Où est la maison de mon ami ?

1987

(Khaneh-ye dust Kojast ?). Avec : Babak Ahmadpur, Ahmad Ahmadpur. 1h25.

À l'école primaire de Koker, gros bourg au nord-est de Téhéran, l'instituteur est à cheval sur la discipline. Ce matin-là, il tance le petit Mohamad Réza Nematzadé, qui a oublié chez son cousin l'indispensable cahier de devoirs : " La prochaine fois, tu seras renvoyé ". Le garçonnet fond en larmes. Son voisin de table, Ahmad, bouleversé par la sévérité du maître, partage l'émotion de son camarade.

Rentré chez lui, Ahmad obéit à sa mère, qui sollicite sans cesse son aide aux travaux domestiques. Lorsqu'il peut enfin se consacrer à ses devoirs, l'enfant s'aperçoit qu'il a pris, par étourderie, le cahier de Mohamad Réza. " Il faut que je le lui rapporte, le maître va le renvoyer ", insiste Ahmad auprès de sa mère qui lui répète : " Fais tes devoirs d'abord ". À bout d'arguments et sous prétexte d'aller acheter le pain, Ahmad, le cahier de Mohamad Réza sous le bras, s'échappe enfin. Direction : la maison de son ami.

Mais Mohamad Réza habite loin, à Poshteh. Ahmad ne sait pas où précisément. Lorsqu'il arrive au village, après une longue course par les champs et les bois, c'est pour découvrir qu'il y a plusieurs quartiers à Poshteh et de nombreux Nematzadé ! Ahmad parcourt le village en tous sens, de plus en plus angoissé, jusqu'à ce que le cousin de Mohamad Réza lui apprenne que celui-ci est peut-être à Koker. Infatigable, Ahmad prend ses jambes à son cou pour revenir à son point de départ. Là, dans la rue, son grand-père lui reproche de traîner, et le retarde encore à lui faire la leçon. Ahmad ronge son frein, mais, en écoutant les adultes se chamailler, il entend que l'un d'eux s'appelle Nematzadé. Celui-ci monte sur son âne et Ahmad court derrière lui, direction Poshteh ! Nouvelle déconvenue : arrivé à destination, Ahmad découvre que ce Nematzadé n'est pas le bon !

La nuit est tombée. Fatigué, Ahmad suit un vieux menuisier qui prétend le conduire à la bonne adresse. Mais l'homme n'avance pas, parle sans cesse. Ahmad parvient enfin sur le seuil de la maison de son ami ; mais quelque chose l'empêche de frapper. L'enfant prend peur dans l'obscurité peuplée de bruits inquiétants et, toujours courant, rentre chez lui. Sans plus tarder, il se met à ses devoirs...

Le lendemain, à l'école, l'instituteur commence à corriger les cahiers. Mohamad Réza, qui n'a pas le sien, est paniqué. Ahmad arrive enfin, en retard. Il a fait deux fois les devoirs, sur son cahier et sur celui de son ami. Ce dernier, soulagé, présente le sien au maître, qui le complimente : " C'est bien, mon garçon ! ".

Analyse de Laurent Roth :

L'hommage rendu au poète iranien Sohrad Sepehri au générique incite à la prudence quant à une interprétation par trop réaliste de Où est la maison de mon ami ? En lisant le poème éponyme du film, on s'aperçoit que cette histoire d'enfant en rupture et en quête d'alliance pourrait tout aussi bien être une fable ou une parabole :

"Tu iras jusqu'au fond de cette vallée
Qui émergera par delà l'adolescence,
Puis tu tourneras vers la fleur de la solitude.
A deux pas de la fleur, tu t'arrêteras
Au pied de la fontaine d'où jaillissent les mythes de la terre.
/(…)/
Tu verras un enfant perché au-dessus d'un pin effilé,
Désireux de ravir la couvée du nid de la lumière
Et tu lui demanderas :
Où est la Demeure de l'Ami ? "

A première vue, Ahmad et Nematzadeh ne sont rien de plus que des camarades d'écoles, partageant le même banc et le même pupitre, habitant trop loin l'un de l'autre et retenus par leurs devoirs du soir, ils n'ont pas le temps de jouer ensemble. Kiarostami décide de ne pas filmer le moment ou Ahmad confond son cahier avec celui de son ami et l'emporte chez lui. Il y a donc une sorte de paralipse (omission d'une action capitale que le narrateur choisit de masquer au spectateur) qui traduit bien sûr l'inconscience du geste d'Ahmad, mais aussi qui donne à ce cahier de trop un statut "d'objet perdu". C'est ici que l'Ami, avec un grand A, entre en scène… Plus que la maison qui apparaît lugubre, à la fin du film après la longue quête d'Ahmad, c'est de l'existence même de l'Ami dont il est question dans ce récit d'initiation. Ahmad, en arrivant devant la porte de l'Ami, hésite prend peur, fait demi-tour. Sait-il que le cahier, cet objet perdu, ne peut être rendu tel quel à son destinataire ? Comprend-il secrètement, comme le veut la leçon du poème, que l'enfant qu'il est, "à deux pas de la fleur de la solitude", est appelé à n'avoir jamais de réponse à sa question : "Où est la Demeure de l'Ami ?"

En retournant chez lui avec le cahier de Nematzadeh (et cette fois-ci on ne voit pas son trajet de retour sur le chemin en Z), Ahmad sort d'une relation imaginaire : le cahier, d'objet oublié par Nematzadeh devient l'objet à donner par Ahmad. Ecrire dessus, recopier à l'identique le devoir du soir, c'est maîtriser le jeu des apparences, pour son propre compte. La société des adultes, qui s'est montrée dans le film comme livrée à ce maître mot qu'est le surmoi est bel et bien enfermée dans l'imaginaire : la répétition du même lui suffit. Lorsque Ahmad rend son cahier à Nematzadeh il comporte en plus la petite fleur, souvenir de l'odyssée d'Ahmad qui a séché sur la page de gauche

Le film s'arrête donc au seuil du symbolique "A deux pas de la fleur de la solitude, tu t'arrêteras/ Au pied de la fontaine d'où jaillissent les mythes de la terre. Ce qui attend Ahmad c'est de comprendre que le chemin en Z emprunté trois fois (il fut tracé par les enfants du village pour le besoin du film ) ne mène nulle part. Cette connaissance est véritablement le fruit d'une initiation : le symbolique c'est le désir de rien, l'incomplétude le désir même. C'est aussi l'attente messianique de l'Ami qui est un des noms du prophète.

 

Laurent Roth : Abbas Kiarostami , ed. Cahiers du cinéma, 1997

 

Test du DVD

Editeur : Les films du paradoxe. Octobre 2007. format 4/3 VOSTFR.

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