Spartacus

1960

Genre : Peplum

Avec : Kirk Douglas (Spartacus), Laurence Olivier (Marcus Licinius Crassus), Jean Simmons (Varinia), Charles Laughton (Sempronius Gracchus), Peter Ustinov (Lentulus Batiatus), John Gavin (Caius Julius Caesar), Nina Foch (Helena Glabrus), John Ireland (Crixus), Herbert Lom (Tigranes Levantus). 3h18.

En 73 av. J.-C., Spartacus est un esclave thrace que l'on fait travailler dans les mines de Lydie. Il est remarqué et acheté par Lentulus Batiatus, propriétaire d'une école de gladiateurs à Capoue, où il est pris en charge par l'entraîneur Marcellus qui l'initie au métier de gladiateur. Il fait connaissance avec les autres esclaves, dont Draba le Noir et Crixus. Il est aussi intéressé par Varinia, une des esclaves que Marcellus donne parfois en récompense pour une nuit aux gladiateurs qui l'ont mérité.

Crassus arrive bientôt à l'école de gladiateurs avec sa femme, le frère de celle-ci, Marcus Glabrus, et la femme de celui-ci. Il demande à Batiatus, pour fêter le mariage tout récent de son beau-frère, de faire combattre deux paires de gladiateurs jusqu'à la mort. Spartacus est sélectionné pour se battre contre Draba, l'Éthiopien, dans l'arène. Il est vaincu mais Draba refuse de le tuer et lance son trident vers la loge des spectateurs. Il s'élance ensuite pour monter sur l'estrade mais Crassus le tue d'un coup de dague.

Écœuré de la mort de Draba et de la provocation de Marcellus, qui lui révèle que Varinia a été achetée par Crassus, Spartacus s'en prend à Marcellus ce qui entraîne la révolte des gladiateurs. Marcellus est égorgé par Spartacus et Batiatus voyant qu'il ne viendra pas à bout de la rébellion, se sauve en emmenant Varinia avec lui. Spartacus devient le chef de cette troupe qui projette de libérer les esclaves romains et de s'enfuir de l'Italie grâce aux bateaux des pirates ciliciens (région historique d'Anatolie).

Au Sénat de Rome, le plébéien Sempronius Gracchus, adversaire déclaré de Crassus, fait voter une motion donnant à Marcus Glabrus, chef de la garnison de Rome et protégé de Crassus, le commandement d'une armée chargée de mater la révolte des esclaves qui se sont réfugiés sur les flancs du Vésuve. En attendant, César, allié de Gracchus, prend le commandement de la garnison de la ville. Au moment du départ de l'armée de Glabrus, Antoninus, un esclave poète de Crassus, s'évade et part rejoindre les révoltés.

Ceux-ci taillent en pièces l'armée de Glabrus. Le but de Spartacus est de faire traverser l'Italie à ses hommes, jusqu'à la mer où il paiera les pirates ciliciens pour les faire embarquer sur leurs bateaux et les transporter le plus loin possible de Rome. Au début du voyage, il est rejoint par Varinia, qui a réussi sans trop de mal à se sortir des griffes de Batiatus. Ils deviennent amants et Varinia tombe bientôt enceinte de lui.

Quand les esclaves arrivent à la côte, le chef cilicien leur apprend qu'il ne pourra pas les embarquer car Crassus a payé leur flotte pour qu'elle appareille. Il offre seulement d'embarquer Spartacus, Varinia et quelques autres de ses officiers sur son bateau personnel mais Spartacus refuse et le fait jeter dehors du camp. Il s'apprête alors à affronter les armées romaines. À Rome, Crassus a promis d'écraser la rébellion à condition qu'il soit nommé dictateur, et le Sénat a accepté malgré les protestations de Gracchus. Les esclaves voient bientôt la menace se préciser. L'armée de Crassus arrive de Rome et elle est épaulée par celle de Pompée, qui arrive de Calabre, et celle de Lucullus, qui vient d'accoster à Brundisium.

