(1943-2016)
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histoire du cinéma : L'image situation

Michael Cimino est le réalisateur de trois œuvres marquantes : Voyage au bout de l'Enfer (1978), film traitant de la guerre du Vietnam à travers le périple éprouvant de trois américains ordinaires ; La porte du Paradis (1980) qui raconte un épisode peu connu de l'histoire de L'Ouest, à savoir le massacre d'immigrés polonais par une bande de mercenaires à la solde de propriétaires fonciers ; enfin L'Année du Dragon" (1985), qui montre l'action d'un inspecteur de police qui entreprend de "nettoyer" Chinatown de sa pègre. Ces trois films forment, selon les dires même du réalisateur, un triptyque sur l'Amérique, son histoire et ses contradictions

Comme Clint Eastwood, Michael Cimino révèle avec panache, la violence latente, constitutive de l'identité américaine en proie aux forces centrifuges de ses communautés diverses. La force de ces communautés ethniques, leurs rivalités toujours possibles, animée par l'éternelle lutte des classes, sont des forces terribles une fois mises en branle par esprit démoniaque ou cynisme politique.

Les débuts

Cimino serait né à Long Island le 3 février 1939. Son père travaille dans le milieu musical, sa mère est costumière. Le jeune Michael est un enfant surdoué et hyperactif, de nature rebelle et qui aime à traîner avec les bad boys du quartier. Fasciné aussi bien par l’art, l’histoire, la littérature que par la violence masculine, il s’enrôle dans l’armée et s’entraîne pendant cinq mois à Fort Dix, dans le New Jersey.

Mais finalement, une fois diplômé, il s’installe à New York et devient un directeur de pub particulièrement brillant. Il tourne des spots pour Pepsi, United Airlines, les cigarettes Kool. C’est à cette époque qu’il rencontre Joann Carelli. Elle travaille aussi dans la pub, mais elle va l’accompagner à Los Angeles pour l’assister dans sa percée hollywoodienne. "Mon arme secrète, c’est Joann Carelli. Il n’y a personne au monde en qui j’ai plus confiance. Sans elle, aucun de mes films ne se serait fait", confiera Cimino à Jean-Baptiste Thoret, venu le rencontrer pour écrire un livre monographique sur lui. C’est Carelli qui lui explique que s’il veut faire du cinéma il doit non seulement écrire un scénario solide, mais convaincre une grande star de jouer le premier rôle. Il signe notamment les scripts de Silent Running et de Magnum Force, le second opus de la saga de l’Inspecteur Harry. La rencontre avec Eastwood est déterminante. Le réalisateur star le laisse mettre en scène Le Canardeur (1974), avec un jeune Jeff Bridges lui volant quasiment la vedette. Polar burlesque et finalement mélancolique, rempli de coups fumants et de marginaux excentriques, Le canardeur est le sésame qui permet à Cimino de mener à bien son grand projet sur la guerre du Vietnam.

Voyage au bout de l'enfer

Voyage au bout de l’enfer est le premier film à s’affronter à ce gigantesque bain de sang qui a divisé profondément l’Amérique. Le film est financé par la major musicale britannique EMI et seulement distribué par Universal, prudente. On y voit des ouvriers sidérurgistes d’origine ukrainienne dans une petite ville de Pennsylvanie s’apprêter à partir au front. Puis les trois hommes sont faits prisonniers par les Vietcongs et subissent la torture de la roulette russe. Rescapés de l’enfer, ils opèrent un retour au bercail dans un climat de débâcle personnelle, amicale et familiale.

Cimino parvient à s’emparer de la grande histoire à travers le destin brisé d’une poignée d’individus. La magistrale séquence du mariage orthodoxe et de la fête typiquement slave qui ouvre le film est caractéristique de son style, cette manière de ne pas foncer dans du pur récit, mais de contempler la communauté humaine dans ses moments de rituels, de danses et de libations.

L'authenticité de ces scènes s'explique grandement par le choix de figurants non professionnels. Pour la scène du mariage dans Voyage au bout de l'enfer

"ce sont de véritables paroissiens : il aurait été très difficile d'obtenir ce courant, cette vie, de gens qui ont l'habitude de la figuration(...), ces gens étaient de véritables russes américains, qui parlent vraiment cette langue, dansent vraiment ces danses, qui ont vécu leur vie dans cette communauté, qui ont certaines expressions de visages. On ne peut pas créer cela avec des figurants professionnels".

