Année bissextile
2010

Laura a 25 ans. Elle est journaliste d'entreprise free-lance, célibataire et habite un petit appartement à Mexico. Elle souffre de solitude qu'elle masque à sa mère et son frère Raul restés dans leur village. Sur le calendrier qui indique la date du 1er février, elle met uen croix et rougit au feutre la case du 29 février. Elle se masturbe en regardant avec envie ses voisins mener une vie de couple harmonieuse. Lorsqu'elle sort en boite, Laura n'a aucun mal à ramener un homme à la maison auquel elle se donne immédiatement et qui repart aussitôt après. Un soir pourtant un homme, Arturo, se montre plus gentil que d'habitude après lui avoir fait l'amour un peu plus violemment qu'elle en a l'habitude. Quand elle se réveille, il est reparti.

Il revient pourtant un autre soir sans prévenir. Laura se laisse faire et apprécie qu'il reste un peu ensuite, qu'elle puisse poser sa tête sur ses genoux pendant qu'il sirote son whisky en regardant la télé tout en lui parlant de ses projets de devenir acteur.

Elle héberge pour une nuit son frère Raul venu à un colloque universitaire et inquiet de sa relation tendue avec sa jeune épouse. Elle avait demandé à Arturo de ne pas venir mais il surgit le lendemain et la fouette avec sa ceinture tout en se montrant toujours gentil. quand il lui demande quand elle a perdu sa virginité, elle lui répond que ce fut à l'age de douze ans mais refuse de fournir d'autres détails

Son rédacteur en chef la sermonne car elle a publié une information sans la vérifier qui s'avère fausse et risque de provoquer un scandale. Il la met à pied jusqu'en juillet, la contraignant à chercher d'autres employeurs dans ce laps de temps. Lorsque Arturo revient c'est pour lui pisser dessus et lui brûler les seins avec une cigarette.. sans se départir de sa gentillesse. Il reviendra même à l'improviste lui offrir un bonbon.

Le 27 février, le calendrier et couvert de croix. Le rédacteur en chef de Laura veut la reprendre mais elle refuse lui annonçant qu'elle a trouvé un travail dans une ambassade. Arturo vient la voir armé d'un couteau mais sans lui faire mal et c'est elle qui demande à ce qu'il aille jusqu'au bout et qu'il la supprime. Personne ne s'en apercevra lui dit-elle. Et elle lui donne rendez-vous pour le 29.

Le 29 février, lorsque l'on sonne chez Laura, prête au sacrifice, ce n'est pas Arturo qui se présente mais Raul, en larmes. Il annonce à sa soeur que sa femme le quitte. Ils évoquent la tristesse des jours, la mort du père un 29 février. Laura veille sur son frère. Elle reprend espoir. Arturo n'est pas venu à ce rendez-vous où elle avait décidé de sa mort.

Le distributeur français insiste lourdement dans la bande-annonce sur le caractère trash du film se permettant même de racoler avec un jeu de mot hors sujet sur les syllabes françaises de bi-sexe-tile tout en espérant puérilement renouveler le succès à scandale de L'empire des sens.

Le sexe est bien présent dans année bissextile. Il est un moyen pour Laura d'échapper au pire : une vie sans plaisir alors qu'elle est déjà sans amour. Masturbation et étreintes sexuelles trop brèves alternent avec saucisses en boite et crème glacée mangée à même le pot dans l'univers de celle qui survit difficilement dans un Mexico hors champs que l'on n'imagine pas foncièrement épanouissant.

La sexualité d'Arturo n'est pas plus perverse. Certes un peu particulière avec ses rites sado-maso mais qui ne deviennent dangereux que lorsque Laura y voit un moyen de trouver un équivalent à sa souffrance morale (la cigarette sur les seins) ou une façon de disparaître. Cette sexualité partagée entre les deux amants est bien mieux contrôlée par Arturo, d'une ineffable douceur (le bonbon) et d'une candeur touchante (ses essais de comédiens).

La relation amoureuse avec ses surprises sexuelles comme affectives sera donc ainsi, simplement, un moyen d'échapper au traumatisme constitué par l'apparition du 29 févier qui, des le plan initial, perturbe Laura. De ce 29 février, marqué en rouge et vers lequel on se dirige sur un calendrier jonché de croix, on ne sait pas grand chose. Ce jour là, le père disparaissait dans des conditions non décrites mais probablement inattendues (la maladie n'est pas évoquée) alors qu'il faisait l'objet d'un culte pour ses deux enfants dont ne semble pas bénéficier la mère (dont les coups de téléphone sont toujours importuns). La photographie sur la table de chevet de Laura est donc ainsi probablement celle de son père. Le fait qu'il soit jeune pourrait confirmer le soupçon qui se fait jour dans l'esprit du spectateur lorsqu'elle déclare à Arturo avoir perdu sa virginité à douze ans sans vouloir évoquer les circonstances. Une mort par suicide du père dès le viol sur sa fille commis qui n'aurait pas permis à celle-ci de parler de cet acte pourrait expliquer le mensonge permanant qui guide désormais la vie de Laura. Elle ne cesse de mentir à sa mère, à Arturo, à son rédacteur en chef mais aussi à Raul, dont elle est proche, sur sa vie, cachant toujours et à tous son quotidien sans joie.

Le mystère autour d'une histoire de viol caché qui ne dégénère pas en traumatisme sexuel mais en trouble du mensonge est traqué par les multiples plans fixes qui continuent l'unique moyen de mise en scène de Michael Rowe. Après une première séquence dans un grand magasin, la caméra ne quitte pas l'appartement de Laura et Rowe varie toujours chacun de ses plans fixes pour ne jamais reprendre le même, élargissant ou réduisant le cadre, attentif aux entrées et sorties de champ.

Extrêmement élégante, cette mise en scène est tout à la fois attentive au réel vécu par Laura tout en préservant une beauté de la forme sans laquelle, dans la vie comme au cinéma, il n'est pas de salue possible. Une caméra d'or tout à fait justifiée.

Jean-Luc Lacuve le 23/06/2010

 

 

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Cannes 2010 : Un certain regard,  Caméra d'or (Año bisiesto). Avec : Monica del Carmen (Laura), Gustavo Sánchez Parra (Arturo), Marco Zapata (Raúl), José Juan Meraz (le voisin), Nur Ireri Solís (la voisine), Armando Hernández, Diego Chas, Jaime Sierra (les hommes d'un soir). 1h32.

 
Genre : Drame sentimental