L'armée esclave subit une défaite complète et Crixus est tué dans la bataille. Spartacus et Antoninus sont faits prisonniers. Sur le champ de bataille, Crassus trouve Varinia, qui vient d'accoucher, et la fait ramener à Rome. Il la convoitait depuis qu'il l'avait entrevue dans la maison de Batiatus à Capoue. Crassus promet aux captifs qu'ils ne seront pas punis s'ils lui livrent Spartacus. À sa grande surprise, tous déclarent : « Je suis Spartacus ! ». Le vainqueur les condamne à être crucifiés tout le long de la Voie Appienne jusqu'aux portes de Rome. Il ordonne qu'Antoninus et Spartacus, enchaînés l'un à l'autre, soient les derniers à être mis en croix.

Batiatus, ruiné par la révolte de ses gladiateurs, veut prendre sa revanche sur Crassus, qu'il accuse d'être la cause de son malheur. Il retourne à Rome et s'allie à Gracchus, maintenant disgracié. Celui-ci lui donne de l'argent pour enlever Varinia et l'emmener en Gaule où elle trouvera la liberté. Après leur départ, Gracchus se suicide.

Pendant ce temps, Crassus à qui s'est rallié César est aux portes de Rome et ordonne à Spartacus et à Antoninus de se battre en duel jusqu'à la mort. Le vainqueur sera ensuite mis en croix. Spartacus remporte le combat et c'est lui qui est crucifié à proximité des murs de Rome. Le lendemain matin, Batiatus et Varinia sortent de la ville en empruntant la voie Appienne et aperçoivent Spartacus, encore mourant sur sa croix. Varinia lui montre son fils en lui déclarant qu'il sera un citoyen libre avant de s'éloigner dans le chariot avec son ancien maître.

En 1959, vexé de s’être vu priver du rôle-titre de Ben-Hur, Kirk Douglas, star devenue depuis peu producteur, décrète qu’il montera son propre péplum. L’histoire de la révolte des esclaves de la République romaine au 1er siècle avant J.C., menée par le gladiateur Spartacus originaire de Thrace, lui paraît un sujet tout indiqué, tout comme le rôle du chef des révoltés pour lui-même.

Qui est spartacus ?

Les sources historiques antiques se résument à quelques écrits de Plutarque, Salluste, Florus et Appien. Dans une Italie du sud qui avait particulièrement profité de la massification de l’esclavage, un ancien auxiliaire thrace, déserteur repris par l’armée romaine et vendu à Rome comme esclave au laniste Lentulus Batiatus, s’enfuit de son école de gladiateurs à l’été 73 avant Jésus. Il est accompagné de sa compagne, une thrace prêtresse de Dionysos, et d’environ 70 compagnons, gladiateurs armés d’instruments de cuisine, qui, au sortir de Capoue, profitent de la confiscation d’une charrette rempli d’armes pour s’équiper de meilleure façon.

Spartacus et ses compagnons se réfugient alors sur le Vésuve, effectuant des raids sur la région pour survivre. Rejoint par des esclaves travaillant comme bergers, mais également par des ouvriers et petits paysans libres, exclus de la prospérité, Spartacus se retrouve rapidement à la tête de plusieurs milliers d’hommes. Ne parvenant pas toujours à canaliser ou juguler la violence des dominés qui s’exprime dans la prise des villes ou des propriétés, il se distingue toutefois par le souci d’un partage égalitaire du butin, aux antipodes de ce qui se pratique alors au sein des légions romaines. Après avoir réussi à vaincre sans mal la médiocre milice de Capoue, Spartacus et ses 10 000 combattants doivent affronter sur le Vésuve les troupes du préteur Clodius Glaber, défait par surprise, tout comme les autres préteurs envoyés de Rome pour écraser la révolte.

