Le pont des espions

2015

Genre : Espionnage

(Bridge of spies). Avec : Tom Hanks (James Donovan), Mark Rylance (Rudolf Abel), Austin Stowell (Francis Gary Powers), Scott Shepherd (Hoffman), Amy Ryan (Mary Donovan). Will Rogers (Frederic Pryor), Dakin Matthews (Juge Byers). 2h12.

Dans le tumulte du quartier Brooklyn vit un vieux monsieur, peintre discret et effacé. Alors qu'il sort avec son chevalet, il est très vite pris en filature par des agents du FBI. Malgré tout ce dispositif, Abel réussit à les semer et peint ! Un répit de courte durée car il est arrêté à son domicile : il est le colonel Rudolf Abel, un espion à la solde de l'U.R.S.S, installé depuis des années aux États-Unis. Interrogé, malmené, il ne dit rien et attend tranquillement son procès. Pour le représenter, c'est à James B. Donovan que l'on fait appel ; un avocat spécialisé dans les assurances qui n'a plus connu les joies du pénal depuis un certain temps.

Donovan, malgré ses réticences et ses craintes pour sa carrière, accepte cette mission à la demande des autorités et de son cabinet d'avocats, pour montrer la supériorité d'un Etat de droit sur le système soviétique. Alors que pour le juge en charge de l'affaire, la condamnation à mort ne fait aucun doute, Donovan parvient à fléchir son jugement. Il lui suggère en privé, chez lui, que tuer Abel ne serait pas patriotique : au cas où un soldat américain serait fait prisonnier par les Russes, Abel pourrait servir de monnaie d'échange. Au moment du verdict le juge, seul souverain en la matière, condamne Abel à une peine de prison de 30 ans. Une partie de la population désapprouve ce verdict exigeant comme pour les époux Rosenberg, accusés d'espionnage au profit de l'URSS en juin 1953, la chaise électrique. La famille de Donovan est victime d'une agression et sa femme et ses enfants regrettent son engagement. Mais Donovan va plus loin encore, il fait appel devant la cour suprême afin d'obtenir l'acquittement d'Abel ; les preuves matériels manquant au dossier. Par 5 voix contre 4, Abel reste condamné à une peine de détention. Donovan, haï par l'Amérique entière, se voit ostraciser au sein de son cabinet d'avocat

Pourtant, l'évolution de la situation donne raison à Donovan, lorsque la CIA accepte une avance soviétique : les Russes suggèrent en effet qu'un échange de prisonniers serait possible.

Donovan accepte de négocier cet échange entre Abel et Francis Gary Powers, un pilote de la CIA dont l'avion espion, le U-2, a été abattu au-dessus de l'Union soviétique. L'avocat doit pour cela se rendre à Berlin-Est, contrôlé par les Soviétiques, sans protection diplomatique. Il y découvre une situation complexe, dans laquelle Soviétiques et Allemands de l'Est essaient de prendre l'avantage les uns sur les autres. Sa mission se complique lorsqu'il décide de son propre chef de ramener non pas un prisonnier, mais deux. En effet, alors que le gouvernement américain veut récupérer son pilote de peur qu'il coopère avec les soviétiques, James B. Donovan fera tout ce qui est en son pouvoir pour libérer également un jeune étudiant américain innocent, quitte à prendre le risque de faire échouer le seul échange poursuivi par la CIA : Abel contre Powers.

L'échange des prisonniers, Abel contre Powers, a lieu sur le sur le pont de Glienicke mais auparavant Donovan s'est assuré que Frederic Pryor avait été libéré par la RDA au checkpoint Charlie.

