Les adieux à la reine

2012

D'après le roman de Chantal Thomas. Avec : Léa Seydoux (Sidonie Laborde), Diane Kruger (Marie Antoinette), Virginie Ledoyen (Gabrielle de Polignac), Julie-Marie Parmentier (Honorine), Lolita Chammah (Louison), Marthe Caufman (Alice), Xavier Beauvois (Louis XVI), Noémie Lvovsky (Mme Campan), Michel Robin (Jacob Nicolas Moreau), Vladimir Consigny (Paolo), Jacques Boudet (M. De La Tour Du Pin), Martine Chevallier (Mme De La Tour Du Pin), Jacques Nolot (Monsieur de Jolivet). 1h40.

14 juillet 1789. Il est six heures et Sidonie Laborde est réveillée par la pendule à carillon de M. Janvier ou par les piqures de moustiques qui couvrent ses bras. Louison, sa camarade qui loge dans la chambre d'à côté, veut voir cette merveilleuse pendule et veut lui raconter sa coucherie de la nuit. Mais cela n'intéresse pas Sidonie qui doit se dépêcher de rejoindre le petit Trianon où la reine l'attend.

Devant la cour du château de Versailles, on chasse les sans-logis et la garde royale entre dans le château (générique).

Louison passe chez son amie, Alice, servante de la pauvre madame Debargue, cocufiée par son mari, pour se parfumer à la violette. Alice lui exhibe facétieusement un des rats qui courent dans le château.

Sidonie court à perdre haleine vers le petit Trianon si bien qu'elle chute dans la cour. Elle est la lectrice de Marie-Antoinette. Mme Campan, la camériste de la reine, la réprimande pour son retard mais s'enquière surtout des lectures qu'elle va proposer à la reine. Elle lui conseille Bossuet plutôt que Marivaux. Marie-Antoinette, que Bossuet ennuie, préfère le choix de Sidonie. Plutôt que le roman La vie de Marianne, Marie-Antoinette argue de son goût du théâtre pour envoyer Sidonie chercher Félicie, la pièce en un acte de Marivaux dans la bibliothèque. Toutes deux jouent les rôles d'Hortense et Félicie jusqu'à ce que Marie-Antoinette remarque que sa lectrice est importunée par ses boutons de moustiques. Elle envoie Mme Campan chercher de l'huile de bois de rose et la soigne tendrement. Elle lui demande ensuite la lecture de magazines de mode. Elle s'entiche de se faire broder un dahlia et fait venir pour cela sa suivante chargée des costumes qui lui apporte son "livre des atours" afin de choisir le tissu de sa nouvelle robe. Sidonie s'éclipse.

Dans le grand bassin de Versailles, Sidonie s'est offert une virée en gondole sous la conduite de Paolo qui lui chante une chanson d'amour et se vente de ses relations intimes avec la duchesse de Polignac, la courtisane préférée de Marie Antoinette.

Sidonie aide son amie Honorine à terminer la tapisserie que Mme De La Tour Du Pin, dont elle est la servante, n'a pu finir. Honorine apprend à Sidonie la traduction du mot italien lancé par Paolo: "Verge".

Le soir, deux curées emmènent du bon vin et c'est la fête chez les jeunes caméristes Sidonie, Honorine, Alice et Louison.


15 juillet 1789. La nouvelle que le roi a été réveillé dans son sommeil à deux heures du matin effraie toute la cour. Sidonie se promet de prendre des renseignements chez M. Moreau. Mme Campan lui présente Mme Bertin qui a besoin d'elle pour broder le dahlia demandé par la reine. Sidonie accepte de faire ce travail mais exige l'anonymat. Elle refuse un paiement mais veut en échange de son travail connaitre la cause de cette agitation. "Le peuple a pris la Bastille" lui murmure à l'oreille Mme Bertin. Sidonie s'en va ensuite voit M. Moreau, le mémorialiste de la cour qui lui explique comment les mutins ont pris les armes, attaqué la Bastille, coupé la tête du gouverneur ... et délivré sept prisonniers.

