Remorques

1941

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Avec : Jean Gabin (André Laurent), Madeleine Renaud (Yvonne Laurent), Michèle Morgan (Catherine), Charles Blavette (Gabriel Tanguy), Jean Marchat (Le capitaine du 'Mirva'), Nane Germon (Renée Tanguy), Jean Dasté (Le radio), René Bergeron (Georges). 1h31.

Alors qu'il assiste à la noce de l'un de ses marins, la capitaine du remorqueur "Le Cyclone", André Laurent doit partir au secours du "Mirva", laissant sa femme, Yvonne, et la mariée. Celle-ci découvre qu’Yvonne souffre d'être séparée trop souvent de son mari et est atteinte d'une maladie du cœur.

Sur le bateau en péril, les marins n'apprécient pas la conduite de leur capitaine. Il préférerait couler et obtenir l'argent de l'assurance pour la cargaison et les marins noyés. Sa femme Catherine qui l a percé à jour pour vouloir la garder à tout prix, préfère fuir en canot sur le cyclone avec les marins.

Le navire est sauvé de justesse. Au matin, le "Cyclone" remorque le "Mirva", mais en vue du port, le capitaine de ce dernier brise la remorque (le filin de remorquage) et rentre seul au port afin de ne pas payer la moitié de la cargaison due. Laurent ramène sur le "Mirva", Catherine, la femme du capitaine et corrige celui-ci. Laurent retrouve Yvonne qui rêve qu'il arrête ce métier. Il tente de convaincre Tanguy de quitter sa femme qui le trompe ouvertement. Mais des le retour de celle-ci, qui ment effrontément, il  se réconcilie avec elle.

André Laurent reçoit une invitation de Catherine qui le reçoit dans son hôtel et lui offre de témoigner. Troublé, André Laurent, voudrait que la compagnie intente un procès avec au capitaine du Mirva mais l'administrateur refuse car cela pourrait nuire à la réputation des sauveteurs. Laurent propose de démissionner mais le remorqueur serait vendu et l'équipage renvoyé. Il renonce et retrouve Catherine sur la plage du Vougot. Il l'emmène visiter une maison déserte et, là, découvre qu'il l'aime.

Pendant ce temps, son équipage est à sa recherche mais il arrive trop tard pour repartir en mer au secours d'un voilier qui fera une belle prise pour le Hollandais, leur concurrent. Yvonne, minée par une maladie de cœur, lui fait une telle scène qu'il part se réfugier sur son "Cyclone". Ne pouvant supporter cette situation, il retrouve Catherine et lui propose de partir avec elle. Elle refuse, ne voulant pas construire son bonheur sur le malheur d'une autre. André, appelé en urgence, assiste à l'agonie de sa femme qui attendait ses quelques mots de tendresse avant de mourir. Désespéremment seul, Laurent doit reprendre immédiatement la mer après un appel de détresse du Hollandais, leur concurrent.

Le film Remorques rend hommage aux capitaines de remorqueurs, particulièrement ancrés dans la vie brestoise depuis le commandant Louis Malbert qui fut, avec le remorqueur Iroise, le précurseur du sauvetage et de l'assistance en haute-mer. Les exploits du remorqueur Iroise et de son équipage inspirèrent Roger Vercel pour son roman Remorques. Le film met en valeur la rade et ce caractère maritime brestois.

Un trio d'acteurs

À l’instar du Quai des brumes (Marcel Carné, 1937) de La bête humaine (Jean Renoir) et du Jour se lève, Remorques contribua à façonner la légende de Gabin. Il a ici les traits, le tempérament du Breton, taciturne, fermé. Il correspond au discours du Docteur Maulette pour les noces de Poubennec  : "Un mariage de marin, ce n'est pas un mariage comme les autres, car, comme l'a dit le poète, chaque marin a deux femmes, la sienne et puis la mer, mais, mesdames, ne soyez pas jalouses, la mer n'est pas méchante, même quand elle est mauvaise, et tant qu'ils sont avec elle, vos maris vous restent fidèles". D'abord solide capitaine, attentif aux autres, il réprouve ainsi l'adultère de Legal avec la femme de Tanguy. Laurent apparaît ensuite à la fois émerveillé et déchiré par la naissance d’un nouvel amour puis irrémédiablement seul quand il descend les escaliers du cours Dajot à Brest dans la nuit pour rejoindre Le Cyclone.

Yvonnes perce à jour son mari :"Tu as les yeux qui brillent comme lorsque tu as eu Le Cyclone : tu ne jurais que par L'Albatros mais quand on t'a confié Le Cyclone, tout neuf, tu l'as vite oublié".

