1943

Septembre 1942. Un exercice militaire simulant une attaque sur Londres doit commencer à Minuit. Le jeune lieutenant Spud, reçoit l'information à 18 heures. Considérant qu'il doit appliquer les mêmes fourberies que l'ennemi nazi, il décide d'attaquer immédiatement. Les camions militaires font toutefois une halte au café The bull où Spud a donné rendez-vous à Angela, sa fiancée. Contre toute attente, c'est elle qui sort du café et fonce prévenir le général de l'attaque dont il va être victime. Peine perdue, Spud investi les bains turcs où le général a ses quartiers et le fait prisonnier. Le général Clive Wynne-Candy frappe ce jeune officier insolent qui ne respecte rien. Les deux hommes tombent dans la piscine du bain turc et le général se souvient. 40 ans auparavant...

1902. Clive Candy fréquentait ces mêmes bain turc londoniens et était alors un jeune officier en permission lors de la guerre des boers en Afrique du sud. Il avait la joie de rencontrer son camarade Hopwelll surnommé Hopyy comme lui-même est surnommé Sugar avec lequel il entonne un air d'opéra au plus gardon déplaisir du vieux général qui se trouvait là. Celui-ci s'adoucira néanmoins en comprenant que les deux jeunes officiers sont des héros de la guerre des Boers.

En sortant du bain turc, Hoppy remet à Clive une lettre donnée par une amie d'amie dans laquelle la jeune Edith Hunter, gouvernante anglaise en Allemagne se plaint des propos médisants tenus en Allemagne tendant à discréditer la conduite des Britanniques durant la guerre des Boers. Elle s'étonne qu'aucun soldat ne vienne défendre l'honneur britannique en Allemagne

Clive demande alors au colonel Betteridge l'autorisation d'aller défier les auteurs de ces médisances à Berlin. Le colonel le lui interdit puisque c'est aux diplomates de traiter cette affaire. Clive ne l'écoute APS et, abandonnant son rendez-vous à l'opéra avec une jeune femme qu'il confie à Hoppy, se rend à Berlin.

Clive fait donc la connaissance de Edith Hunter qui l'accompagner le soir dans la taverne ou de jeunes étudiants allemands écoutent els propos nationalistes de soldats. Clive reconnait dans Kaunitz un ancien prisonnier du camp de Jordaan Siding, auquel ils infligeaient leur seul disque, Titania. En demandant à l'orchestre de jouer ce morceau, il sait qu'il va provoquer le soldat. Ce qui ne manque pas d'arriver. La discussion s'envenime au point de ne pouvoir être lavée que par un duel.

Le code de l'honneur allemand impose des règles très strictes allant du choix du poids de l'arme au choix de l'adversaire. Ce n'est ainsi pas Kaunitz qui est désigné mais le redoutable Theo Kretschmar-Schuldorff. Apres un duel qui semble interminable à Edith restée à l'extérieur du gymnase du 2e régiment du hulans où il a lieu. Les deux duellistes sont blessés l'un et l'autre. Ils sont soignés dans le même hôpital. Edith est contrainte par les diplomates à rester à Berlin auprès de Clive car le duel est officiellement dû à une querelle amoureuse. Les deux hommes se lient d'amitié et Edith et Theo tombent amoureux.

Clive rentre seul à Londres où il se fait sermonner par le colonel. Le soir, il invite la sœur d'Edith à voir Ulysse à l'opéra. Elle lui apprend que Sybil Gilpin s'est marié avec Hoppy. Se souvenant que c'est lui qui les a fait se rencontrer, Clive rentre nostalgique chez sa tante Margaret à laquelle il explique son sentiment de solitude. Celle-ci lui dit qu'il pourra toujours considérer sa maison comme son foyer. Clive emplit cette pièce de trophées chassés partout dans le monde entre 1903 et la première guerre mondiale.

Novembre 1918. En France, Clive est général mais a bien du mal à trouver un train capable de le ramener en permission chez lui et même tout simplement à diner. Chez l'officier chargé des liaisons il interroge sans succès des prisonniers ayant cherché à faire exploser un pont flottant après avoir soutiré par la forces des renseignements à des soldats anglais. Clive ne croit pas à de telles méthodes. Il laisse pourtant les prisonnier se faire interroger ainsi par un officier anglais qui obtient des renseignements qu'il jugera ensuite inutilisables. La veille de l'armistice Clive rencontre une jeune infirmière du Yorkshire dans laquelle il voit le portrait d'Edith.

1919. C'est la fin de la guerre et Clive demande à Barbara la jeune infirmière, rencontrée en France, d'être sa femme. Les parents de celle-ci sont de grands industriels du textile en pleine expansion après la guerre. Au prêtre qui le remercie d'avoir organisé un bal d'infirmières au profit de la paroisse, il explique que c'était justement pour retrouver Barbara. Ils regagnent Londres où Clive aménage chez sa tante Margaret, décédée. Son ordonnance, Murdoch, lui présente le courrier. Il apprend que Theo est dans un camp de prisonniers. Avec Barbara, il s'y rend immédiatement. Mais Theo, meurtri par la défaite, refuse de lui parler. Juste avant son retour en Allemagne, il se ravise toutefois et appelle Clive. Celui-ci le conduit dans son club, où l'optimiste des anglais contraste avec la lucide amertume de Theo.