Honorine n'a pas plus d'informations car M. et Mme de la tour du Pin parlent en anglais. Les deux jeunes filles voient le roi sortir dans la cour. Elles descendent l'observer. Grâce à Louison et à son ami Gustave qui lui fait passer le barrage des gardes suisses, Sidonie écoute le discours du roi, très applaudi.

Le soir, Sidonie brode son dahlia. Alice vient l'inviter à diner mais elle refuse et emmène les deux bouchées à la reine à Moreau afin d'avoir son avis sur les événements de la journée. Moreau s'amuse de sa ferveur pour la reine : "si jeune et déjà aveugle". Il la conduit ensuite dans les couloirs du château. Ils y rencontrent le vieux marquis de Vaucouleurs et Monsieur de Jolivet. Sidonie s'endort et se réveille en sursaut. Elle voit de nouveau le vieux marquis de Vaucouleurs et Monsieur de Jolivet abasourdis devant le pamphlet des 286 têtes à couper exigées par les révolutionnaires pour sauver la France. Sidonie trouve Moreau fin saoul dans les escaliers qui lui annonce que Paolo la cherche. Sidonie se donne à lui dans une petite pièce quand elle est interrompue par Alice qui l'informe que la reine la cherche. Sidonie plante là Paolo.

Sidonie court à perdre haleine dans le long couloir du château si bien qu'elle chute de tout son long. Madame Campan l'a fait chercher afin qu'elle prépare une liste de dix livres à emmener en voyage. Avec Mme de Rocaiguille, elle prépare en effet les affaires de la reine qui veut quitter le château. Quand Mme Campan amène la liste des dix noms à Marie-Antoinette celle-ci demande à voir Sidonie. Elle est flattée du dévouement absolu de Sidonie et lui demande de consulter les cartes afin de lui indiquer le meilleur chemin jusqu'à Metz. Puis elle lui fait fermer la porte et lui fait confidence de son amour pour l'indépendante Gabrielle de Polignac. Sidonie, voyant à quel point elle souffre d'être séparée de celle qu'elle aime, promet de ramener Gabrielle bientôt. Sidonie parvient à forcer le barrage de Mme Tournan, la femme de chambre de Gabrielle et à pénétrer dans la chambre de celle-ci. Gabrielle dort sous l'effet de l'opium et Sidonie revient penaude auprès de la reine qui lui en veut de son échec et la rudoie de ne pas avoir trouvé l'itinéraire pour Metz. Alors qu'avec Mme Campan elle désosse ses bijoux, Marie-Antoinette demande à Sidonie qui sanglote de l'aider à ôter ses bracelets. Sidonie s'est endormie et est réveillée en sursaut par Louison qui s'en va faire l'amour avec Gustave.

16 juillet 1789. Sidonie est éplorée du départ de la reine mais ses amies l'informent que la reine reste à Versailles car le roi en a décidé ainsi. C'est ce que lui confirme Moreau, tout penaud de sa cuite de la veille. Et le roi se présente bien à la cour à 10h30 en compagnie des membres du gouvernement. Le comte d'Artois prie M. Moreau de ne noter dans ses archives qu'une sortie pour relever la température. Fendant la foule, Gabrielle de Polignac rejoint la reine et les deux femmes s'étreignent et s'éloignent. Sidonie rejoint Mme Campan qui lui demande de préparer une lecture pour la reine. Elles découvrent le tête à tête entre Marie-Antoinette et Gabrielle. Commencé plaisamment sur des jeux de mots sur la couleur verte, l'entretien prend une teinte tragique lorsque Marie-Antoinette, consciente du danger qui menace Gabrielle, ordonne à celle-ci de partir. Sidonie qui s'est cachée entre deux malles assiste aussi à l'entretien entre le roi et la reine.

