Le bon la brute et le truand

1966

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(Il buono, il brutto, il cattivo). Avec : Clint Eastwood (Blondin - le bon), Eli Wallach (Tuco - le truand), Lee van Cleef (Sentenza - la brute), Aldo Giuffré (le capitaine nordiste alcoolique), Luigi Pistilli (Le père Pablo Ramirez), Rada Rassimov (Maria), Livio Lorenzon (Baker), Antonio Casale (Jackson/Bill Carson). 3h02.

Aux Etats-Unis, durant la guerre de Sécession. Tandis que les combats font rage entre Nordistes et Sudistes, trois hommes s'intéressent davantage à leur profit personnel. Blondin et Tuco parcourent la région en se livrant à une activité rémunératrice : Blondin livre Tuco contre la prime promise pour sa tête, et le libère alors qu'il va être pendu. Puis ils recommencent l'opération dans la ville voisine. Mais bientôt les deux hommes se séparent.

Pourtant leur association se reforme pour un temps. Ils apprennent l'existence de 200 000 dollars-or volés à l'armée sudiste et cachés quelque part. Tuco sait que le trésor se trouve dans un cimetière et Blondin connaît le nom inscrit sur la pierre tombale qui sert de cache. Chacun a besoin de l'autre : la chasse au trésor commence.

Un troisième homme est au courant de cette histoire : Sentenza, une brute qui n'hésite pas à massacrer femmes et enfants pour trouver cet argent caché. Les trois hommes traversent la guerre de Sécession, indifférents aux violents combats qui ont lieu autour d'eux sauf lorsqu'ils les gênent. C'est ainsi qu'ils font sauter un pont pour que les soldats aillent se battre ailleurs!

Blondin et Tuco arrivent enfin au fameux cimetière, où les attend Sentenza. Blondin propose alors un duel à trois : le gagnant emportera l'argent. Il tue Sentenza, mais épargne Tuco. Après avoir pris la moitié de l'argent, il laisse Tuco dans une position inconfortable, en équilibre sur une pierre tombale, le cou dans un nœud coulant! Il s'en va, mais revient au dernier moment et délivre Tuco avant de repartir, tandis que celui-ci l'agonit d'injures.

On a sans doute trop dit qu'avec ce film Leone clôt sa trilogie spaghetti dans laquelle l'Ouest est une terre sans morale où chacun met sa conscience dans sa poche et laisse libre cours à sa rapacité sanguinaire. Indifférents à la guerre de Sécession qui ravage le pays, trois hommes seraient ici réunis par le même désir : mettre la main sur un magot.

Pourtant, il s'agit bien plutôt d'un film de guerre, développant jusqu'à la nausée les horreurs qu'elle génère. Le film n'est pas sans rapport avec la comédie italienne qui connaît alors son apogée. Politiquement incorrecte, celle-ci renonce à présenter de pauvres gens opprimés, patients, prêts à souffrir en silence et laisse la part belle à la satire sociale, l'ironie féroce et la farce grotesque. Cynique et bouffonne, elle ne se soucie jamais des bornes du bon goût et elle se révèle ainsi profondément libératrice.

Un western spaghetti en forme de comédie italienne

Toutes les premières séquences sont traitées sur le mode de la bouffonnerie la plus pure. Chaque scène déjoue l'attente du spectateur en retournant le sens contenu dans la précédente pour finalement, par surenchère et épuisement, nier toute valeur morale au profit de la seule accumulation monétaire.

Ainsi en est-il des premières séquences. Des deux côtés de la grande rue s'avancent, un et deux bandits pour ce qui pourrait être un duel. En fait ces trois là veulent prendre au piège Tuco qui sortira vainqueur, un jambon sous le bras.

La brute abat d'abord Stevens, le paysan pour 500 dollars afin de connaître le nouveau nom de Jackson, puis son propre employeur, Baker, pour le double, les 1 000 dollars offerts à cette fin par le même paysan avant de mourir.

Le bon ensuite livre le truand au shérif, empoche la prime de 2 000 dollars, tire in extremis sur la corde au bout de quoi couine le coquin, s'enfuit avec lui, portant ainsi la prime pour sa capture à 3 000 dollars, répétant plusieurs fois ce manège jusqu'à ce qu'un différend sur le partage des risques et, par conséquent, de l'argent, oblige à dissoudre ce juteux partenariat.

