Paris nous appartient

1961

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Avec : Betty Schneider (Anne Goupil), Giani Esposito (Gérard Lenz), Jean-Claude Brialy (Jean-Marc), Françoise Prévost (Terry), Daniel Croheim (Philip Kaufman), François Maistre (Pierre), Jean-Marie Robain (Dr. Degeorges), Malka Ribowska (La femme attachée), Brigitte Juslin (Birgitta), Paul Bisciglia (Paul). 2h15.

dvd chez Carlotta Films

Un train file vers la gare d'Austerlitz ; en exergue la phrase de Péguy : "Paris n'appartient à personne".

Juin 1957. Dans sa chambre de bonne, Anne, qui tente de réviser son examen, entend les pleurs de sa voisine. La jeune femme, espagnole, lui demande si elle est bien la sœur de Pierre. Juan est déjà mort lui dit-elle et tous les amis de Pierre vont bientôt mourir. Anne réussit à peine à la calmer.

Anne sort au café retrouver son frère, statisticien. Ils parlent de leurs parents restés à Châteauroux. La concubine de Pierre arrive et eux deux invitent Anne à la soirée donnée pour Philip Kaufman, journaliste et romancier américain chassé de son pays par le maccarthysme. Dans cette soirée, Kaufman ne supporte pas la tranquille assurance des hôtes français qui méprisent les Espagnols et le Roumain réfugiés qui ne tentent rien et se réfugient dans la musique. Ils méprisent aussi Juan de s'être suicidé. Est ce la faute de Terry sa maîtresse américaine ? Pourquoi s'être suicide au couteau ? Anne s'ennuie et veut s'enfuir. Elle croise Gérard Lenz, accompagné de Terry qui est prise à partie par Philip Kaufman.

Le lendemain, Anne retrouve Jean-Marc, un condisciple de Châteauroux qui cherche à percer comme acteur et l'invite au restaurent universitaire. Dans la queue, elle reconnaît Philip Kaufman qui se fait refouler car il ne possède pas de carte universitaire. Elle le salue puis s'en va partager avec Jean-Marc une baguette de pain. Celui-ci lui avoue son intention de quitter les répétitions du Périclès de Shakespeare monté par Gérard Lenz pour chercher un engagement plus lucratif. Il propose à Anne, qui se déclare peu motivée par la préparation de son examen du lendemain, de l'accompagner lors de son ultime répétition.

Gérard accepte élégamment le départ de Jean-Marc et, comme une autre comédienne manque à l'appel, propose à Anne de lire le rôle de Marina, la jeune et pure fille de Périclès.

A la sortie de la répétition, Gérard propose à Anne de revenir le lendemain. Terry vient le chercher dans sa décapotable juste après en avoir laissé sortir Philip Kaufman. Celui-ci voit dans la présence de Anne un signe et lui révèle que lui et Terry sont au courant d'un complot mondial visant à asservir la planète. Cette révélation a poussé Juan au suicide à moins qu'il n'ai été tué par les futurs maîtres de l'univers. Si Terry révèle ce secret à Gérard, son nouvel amant, celui-ci sera en danger de mort. Seule sans doute, l'innocence de Anne peut le sauver sinon, il mourra sous deux mois. Ils parcourent Paris la nuit et un mort accidentel vient renforcer l'impression de menace.

Au matin, Anne cherche à en savoir plus et essaie de retrouver Philip Kaufman d'hôtel en hôtel. Elle finit par le trouver, victime d'une crise d'épilepsie. Il nie tout ce qu'il a pu lui raconter la veille. Terry survient et lui indique que Gérard la cherche. Celui-ci lui propose en effet le rôle de Marina. Séduite, elle lui promet uen réponse pour le lendemain. Le soir, elle retrouve son frère Pierre et lui avoue ne pas avoir été passé son examen et accepter de devenir actrice.

Trois semaines plus tard les répétitions de Périclès se poursuivent en plein air.

