Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) version 1
Résumé et analyse provisoires
avant le débat du Ciné-club du jeudi le 12 septembre
 

Browning (Montana), 1948. James Picard, un indien pied-noir, est réveillé doucement par sa sœur Gayle, qui sait qu'il souffre de migraines. James part travailler aux champs où il reçoit la visite amicale de Jack, son beau-frère. James se dirige vers la grange. Dans celle-ci, il est pris de troubles visuels puis de terribles maux de tête.

Gayle et James sont dans le train qui les conduit vers Le Winter Hospital de Topeka au Kansas. Ils sont reçus par Karl Menninger qui le dirige. Karl Menninger écoute Gayle exposer le choc à la tête qu'à reçu Jimmy durant les combats en France lors de la seconde guerre mondiale et, depuis, comment il a perdu son poste aux chemins de fer étant sourd d'une oreille, comment il est pris de troubles visuels et surtout de terribles maux de tête. Karl Menninger examine la cicatrice de Jimmy et se dit confiant dans l'ensemble des techniques médicales dont dispose l'hôpital pour le remettre sur pieds. Jimmy est soumis à de nombreux examens physiologiques et à des tests psychologiques effectués par le Dr. Holt, un jeune psychiatre. Mais l'origine des maux de Jimmy reste mystérieuse, aucun trouble physiologique n'est mis en évidence alors que son refus de se soumettre aux tests psychologiques et ses symptômes physiques pourraient laisser penser à une schizophrénie. L'expérimenté Dr. Jokl et Karl Menninger décident donc de faire appel en dernier ressort à un ethnologue et psychanalyste français, spécialiste des cultures amérindiennes, Georges Devereux. Le Dr. Holt écrit ainsi une lettre à Devereux.

Georges Devereux, dans un café miteux de Brooklyn, reçoit enfin l'appel qu'il attendait de Karl Menninger pour lui donner sa réponse. Devereux ne cache pas son grand plaisir à venir dans le Kansas interroger un Pied-noir dont il connait bien la culture. Par avion, il pourrait être sur place le soir même. Karl Menninger doit alors lui rappeler qu'il ne lui propose pas un poste car Devereux n'a pas les qualifications suffisantes selon l'American Psychoanalytic Association. Il pourrait ne s'agir que d'entretiens sur quelques jours. En tout état de cause, il doit venir en train et en seconde classe. Devereux n'en parait pas affecté.

A l'hôpital, Jimmy se sent de plus en plus seul. Un jeune interné se plante un couteau dans la main. Rentrant saoul un soir, Jimmy est enfermé dans le pavillon des cas les plus graves.

Menninger, Jokl et Holt, présentent avec chaleur Devereux à Jimmy lui expliquant que le médecin ethnologue est venu spécialement pour lui de New York. Devereux interroge Jimmy sur sa famille, sa mère et sa sœur qu'il admire son père est mort alors qu'il n'avait que sept ans. Le courant passe entre les deux hommes et, rentré chez lui prendre des notes, Devereux s'en réjouit.

Le deuxième jour, Devereux est très enrhumé. Jimmy lui raconte son rêve dans une cour de prison il est agressé par un grand cow-boy dont il ne voit pas le visage. Le troisième jour, Menninger vient avertir Jimmy que Devereux est malade. Le quatrième jour Devereux fait dessiner Jimmy avec son doigt sur une surface de couleur peinte. D'abord réticent Jimmy produit deux dessins que Devereux expose devant l'assemblée des psychiatres. Devereux n'y voyant aucun compartiment étanche entre les différentes zones du dessin en déduit que Jimmy n'est pas schizophrène. Au contraire il semble manifester un salutaire complexe d'Œdipe (reste près de la maison avec des montagnes mamellaires et un ciel inquiétant). Menninger, Jokl et Holt, sont séduit par le brillant discours de Devereux. Menninger regrette d'être harcelé par son administration pour le renvoyer et lui offre au contraire la possibilité de rester soigner Jimmy et ce d'autant plus qu'il sait proche l'arrivée de Madeleine, la maitresse de Devereux, qu'il a toujours trouvé charmante.

