Capitalism : a love story

2009

Avec : Michael Moore. 2h00.

L'Amérique a toujours aimé le capitalisme. Dans ses péplums ou dans ses films bibliques, le sous-texte n'est-il pas économique ? Ne pourrait-on entendre, dans telle ou telle séquence, un appel de Jésus à suivre la voie du capitalisme, ou à refuser de soigner un malade non assuré ?

Moore lui-même, enfant, adorait aller chercher son père à la sortie de l'usine ; adorait changer de voiture ; adorait le mode de consommation américain.

Comment en est-on arrivé aujourd'hui à une telle disproportion entre les gens qui ont tout et ceux qui n'ont rien ? Le miroir aux alouettes du crédit s'est mis en place. Alors que les entreprises voyaient exploser leur profit, elles ont maintenu un bas niveau de salaires. Pour écouler leurs marchandises, elles ont usé de persuasion pour convaincre les Américains que leur maison valait de l'or. Il leur suffisait s'emprunter sur la valeur de leur maison, en hausse avec la hausse de la richesse nationale, pour continuer à dépenser sans compter avec leur bas niveau de salaire. Pour les plus fragiles, la catastrophe ne s'est pas fait attendre. Escroqués par des contrats qu'ils avaient à peine lus avec des taux exorbitants ou simplement victime d'un accident les privant de leur emploi, ils ont du vendre leur maison. Ils se retrouvent sans rien après avoir remboursé les crédits.

Un agent immobilier de Miami a pu fièrement baptisé son agence "Vautour Immo". Il revend des maisons saisies. Il cède pour 350.000 dollars une maison achetée 800.000 par ses anciens propriétaires. "Bienvenue à Miami crash", lance-t-il fièrement avant de se justifier : "Tout le monde a envie de profiter du malheur des autres. Les vautours ne tuent pas, ils nettoient. La différence entre eux et moi : je ne me vomis pas dessus le matin."

La situation tragique se révèle avec ce couple de classe moyenne qui s'est fait piéger et se retrouve aujourd'hui devoir quitter sa maison et même plus tôt que prévu. Le shérif a en effet un ordre d'expulsion plus précoce que ce que la banque avait indiqué. L'homme doit lui-même nettoyer la maison qu'il abandonne. La banque le paye 1 000 dollars pour cela, sachant qu'il lui en coûterait bien plus pour le faire faire.

Au début des années 1980, Ronald Reagan, conseillé par les banques de Wall Street, Merrill Lynch en tête, a lancé une vaste opération de dérégulation planétaire, enrichissant les plus riches au détriment de la classe moyenne. La logique du capitalisme est de faire des profits.

Ainsi ce propriétaire qui avait investi dans un centre de redressement privé pour mineurs du comté de Wilkes-Barre (Pennsylvanie). Les gestionnaires rémunéraient les juges qui leur envoyaient de jeunes pensionnaires et les incitaient à multiplier les condamnations pour les faits les plus anodins, rallongeant les peines en cours de route pour faire du chiffre. Le propriétaire avait appelé son yacht : "Le justicier des mers".

Si encore la dérégulation permettait de payer bien ceux qui travaillent dur. Ce n'est pourtant pas même le cas. Ainsi ces pilotes de ligne, endettés sur vingt ans pour avoir financé leurs études à crédit et... payé 20 000 $ par an. Cela les contraint à pointer à la soupe populaire ou à trouver un job d'appoint. Des étudiants contractent des prêts de 100 000 $, et devront les rembourser au quintuple, faute de trouver un boulot assez rémunérateur.

A Flint, c'est depuis longtemps le cas. Moore revient avec son père sur les lieux, aujourd'hui désaffectés, où s'étendait l'usine Generals Motors. Aujourd'hui, cinq voitures de police viennent expulser un père et sa fille. Celle-ci tient la caméra et regarde son père refuser de coopérer.

Comment coopérer avec une société qui fait des bénéfices sur ses employés en souscrivant sans leur dire une police d'assurance ? Moore dénonce aussi les sociétés, parmi les plus respectables des Etats-Unis (American Express, Bank Of America, Coca-Cola, Dow Chemical, Wal-Mart, Walt Disney...)., qui prennent des contrats d'assurance-décès sur leurs employés. A ceci près que c'est l'entreprise qui, à la mort du salarié, touche l'argent, laissant la famille dans le dénuement. On appelle ces contrats " dead peasants " ("paysans morts"). Sans rire, ces subtils spéculateurs pondent régulièrement des rapports pour identifier les "problèmes" de rendement au sein des entreprises. Comprenez : pourquoi si peu de morts dans certaines sociétés...

