L'élégie de Naniwa

1936

Genre : Drame social

ou Elegie d'Osaka. (Naniwa erejî). Avec : Isuzu Yamada (Ayako Murai), Seiichi Takegawa (Junzo Murai), Chiyoko Okura (Sachiko Murai), Shinpachiro Asaka (Hiroshi Murai), Benkei Shiganoya (Sonosuke Asai), Yôko Umemura (Sumiko Asai), Kensaku Hara (Susumu Nishimura), Eitarô Shindô (Yoshizo Fujino), Kunio Tamura (Dr. Yoko). 1h11.

Sonosuke Asai directeur d'une puissante société pharmaceutique est mis au défi par sa femme de prendre une maîtresse. Il jette son dévolu sur Ayako, la standardiste qui aime son collègue Susumu.

Les temps sont durs, son père étant au chômage. Ayako devient la maîtresse de son patron. Devant aussi subvenir aux besoins de son frère qui a besoin d'argent pour finir ses études, elle prend comme amant Fujino, employé à la bourse. Susumu la soutient pour faire chanter Fujino, qui porte plainte. Lorsque Ayako est arrêtée, Susumu se décharge de toute responsabilité. A sa sortie de prison, elle est rejetée par sa famille qui l'accuse de l'avoir déshonorée, et se retrouve seule.

Un des premiers films retrouvés de Mizoguchi qui préfigure les grands drames sociaux des années 50 : Le destin de madame Yuki (1950) ou La rue de la honte (1956).

Des 47 films faits pour la Nikkatsu de 1922 à 1931, tous sont perdus à l'exception de La chanson du pays natal (1925) et de La marche de Tokyo (1929). Les films des années 30 de Mizoguchi sont mal aimés car mal connus du fait des copies perdues ou en mauvais état.

C'est une période cruciale pour le cinéma japonais avec le passage au parlant tardif et l'évolution du gouvernement militariste qui entraîne le pays vers la guerre. C'est surtout pour Mizoguchi la transition entre un cinéma réaliste-naturaliste et des principes de mises en scène où les mouvements de caméra ne seront plus commandés que par les sentiments des personnages.

En 1936, cette transformation ne s'est pas encore opérée. L'élégie de Naniwa comporte beaucoup de plans rapprochés sur le visage d'Ayako, vue en amorce ou de profil. Mizuguchi use aussi classiquement du montage alterné pour montrer la simultanéité de deux scènes.

Son cinéma doit alors beaucoup à la comédie américaine et au naturalisme social qu'il doit à ses lectures et à l'épreuve personnelle de sa sœur vendue comme geisha lorsqu'il était jeune.

Influences de la comédie américaine

On a l'habitude de dire que le Japon s'est américanisé après la défaite, en fait c'est dès les années 20 que cette influence se fait sentir dans les films ainsi que l'influence des écoles européennes, allemande et soviétique principalement.

L'élégie de Naniwa est ainsi très marquée par The marriage circle (Ernst Lubitsch, 1924), film lui-même inspiré de L'opinion publique (Chaplin, 1923). La scène d'ouverture, la relation tendue entre le mari et la femme au sortir du lit où l'épouse menace de prendre un amant et dont le mari feint de se moquer est transformée ici en l'épouse qui ironise quand le mari lui dit qu'il veut prendre une maîtresse.

Scènes sans doute inspirées de Lubitsch aussi celle où la femme découvre au théâtre son mari avec sa maîtresse ainsi que le retournement final où la femme se débrouille pour que le mari ne perde pas la face. Cette dernière rappelle la scène centrale de The marriage circle où l'épouse se rend au cabinet médical de son mari alors que son collègue lui sauve la mise tout en découvrant sa liaison.

De même la séquence du médecin qui se trompe en se rendant chez l'épouse pour soigner le mari qui a appelé depuis sa garçonnière est digne de Lubitsch car elle oblige le spectateur à comprendre la scène manquante pour reconstituer le fil de l'histoire.

Le naturalisme social

Basculement toutefois lorsque l'on passe au personnage de Ayako. Le monde des bureaux est le cadre privilégié du cinéma contemporain des années 30, chez Ozu comme chez Mizoguchi. Mais celui-ci l'infléchit vers la peinture d'un monde déterminé par l'argent et le sexe ainsi que par le mensonge.

