Nói albínói
2003

Un fjord bleuté. Noi enlève la neige qui s'est accumulée à la porte de sa maison. Sa grand-mère fait fondre des blocs de glace.

La grand-mère ne parvient pas à sortir Noi du lit. Elle part chercher une carabine et tire par la fenêtre pour réveiller brutalement son petit-fils. Alors qu'il prend son petit déjeuner, Noi reçoit la visite de son père, conducteur de taxi paumé qui tente de remuer un peu Noi. Malgré le trajet en voiture, Noi arrive en retard en classe alors qu'un devoir doit être rendu. Noi demande un stylo pour rédiger son devoir mais repart aussitôt en rendant copie blanche au professeur de mathématiques agacé.

A la buvette de la station-service, Noi trafique la machine à sous pour récupérer quelques pièces. La serveuse arrive, Noi demande une bière. Il se rend ensuite chez un ami bouquiniste, bien plus âgé que lui qui lit du Kierkegaard à voix haute. De retour chez lui, il s'isole dans un petit réduit obscur.

Le lendemain, Noi retourne à la station-service et continue son manège avec la machine à sous. Mais la serveuse a changé : c'est une belle jeune femme, Iris, qui semble légèrement désarçonnée par les étranges plaisanteries de Noi. De retour chez le bouquiniste, Noi entame une partie de master-mind qu'il gagne haut la main, remportant ainsi quelques revues de charme. Le bouquiniste le renseigne sur la fille de la station-service ; c'est la sienne, et il n'est pas question de l'approcher.

A l'école, tandis que le professeur de Français apprend à ses élèves à monter une mayonnaise, le directeur de l'établissement vient chercher Noi pour l'emmener voir un psychologue scolaire. Concentré sur le rubik's cube qu'il manipule, Noi laisse le psy sans voix.

Noi se rend chez son père, qui vit dans une petite bicoque. Ivre, le père se renseigne sur les amours de son fils. Parmi ses avertissements : " Un enfant, c'est vite arrivé. Je suis bien placé pour le savoir. " Noi repart. Il tire à la carabine sur des stalactites géantes dans les environs de la ville. Le soir, il remplace son père au volant de son taxi. Noi découvre dans la voiture un magnétophone et des cassettes. De passage à la station-service, il prend un verre avec Iris. Le père d'Iris entre dans le bar et fait fuir Noi qui poursuit sa tournée en taxi. De retour chez sa grand-mère, il se réfugie dans son petit réduit.

Le lendemain, en classe, Noi s'est fait remplacer par le magnétophone qu'il a trouvé dans le taxi. Le professeur enrage. Tandis que chez lui, Noi fait des crêpes et que sa grand-mère s'essaie à la polka finlandaise, le professeur se rend chez le directeur et demande le renvoi de Noi. A la maison, Noi renverse un baquet de sang frais sur son père et sa grand-mère alors qu'il tentait d'aider à préparer le repas. Au crépuscule, Noi rejoint Iris. Ils entrent par effraction dans le musée d'histoire naturelle où ils échangent un baiser au milieu des animaux empaillés. Repérés, ils se cachent dans une cave où se trouve une gigantesque carte du monde. Iris et Noi choisissent au hasard un point de fuite rêvé : Hawaï.

Le lendemain, Noi fête son anniversaire avec sa grand-mère. Elle lui offre une petite visionneuse rouge dans laquelle apparaissent Hawaï et son horizon d'azur. A l'école, Noi apprend son renvoi. . Sur une rive, Noi lance des pierres vers un arc-en-ciel qui s'étend à l'horizon. Le soir, il va annoncer son renvoi à son père, qui vient de détruire à coups de hache son piano désaccordé. Apprenant la nouvelle, il explose : violente dispute entre Noi et son père qui se battent en roulant au sol. Mais les deux finissent par s'embrasser et décident de partir ensemble dîner au restaurant. De leur table, Noi et son père se déplacent vers le bar ; après une dispute avec le serveur, le père décide de s'essayer au karaoké ; il chante tandis que Noi se fait violemment renvoyer de l'établissement pour avoir tenté de mettre de la vodka dans son jus d'orange. Amoché, Noi part retrouver Iris. Il monte sur le toit de la librairie mais c'est le père d'Iris qui le découvre. Alors qu'ils prennent un café et que le bouquiniste tente de le convaincre de ne plus approcher Iris, cette dernière arrive. Elle invite Noi à dormir dans le salon sous le regard médusé de son père. Iris borde tendrement le lit de fortune qu'elle a préparé pour Noi.