Cette dérégulation des marchés, Carter s'y était opposé mais il avait prévenu les Américains que leur train de vie était surévalué. Il a perdu face à la propagande de Ronald Reagan et des financiers, ceux de Lehman Brothers, qui finançaient sa campagne. Ronald Reagan avait des réponses simples à ceux qui défiant la confiance dans l'Amérique : de bonnes claques. Moins drôle pourtant, l'avidité des financiers à engranger des profits à court terme en faisant fi des principes de l'Amérique. La bulle spéculative était en marche jusqu'à la crise d'aujourd'hui.

Car Moore s'est rendu à Washington et n'a jamais vu inscrit dans la constitution le mot capitalisme, simplement le droit au bonheur. Lorsque l'un contredit l'autre, certainement qu'il y a problème. Il interroge aussi le seul sénateur socialiste de l'Amérique et trouve son discours humain et non radical. Quand Michel Moore présente un modèle de gestion d'entreprise dans lequel tous les salariés sont payés au même tarif (65 000 $) et où toutes les décisions se prennent en communauté. Prenant pour exemple la société Isthmus Engineering, gérée sur un mode coopératif (donc communiste), le réalisateur y évoque la "démocratie" d'entreprise, sans presque jamais nommer la chose comme il se doit : socialism (au sens américain). Juste une histoire de mots...

Il constate que les gens refusent les expulsions et, qu'en se mettant à tout un quartier, on permet le relogement et au quartier de survivre. Pour Georges Bush, le capitalisme c'est la possibilité de choisir son travail. Mais qu'en est-il lorsque deux petites vieilles ne trouvent qu'un travail... de strip-teaseuse.

Les financiers, incapables de faire face à la crise, ont demandé 700 millions de dollars au travers du plan Paulson, ancien de Lehman Brothers. Leur lobbying fut efficace et pourtant les sénateurs démocrates ont provoqué un sursaut démocratique et ont reçu des milliers de lettres de soutient. Le plan a été refusé. Mais, refusé une fois seulement : les lobbies se sont montrés suffisamment actifs pour refaire voter cette fois positivement le plan.

Cet argent, volé au contribuable, Moore se met en tête de le récupérer.

Dans le même temps, il voit toutes les actions menées par les salariés pour obtenir de justes rétributions. Il entend aussi les louanges de la fibre sociale de l'Eglise catholique. Il croit aussi en l'élection de Barack Obama, capable d'opposer à nouveau le pouvoir politique représentatif de la démocratie face aux lois des marchés, régies par des principes de courts termes qui ne portent plus aucun sens. La hiérarchie catholique du Michigan, elle, a déjà choisi son camp : " Le capitalisme est contraire à la parole de Jésus. "Signé : Mgr Thomas Gumbleton, évêque de Detroit.

Le monde est aujourd'hui à la croisée des chemins. Moore s'en vient interpeller les banquiers de Wall Streets. Sera-t-il le seul, à faire ainsi le guignol, ou sera-t-il rejoint par nous ? Il est temps, seul, Moore commence à se lasser.

La première qualité des films de Moore est l'énergie déployée pour renverser les fausses idoles, les faux discours qui masquent la réalité sociale, celle qui laisse dans la misère une part croissante de l'ex-classe moyenne américaine pendant que d'autres s'enrichissent sans vergogne se drapant avec cynisme dans les habits d'un capitalisme qu'ils ont dévoyé.

Moore mêle ainsi le discours économique théorique (le recours irresponsable au crédit, la dérégulation des marchés pour permettre un enrichissement à court terme), les exemples concrets des dérives du capitalisme (maison de redressement privée, bas-salaires des pilotes), des alternatives possibles (le sénateur, la lutte pour le relogement, la lutte pour les indemnités, une entreprise coopérative). Il tente aussi de payer de sa personne (jouant à tenter d'arrêter les banquiers, en interviewant les sénateurs, et, plus émouvant, en visitant en compagnie de son père les chantiers abandonnés de General Motors).

On pourra trouver certains coups mal ajustés, ou approximatifs. Les entreprises assurent leurs employés pour ajouter à leurs bénéfices commerciaux les revenus non imposables qu'apportent les décès prématurés de leurs collaborateurs. Elles exploitent une faille du système en systématisant les assurances. Seuls la recherche de la rentabilité à tout prix sur ces contrats, pointée un peu approximativement par Moore est vraiment choquante. L'étalage des douleurs des familles après un décès est un peu hors sujet sans doute.

Moore, en rejetant le plan Paulson, se montre aussi un peu démagogue. Les leçons de la crise de 29 montrent qu'il n'est pas très responsable de laisser faire la crise et de ne pas sauver les banques. Mais sans doute est-ce le désir secret de Moore : seule une prolongation de crise peut amener la révolution qu'il espère.