Cendrillon

1950

(Cinderella). Réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske d'après le conte de Charles Perrault. Avec les voix de : Ilene Woods (Cendrillon), Eleanor Audley (Lady Tremaine). 1h14.

Dans un royaume lointain, tout en haut d'une tourelle, Cendrillon se réveille avec le chant des oiseaux. Domestique au sein de sa propre maison, elle doit répondre aux caprices de ses deux demi-soeurs Javotte et Anastasie et subir la méchanceté de sa marâtre. De plus, Lucifer, le chat de cette dernière, profite de la condition servile de Cendrillon pour lui jouer des tours pendables et lui rendre de ce fait la vie aussi dure que son défunt père lui souhaitait douce. Pourtant, Cendrillon trouve un refuge salvateur dans l'amitié qu'elle entretient avec les oiseaux qui nichent sous le toit et les souris qui hantent les murs de la maison. Ainsi Jack et Gus, deux petites souris malicieuses, animent et apportent un peu de gaieté dans le triste quotidien de Cendrillon.

A l'autre bout du royaume, au palais, le roi, lassé de se voir sans petits enfants, organise un bal en l'honneur de son fils. Il espère, de cette manière, que toutes les jeunes filles à marier du royaume seront présentes et que l'une d'elles séduira le prince héritier. Des missives sont donc envoyées dans toutes les maisons de la haute société. Une des lettres arrive ainsi, tout naturellement, chez la marâtre. Javotte et Anastasie voient là la chance de leur vie mais quand Cendrillon fait valoir le fait qu'elle aussi fait partie de la famille, elles ne peuvent envisager de voir leur " bonne " participer à ce bal. Sa marâtre ne peut pourtant nier l'évidence mais elle ne lui accordera cette faveur que si tout son travail est fait. Cendrillon ravie, se précipite pour confectionner sa robe mais à peine a-t-elle eu le temps de choisir le modèle que les ordres pleuvent, ne lui laissant aucun moment pour se préparer. Aussi, quand l'heure du départ arrive, Cendrillon ne peut venir faute de robe décente. Heureusement ses amis Jack et Gus, aidés de toutes les petites souris de la maison ainsi que des oiseaux, confectionnent la robe tant désirée avec les vêtements abandonnés par les deux soeurs un peu plus tôt dans l'après-midi. Cendrillon se précipite alors pour rejoindre Javotte et Anastasie qui reconnaissent, pour l'une son collier, pour l'autre sa ceinture. Et sans retenue, elles récupèrent leur bien et ruinent au passage le travail des petits animaux. Elles laissent ainsi Cendrillon en guenilles et partent pour le bal. Cette dernière, écoeurée par tant de méchanceté, s'enfuit au fond du parc attenant à la maison. Dans une volute d'étoiles apparaît alors sa marraine la bonne fée qui lui sèche ses larmes et lui affirme qu'elle ira au bal. En effet, avec un peu de magie, une citrouille, quatre souris, Pâteau le chien, et le cheval de la maison, Cendrillon se retrouve avec un carrosse, quatre chevaux, un valet de pied et un cocher. Enfin sa marraine, du bout de sa baguette magique, l'habille d'une magnifique robe de bal. Pourtant Cendrillon doit rentrer avant le douzième coup de minuit car à ce moment là le charme se rompra et tout disparaîtra.

Cendrillon part donc pour le palais royal. Sur place, l'assemblée est subjuguée par tant de grâce et de beauté mais personne n'est capable de dire qui elle est. Même sa marâtre et ses demi soeurs ne la reconnaissent, et c'est sans le savoir que Cendrillon passe la soirée à danser avec le Prince qui est sous le charme de la belle inconnue.

Mais minuit sonne et Cendrillon, pressée par l'horloge, s'enfuit. Dans sa course, elle perd une de ses pantoufles de verre, qu'elle ne peut récupérer faute de temps. Heureusement, elle s'échappe avant que le charme ne soit rompu; sa marraine la bonne fée lui laissant, comme souvenir, la deuxième pantoufle de verre. C'est donc, le coeur plein de rêves, que Cendrillon retourne à sa vie de servante.