La grand-mère de Noi demande à un garagiste de reprendre sa pratique de la voyance pour déterminer l'avenir de son petit-fils. A la maison, Noi rêvasse. Son père vient le réveiller pour lui annoncer qu'il lui a trouvé un emploi au cimetière municipal. Noi s'y rend. Son patron, qui communique avec lui par talkie walkie, lui demande de trouver une tombe. Noi doit ensuite creuser de larges trous dans un sol gelé. Las, il profite de sa pause déjeuner pour téléphoner à Iris.

Malgré les remontrances d'Iris, Noi se rend chez le voyant. Celui-ci prédit un événement funeste. Noi repart au cimetière terminer son travail. Mais le temps est venu de passer à l'action. Après un braquage manqué à la banque du coin, il vide son compte, s'achète un costume et vole une voiture. Il passe chercher Iris à la station-service mais celle-ci refuse de le suivre. Noi s'enfuit alors, mais la voiture s'enlise au bout de quelques kilomètres. Après avoir tenté de s'échapper à pieds, Noi est rejoint par les policiers. Le père vient chercher Noi dans sa cellule et le ramène en silence chez sa grand-mère.

De retour chez lui, Noi se réfugie dans son réduit. A l'extérieur, la grand-mère, le père, le directeur de l'école et Iris qui entendent un bruit off menaçant. Un terrible vacarme plonge le réduit dans l'obscurité. Apres un long moment de noir, Noi, coincé, appelle à l'aide et s'endort à la lumière d'un briquet. Enfin, des pompiers viennent le libérer : Noi apprend qu'une énorme avalanche a recouvert la ville. A la télévision, les portraits de victimes apparaissent : Iris, son père, sa grand-mère et ses plus proches amis. Noi part rechercher la petite visionneuse dans les décombres. L'une des diapositives de Hawaï s'anime et le son des vagues chaudes monte à l'écran.

La dramaturgie de ce drame de l'adolescence s'articule en trois phases distinctes : la description simple du quotidien de Noi, un personnage inadapté à son milieu ; l'intrusion d'un événement majeur en la personne d'Iris, la jolie fille du libraire ; l'épuisement enfin de toutes les hypothèses de fuite, jusqu'au paroxysme de la grande scène finale d'avalanche. Le ton volontiers burlesque sur lequel est abordée la difficile situation de Noi est contrebalancé par l'importance symbolique du décor. Coincé dans un pays de neige, Noi tente de fuir hors de ce monde glacé qui le dévore. La rencontre avec Iris change un temps la donne et leur premier baiser au milieu des animaux est une image de conte merveilleux. Devant le refus d'Iris de le suivre, c'est pourtant seul que Noi tentera la fuite. L'ailleurs longtemps inaccessible, matérialisé par un cliché de carte postale (une plage hawaïenne), finira néanmoins par s'animer sous nos yeux, laissant entendre que Noi l'a transformé en réalité.

Un quotidien sans issue traité sur le mode burlesque

Noi, enfant non désiré, laissé à la garde de sa grand-mère par un père cyclothymique et alcoolique ne peut non plus se faire des amis ou même se laisser guider par ses professeurs de part une intelligence qui l'éloigne des préoccupations des autres. Si l'on excepte la tanière qui le sauvera, seule la boutique du bouquiniste qui lit Sören Kierkegaard (1813-1855), est un lieu protecteur. Mais la lecture des aphorismes initiaux de Ou bien… Ou bien… publié en 1843 par le philosophe danois considéré comme un précurseur de l'existentialisme, ne constitue un guide pour lui " Marie-toi, tu le regretteras ; ne te marie pas, tu le regretteras. (…) Ris des folies de ce monde, tu le regretteras ; pleure sur elles, tu le regretteras aussi. (…) Pends-toi, tu le regretteras ; ne te pends pas, tu le regretteras aussi. "

La scène où Noi remplace son père au cours d'une nuit pour se transformer en chauffeur de taxi renvoie également aux errances mélancoliques en circuit fermé dont le cinéma américain s'est fait une spécialité entre Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) à Collateral (Michael Mann, 2004).