"Elle a de beaux yeux, tu sais" dit le Capitaine Laurent à Poubennec en lui ramenant sa femme avec qui il a ouvert le bal". C'est une manière pour Prevert d'annoncer, par la célèbre phrase de Quai des Quai des brumes (Marcel Carné, 1937), la prochaine entrée en scène de Catherine jouée par Michèle Morgan. Catherine est déterminée : elle veut quitter son mari et prend le risque de sauter en canot en pleine tempête, elle veut faire l'amour avec Laurent dans la maison face à la mer et elle décide de le quitter pour ne pas devoir son bonheur à la souffrance d'Yvonnes. Elle est aussi un peu fleur bleue avec l'étoile de mer ramassée sur la plage avec André et le prénom, Aimée, qu'elle s'est choisi pour ne pas correspondre à la Catherine dont tous attendent qu'elle se comporte bien.

La musique, le vent, la mer

La bande son alterne modernité et archaïsme. La séquence du Cyclone en pleine tempête est accompagnée d'une musique obsédante et syncopée dans laquelle viennent se mêler le bruit des paquets de mer et les chocs métalliques de la machine du remorqueur. C'est assez proche des tentatives des futuristes ou de ce que tentera Pacific 231 (Jean Mitry, 1949) en combinant une symphonie avec le bruit d'une locomotive. En revanche la musique finale déplu à Jacques Prévert qui avait revu le scénario de Charles Spaak et André Cayatte et écrit les dialogues. C'est en effet une musique religieuse qui accompagne des paroles rappelant La prière de la délivrance issue des Merveilleuses prières à Marie et à son fils Jésus-Christ notre sauveur : "Que la blanche armée des martyrs t’accompagne en triomphe (..) que l’assemblée des patriarches t’élève à une grande espérance. Délivrez Seigneur, délivrez l’âme de votre servant, délivrez la comme vous avez délivrez Isaac de la main de son père comme vous avez délivré Moise des mains du pharaon comme vous avez délivrez Daniel de la fosse aux lions ; afin que tu ne connaisses pas l’horreur des ténèbres ; afin que tu te réjouisses dans la douceur du repos; que tes yeux découvrent la vérité sans voile dans la solitude."

Un tournage compliqué

Le tournage du film débute à Brest et à Guissény sur la plage du Vougot en juillet 1939 pour une quinzaine de jours d'extérieurs. Pour ces scènes en extérieur, Michèle Morgan, retenue par le tournage d'un autre film, Les Musiciens du ciel de Georges Lacombe, ne peut se libérer que trois jours, juste le temps de tourner la scène centrale du film, sur la plage du Vougot. De retour à Paris, l’équipe reprend le travail le 11 août 1939 aux studios de Billancourt pour les scènes d'intérieur. Le tournage est très vite interrompu le 3 septembre 1939 en raison de l'entrée en guerre de la France et de la mobilisation de Gabin et Grémillon.

Le tournage d'un film de mer et de marins est souvent un cauchemar pour les producteurs et le réalisateur, Remorques n'échappera pas à la loi du genre : La production a pris le gros risque financier d'affréter un vrai remorqueur de haute mer et un cargo, le pétrolier de la marine nationale Dordogne figure le Mirva, mais la météo (exceptionnellement clémente alors que le scénario prévoit des scènes de tempête), puis la défaite de 1940 et le bombardement de Brest compliquent gravement la situation.

Finalement, les plans larges du remorqueur en pleine tempête sont réalisés à l'aide de maquettes aux studios de Billancourt, alors que les plans des hommes embarquant la remorque sur la plage arrière sont bien filmés à bord d'un vrai navire mais par un temps plutôt clément.

En avril 1940, le tournage reprend brièvement avant la Blitzkrieg, pour vingt-cinq jours, grâce à une permission exceptionnelle accordée à Gabin et Grémillon, ainsi qu'à d'autres membres de l'équipe. Celui-ci est de nouveau interrompu en juin 1940 avec le début de l'occupation. Faute de temps, certaines scènes ne seront pas réalisées, imposant des ellipses dans le montage. Quand les Allemands sont sur le point d'entrer dans Paris, le producteur Joseph Lucachevitch s'embarque pour les États-Unis. Louis Daquin, l'assistant réalisateur, et le monteur Marcel Cravenne emportent les bobines pour les mettre en lieu sûr dans le Midi de la France.

Le tournage se termine finalement dans les studios de Boulogne durant le printemps et l'été 1941, quand Jean Grémillon est démobilisé. Entretemps, Michèle Morgan, puis Jean Gabin ont eux aussi rejoint les États-Unis. Leur présence n'est heureusement pas indispensable aux quelques scènes restant à tourner. La dernière image est enregistrée le 2 septembre 1941. Jean Grémillon, qui a pu récupérer les bobines dispersées lors de la débâcle (à Marseille, Pau et Billancourt), a déjà entrepris le montage. Le film sort en salle le 27 novembre 1941. Le film est interdit aux moins de 16 ans.

Jean-Luc Lacuve, le 25 avril 2023