L'empire du milieu du sud
2002
 

Les premières images nous entraînent des chaînes montagneuses qui au nord marquent la frontière avec la Chine vers le delta du Fleuve Rouge.

Ici, depuis des temps immémoriaux, l’homme, pour subsister, s’acharne à domestiquer le cours des eaux, des digues gigantesques aux plus infimes levées de terre. Berceau de l’âme vietnamienne, c’est derrière la haie de bambou du village que s’est écrite l’histoire du peuple viet et de ses royaumes.

Après s’être libéré de 2 000 ans d’occupation chinoise, et avoir connu dix siècles de souveraineté nationale, les vietnamiens sont à nouveau envahis à partir de 1860, avec le débarquement de marins français. Quarante ans plus tard, un régime colonial s’installe. Le Vietnam, le Cambodge et le Laos deviennent l’Indochine française.

Convaincus des vertus civilisatrices de leur modèle de colonisation, les Français, tout en s’adonnant aux charmes équivoques de l’exotisme tropical, se découvrent bâtisseurs, archéologues, administrateurs, défricheurs . Ils ne perçoivent pas même la vacuité de la cour impériale, le désespoir populaire et bientôt les premières révoltes.

Dès les années 1930, la France célèbre avec l’Indochine son empire colonial, le 2e au monde par sa puissance. A peine 20 000 français s’assurent un pouvoir presque sans partage sur 20 millions de vietnamiens, cambodgiens et laotiens.

Avec l’effondrement de la lointaine métropole en 1940, puis l’invasion des troupes japonaises, le destin de la colonie bascule. Le 9 mars 1945, les forces nipponnes décapitent l’administration. Les Vietnamiens, conduits par le front vietminh et le vieux révolutionnaire Ho Chi Minh, saisissent enfin l’occasion favorable pour se soulever.

Le 2 septembre 1945, la République du Vietnam est proclamée à Hanoï. Profondément marquée par sa défaite, la France, avant toute négociation, entend d’abord rétablir sa souveraineté, gage de sa grandeur passée. Le 19 décembre 1946, une longue guerre se déclenche. D’un conflit colonial, elle devient bientôt un des enjeux de la guerre froide jusqu’à la chute du camp retranché de Dien Bien Phu, en mai 1954, qui sonne le glas de près d’un siècle de présence française et voit le Vietnam coupé en deux.

Sans plus attendre, hantés par la propagation du communisme, les Américains prennent le relais. À coup de guerres électroniques, de tonnes de bombes au napalm, de milliers de litres de défoliant et surtout de centaines de millions de dollars, l’US Army tente, sans succès, de faire ployer le nord Vietnam.

Elle se retire en 1970 et en avril 1975, les troupes du Nord investissent Saïgon, la capitale du Sud, mettant ainsi fin à ce long Nam Tien, la Marche vers le Sud, débutée dans les montagnes du Nord des siècles plus tôt…

 

 

Fruit de dix ans de recherche, L’Empire du milieu du sud retrace la fascinante et douloureuse histoire du Vietnam, de l’aventure coloniale française à la chute de Saigon et à la fuite des américains.

Ce n’est pas seulement un film sur ce pays, mais également un film sur les raisons qui conduisent les peuples à proclamer « plus jamais ça, plus jamais la guerre ».

Construit à partir d’archives exceptionnelles recueillies aux quatre coins du monde, et souvent inédites, le film est illustré par des textes puisés dans le répertoire littéraire vietnamien (Nguyen Trai, Nguyen Du, Bao Ninh…) et français (André Malraux, Albert de Pouvourville, Marguerite Duras…), ainsi que des lettres de soldats américains.

Sur le plan technique, ce projet est l’aboutissement d’une recherche, d’une véritable quête de tous documents filmés sur le Vietnam dans le monde entier. S’étant fixée pour ambition de raconter le vingtième siècle de la péninsule indochinoise en images -un des plus mouvementés de la planète- afin d’en offrir une fresque, une épopée, Galatée Films a collecté pendant plus de dix ans films d’archives, documentaires et de fiction, professionnels et amateurs.

Du Japon à Cuba, de Suède à l’Australie, de Russie aux Etats-Unis, de France au Vietnam, de Chine à la Hongrie, de Pologne à la Hollande, des plus grands aux plus obscurs, tous les fonds d’archives ont été consultés et des centaines d’heures de films visionnées. Le dépouillement des notices qui avaient pu être conservées, la rencontre avec les réalisateurs, opérateurs, monteurs, archivistes, survivants ont permis de retrouver des inédits, des films oubliés que l’on croyait perdus, des images jamais développées, jamais montées.

Des séquences entières ont été reconstituées à partir des diverses sources dans lesquelles elles avaient été dispersées, des documents amateurs, jamais visionnés depuis le retour de leurs auteurs de la guerre, restaurés. L’ensemble numérisé…

Exemple unique, cette démarche cinématographique, scientifique, historique et mémorielle, a ainsi permis de constituer un véritable corpus des images animées du Vietnam et, bien au-delà, de toute la péninsule.

Des visions paisibles, exotiques et coloniales aux combats acharnés ou aux torches du napalm, peu d’évènements ont échappé à leurs objectifs.

Après des mois de visionnage, près de cent heures de « rushes » ont été retenues et organisées en suivant une chronologie mais surtout des thématiques géographiques, historiques et poétiques propres au Vietnam.