Barbara et Clive sont heureux et l'album photo témoigne de leur vie bien occupée jusqu'en 1926 où Barbara meurt. Théo reprend alors sa course aux trophées de chasse jusqu'en 1938 et Munich.

A Pelham school, le 2 novembre 1939 Theo, ennemi du régime, vient chercher refuge à Londres. Clive se porte garant de lui et lui montre le tableau de Barbara. C'est Angela qui reconduit Theo. Alors que Clive doit prononcer un discours sur le désastre de Dunkerque à la radio, il est empêché de le faire. En entrant chez lui, il apprend que Pétain est le nouveau chef de l'état français et qu'il est demis de l'armée active. Théo lui montre que son discours où l'honneur passe avant la victoire est devenu inacceptable.

Murdoch meurt en octobre 40 dans un raid aérien qui a détruit la maison londonienne. Clive s'est réfugié aux bains royaux. Clive devient chef des "Home guards" avec Peter Wyatt-Foulger et Hugh Slater.

19 septembre 1942, c'est l'exercice de défense de Londres. Ce qui devait être le jour de gloire de Clive Wynne-Candy se transforme en échec puisqu'il se retrouve prisonnier dans le bain turc. Le lendemain alors que l'équipe rouge gagnante défile dans les rues de Londres. Clive entouré de Théo et Angela accepte sa défaite. Il décide d'inviter Spud à déjeuner et salue le défilé. Après tout si l'époque a changé il est resté tel qu'en lui-même telle la feuille qui survit au déluge, jusqu'au lac dont il avait parlé avec Barbara.

Récit déployé sur quarante années, Colonel Blimp retrace la vie d'un vieux militaire dévoué aux idéaux de galanterie de l'armée britannique et désormais dépassé par le jeu sans foi ni loi des conflits modernes. Colonel Blimp est un film de guerre sans aucune bataille et sans presque aucune action, entièrement tourné en studio. Le film s'attache à dépeindre, au creux d'un immense flash-back, les destinées intimes des personnages, le poids du temps passé, l'opposition entre la femme éternelle et celle en bute aux contraintes sociales comme la place futile des hommes dans l'histoire. C'est donc un film essentiellement méditatif, bénéficiant des dialogues brillants, d'une grande force politique et néanmoins souvent très drôles d'Emeric Pressburger.

Une production pleinement artistique loin des films de propagande

Colonel Blimp est le premier produit par The Archers, la société légendaire du duo Powell - Pressburger qui composent une série de chefs-d'œuvre mêlant cinéma grand public et recherche artistique absolue. L'image est l'œuvre du célèbre chef opérateur Georges Périnal auteur des couleurs déjà magnifiques du Voleur de Bagdad. Il utile pour la première fois le Technicolor, assisté d'un inconnu qui sera bientôt propulsé au sommet avec Le narcisse noir et Les chaussons rouges : Jack Cardiff.

Né sous la plume du caricaturiste David Low, le colonel Blimp est à l'origine un célèbre personnage de satire incarnant l'establishment britannique et les valeurs réactionnaires de l'armée anglaise. Généralement dépeint dans un bain turc, Blimp est le spécialiste des formules farfelues, des discours pompeux et des déclarations contradictoires. Avec son embonpoint, son crâne dégarni et sa moustache de morse, il symbolise le ridicule des hauts gradés. L'expression "colonel Blimp" est même passée dans le langage courant. Le tour de force du film est d'en avoir fait un personnage sentimental, brave et attachant.

Colonel Blimp est un film de guerre sans aucune bataille. Il se situe doublement dans un contexte de guerre - tant au niveau de sa production qu'au niveau de son récit - ce qui en fait un projet audacieux et singulier. En 1942, alors que l'Empire britannique est en plein conflit, un tel sujet attire les foudres du War Office et de Winston Churchill qui craignent de voir tournés en dérision le patriotisme et les valeurs martiales qu'ils prônent. Le point de vue de Powell et Pressburger va à l'encontre des dizaines de films de propagande qui accompagnent l'effort de guerre. De plus, la figure vieillotte et autoritaire du colonel n'est pas sans évoquer le Premier ministre dans l'esprit des gens. Pour incarner le personnage de Candy, le premier choix des réalisateurs se porte sur Laurence Olivier. Mais celui-ci est alors mobilisé dans l'aéronavale, et Churchill fait tout pour empêcher sa mise à disposition. Heureuse conséquence : la composition de Roger Livesey s'avère extraordinaire. Au terme d'un parcours difficile, Colonel Blimp sort en juin 1943 sur les écrans britanniques avec le slogan : "Venez voir le film interdit !". C'est un grand succès.

Une écriture trouée d'ellipses pour exalter la conscience du temps.