Jimmy et Devereux vont voir ensemble Vers sa destinée de Ford. De retour Jimmy explique l'origine de son accident. Il avait appris durant la guerre que sa femme, Lily, le trompait. De retour de la guerre il avait divorcé mais regrettait sa maison et les terres attenantes.

C'est avec la somptueuse voiture de Menninger que Devereux accueille Madeleine au train. Celle-ci lui fait cadeau d'une selle de cheval et, bien plus ironiquement d'une barbe postiche pour ressembler à Freud. Madeleine est un peu surprise par la petite maison, spartiate, où vit son amant mais est ravie de l'accueil que lui réserve l'hôpital.

Les séances avec Jimmy reprennent c'est le rêve du grand ours, du renard et du bébé. Associé au voyeurisme il avait découvert sa mère faisant l'amour avec un homme. N'était plus jamais revenu. Régler d'abord les petits problèmes avant les grands. Jimmy s'en veut d'avoir depuis abandonné sa fille chez sa grand-mère. Devereux l'accompagne à la banque pour qu'il puisse lui faire parvenir de l'argent.

Devereux et Madeleine se promènent à cheval dans la campagne, font l'amour et discutent d'un prochain départ possible de Madeleine en France pour rejoindre son mari.

Devereux et Madeleine ont donné rendez-vous à Jimmy devant le musée. Il y est déjà. Au retour, Jimmy explique le grand traumatisme d'avoir abandonné Jane. Elle était Venue dans le Montana avec sa famille pour construire une école. Ils s'aimaient. Ils allaient avoir un enfant et ils devaient se marier. Mais, un soir, il l'avait surprise derrière une botte de foin avec un autre homme. Brusquement ils avaient cessés de la voir et avait refusé le mariage. Elle lui avait intenté un procès en reconnaissance de paternité qu'elle avait perdu. Elle était repartie seule avec sa famille. Plus tard, Jimmy avait appris de l'homme derrière la botte de foin, Allan, que Jane était seulement en colère contre lui et le cherchait. Mais il avait déjà épousé Lilly et la guerre approchait. Il avait, après la guerre et après son divorce cherché à la revoir. Elle était mariée mais ils projetaient de vivre ensemble avec leur fille, Marylou. Alors qu'il s'embarquait à la gare de Browning pour la revoir, une amie lui avait annoncé la mort tragique de Jane des complications d'une opération bénigne.

Devereux sent la fin de la psychanalyse approcher. Madeleine s'en va lui laissant une lettre où elle le prie de lui écrire. Menninger est satisfait de la guérison de Jimmy et lui offre même un poste d'assistant psychiatre, ce qui stupéfie Devereux.

Pourtant, Jimmy est ramené de la ville en bus après avoir manifestement trop bu. Devereux se fait envoyer balader par le médecin quand il demande le test d'oxygénation du cerveau. Celui-ci lui répliquant qu'on ne le fait pas passer à des ivrognes.

Jimmy raconte en effet a Devereux qu'il a de nouveau eut une crise en voyant une représentation du Songe d'une nuit d'été en marionnettes. Il a l'impression d'être manipulé comme une marionnette, de ne pas tenir sur ses pieds seuls, d'avoir besoin du médecin. Jimmy lui reproche d'avoir dénigré la religion qui est importante pour se constituer.

L'infirmière prépare ses affaires pour un test et refuse de prendre en compte la demande de Jimmy de se rendre à la banque avant la fermeture du week-end. Elle lui affirme qu'elle sera ouverte le samedi matin.

Quand Jimmy se présente devant la banque le samedi matin, elle est fermée ce qui génère une grave crise. Il est ramené d'urgence à l'hôpital

Devereux parvient à l'explication finale. L'incapacité à réagir de façon adéquate de Jimmy est due à son renoncement à se confronter à la puissance des femmes. Il a renoncé à contredire et même à en vouloir à l'infirmière comme il a fui devant la mère, la sœur Gayle, Lily la femme volage, Jane la femme aimée et même Mary-Lou qui est élevée par la grand-mère

Il ne reste plus à Jimmy qu'à passer le test de l'oxygène dans le cerveau. Les résultats sont positifs. Jimmy et Devereux se disent au revoir sur un banc et le premier remercie le second de lui avoir appris à se connaitre mieux.

