Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures

2001

Genre : Documentaire
Thème : Shoah

Avec : Yehuda Lerner, Claude Lanzmann, Francine Kaufmann (L'interprète). 1h35.

Un carton d'ouverture demande "d’écouter la parole vive de Yehuda Lerner parce qu’il faut faire justice d’une double légende, celle qui veut que les Juifs se soient laissés conduire au gaz sans pressentiment ni soupçon, que leur mort ait été «douce», et cette autre selon laquelle ils n’opposèrent à leurs bourreaux aucune résistance".

Yehuda Lerner s'exprime en hebreu. Il raconte son histoire de prisonnier juif, adolescent lors des faits, qui va s'évader de plusieurs camps et toujours être repris, puis se retrouver au sein d'un groupe de prisonniers de l'Armée rouge.

A Lanzmann qui lui demande s’il est facile de s’évader de huit camps en six mois, “Pour un homme qui veut vivre, rien n’est difficile” avoue, du fond de son appartement, Lerner

Yehuda Lerner explique longuement le fonctionnement du camp, divisé en deux : un camp de travail et un camp d'extermination où tous les "travailleurs" finissaient forcément à long terme. C'est ce groupe qui fomente la révolte dont le point d'orgue est l'assassinat simultané d'officiers nazis à une date et une heure précise dans plusieurs points du camp de Sobibor, le 14 octobre 1943 à 16 heures

Yehuda Lerner se souvient comment un officier juif soviétique, Alexandre Petchersky, expert dans le maniement des armes, a conçu ce projet de révolte. Il se souvient du rôle clé qu'il avait à y jouer, de ses doutes, de ses peurs. Il précise à la minute près les différentes actions menées un peu partout dans le camp. La réussite, la fuite. La liberté.

365 prisonniers parvinrent à s'évader, mais seuls 47 d'entre eux survécurent aux atrocités de la guerre.

Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures (2001) est le second film confectionné à partir des matériaux préparatoire de Shoah après Un vivant qui passe (1997) qui décrit la visite du Comité international de la Croix-Rouge à Theresienstadt en juin 1944. Suivront Le Rapport Karski (2010), du nom de ce résistant polonais témoin du ghetto de Varsovie, qui alerta les Alliés dès 1942, Roosevelt en particulier, du génocide perpétré contre les juifs, Le dernier des injustes (2013) et

En 1979, Claude Lanzmann recueillait ainsi pour Shoah (1985), le témoignage d'un des acteurs de la seule révolte victorieuse à l'intérieur même d'un camp d'extermination nazi. A Jérusalem, Yehuda Lerner lui contait dans les moindres détails comment s'était fomenté la rébellion dans le camp de Sobibor, le 14 octobre 1943. Plus encore, il lui confiait son cheminement intérieur, celui de ses compagnons. Ses états d'âme aussi face au fait d'avoir tué un homme.

Ce témoignage trop riche pour être simplement intégré dans Shoah, incite Lanzmann à construire un nouveau film autour de ces près de 80 minutes d'entretien. Accompagné de la chef opératrice Caroline Champetier et d'une équipe très réduite, il part sur les lieux mêmes du drame, figés depuis la disparition du camp, et qui témoignent encore des abominations commises par le régime Hitlérien.

Cette opération permettra l'évasion de centaines de prisonniers, mais entraînera le massacre des prisonniers ne s'étant pas enfuis et la destruction du camp par les nazis peu de temps après.

Lanzmann donne à entrevoir l’universalité d’une pulsion (la survie) et la singularité d’un acte : comment un homme qui n’a jamais tué personne (première parole de Lerner que Lanzmann a choisi de placer en préambule de son documentaire) a-t-il trouvé les ressources pour fendre un jour le crâne d’un homme? Quelles conditions exceptionnelles ont-elles conduit un groupe de Juifs destinés aux chambres à gaz à organiser cette révolte sanglante ? Mais le cinéaste souhaite aussi rétablir quelques vérités parfois oubliées. Par exemple, les détenus de camps de concentration avaient parfaitement conscience de ce qui les attendait (il ne saurait donc être question de "mort douce"). Il veut aussi récuser certaines thèses selon lesquelles les victimes auraient été résignées devant la mort.

Jean-Luc Lacuve le 7 juillet 2018