L'écriture d'Emeric Pressburger est la première séduction du film. La tirade d'Anton Walbrook demandant l'asile est l'un des plus beaux monologues de l'histoire du cinéma. Les allusions politico-économiques sont d'une remarquable acuité et on s'amuse de l'utilisation de l'expression "very much" et "not very much".

Les ellipses sont nécessaires pour raconter quarante années d'une vie mais elles sont ici particulièrement mises en scène et particulièrement inattendues. Différents procédés sont utilisés pour les mettre en scène. C'est un plan noir qui sépare l'entrée de Spud et la sortie d'Angela du café The bull. C'est un fondu-enchainé avant l'entrée au café berlinois où Clive a été conduit à renoncer. C'est la neige qui tombe lors de l'ellipse du duel, les photographies pour évoquer la mort de Barbare. Ce sont enfin les deux séquences gags des trophées de chasse.

Non seulement les ellipses sont mises en scène mais elles sont aussi particulièrement inattendues. Elles suppriment ce qu'il y a de plus important ou de plus spectaculaire dans un récit : l'affrontement d'Angela et de Spud, le duel, la guerre de 14, la mort de Barbara, un noir pour l'effondrement de la maison.

Ce qui est important, c'est moins l'action que la fuite du temps et, finalement, la façon dont on y échappe plus ou moins. L'idée du Colonel Blimp serait née d'une réplique supprimée du film Un de nos avions n'est pas rentré, où un personnage disait : " Vous ne savez pas ce que ça fait que d'être vieux. ". Non seulement le récit repose sur un long flash-back mais il oppose constamment les valeurs de la jeunesse à la sagesse de la vieillesse qui doit savoir composer avec elle et souvent lui laisser la place.

La femme y parait éternelle. Edith se réincarne en Barbara puis en Angela (interprétées toutes trois par Deborah Kerr) mais c'est une forme de compensation idéalisée face à l'aliénation concrète dont elle est victime. Ainsi Edith obligée d'aller en Allemagne pour valoriser sa seule aptitude, savoir parler anglais.

Clive reçoit les remontrances du général dans le bain turc puis celles du colonel Betteridige. Ombre sur le mur vide avant les trophées, ce sera ensuite à son tour de paraitre une vieille baderne. Ses campagnes en Somalie ou en Afrique du sud sont considérées comme des promenades estivales par les jeunes soldats. Les trains ne sont plus à l'heure et les méthodes ont changé. Le commandant van Zijl obtient quatre pages de confession qui ne valent rien.

Il préférerait la défaite à une victoire remportée par les méthodes déloyales des nazis. Théo lui montre que son discours où l'honneur passe avant la victoire est devenu inacceptable : "Si tu acceptes la défaite parce que tu es trop honnête pour accepter leurs méthodes, il n'y aura pas d'autres méthodes que les leurs. Ils penseront que tu es faible et décadent. Ce n'est pas une guerre de gentlemen. Vous vous battez pour votre existence contre la pensée la plus diabolique jamais formulée par l'homme, le nazisme. Si vous perdez, il n'y aura pas de revanche l'an prochain ni peut-être dans les cent ans à venir".

Faites comme si c'était vrai a-t-on dit à Spud qui prend justement cela au premier degré : "il faut alors épargner nos vies et massacrer l'ennemi... L'ennemi n'a pas respecté nombre d'accords. Il me faut donc défendre son pays à tout prix ; non pas selon les règles du sporting club mais par tous les moyens existants".

Le "sic transit gloria candy" final qui se substitue au "Sic transit gloria mundi" (Ainsi passe la gloire du monde) est une sorte d'épitaphe en forme de reconciliation pour un film qui se proposait, selon son titre original, de raconter "The life and death of colonel Blimp"

Le "sic transit gloria Candy" s'est substitué au "Sic transit gloria mundi" (visible au cinéma, agrandi ici)

Jean-Luc Lacuve le 12/04/2012 après la séance du ciné-club.

 

 

Test du DVD

Editeur : Carlotta-Films. Novembre 2012. Nouveau master restauré HD . 17 €.

Suppléments : DVD 1 : La restauration de "Colonel Blimp" présentée par Martin Scorsese (4 mn) DVD 2 : - Il était une fois "Colonel Blimp" (24 mn) : Collaborateurs et proches des Archers se souviennent de la production de "Colonel Blimp" - Optimisme et volonté (28 mn) : Un entretien exclusif avec Thelma Schoonmaker Powell dirigé par Michael Henry Wilson (auteur de Scorsese par Scorsese).

 

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(The life and death of colonel Blimp). Co-réalisé avec Emeric Pressburger. Avec : Roger Livesey (Clive Candy), Anton Walbrook (Theo Kretschmar-Schuldorff), Deborah Kerr (Edith/Barbara/Angela), Roland Culver (Colonel Betteridge), James McKechnie (Spud Wilson), Albert Lieven (Von Ritter), David Hutcheson (Hoppy), Ursula Jeans (Frau Kalteneck). 2h43.
Colonel Blimp
dvd editions Montparnasse