James B. Donovan rentre à la maison avec, pour sa femme qui le croyait parti pêcher en Ecosse, un pot de marmelade... qu'il avoue avoir acheté à l'épicier du coin. Ses trois enfants sont scotchés devant le poste de télévision où un présentateur annonce la libération du pilote américain Francis Gary Powers, ainsi que de l’étudiant Frederic Pryor, arrêté par la police est-allemande, tous deux remis aux autorités contre Rudolf Abel, révélant au passage le rôle essentiel tenu par Donovan dans cette opération. Estomaqués, les quatre membres de la famille se retournent vers le héros du jour... qui est monté se coucher. Le lendemain dans le métro, Donovan apprécie les regards admirateurs des passagers qui ont vu sa photo dans le journal.

Le film est inspiré de faits réels avec des personnages qui portent les noms des protagonistes du drame. Au premier chef d'entre eux, l'avocat James B. Donovan (1916-1970) dont les cartons finaux apprendront que ses talents de négociateurs ont sauvé 7 000 prisonniers des geôles de pays menés par des dictateurs. La chronologie du film, assez imprécise, semble néanmoins plus ramassée que celle, réelle, qui se déroula entre l'arrestation de Abel en 1957, la construction du mur de Berlin en juin 1961 et l'échange des prisonniers sur le pont de Glienicke le 10 février 1962.

Le premier plan montre un homme qui semble avoir trois visages : le sien, celui qu'un miroir lui renvoie et celui de l'autoportrait qu'il est en train de peindre. Un peu plus tard un coup de téléphone, justifiant sa sortie comme espion afin de trouver un message secret sous un banc public, fera l'objet d'un lent travelling avant vers son visage. Le film ne cessera ainsi d'osciller entre la recherche d'une complexité propre au film d'espionnage, témoin des affres d'une époque et le pur film d'action efficace. La scène de filature dans le New York de 1957 où le crash de l'avion U2 avec parachute coincé puis ouvert sous la menace des débris de l'appareil sont sans doute les plus beaux exemples en ce domaine.

Le héros solitaire face à la propagande.

Au beau milieu du film, un raccord surprend. Au plan du juge Byers dans la salle du tribunal où débute le procès de Rudolf Abel demandant à chacun de se lever, succède, comme en contrechamp, une salle de classe où de jeunes enfants se lèvent, semblant obéir à l’ordre du juge tout autant qu'a celui de l'institutrice qui les fait jurer fidélité au drapeau. Suivent alors des visages d'enfants pleurant devant les images pédagogiques de destructions causées par les bombes atomiques. La séquence suivante montre le fils de Donovan qui tente de convaincre son père de garder leur baignoire toujours pleine, parce qu'il a appris par des prospectus, qu’en cas d’attaque nucléaire, la famille devrait se plonger sous l’eau pour ne pas souffrir des radiations. La nouvelle génération devient ainsi aussi corrompue, encore plus affectée par la peur, que celle des adultes.

Une faible analyse politique

Donovan rassure son fils face à cette propagande et, dans un final dégoulinant de bons sentiments, il en devient le héros tout comme de la nation entière. Face à l'hystérie de la société, seule les attitudes individuelles de Donovan et Abel sont proposées. Elles justifient le double programme du Pont des espions : film de procès puis film d'action unifié par l'amitié grandissante des deux hommes. Celle-ci repose sur la même morale : une attitude stoïque, toujours debout face à l'adversité. Jamais abattu pour rester fidèle au pays pour Abel et, pour Donovan, faire respecter les droits de la constitution américaine, les seuls qui assurent la liberté pour tout à chacun vivant dans le pays. Les grandes valeurs de l'Amérique (liberté, justice) se transforment en acte. "Vous n'avez pas peur ?", demande Donovan à Abel qui répond par une autre question : "Cela aiderait ?".

Centré sur la double attitude de ces deux hommes, le film n'’échappe pas au manichéisme : Abel mieux traités dans les prisons américaines que Francis Gary Powers torturé en URSS avec privation de sommeil, jets d'eau froide. Le contexte politique semble presque évacué. Certes le film comporte une scène devant la cour suprême mais le seul méchant du film, est Hoffman, un sous-fifre du FBI.

Jean-Luc Lacuve le 07/01/2016