Le soir Gabrielle finit de broder le dahlia et éprouve le besoin de se coucher tôt. Elle est réveillée en pleine nuit par Alice qui lui apprend que Mme Debargue s'est pendue. Elles se rendent chez M. et Mme de la tour du Pin non sans avoir croisé la reine errant seule dans les couloirs. Tous les nobles quittent le château.

17 juillet 1789. Louison s'est enfuie avec la pendule. Le roi se rend à Paris auprès de M. Bailli, le maire. Mme Campan prévient Sidonie de refuser la proposition que va lui faire la reine. Celle-ci lui enjoint de se faire passer pour Gabrielle qui fuira déguisée en bonne. La reine effleure les lèvres de Sidonie costumée en Gabrielle avec un dernier message d'amour pour celle-ci.

Sidonie provoque les paysans avec ses salut dans la calèche mais fait face courageusement aux soldats qui contrôlent son sauf-conduit et la laisse finalement passer. Mais Sidonie n'est plus qu'un fantôme : "Moi Sidonie Laborde, orpheline de père et de mère, j'étais la lectrice de la reine. J'obéis à la reine. Bientôt, je serai loin de Versailles ; bientôt je ne serai plus rien."


Avec Les adieux à la reine, Benoît Jacquot adapte le livre de la romancière et essayiste Chantal Thomas, (Prix Femina 2002) et revient après La vie de Marianne (1994), La fausse suivante (1999), Sade (2000) et Gaspard le bandit (2006), aux romans d'initiation se situant sous l'ancien régime.

L'amour fou sous les dorures de la cour

L'atmosphère empesée de la cour et l'étouffement des valeurs libérales est sans doute pour Benoît Jacquot un cadre propice pour faire surgir par contraste ces moments violents où le corps et l'esprit se révèlent dans toute leur force et leur pureté. Le moment historique de la révolution est aussi en phase avec la révolution intime qui s'opère en Sidonie qui apprend avec le même ravissement mêlé d'effroi ce qu'on lui révèle à l'oreille : la traduction en français du mot "verge" et "Le peuple a pris la bastille".

Difficile d'oublier ici les moments où Sidonie, chandelier à la main, dévoile de l'autre le corps de Gabrielle de Polignac en soulevant le drap qui la recouvrait à peine ou l'étreinte pleine de désir contenu qui réunit Gabrielle et Marie-Antoinette au milieu d'une cour qui semble peu se soucier des amours entre femmes. Marie-Antoinette semble elle-même découvrir la force d'un sentiment qu'elle ne nomme pas mais qu'elle avait reconnu avec Sidonie en lisant Félicie, la comédie en un acte de Marivaux ou en lui demandant plus tard si elle était la seule à éprouver une attirance violente pour une femme.

La violence de l'amour de Marie-Antoinette va jusqu'au sacrifice de celui-ci lorsque Gabrielle est menacée. Elle lui enjoint alors de partir. Gabrielle, qui aime moins, montre le même cruel détachement que la reine en manifeste à Sidonie. Celle-ci est néanmoins prête à tout pour celle qu'elle aime et accepte un exil synonyme de mort.

Apprendre qu'aimer un peu, c'est ne pas aimer

Sidonie cherche toujours plus d'explications au monde qui l'entoure afin de les mieux utiliser au service de son amour. Elle sait que si elle accepte d'être brodeuse, la reine, qui manque d'excellentes ouvrières, cessera de lui accorder ses moments privilégiés de lecture. Elle cherche à soutirer des informations sur un possible voyage de la reine et, pour cela, interroge Jacob Nicolas Moreau, le mémorialiste de la cour.