Le mari assez lâche pour obliger la jeune Ayako à devenir son amante est peut-être inspiré du film de Joseph von Sternberg, Une tragédie américaine (1932), dans laquelle une jeune employée est également manipulée par son supérieur et ce qui aura de tragiques répercussions sur sa vie privée et familiale. A la différence de son homologue américain, Ayako n'est cependant pas dupe de la relation et subit la relation dans le seul but de gagner suffisamment d'argent pour éponger les dettes de son père.

Deux caps esthétiques pour Mizoguchi : le réalisme et le naturalisme, celui du roman de Saburô Okada peintre de la bourgeoise du XVII obsédé par le sexe et l'argent. Mizoguchi adore aussi Maupassant et Oyuki, la vierge (1935) est une adaptation de Boule de suif avant que Ford ne s'en inspire pour La chevauché fantastique en 1939.

Ayako n'est pas seulement une héroïne de mélodrame, un personnage sacrifié pour sauver de la ruine son père et son jeune frère. On perçoit chez elle, une dimension de révolte quand elle découvre sous le monde du travail, les vraies forces agissantes que sont le sexe et l'argent et l'hypocrisie fondamentale qui en découle. Même rejet violent de la vie de famille qui la rejette avec ingratitude.

Ayako qui finit dans la solitude semble partagée entre la rage incendiaire de Chiyo à la fin de Flamme de mon amour et le destin suicidaire de l'héroïne du Destin de madame Yuki.

Dans son film perdu de 1931, Et pourtant, elles avancent, Mizoguchi montrait une femme qui en arrive à se prostituer pour assurer sa survie et, selon le scénariste, loin d'en éprouver de la honte en est fière parce que c'est un combat que la femme doit mener pour survivre dans cette société de classe.

Le cinéaste dénonce ouvertement la condition de la femme opprimée par le monde masculin et son incapacité de réintégrer le carcan familial pour cause de codes traditionalistes sévères. La liberté expressive est présente dès le départ : Asai réprimande et humilie ouvertement ses servantes par un simple abus de pouvoir. Il leur donne des ordres et les commande sans aucun respect à leur égard. Mizoguchi dit s'être largement inspiré de son père pour le personnage tyrannique d'Asai.

Une famille de collaborateurs pour Mizoguchi

En 1934, avec son ami producteur Masaichi Nagata, Kenji Mizioguchi participe à la fondation d'une maison de production, la Daiichi Eiga, à Kyoto. Ce sont les années où le cinéma sonore se développe. Il cesse d'être artisanal, se modernise, et la chaîne production-distribution-exploitation s'inverse, donnant un rôle prépondérant à des hommes d'affaires sans lien avec le cinéma. Ils prennent la direction de la Nikkatsu. Ce renversement, qui limite la liberté des réalisateurs, explique la fondation de la Daiichi.

En mars 1935, Mizoguchi rencontre le scénariste Yoshikata Yoda, qui devient son collaborateur le plus fidèle. Mizoguchi lui propose d'adapter un roman de Saburô Okada dont l'action se situe à Osaka. Leur collaboration se révèle fructueuse, L'élégie de Naniwa obtient un succès critique, bien que la censure conduise le distributeur à se contenter d'une sortie prudente. La même année, Les Sœurs de Gion connaîtra un succès public mais trop tardif. Ces deux films devaient faire partie d'une trilogie de réalisme social. Le troisième volet n'a pas abouti à cause de la faillite de la Daiichi. Mizoguchi retrouvera toutefois le producteur Masaichi Nagata pour Les contes de la lune vague et L'intendant Sansho

Première rencontre avec Yoshikata Yoda, L'élégie de Naniwa marque aussi les retrouvaillee avec Isuzu Yamada qui jouait dans Oyuki la vierge et jouera dans Les sœurs de Gion et sera Sasae Onoda dans L'épée Bijomaru.

Rencontre passagère avec Takashi Shimura, le commissaire qui sera le personnage principal de Kurosawa à partir de La légende du grand judo, avec Eitarô Shindô qui joue Yoshizo Fujino, le collègue du patron et qui tiendra ensuite souvent des rôles négatifs, celui du tenancier de La rue de la honte.

Rencontre enfin avec le chef opérateur Minoru Miki au splendide noir et blanc.

critique du DVD
Editeur : Mk2, octobre 2007. Durée du Film : 1h09 - Durée du DVD : 2h06 Version originale mono - Sous-titres : Français
L'Elegie de Naniwa

Suppléments :

  • Préface de Charles Tesson 10’
  • Scènes commentées par Charles Tesson 17’
  • Entretien avec Jean Narboni 29’