L'ensemble des séquences mettant en scène la chasse de Tuco pour se venger de Blondin, jusqu'à l'arrivée salvatrice totalement improbable et injustifiée de Bill Carson pour sauver Blondin relèvent aussi de la farce bouffonne.

Musique pour la fin des temps

Lors de leur arrivée au monastère, la musique, jusqu'alors extrêmement dynamisante, laisse place à un thème plus tragique et nostalgique : Tuco et Blondin découvrent les premiers blessés de la guerre.

La halte au monastère est pour Tuco l'occasion d'actes de roublardises forcenées : son plaidoyer envers Blondin pour lui faire dire le nom inscrit sur la tombe avant sa mort, l’œil cherchant à voir entre les doigts ou se dégageant du bandeau de borgne avec en arrière plan, un tableau de crucifixion exprime la négation totale des valeurs. Celle-ci est de nouveau à l’œuvre lors de la confrontation des deux frères. Devant les leçons de morale de Pablo, reprochant à son frère sa disparition de neuf ans et son absence lors de la mort de son père puis de sa mère, celui-ci répliquera : "Il était facile de rentrer au monastère, tu es trop lâche pour faire ce que je fais". Blondin assiste, caché, à cette entrevue. Lorsque Tuco essaie de se prévaloir de l'amour de son frère "qu’il pleuve ou qu’il vente, il y a toujours une bonne soupe qui vous attend". Blondin lucide lui propose une cigarette : "Tiens fume ça, ça te fera digérer". Un thème musical dynamique et gouailleur conclut la scène.

Lors de l'arrivée au camp de prisonnier le thème tragique est repris lorsque le capitaine, malade de la gangrène, surveille à la lunette les exactions de son sergent.

Mais ce n'est qu'au moment des scènes de passage à tabac que l’horreur du thème prend toute sa mesure. Les grandes idées comme la musique ne servent qu'à étouffer le cri de ceux qui souffrent.

Les deux autres séquences antimilitaristes s’opposent dans leur démesure. Le dynamitage du pont pour l'une et la scène totalement muette et silencieuse du jeune soldat sudiste agonisant auquel Blondin offre une cigarette et son manteau... avant de dégommer au canon Tuco qui déboule dans le cimetière de Sad Hill.

Une extrême virtuosité de mise en scène

La virtuosité de la mise en scène sous-tend le propos explicite. Au sein de cet effondrement des valeurs où la paix, pas plus que l'amitié, ne durent longtemps, seul le travail bien fait mérite peut-être récompense.

Citons l'utilisation brillante de l'écran large, trognes crevassées en gros plan alternent avec le vide du désert en plan large. L'excès d'échanges de regards diluent le temps pour précipiter une attaque aussi violente que brève. Montage parallèle plus classique : bruit éperons, soldat dehors et montage du pistolet

A cette dilution du temps, qui ne peut provoquer qu'un excès de violence, Leone oppose le montage savant lors du règlement de compte final, le duel à trois dans un cimetière. Celui-ci, rebaptisé ensuite triello, redistribue dans un seul théâtre toutes les ambiguïtés distribuées par le film tout au long du récit.

Dans ce triello pour la mort et l'argent, les rapports d'affection et d'amitié entrent en jeu mais pas la confiance : le pistolet de Tuco était déchargé.

Le duel final est préparé par deux autres duels préalables. D'une part, le duel initial à un contre trois, dont le survivant blessé au bras droit qui tombe sur les cadavres de ses amis, reviendra pour tenter de tuer Tuco de son bras gauche. Il se verra alors répliquer un «quand on tire, on ne raconte pas sa vie ».

Le second duel est celui à deux contre cinq dans la ville détruite qui vaut à Tuco le premier message de solidarité de Blondin "Tu veux mourir tout seul ?" ... aussitôt suivi de "Idiot, alors c’est pour toi !" Lorsque Tuco n'arrive pas à lire la fin du message de Sentenza : "J'aurais votre peau, i-d-i-o-t"

La célèbre réplique : "Tu vois, le monde se divise en deux : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses" énoncée par Blondin n’est qu’un ironique retournement des sentences de Tuco qui avait déjà opéré deux dichotomies "ceux qui ont la corde au cou et ceux qui tirent", d'une part et "ceux qui passent par la porte et ceux qui passent par la fenêtre" d'autre part.

Autres séquences célèbres :