Devereux entreprend une psychanalyse avec le Dr. Jokl et lui confie son sentiment : "Je n'ai pas traité Picard parce que c'était un Indien, mais parce qu'il était en mon pouvoir de l'aider".

Jimmy a retrouvé sa fille devant son école. May Lou est toujours fâchée mais le sourire rassurant de Jimmy la convainc sans peine de venir vivre avec lui.

Le cinéma de Desplechin est intimement lié à la psychanalyse puisque ses films décrivent toujours le processus complexe qui consiste à renaitre à soi-même quand on a connu une blessure de l'âme. En brassant toutes les dimensions de la psychanalyse (traumatismes de l'enfance, explication des rêves, humiliations sociales et ethniques), Desplechin raconte aussi des histoires d'amitié et d'amours sans lesquelles aucune renaissance n'est possible. Peut-être, cette fois-ci, la confrontation avec l'Amérique, ses paysages et ses cinéastes, contribue-t-il à en faire son film le plus lumineux.

Renaitre à soi-même

Le processus de la psychanalyse est lent, compliqué, plein d'avancées puis de recul vers la guérison. Se succèdent le rêve du cow-boy, le rêve de l'ours du renard et de l'enfant et le rêve du dernier arpent de terre fleuri. Des explications sont données aux dessins tracés au doigt et à la représentation de marionnettes. Il y a aussi les flashes-back sur les traumatismes : la découverte de la mère faisant l'amour, l'abandon de Jane après le mystère de la meule de foin puis l'impossible retour vers elle avec sa mort soudaine, le terrible mal de tête après la banque fermée.

C'est par le langage que ce met en œuvre le traitement : pour porter plus loin l'analyse, pour s'assurer que l'explication est partagée, pour retourner les questions, pour retourner d'éventuelles agression (sur la religion). La promesse d'une guérison ne peut se faire que si le rêve explique le passé (théorie freudienne) et prédit l'avenir (tradition indienne), ce qui revient au même si on se sert de la connaissance de soi pour dénouer les conflits à venir.

C'est en effet un sentiment de culpabilité qui empêche Jimmy d'avancer dans la vie. Il ne doit pas le traiter comme s'il se croyait lésé par la vie et par les autres mais en comprenant à quoi est due son incapacité à réagir de façon adéquate : le renoncement à se confronter à la puissance des femmes (la mère, la sœur Gayle, Lily la femme volage, Jane la femme aimée, Mary-Lou, la fille à élever) et, au présent, à Dole et l'infirmière.

C'est l'équilibre psychique enfin trouvé qui offre au film sa conclusion comme Sylvia qui "rendit" Paul Dédalus à lui-même dans Comment je me suis disputé où Nora qui brisait le cercle du malheur dans Rois et reine.

La nécessité, sa profondeur et l'investissement personnel demandé par la psychanalyse pour être réussie est un processus identique à celui de la mise en scène.

Les poupées russes du cinéma

Madeleine avait décrit les poupées russes de la psychanalyse : une âme que l'on emboite dans un cœur, que l'on emboite dans un corps que l'on emboite dans une personne. Le film de Desplechin pourrait être une psychanalyse que l'on place dans une histoire d'amitiés que l'on développe dans leur rapport aux femmes et que l'on place dans un paysage.

Devereux n'hésite pas à gifler une femme quand la situation lui parait bloquée. Mais surtout il ne s'assigne aucune place fixe vis à vis d'elles. Il a déjà divorcé deux fois. Dans son amour pour Madeleine, qu'elle soit heureuse lui suffit. Leur amour est à la fois intense et menacé, lourd et léger. Les scènes du train et des chevaux renvoient peut-être à Marnie alors que la lettre d'adieu évoque clairement la lettre post mortem de Maurice Garrel dans Rois et reine. La Représentation théâtrale du songe d'une nuit d'été et l'oxygène insufflé dans le cerveau depuis deux trous dans moelle épinière renvoient à un conte de Noël.