Sur le plan artistique, celui de l’écriture cinématographique, après des mois de visionnage, il nous est apparu qu’une telle masse de documents dégageait bien plus que la matière d’un documentaire, d’une simple fresque historique.

La plupart des images recelaient, captées presque ou souvent malgré elles, les éléments qui constituent la nature profonde de l’âme du Vietnam. Une âme qui transparaît dans toute la littérature, la poésie, la musique, les arts vietnamiens, plus tard le cinéma…

Héritiers de la tradition confucéenne chinoise mais l’ayant totalement faite leur, les Vietnamiens occupent un univers symbolique entre le ciel et la terre, entre les monts et les eaux. Venu du Sud de la Chine il y a des millénaires, depuis sans cesse en lutte avec ces envahissants voisins qui ne les toléraient qu’en sujets d’un Empire du Milieu du Sud, le peuple viet s’est acharné à affirmer sa légitimité sur le delta du Nord d’abord puis sur toute la longue péninsule ensuite, tout en chassant les envahisseurs occidentaux successifs. Un mouvement qualifié de Nam Tien, « la Marche vers le Sud », qui finalement trouvera son aboutissement en 1975 avec la prise de Saïgon par les troupes du Nord…

Un mouvement irréversible comme la longue lutte des eaux et des monts, du ciel et de la terre, du fer, du bois et du feu, une empoignade entre géants dans laquelle les hommes n’occupent qu’une place infime, au destin déjà scellé. Une nature qui transcende l’histoire, même si elle fut particulièrement violente en Indochine, et rend les ambitions, les velléités humaines d’autant plus poignantes, pathétiques, désespérées, cruelles, parfois admirables…

Nous avons ainsi imaginé construire le film autour de ces éléments emblématiques et récurrents dans toutes nos images -l’eau, la terre, le ciel, le fer, le feu… -, avec la Marche vers le Sud comme contexte géographique et historique. Une Marche vers le Sud qui se déroulerait au rythme d’une journée tirée de l’éternité, de l’aube sur la frontière de Chine au nord, à la tombée du jour au large de la pointe de Ca Mau sur le Golfe de Thaïlande au sud.

Comme dialogues pour illustrer un tel mouvement : des extraits tirés de la poésie, de la littérature, de la propagande, des commentaires des bandes d’actualité d’époque, des déclarations, des lettres produites par chacun des nombreux protagonistes de l’odyssée indochinoise. Dites par la voix de Jacques Perrin, ces courtes citations donnent certes des données essentielles à la compréhension historique mais surtout offrent un autre écho aux images, les soutiennent ou les abandonnent, les confortent ou les contredisent, créant cette émotion fugace, proche du manque qui, mieux que toute lourde démonstration, désigne la beauté fragile du monde des hommes

Quand Jacques Perrin et Eric Deroo ont proposé à l’Etablissement de Communication et de Production audiovisuelle de la Défense de participer à la grande aventure de L’Empire du milieu du sud, le défi n’était pas seulement d’entreprendre la collecte d’images rares ou inédites mais aussi d’initier une recherche systématique dans les 4 millions de clichés et les 23 500 titres de films qui constituent le patrimoine du « Cinéma des Armées ».

Après un premier travail d’identification et de comparaison, souvent plan par plan, pour rester fidèle à l’histoire et répondre aux intentions des réalisateurs, est venu le temps de la restauration et de la numérisation. Un travail patient, exécuté par une équipe motivée qui s’est replongée dans les rushes des opérateurs du Service Presse Information d’Indochine, le fameux SPI des Corcuff, Kowal ou Péraud… héritiers des premiers reporters des Sections Photographiques et Cinématographiques des Armées créées en 1915.

Délaissant d’emblée les reportages trop institutionnels, l’équipe de documentalistes a retrouvé les images qui, selon le souhait des auteurs, constituent « la nature profonde de l’âme du Vietnam » et portent en même temps le témoignage des traces de ceux qui ont écrit, filmé et combattu au « Milieu du Sud ».

En effet, malgré le poids de la guerre et son cortège de captations définitives, les reporters du SPI ont pu se déplacer, filmer sans compter et essayer de faire partager le destin des combattants du Corps Expéditionnaire d’Extrême Orient mais aussi celui des populations dans lesquelles ils se sont fondus. Cela donnera « Regards sur l’Indochine », une formidable série documentaire, encore inédite à ce jour, et dont les images ont constitué une source irremplaçable pour illustrer cette « marche vers le Sud » du peuple vietnamien, essentielle pour les auteurs.

Ce voyage, dans les pas et avec les yeux des reporters du CEFEO, est une véritable aventure humaine et technique. Traduire la puissance des éléments en noir et blanc ne relève plus seulement du talent mais bien d’une force d’âme qui transparaît encore de ces images parvenues jusqu’à nous.

Et c’est bien là la force d’une œuvre cinématographique comme L’Empire du milieu du sud dans laquelle la sauvegarde et la numérisation des fonds prend tout son sens car ces documents sont désormais préservés des agressions du temps.

Isabelle Gougenheim, directeur de l’ECPAD, Textes issus du dossier de presse Acacias Films

 

Test du DVD

Editeur : Editions Montparnasse. Avril 2011.

 

 

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