs et la glaneuse, mais ce dernier épisode
est si tendre qu'on pense encore à un rituel pour atténuer la
douleur des enfants. Ceux d'Agnès, Mathieu et Rosalie, sont grands,
mais elle tient très bien sa place de grand-mère gâteau.
Enfin, près d'un tas de sel, les fenêtres de La grande carte
postale ou Souvenir de Noirmoutier s'ouvrent sur cinq petites scénettes
cinématographiques : la main de Demy malade sur le sable, des enfants
farceurs montrent leurs fesses, des oiseaux mazoutés agonisent, est-ce
un noyé qui flotte entre deux eaux ?
Le site de la Fondation Cartier est très bien fait, beaucoup d'informations
et d'images sur L'île et Elle, si ce n'est une insupportable (par sa
répétitivité) boucle de percussion du camarade Lubat.
La conception sonore du site n'est vraiment pas à la hauteur du reste,
mais on a hélas si souvent l'habitude de couper le son sur Internet,
n'est-ce pas ?
On peut être étonnés que ce soit deux cinéastes
dont la carte vermeille commence à s'effacer qui réalisent parmi
ce qui se fait de plus intéressant et de plus émouvant dans
le domaine des nouvelles technologies, et ce de manière totalement
artisannale. Je pense aux films de Chris Marker et à son CD-Rom "Immemory'',
comme à Agnès Varda dont les boni sont amoureusement composés
pour accompagner la réédition de ses films ou ceux de son mari,
le très regretté Jacques Demy, et ici l'amorce d'une nouvelle
carrière d'artiste plasticienne à bientôt 80 ans ! Car
ce n'est pas la prouesse technique qui fait sens, mais le regard que ces deux
amoureux des chats portent sur le monde, et sur ces formes d'expression modernes
leur offrant de nouveaux champs d'expérimentation, terrain de jeu où
se mêlent ici une véritable tendresse et la plus grande fantaisie.
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