Cette connaissance, pour utile qu'elle soit, est néanmoins balayée par les grands évènements de la vie. Le plus de connaissance possible laisse en creux l'ignorance la plus absolue sur soi-même. Moreau le sait bien qui accepte d'écrire à la demande du comte d'Artois que le roi est parti se promener et non a reçu les membres du gouvernement pour préparer la journée du lendemain. Il accepte modestement pourtant de continuer sa vie en prenant des notes. Il fera l'expérience d'une ivresse violente qui, s'il avait été ainsi découvert par le roi, aurait anéanti une vie d'efforts. Cette séquence prend place dans la folle nuit du 15 juillet où la caméra suit en longs plans séquences les errances de Sidonie et Moreau au milieu des fantômes que sont devenus les nobles apeurés et fuyants. Lorsque l'on retire les glaces de la galerie du même nom, il n'y a plus rien pour se renvoyer une image de soi-même qui fasse encore tenir debout. La femme trompée que sert la jeune Alice se suicidera la nuit suivante.

Sidonie aime tant qu'elle ne se préoccupe pas de savoir si elle aime. C'est ce que lui fait remarquer Moreau. Ses deux courses pour rejoindre la reine sont émaillées d'une chute, métaphore de l'oubli de soi. Cette oubli de soi est parfois léger ainsi la joyeuse gaité insouciante qui suit l'arrivée des deux abbés avec leur vin et leurs desserts. Mais, bien plus profondément, il est un cruel réveil (plusieurs scènes d'endormissement et de réveil brutal), la contrepartie d'un amour non partagé : Sidonie restera belle et abandonnée comme le petit dahlia rose qu'elle a anonymement donné à la reine : à peine reçu, à peine regardé.

Un film plus contemporain qu'il n'y parait

C'est dans cette terrible séquence qu'est mise en scène avec le plus d'acuité la violence politique qui redouble la violence amoureuse. Là où Les adieux de madame de Polignac, pamphlet politique, viennent faire écho au drame romanesque vécu par l'héroïne. Dans sa chambre royale et non plus au petit Trianon, s'affiche derrière Marie-Antoinette le portrait que Joseph Ducreux fit d'elle à treize ans alors que l'on négociait son mariage avec Louis XVI. Il est resté quelque chose de l'enfant cruel dans l'attitude actuelle de la reine qui peut user de son pouvoir pour sacrifier, certes avec son consentement amoureux, Sidonie. Car aux plans de la reine avec le tableau dans la profondeur de champ s'opposent ceux de Sidonie avec la seule lumière blanche de la fenêtre derrière elle qui redouble la blancheur de sa chemise et celle de sa peau, voir des larmes qui coulent de son visage.

Ces champs-contrechamps disent l'amour non partagé tout comme les longs balayages plusieurs fois répétés droite-gauche et gauche-droite sur les visages de Marie-Antoinette et Gabrielle disaient, la veille, le dernier moment de complicité amoureuse entre les deux amantes. D'autant plus violente était alors la séparation amorcée avec le gros plan sur le visage de Gabrielle soudain debout, saisi en longue focale rendant l'arrière plan flou puis continuée avec une dernière étreinte, rendue plus dramatique par l'entrée brusque dans le champ de Marie-Antoinette alors que Gabrielle était cadrée en plan plus large.

Les sans-abris délogés avant le générique, la remarque de madame Tournan sur les loups qui vont venir de la ville si le pain manque et la lâche panique des favoris de la cour dès que la menace approche n'étaient qu'une toile de fond. Sidonie sera bien plus gravement punie, exilée de force par le pouvoir politique de celle qu'elle aime et à laquelle elle avait tout donné : "Moi Sidonie Laborde, orpheline de père et de mère, j'étais la lectrice de la reine. J'obéis à la reine. Bientôt, je serai loin de Versailles ; bientôt je ne serai plus rien."

Jean-Luc Lacuve le 23/03/2012

 

Les adieux de madame la duchesse de Polignac
aux français (1789)
 
Marie-Antoinette à la rose
Élisabeth Vigée Le Brun, 1783
Portrait de la duchesse de Polignac
Élisabeth Vigée Le Brun, 1782