L'homme sans âge

par Anthony Boscher

(Youth without youth). Avec : Tim Roth (Dominic Matei), Alexandra Maria Lara (Laura / Veronica / Lupini), Bruno Ganz (Professeur Stanciulescu), André Hennicke (Docteur Josef Rudolph), Adrian Pintea (Le pandit), Alexandra Pirici (la femme de la chambre 6). 2h04.

1938, en Roumanie. Dominic Matei, un vieux professeur de linguistique, est frappé par la foudre et rajeunit miraculeusement. Ses facultés mentales décuplées, il s’attelle enfin à l’oeuvre de sa vie : une recherche sur les origines du langage. Mais son cas attire les espions de tout bord : nazis en quête d’expériences scientifiques, agents américains qui cherchent à recruter de nouveaux cerveaux. Dominic Matei n’a d’autre choix que de fuir, de pays en pays, d’identité en identité. Au cours de son périple, il va retrouver son amour de toujours, ou peut-être une femme qui lui ressemble étrangement... Elle pourrait être la clé même de ses recherches. À moins qu’il soit obligé de la perdre une seconde fois.

Le film de Coppola est une recherche du temsp perdu. Dominic est un personnage, qui au début du film, n'a plus la volonté de vivre. Il n'a plus cette volonté de vouloir exister dans cet espace temporel. En effet, nous apprenons au fil de l'intrigue que Laura, son amour de jeunesse à quitter ce monde il y a quelques années déjà. Il avouera également au Professeur Stanciulescu sa volonté d'avoir voulu se suicider avant que la foudre ne s'abatte sur lui.

A la recherche du temps perdu

En voulant quitter l'espace du temps présent il aurait ainsi rejoint un espace autre ou les aiguilles du temps n'ont point leur place et ou il aurait pu retrouver l'amour de sa vie. Dominic apparaît comme un personnage qui a certes réussi, à demi teinte, sa vie professionnelle puisqu'il n'a jamais réussi et ne réussira jamais à finir son œuvre mais il est également passé à côté de sa vie amoureuse. Le jour où il commence à comprendre qu'il commence à rajeunir et que ses facultés mentales et intellectuelles se développent plus vite qu'à l'ordinaire, une nouvelle vie et donc un nouvel espace temps, s'ouvrent à lui. En effet, ce " coup de foudre " à certes rajeuni Dominic mais ce dernier, convoité par différentes organisations, est obligé de changer constamment d'identités et de pays. Dominic va donc mettre à profits ses " dons " pour continuer l'œuvre de sa vie, une œuvre qu'il n'a jamais pu clore. Spécialiste en linguistique, ce personnage va même jusqu'à inventer une nouvelle langue que seul des machines du futur pourraient déchiffrer. Dominic invente donc une nouvelle syntaxe, qui va lui permettre donc d'avoir une main mise sur ses pensées et ainsi par la même occasion de contrôler l'univers dans lequel il évolue. Comme nous l'avons souligné, Dominic multiplie les identités pour passer inaperçu mais il y a une identité qui est plus importante que toutes les autres : lui-même. En effet, suite à choc qu'il a subit, un double de Dominic fait surface et va agir comme une sorte de double spéculaire non pas du spectateur mais du personnage principal. Ce double va apporter des réponses aux questions du héros mais il apparaît tout de même comme le côté sombre du personnage. Lors d'une scène chez le Professeur, Dominic est allongé sur le lit. Son corps est ombré et seule une partie de son visage est éclairé. Une glace est accrochée au mur ou se reflète son double. L'image que renvoie la glace n'est pas la même que celle que nous voyons du corps du personnage. Le corps reflété par la glace imisse le visage dans l'ombre et le corps dans la lumière. Nous pouvons donc voir dans ce plan, la volonté de la part du réalisateur de symbolisé le côté malsain de ce double. Le fait de parler de double spéculaire est intéressant puisqu'à la fin du film, Dominic brise la glace qui reflète son corps. Il brise certes un double mais également une partie de lui-même, cette partie d'une jeunesse qui lui a permis de vivre des expériences dont il ne soupçonné même pas l'expérience. Le héros va traverser des périodes de l'Histoire comme si il parvenait à pénétrer ces couches temporelles en laissant ainsi derrière lui les traces d'un savoir qui ne sera compréhensible que de nombreuses années plus tard.