A l’hiver 73, l’armée de Spartacus semble se monter déjà à 70 000 hommes. L’année suivante, les insurgés se séparent : tandis que l’armée dirigée par un lieutenant de Spartacus, Crixus (l’autre lieutenant, Oenomaus, avait été tué à l’automne 73), est massacrée par un des consuls de Rome, Spartacus parvient coup sur coup à défaire les deux titulaires de la magistrature suprême. La remontée vers le nord qu’il mène en parallèle, s’expliquant probablement par l’espoir – vite dissipé – de rallumer les braises de la guerre sociale, le conduit jusqu’aux rives du Pô. Là, il bat les troupes du gouverneur de Gaule cisalpine, et au lieu de marcher sur Rome, repart vers le sud de la péninsule. Son armée nomade, dont le pic des effectifs semble avoir été de 120 000, bat une nouvelle fois les deux consuls et s’installe un temps dans la cité de Thurii.

Rome décide alors d’envoyer un nouveau préteur, le richissime Crassus, pour mettre fin à cette révolte. Les meilleurs généraux et les troupes les plus aguerries de la République sont alors à la manœuvre sur deux fronts distincts, celui d’Asie contre Mithridate (Lucullus) et celui d’Espagne contre Sertorius (Pompée). Tandis que Spartacus, qui souhaitait passer en Sicile, terre des deux plus grands soulèvements serviles une cinquantaine d’années auparavant, ne parvient pas à ses fins, suite à la trahison de pirates qu’il avait pourtant payé, Crassus, en dépit d’une défaite partielle initiale qui le conduit à réactualiser le châtiment de la décimation, parvient à isoler Spartacus et ses hommes à l’extrême sud de l’Italie, près de Rhegium. Ces derniers réussissent finalement à traverser les fortifications massives érigées pour les conduire à la famine, et les ultimes affrontements contre l’armée de Crassus se soldent par la mort de Spartacus et la défaite de ses combattants, dont 6 000 sont crucifiés par Crassus le long de la voie Appienne entre Capoue et Rome.

En 1929, Marcel Ollivier romance la vie de Spartacus dans :  Spartacus : la liberté ou la mort ! Puis c'est Arthur Koestler, tout juste en rupture de ban avec le mouvement communiste stalinien, qui propose une nouvelle variation sur le mythe. Écrit entre 1935 et 1938, son Spartacus devient pour lui, a posteriori, le premier volet d’une trilogie constituée de Le Zéro et l’Infini et Croisade sans croix. Une douzaine d’années après le roman d’Arthur Koestler, c’est un écrivain étatsunien, Howard Fast (1914-2003), alors membre du Parti communiste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui signe un nouveau roman sur Spartacus dans un contexte pourtant hostile, celui du maccarthysme ; son édition fut d’ailleurs laborieuse, obligeant l’auteur pourtant déjà connu à user de l’auto-édition. Son rayonnement sera décuplé par l’adaptation que Kirk Douglas et Stanley Kubrick en feront quelques années plus tard.

Riccardo Freda signe la première incursion notable de  Spartacus sur grand écran. Filmé en noir et blanc, Spartacus (1953) est bâti sur une histoire originale; puis c'est un autre italien, Sergio Corbucci, qui réalise Le fils de Spartacus.

Le Spartacus de Kirk Douglas

Inspiré du roman d’Howard Fast, le film voulu par Kirk Douglas adopte une narration plus linéaire, mettant en parallèle deux hommes, deux allégories, Spartacus, incarnation de la liberté pour tous les hommes, et Crassus, personnalisation de l’ordre et de la hiérarchie traditionnelle, de la dictature même (il fait tout pour se faire proclamer Premier Consul), Crassus annonçant de la sorte César et Octave. Entre-temps, Crassus aura réussi à surmonter l’opposition de son ennemi juré, le sénateur Gracchus, finalement trahi par un César jusqu’alors son protégé renforçant l' opposition patriciens / plébéiens.