Anne est progressivement délaissée par Gérard. Pour se consoler, elle part à la recherche du mystérieux morceau de musique que Juan aurait composé pour sa mise en scène de Périclès et abandonné sur une bande magnétique transmise par Terry à des amis qui l'auraient eux-mêmes perdus. Anne rencontre la maîtresse de Juan puis Degeorges, un mystérieux professeur d'économie qui veille curieusement aux intérêts de sa Lolita de filleule. Pierre n'apprécie pas que sa sœur rencontre cet homme dont il est parfois le nègre.

Philippe lui conseille d'abandonner ce monde ego centré. Mais Anne insiste et, avec Birgitta, la mannequin, elle rencontre un ami de Juan. Pierre lui dit que seul un accord de Terry auprès de Degeorges peut sauver Gérard. Et, de fait quelques instants plus tard, Gérard annonce à la troupe qu'un grand théâtre va monter leur pièce. Bientôt, il annonce à Anne qu'il doit la remplacer par une actrice connue et que la musique lui est aussi imposée.

Anne assiste à une répétition et voit Gérard dépossédé de son spectacle par le décorateur à succès qui cherche des effets faciles. Devant son mépris, Gérard finit par démissionner. Il cherche à séduire Anne. Elle le renvoie. Il menace de se suicider si Anne ne l'appelle pas avant minuit. Rentrant à minuit un quart, elle dort mal puis au matin frappe en vain à sa porte, ameute ses amis mais finit par le découvrir au bras de Mina. Ils vont chez des amis voir Metropolis de Fritz Lang.

Gérard finit toutefois par se suicider. Philip parle d'un complot nazi international qui cette fois ne laisseront aucune chance aux démocrates. Pierre appelle d'une cabine téléphonique et déclare qu'il connaît le responsable du suicide de Gérard. Terry et Philip croient qu'il fait partie du complot. Terry et Anne viennent chercher Pierre à Paris pour le ramener à Anthony, au campement de Jeanval, où les membres de la troupe ont décidé de poursuivre la pièce.

Anne arrivée seule en taxi comprend dans un flash mental que Terry a tué son frère Pierre. Celle-ci finit par l'avouer en reconnaissant s'être trompée: Degeorges avait rassemblé des traites contre Gérard pour l'acculer au suicide. Pierre n'avait servi que de petite main et aurait aimé sortir de ctte sinistre affaire. De son côté, Philip a reçu une lettre de Maria, la sœur de Juan, qui lui confirme qu'il s'est trompé sur l'existence d'un complot mondial : "Nous nous sommes trompés Philip. Juan est mort assassiné mais il n'y a pas de secret. Il a été abattu par des hommes de main de la phalange, ça n'a rien à voir avec la littérature, on peut lutter contre ça." C'est aussi ce que dira Terry : "L'organisation est une idée qui n'a jamais existée que dans l'imagination de Philip. C'est tellement simple de tout justifier par une seule idée y compris son inactivité, sa lâcheté. Les cauchemars sont des alibis. Il y a des organisations mais plus sournoises, plus diffuses : l'argent, les polices, les partis, toutes les figures du fascisme. Le mal n'a pas qu'un visage."

En exergue, la phrase de Péguy qui clôt le générique, "Paris n'appartient à personne", contredit le titre et place d'emblée le film sous l'illusion de la réussite et annonce l'échec des deux personnages principaux.

Gérard, qui échouera dans sa tentative de monter Périclès dans un grand théâtre et surtout Anne, jeune fille parisienne destinée aux études de lettres qui échoue dans sa reconversion vers le théâtre car guidée par deux mauvaises raisons : son amour pour Gérard et son goût du sublime. "Tout est de votre faute, il vous fallait du sublime " lui dira Terry après avoir tué son frère Pierre. Peut-être que si, dans sa quête, Anne avait trouvé plus tôt le morceau de musique disparu de Juan alors tout aurait pu se réarranger autrement.