Le lendemain pourtant, tout le royaume est en ébullition car le Prince éperdument amoureux, jure d'épouser la jeune femme qui pourra chausser la pantoufle de verre retrouvée la veille. Ainsi Javotte et Anastasie veulent que Cendrillon les prépare pour l'arrivée du Duc chargé de faire essayer la pantoufle. Mais Cendrillon, découvrant que son cavalier n'était autre que le Prince, repense à sa soirée et néglige les ordres. Sa marâtre comprend alors que Cendrillon et l'inconnue du bal ne font qu'une et enferme sa belle fille dans sa chambre, afin de l'empêcher d'essayer la fameuse pantoufle de verre. Mais Jack et Gus réussissent à récupérer la clef qu'ils rapportent à la captive et ce, malgré Lucifer qui tente de les en empêcher. Il mourra en tombant de la fenêtre.

Enfin, alors que le Duc allait partir - Javotte et Anastasie n'ayant pas réussi à enfiler la pantoufle - , Cendrillon demande à son tour de l'essayer et bien que la marâtre, avec sa canne, fasse tomber le préposé à la pantoufle qui se casse dans la chute, Cendrillon sort la deuxième laissée en souvenir par sa marraine qu'elle essaye avec succès. Ainsi Cendrillon est reconnue comme étant la bien aimée du Prince. Ensemble, ils se marient et partent à bord d'un carrosse vers un futur sans nuage.

Depuis le succès surprise de Blanche Neige et les sept nains qui consacra Walt Disney , l'entreprise, devenue depuis une "major", peine à rebondir après ce premier film. En effet, malgré quelques adaptations qui suscitèrent un enthousiasme moindre (Pinocchio en 1939, Bambi en 1942) ; Dumbo en 1941; des films mêlant prise de vues réelles et animations (Mélodie du sud en 1946 par exemple); le film expérimental de 1940 qu'est Fantasia ou enfin des films que nous pourrions appeler "package" (des films regroupant quelques courts ou moyens-métrage tel Saludos amigos en 1942), Disney n'arrive pas à engendrer un phénomène à l'image de celui de Blanche Neige. De plus, il se désintéresse de l'animation même pour se consacrer d'avantage à des projets innovant comme celui d'un parc d'attraction fondé sur ses films.

Disney commence alors à avoir des difficultés financières qu'il ne pourra résorber si son prochain long métrage n'est pas un succès. C'est ainsi que sort en 1950 Cendrillon construit sur les mêmes principes que Blanche Neige. En effet en en reprenant la construction narrative, Disney s'assure, si ce n'est le soutien de la critique, au moins celui du public. Et en effet, Cendrillon répond aux attentes de son producteur mais aussi du public, qui depuis Blanche Neige, n'avait pas été aussi enchanté. Enfin la reconnaissance est de nouveau au rendez-vous...

Pourtant, encore une fois, la création ne fût pas simple, car avec un Disney moins présent dans le processus de fabrication, mais avec la pression de ne pas avoir le droit à l'erreur, l'enjeu était effectivement de taille. Néanmoins Disney savait ce qu'il faisait car il délégua toute la partie conceptuelle aux neuf mythiques animateurs de la maisons, ceux là même qui participèrent à la création de la " touche Disney " et ce bien avant Blanche Neige.