Ce quotidien sans issu et désespéré est traité sur le mode burlesque : la grand-mère au fusil, la machine à sous détraquée, la leçon de français sur la mayonnaise qui ne prend pas, le baquet de sang renversé, le remplacement de Noi par un magnétophone ou le braquage refusé sont autant de grandes scènes burlesques

Elles installent ces personnages décalés ou déclassés dans un climat d'apesanteur poétique lent et vaporeux accentuant l'enferment que l'on retrouve chez Jim Jarmush ou Aki Kaurismaki avec des mouvements d'appareils réduits et des dialogues parcimonieux. Car la progression dramatique est, elle, sans concession.

Le rêve d'amour et de départ avec Iris point central du film est placé sous le signe de l'étrange et du poétique avec le baiser au musée d'histoire naturelle au milieu des animaux empaillés et le point de fuite trouvé vers Hawaï.

Cependant au plan avec le point lumineux désignant Hawaï succède celui des nuages venant recadrer le fjord vu au début. Ceci n'annonce rien de bon quant à la suite. Noi, qui vient de trouver une motivation pour ses études, est en effet renvoyé du lycée à la demande du professeur de mathématiques. Il ne lui reste plus qu'à jeter des pierres sur l'arc-en-ciel au-dessus de la mer tout comme il tirait à la crabine sur les stalactites du glacier pour exprimer sa rage de ne pouvoir être en adéquation avec la beauté du monde. La tonalité funèbre de la seconde partie du film est ensuite accentuée par le travail au cimetière, la prémonition de mort soudaine, le pitoyable braquage de la banque et le vol de la voiture finalement stoppée par la neige autant que par la police.

L'utilisation psychologisante du décor et du physique de l'acteur

Le film s'ouvre par un plan fixe du fjord de Bolungarvik, au nord ouest de l'islande une image bleutée qui rend compte du froid et de la solitude de l'isolement et de l'ennui du personnage principal. Prisonnier de son environnement, la route balayée par un vent glacial ne lui laisse guère d'opportunité de départ.

La neige s'est accumulée devant la maison. Noi la déblaie courageusement pendant que la grand-mère essaie étrangement de la faire fondre. Noi sera ensuite aveuglé par la neige dans le cimetière puis piégé par elle au moment de fuir. Jamais synonyme d'espoir, la neige renvoie à la mort qui attend l'adolescent s'il est incapable de fuir. Seule l'avalanche terrible lui permettra, peut-être d'atteindre l'extrême opposé du monde de glace de solitude et de neige : Hawaï et sa plage.

Noi n'est pas techniquement un albinos mais son crâne rasé et son visage glabre en font une sorte d'archétype du monde froid et glacé de l'Islande. Cette apparence physique n'a évidemment rien à voir avec l'intériorité de Noi faite de gentillesse, de compréhension et d'amour. Il, déploie ces qualités envers Iris bien sûr mais aussi envers ceux qui l'entourent, pourtant souvent irresponsables et même les animaux (il nourrit le chat de père, prend soin des lapins de l'école et joue avec la mouche sans l'écraser). C'est un autre monde avec l'hawaïen bon vivant et chevelu, enfin en adéquation et la plage ensoleillée, qui l'attend peut-être. S,i ce qui avait été vu au travers de la visionneuse était restée au plan fixe inanimé, on aurait conclu à un simple rêve impossible. Le fait que le réalisateur prenne la peine de présenter un long plan de la réalité de la plage où les vagues s'animent dit sans doute que, paradoxalement, l'avalanche oblige à aller chercher une vie plus heureuse et dense ailleurs... Comme un message désespéré à la jeunesse islandaise.

Jean-Luc Lacuve le 15/11/2013.

Bolungarvick à 500 kilomètres au nord-ouest de Reykjavik

 

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Genre : Drame de l'adolescence

Avec : Tómas Lemarquis (Nói), Leó Gunnarsson (Kiddi Beikon), Elín Hansdóttir (Íris), Anna Friðriksdóttir (Lína), Hjalti Rögnvaldsson (Óskar), Gérard Lemarquis (le professur de français). 1h22.

 
Thème : La neige