Gérard après avoir demandé à Anne le sens de Périclès lui avait dit :

"Ce qu'il faut quand même c'est essayer de le faire comprendre aux gens. C'est la mise en scène d'un monde chaotique mais pas absurde comme celui ou nous vivons qu'a l'air de fiche le camp de tous les cotés mais qui doit savoir ou il va seulement il nous le cache bien C'est une chose que je pense aussi que le monde est moins absurde qu'il en a l'air. Mais comment faire pour que cela soit évident ? Par la musique."

L'absence de musique empêche tout soutient créateur pour Gérard dont la mise en scène s'aplatit sur les effets faciles du décorateur sans suggérer le plan sublime, terrestre qu'il envisageait avec Anne :

"C'est un peu décousu mais cela n'a pas beaucoup d'importance parce que tout se lit sur un autre plan. C'est une pièce injouable, incohérente. Elle semble faite de pièces et de morceaux mais que tout se lit sur un autre plan ; sur le plan terrestre. Périclès, il a beau parcourir tous les royaumes, les héros partir aux quatre coins du globe ils n'en sont pas moins enfermés. Ils peuvent se sauver à l'autre bout du monde, ils s'y retrouvent tous au cinquième acte.

Terry la meurtrière et Philipp, le paranoïaque en fuite, Pierre assassiné et Gérard suicidé, on est bien loin de la réunion finale du Périclès de Shakespeare avec sa pure Marina et sa morale où, après le chaos, les ennemis de Périclès triomphant sont brûlés.

Rivette fut un critique de cinéma important par sa définition des mises en scène de Hawks et de Rossellini et, sans doute, dès son premier film cherche-t-il à se placer sous ce double patronage du film noir et du néoréalisme ou, plus exactement de la constante menace que l'un fait peser sur l'autre.

Chaque séquence est sous le coup de l'ambivalence : le film noir peut menacer la quête mystique comme la pose théâtrale donner une piste pour l'initiation. Ou encore, comme le dit Gilles Deleuze :

"Chez Rivette, la représentation théâtrale est une image en miroir mais, justement parce qu'elle ne cesse pas d'avorter, est le germe de ce qui n'arrive pas à se produire ni à se réfléchir (L'image temps, les cristaux de temps (p102-103)."

Rivette ne garde des répétitions que la seule séquence où Marina s'interroge sur le sens du vent qui présida à sa naissance pendant la tempête. Le complot imaginé par Philip Kaufman n'était que le délire d'un paranoïaque et lui et Terry s'enfuiront sans autre forme de procès à la fin. Gérard qui dominait Paris depuis les toits du châtelet n'arrivera pas lui au bout de son projet. Chez Rivette donc rien ne se déploie facilement dans le temps : la menace d'un retournement pèse sur chaque séquence.

Ecrit en 1957, tourné en 1958, monté en 1959-1960, Paris nous appartient n'est montré au public qu'en 1961. Chabrol et Godard apparaissent dans la soirée donnée pour Philip Kaufman et Godard fera ensuite un numéro comique à la terrasse d'un café : "Dégueulasse" dira-t-il en s'adressant à Birgita qui refuse de le reconnaître puis : "Voilà c'est tout ce que je sais et ça m'a toujours suffit".

A noter que dans Va savoir (2001), Rivette réalisera une sorte de Paris nous appartient inversé et joyeux où Camille et Ugo, s'ils ne vaincront pas Paris, réussiront à en sortir plus forts.

Jean-Luc Lacuve le 02/05/2007

Test du DVD

Editeur : MK2, mars 2007. : Durée du film : 130’ - Durée du DVD : 175’

Alalyse du DVD

Suppléments :

  • Le coup du berger- court métrage de Jacques Rivette (29’) Paris appartient au cinéma, par Dominique Païni (13’) Bande-annonce originale (3’)