Plane donc sur le projet l'ombre de la grande soeur modèle et Cendrillon se doit d'être aussi réaliste que Blanche Neige. C'est pourquoi certaines scènes clefs ont été préalablement jouées par de vrais acteurs et photographiées pour que les animateurs n'aient plus qu'à les décalquer et les transposer dans le contexte du film. Cette méthode permet de pousser le réalisme à son paroxysme et de faire ainsi de Cendrillon le film d'animation le plus réaliste de l'époque. Il fallait pourtant que le film reste un divertissement et qu'il marque sa spécificité de dessin animé. Ainsi, comme les nains dans Blanche Neige, les animaux, les soeurs, le roi et son conseiller sont des personnages qui descendent directement de la tradition du cartoon ce qui permet à l'histoire de prendre un aspect plus ludique, plus drôle. Le contraste entre les scènes romantiques est ainsi d'avantage mis en évidence; le va et vient entre les scènes comiques et les scènes plus intenses créant l'impression qu'il n'y a aucun temps mort.

Quant à la trame narrative elle même, elle est inspirée d'un conte de Charles Perrault qui, sans lui être fidèle, reste proche de l'histoire initiale. Nous entrons ici dans le débat sur l'éternelle question de l'adaptation d'une oeuvre littéraire, si celle-ci doit lui être fidèle ou si au contraire elle doit s'en démarquer pour mieux exister. Ici, la difficulté supplémentaire est de faire en sorte que le spectateur ressente l'aspect enchanté de l'histoire narrée tout en restant crédible à ses yeux. Car si chez Blanche Neige et les sept nains, la Reine est une vraie sorcière dont le rôle est primordial au sein de l'histoire, il en va différemment chez Cendrillon. En effet, le seul personnage féerique chez Cendrillon est sa marraine la bonne fée qui, contrairement à la Reine, apparaît quelques minutes seulement dans le film. Et s'il est vrai que sans elle, Cendrillon ne pourrait aller au bal, il n'en reste pas moins qu'elle a un rôle minime. C'est donc là toute la complexité de l'histoire car c'est cette seule scène qui en fait un conte, ou du moins un récit extraordinaire. Le challenge était alors de la rendre aussi puissante, aussi significative que la transformation de la reine dans Blanche Neige d'autant plus que rien avant n'annonce une telle scène et qu'après, rien ne la rappelle.

Disney savait que son film serait crédible car la recette avait déjà marché surtout grâce au réalisme de ses personnages (et ici avec le fameux travail sur photo). Enfin, l'enchantement a d'autant plus de force pour Cendrillon car il n'est réellement présent que dans une scène donc inédit: cela n'est d'ailleurs pas évident car nous avons à faire à une fée qui nous rappelle plus notre grand-mère que la fée Bleue dans Pinocchio. Le " truc " prend donc avec ce contraste: la petite fée fait de grandes choses et l'apothéose vient quand cette dernière habille Cendrillon de sa robe de bal. C'est de cette manière que Disney réussit son tour de force et convainc.
Pourtant on peut penser que l'enchantement passe aussi avec les petits animaux qui parlent et sont habillés mais comme cela est devenu l'une des " marques de fabrique " de Disney (avec Mickey, Donald etc.) et qu'en conséquence il en a fait l'un des codes de l'animation donc banalisé, on peut ainsi envisager que c'est grâce à une unique séquence que le Cendrillon prend une tournure magique, de conte.
Avec Cendrillon Disney reprend les ficelles déjà utilisées pour Blanche Neige et les sept nains et touche à nouveau le public avec cette histoire de princesse. A la différence de sa grande soeur, Cendrillon reste lisse et ne crée pas de polémique: le film redore enfin le blason un peu fané de son producteur. Encore aujourd'hui, l'enchantement est au rendez-vous et le film est devenu, avec le temps, une référence esthétique mais surtout féerique.

Cendrillon comporte plusieurs séquences chantées. La plus célèbre est celle où les oiseaux et les souris décident de faire une robe de bal pour leur amie. Cette chanson fait partie du même registre que les autres fameux airs de "labeur" du répertoire disneyen : "Siffler en travaillant" (Blanche neige et els sept nains), "La Complainte des gens du cirque" (Dumbo), et "Peignons les roses en rouge" (Alice au pays des merveilles).

Sylvain Raynard le 13/07/2005