Le joli mai

1963

Genre : Documentaire

Coréalisé avec Pierre Lhomme. Avec : Yves Montand (Le narrateur). 2h16.

Une jeune femme monte sur les toits en Zinc de la cathédrale saint Eustache et découvre un large panorama sur Paris. La voix off d'Yves Montand en décrit lyriquement certains quartiers que la caméra découvre : "C'est le plus beau décor du monde. Devant lui, huit millions de parisiens jouent la pièce ou la sifflent et c'est eux seuls en fin de compte qui peuvent nous dire de quoi est fait Paris au mois de mai

Le générique est incrusté sur la vision des passants vus à la verticale, depuis le centre du premier étage de la Tour Eiffel. S'affiche aussi ""La scène se passe au mois de mai 1962, désigné par certains, à l'époque, comme le premier printemps de la paix".

1re partie : Prière sur la Tour Eiffel. La voix off reprend des extraits du texte de La prière sur la Tour Eiffel, écrit par Jean Giraudoux en 1923, s'extasiant devant la somme de travail intellectuel et artistique que comporte chaque centimètre de Paris.

Sur un trottoir, un vendeur de vêtements donne sa recette du bonheur : bien manger, bien dormir et avoir la caisse pleine. Rue Mouffetard, un bougnat évoque sa peur d'être rejeté en périphérie. Tandis que deux architectes rêvent d'un Célesteville, une mère de famille d'Aubervilliers apprend avec joie qu'elle va être relogée. Devant la Bourse, deux grouillots, un agent de change et des habitués évoquent l'influence des événements internationaux sur les marchés. Pierrot le taxi, peintre amateur, nous présente ses oeuvres, dont un portrait de l'homme futur. Un homme dont les visiteurs du Palais de la Découverte partent à la rencontre. M. Rousseau, inventeur du sous-marin de poche, et M. A., inventeur du stabilisateur pour voitures légères, évoquent leur besoin de reconnaissance. Sur le pont de Neuilly, un jeune couple d'amoureux avoue faire passer leur bonheur personnel avant tout.

Entracte : Chanson Joli mai, interprétée par Yves Montand

2e partie : Le retour de Fantômas. Au tome 6 de ses aventures Fantômas a pour quartier général le cimetière Montmartre. Au mois de février 1962, Fantômas semble sortir de son repère. Certains signes ne trompent pas. Au stand de tir de la maison Gastine-Remette, le temps est venu de moderniser les cibles. En ce début d'année 1962, Paris fut particulièrement mouvementé : plastiquages, puis assassinat des manifestants au Métro Charonne. Des passants évoquent les bombes atomiques, l'O.A.S. Trois soeurs conviennent que l'on peut être heureux, même sous une dictature. Dans ce ménage, c'est l'épouse qui se montre la plus réticente à donner le droit de vote aux femmes. La foule sort du Palais de Justice et évoque le procès de Salan qui s'y tient.

Au Garden-club, c'est l'arrivée du madison. Michel Gasty évoque la danse comme palliatif sexuel. Dans une gare parisienne, le trafic a été interrompu à cause d'une grève d'E.D.F. Sur le quai, les cheminots se plaignent de leurs "salaires de famine". Deux ingénieurs-conseils évoquent les mutations subies par le monde du travail. Un jeune Dahoméen confronte sa culture africaine avec la culture européenne. Lydia, couturière de théâtre, avoue vivre isolée par peur de la méchanceté et de la vulgarité. Trois soeurs parlent de leur foi en Dieu. Un ancien prêtre ouvrier raconte son parcours. Dans un bidonville, une famille regarde une série télévisée sur les extra-terrestres. Un jeune ouvrier algérien parle de sa découverte du racisme. Des élèves de Janson-de-Sailly discourent de l'Algérie française et de l'O.A.S. Au Théâtre Mouffetard, Gilbert Samson chante l'histoire d'un déserteur emprisonné.

Le 13 mai, place des Pyramides, puis place de l'Étoile, défilé militaire avec le général de Gaulle. À la prison de la Roquette, "tous les jours du mois de mai sont semblables" dit une prisonnière qui souffre de la vulgarité des autres détenues et de de la méchanceté de certaines des soeurs geôlières. La caméra s'éloigne alors de la prison comme si elle effectuait ses premiers pas de liberté dans le Paris d'alors : "Nous avons rencontré des hommes libres. Nous leur avons donné la plus grande place dans ce film (...) Ils n'étaient pas sans contradictions, ni même sans erreurs, mais ils avançaient avec leurs erreurs ; et la vérité n'est peut-être pas le but, elle est peut-être la route. Nous avons aussi rencontrés en plus grand nombre des hommes et des femmes emmurées dans leur silence. Peut-être que ce qui les empêchait de parler c'était leur angoisse de savoir que l'on ne peut être heureux quand tant sont malheureux, libre quand tant sont prisonniers"

Des images de Paris en accéléré sur les Champs-Elysées de jour puis de nuit avec les statistiques qui s'égrènent puis d'autres lieux visités avant toujours en accéléré, des habitants les parcourant.

Au fil des rencontres, la caméra va montrer les Parisiens dans leur vie quotidienne, afin de composer un portrait politique, social et culturel de la France de 1962 juste après les accords d'Évian. La voix-off d'Yves Montand, disant le texte de Chris Marker est nettement plus présente que la musique de Michel Legrand. Mais la majeure partie du film est composé des témoignages des Parisiens interrogés. L'ordre des séquences ne respecte pas l'ordre chronologique du mois. Le début de la deuxième partie renvoie même à la manifestation de février. Les titres des deux parties semblent vouloir orienter le film du lyrique vers le politique, du regard bienveillant vers la distance sociologique. On distinguera ainsi trois thèmes principaux: l'urbanisme, la condition féminine et l'étrange mutisme des français sur la situation politique qui semble le principal constat du film.

L'urbanisme c'est quand une mère de famille très nombreuse (neuf enfants) explique qu'elle va quitter son taudis d'Aubervilliers pour un quatre pièces moderne. Ce regard sur la ville et ses habitants s'inscrit à la suite de grands documentaires que sont, L'amour existe (Maurice Pialat, 1960) et Chronique d'un été (Jean Rouch, 1961)

Sidérante condition féminine d'alors, les trois soeurs écervelées, la femme effacée derrière son mari, ou la solitaire femme au chat ; toutes femmes isolées de la société, dans le bonheur (l'amoureuse frémissante de la fin de la première partie), le malheur (les femmes prisonnières de la prison de la Roquette) ou la révolte (la militante communiste face au jeune riche qui revient des USA et qui a raison en plus !).

La guerre et la politique? On évite d'en parler, l'interviewer s'en étonne même : les Français qui aimaient tant discuter seraient-ils muets ? Ce sont les ouvriers du marteau-piqué et l'Algérien confronté au racisme grève EDF

Chris Marker enregistre plus de 50 heures d'images, propose un film de 7 heures puis le réduit à un peu plus de 2 heures. Pierre Lhomme, chef opérateur du film est crédité en tant que co-réalisateur pour son étroite collaboration avec Marker. Ami de Simone Signoret, Chris Marker demande à Yves Montand d'être le narrateur du film. Il commande une musique à Michel Legrand sans lui donner beaucoup d'indications

Le gouvernement envisage de censurer le film, parce qu'"il évoquait des problèmes d'ordre politique susceptibles de mettre à mal l'ordre public". Néanmoins, le film est présenté au festival de Cannes en 1963 où il obtient le prix de la Critique Internationale. Le film est restauré en version numérique pour ses 50 ans.

retranscription du film sur :chrismarker.ch