Les quelques échappées dans les paysages américains sur la musique lyrique et herrmanniennes d'Howard Shore (Esther Kahn, Cronenberg, Burton, Scorsese) exaltent le métissage du film : les physiques d'un autre temps de Gina McKee et Larry Pine et le jeu de Benicio Del Toro, imprégné par son altérité d'Indien bien qu'il soit mexicain. Le cinéma américain imprègne le film avec Let There Be Light de John Huston, le Captain Newman, M.D., un assez mauvais film de 1963 avec Gregory Peck, qui se passe au Winter Hospital et le film The Exiles de Kent MacKenzie mais aussi la mise en scène des rêves inspirées de Bergman (Les fraises sauvages), Hitchcock (La maison du docteur Edwards) sans parler de l'extrait de Vers sa destinée de Ford pour évoquer le deuil de la femme aimée.

Une histoire vraie

Georges Devereux a publié "psychothérapie d'un Indien des plaines : réalités et rêve" en 1951. C'est sans doute la première psychanalyse transcrite dans son intégralité. Desplechin s'est aussi exprimé sur son film :

"Le Winter Hospital, qui allait devenir un temps la plus grande institution psy du monde, a été installé à Topeka parce que s'y trouvait déjà la clinique de Karl Menninger, un psychiatre réputé. Au moment d'entrer en guerre, l'armée américaine s'est aperçue qu'elle avait plus ou moins ce qu'il fallait comme tanks, comme avions, comme fusils et aussi comme médecins et comme chirurgiens, mais pas du tout comme psychologues et psychiatres. Elle a commandé à Menninger de lui livrer dix psys par jour, de former de véritables bataillons, et le Winter Hospital a d'abord été leur centre de formation.

Les aides des régions en France, il y a des États aux Etats-Unis qui aident le cinéma, et d'autres non, sous forme de crédit d'impôt. C'est notamment le cas au Michigan. Après d'autres épisodes, dont un hôpital qui correspondait exactement à ce que je cherchais mais qui a été détruit avant qu'on puisse l'utiliser, on a trouvé celui du film, à côté de Detroit. Il s'agit d'un véritable hôpital, le décor est vivant.

Dans le livre, Devereux travaille beaucoup à dissimuler la véritable identité de Jimmy, il tient à préserver son anonymat. Cela ne me gênait pas, j'étais d'accord pour appeler le film Jimmy P., comme Anna O. et plusieurs autres des patients de Freud sur lesquels il a écrit sans les nommer. Mais on a aussi cherché la véritable identité de Jimmy. On s'est beaucoup approché du vrai Jimmy, sans l'identifier entièrement. Nous connaissons son nom indien, "Everybody-talks-about-him" et localisé la réserve où il a vécu, à Browning dans le Montana. On a retrouvé la ferme de la mère de Jimmy, et celle de sa sœur. "Everybody-talks-about-him"… En fait, il est apparu que c'est un nom très courant chez les Blackfoot.

Un parent de Devereux a écrit une thèse sur sa vie conjugale et sentimentale très animée. Il a eu sept épouses (et à chaque divorce, c'est lui qui touchait une pension alimentaire…) et bien d'autres liaisons. Mais il y a un trou dans sa vie amoureuse suite à son deuxième divorce, avant la troisième femme, une Allemande rencontrée après l'épisode Jimmy. Il n'était pas possible qu'il n'y ait pas de femme entretemps, j'ai donc inventé Madeleine. Il s'agissait en fait de développer le thème du rapport complexe à l'identité. Devereux ne se sent appartenir à aucune, il essaie d'échapper à toute assignation à une identité, mais il reconnaît le sens qu'il y a pour Jimmy à renouer avec la sienne, tandis que Madeleine, elle, se sent tout à fait européenne: elle ne veut pas se réinventer autrement, elle n'en voit pas l'intérêt. Le film ne porte aucun jugement sur ces trois attitudes, je voulais juste les faire jouer ensemble. Le personnage de Madeleine m'y a aidé, même si le film est surtout construit sur un portrait, celui des deux hommes."

 

Jean-Luc Lacuve le 12/09/2013 (critique avant la séance du Ciné-club du jeudi du 12 septembre).

 

Bibliographie :

 

Retour à la page d'accueil