L'achèvement d'une œuvre contre le sacrifice d'un amour déjà perdu

Dominic est un personnage qui a été marqué par la disparition de son amour de toujours : Laura. Alors qu'il voyageait, il rencontré Véronica une jeune institutrice. Après s'être également fait frappé par la foudre, Dominic va voir un elle plus qu'un alter-égo mais également la réincarnation de son amour. Au fur et à mesure de leur relation, cette dernière va être sujet à de nombreuses crises ou elle utilise un dialecte différent à chaque fois. Dominic voit donc en elle une source d'achèvement de son œuvre. Les nombreuses crises de Véronica, l'affaiblisse beaucoup et Dominic décide qu'il est préférable pour eux de se quitter. Véronica est un personnage qui traverse les couches temporelles à l'inverse de Dominic. Alors que ce dernier se dirige vers des temps futurs, Véronica se dirige vers des temps révolus jusqu'à avoir presque atteint le mutisme qui a fait naître le langage. Ces deux personnages vont donc vers des espaces temps diamétralement opposés ce qui se traduit donc par une impossibilité pour eux de s'unir dans un espace temps qui ne pourrait être qu'à eux. Même si Dominic parvient à transgresser les lois du temps, il n'arrive pas à empêcher l'histoire de se répéter c'est-à-dire la disparition de son amour. Cet évènement embraye le pas sur le futur du personnage. Si le personnage n'arrive pas, une fois de plus, à garder son amour, parviendra-t-il à se sauver lui-même ? La fin du film est très explicite sur ce point puisque lors de la dernière séquence le héros revient aux sources comme s'il revenait à la case départ, là ou tout a commencé. Dominic se trouve au " Select Café " parmi ses anciens collègues de travail. Au départ, il s'acharne à leur faire comprendre qu'il n'est plus le même et à leur parler de tout le savoir qu'il a pu accumuler. La coupe d'un plan fait vieillir le personnage de 18 ans et le fait revenir dans cet espace temps qu'il avait quitté plus tôt. Le montage apparaît donc ici non seulement comme un agencement d'images mais également comme un procédé technique permettant la suspension et donc par la même occasion la maîtrise du temps. L'usage d'une force extra-diégètique était nécéssaire au personnage pour retrouver l'espace temporel qu'il avait quitté mais également pour retrouver un sens à sa vie. Lors de la dernière scène, des hommes découvrent le corps d'un homme dans la neige. Coppola filme en gros plan le passeport du héros ou est inscrit la date 1938. Une question arrive donc aux esprits : Dominic a-t-il réellement quitté l'espace du temps présent pour ainsi évoluer à travers différentes couches temporelles ? Le choc qu'il a subit était-il véridique ou était-ce seulement un artifice ? Les deux théories sont recevables mais le message qui ressort de ces deux dernières est qu'une vie n'est pas suffisante pour l'être humain pour s'épanouir et rentrer en fusion totale avec le monde.

" L'Homme sans âge " : soubresauts autobiographiques ?

Hormis les messages qu'a bien pu vouloir faire passer Coppola, le spectateur n'est pas sans rapprocher le héros du réalisateur lui-même. En effet, nous pouvons réapproprier les messages immiscés par le réalisateur à son propre gré. Coppola qui a soixante neuf ans permet d'élaborer une réflexion sur son travail de cinéaste. Peut-être a-t-il peur de voir que le temps est une " matière " que l'Homme n'a pas encore su maîtriser et que le message qu'il veut faire passer n'arrivera surement jamais à passer. C'est ainsi que nous remarquons dans son film certaines influences comme Ingmar Bergman avec notamment les séquences ou Dominic parle avec son double, scènes qui ont un caractère psychologique poussé. D'un point de vue de la bande sonore, certaines notes ne sont pas sans rappeler la musique des films muets.

Coppola arrive donc à travers son film à une introspection sur sa propre vie et son propre travail de cinéaste. Tout comme les œuvres de Dominic resteront dans l'histoire, l'œuvre de Coppola marquera à jamais l'Histoire du cinéma.

Anthony Boscher le 14/01/2008