Kirk Douglas impose la présence d’une dimension homosexuelle, certes atténuée par la censure, mais particulièrement frappante dans une scène coupée à l’époque, qui voit Crassus expliquer à son esclave Antoninus qu’il apprécie à la fois les huîtres et les escargots, à la fois les relations hétérosexuelles et homosexuelles. Kirk Douglas impose surtout le nom du scénariste Dalton Trumbo qui peut enfin réapparaitre au générique après plusieurs scénarios écrits dissimulé derrière des prête-noms. Sorti deux mois après, en décembre 1960, Exodus d'Otto Preminger, également scénarisé par Dalton Trumbo, confirmera la fin du maccarthysme et l’hystérie anticommuniste.

Le Spartacus de Kirk Douglas est  presque non violent. Certes, il se bat contre les Romains, mais lorsque ses hommes veulent faire s’affronter deux patriciens romains dans l’arène, Spartacus les arrête, en totale contradiction avec ce que l’on sait des actions du Spartacus historique… De même, les vues de l’armée des esclaves ne communiquent pratiquement que joie de vivre, harmonie et bonne humeur, les seules marques de tristesse venant des morts dues aux conditions naturelles hostiles et aux Romains. La fin de Spartacus, crucifié aux portes de Rome, renforce cette dimension d’un pré-Jésus.

En dehors de l’opposition Spartacus / Crassus, qui nous vaut un parallèle frappant entre leurs deux discours publics et cette magnifique scène dans laquelle les survivants déclarent tous « Je suis Spartacus ! », ce qui fait battre le rythme du film, c’est la romance développée entre Spartacus et Varinia, une Varinia pour laquelle il témoigne un respect profond, et qui illumine véritablement son existence, l’amour qu’ils échangent étant comme la réplique de celui de Spartacus pour le genre humain.

Spartacus, en dépit de sa très grande liberté prise avec l’histoire, est ainsi  un film puissant, épique et touchant porté par ses interprètes, ses dialogues frappants et la musique d’Alex North

La participation de Stanley Kubrick

C’est en cours de tournage que Kirk Douglas contacte l’auteur des Sentiers de la gloire. Il recherche en Kubrick un complice plus obéissant et adapté que le vétéran Anthony Mann, en désaccord avec sa vision du gladiateur révolté et surtout pas assez rapide et malléable. Kirk Douglas assume la responsabilité de se séparer à l’amiable du maître du western après le tournage de plusieurs scènes importantes, parmi lesquelles une grande bataille et l’ouverture du film.

Kubrick accepte de le remplacer et se retrouve à 32 ans à la tête d’une superproduction hollywoodienne. S’il s’adapte sans aucun problème aux contraintes d’un gros budget, il ne se soumet en aucune façon au contrôle de Kirk Douglas et se révèle bientôt aussi capricieux et plus incontrôlable que la star. Le résultat final est un succès commercial mais ne suscite qu’un enthousiasme modéré de la critique et des cinéphiles, qui distinguent mal les ambitions politiques du projet des conventions kitsch du péplum hollywoodien.

Les combats dans l’arène, la transformation des esclaves en machines à tuer, l’ordonnance quasi géométrique de la scène de bataille finale mettant en valeur la discipline des légions romaines, sont pourtant de purs moments de cinéma kubrickien, qui anticipent les bagarres d’Orange mécanique, les duels de Barry Lyndon, les ballets spatiaux de 2001, l’odyssée de l’espace ou l’entraînement des recrues de Full Metal Jacket. En revanche, le message humaniste de Spartacus semble bien étranger aux préoccupations de Kubrick, qui préféra toujours s’intéresser aux antihéros grotesques ou névrosés plutôt qu’aux chefs messianiques. Kubrick peinera  toujours à cacher son scepticisme devant la validité d’une telle entreprise, et rechignera toute sa vie à inclure Spartacus dans sa filmographie officielle.

Sources :