La recherche de l'authenticité guide plus globalement le travail de préparation des films de Michael Cimino. Le tournage de Voyage au bout de l'enfer est précédé de recherches minutieuses. Pendant plusieurs mois, les assistants de Cimino accumulent des milliers de mètres de pellicule sur la guerre du Vietnam.

Voyage au bout de l’enfer est un triomphe public et critique même s'il est critiqué par certains car il ne montre pas le point de vue vietnamien et ne  fait  pas allusion aux divisions qu'avait causées le conflit au sein de la société américain. Le film reçoit cinq Oscar, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.

La porte du paradis

Son film suivant, La porte du paradis, fut, à l'inverse, un échec cinglant critique et public. Pourtant, Cimino, pour filmer les villes de l'Ouest de la fin du XIXe siècle, s'est servi de l'immense documentation photographique existant sur cette période. Mais son souci de réalisme a abouti à un résultat qui a déconcerté critiques et public, dont la perception de la réalité de l'Ouest Américain est faussée par tant de westernw, où il n'y avait jamais de figurant à l'arrière plan. Les villes de l'Ouest étaient, au contraire, remplis de gens. En parlant des photographies d'époque, Cimino déclare :

"ce qui impressionne toujours, c'est le dynamisme de ces villes en développement ; la raideur des édifices, des gens, des vêtements, mais l'activité, l'énergie, la foule qui se pressait dans les grandes rues, le commerce, on ne nous a jamais montré cela. Nous sommes habitués à voir des décors de cinéma, pas des endroits réels".

Cimino réussit aussi comme dans Voyage au bout de l'enfer  une extraordinaire entrée en matière d'un rituel collectif avec la remise des prix à Harvard et le bal sur la valse de Strauss puis celui  de la scène haute en couleur où les immigrants polonais assistent, en cercle, à un combat de coq, et celui - filmé en sépia- où ces mêmes immigrés dansent en patin à roulette sous une toile de tente.

Cette exigence d'esthète, cette obsession du contrôle absolu, peut aussi être perçue comme une folie des grandeurs dispendieuse. Le budget prévisionnel de 7,5 millions de dollars explose à plus de 40 millions dépensés. Tel Orson Welles, Cimino est pris dans la tourmente d’une ambition que ses détracteurs s’ingénient à retourner contre lui. Ce sont les récits épouvantés sur le tyran dispendieux se faisant livrer de la coke par hélicoptère dans le Montana pendant le tournage tout en badigeonnant les acteurs de sang d’animaux pour faire vrai.

 Le film, présenté dans sa version originale intégrale de 3h39 en novembre 1980, fut retiré de l'affiche de l'unique cinéma new-yorkais où il passait après une première désastreuse et des critiques hystériquement négatives. Sous la pression des producteurs, Cimino lui-même refit un nouveau montage : cette version tronquée de plus d'une heure n'est que l'ombre de l'œuvre originale, et n'obtint pas plus de succès.

 Une nouvelle version « director’s cut » est présentée en 2012 à la Mostra de Venise, qui réhabilite l’œuvre de Cimino. Mais ce dernier restera toujours marqué par l’échec, qui a conduit les Artistes Associés, studio créé en 1919 par Mary Pickford, Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks et D. W. Griffith, à la faillite. On lui colle l’étiquette peu enviable d’assassin du cinéma d’auteur. La porte du paradis signe en fait la fin d'une période faste, celle où les "auteurs" (Coppola, Scorsese et d'autres) avaient pris le pouvoir à Hollywood. A partir du début des années 1980, suite à certains échecs retentissants de films d'auteurs dispendieux (La porte du paradis d'abord, mais aussi Coup de cœur, qui endetta Coppola jusqu'au cou), les grands studios américains décidèrent "d'arrêter les frais" et de ne plus donner de moyens pharaoniques à des auteurs mégalomaniaques : les grands réalisateurs sont alors mis sur la touche, et sommé de prouver qu'ils étaient aussi de bon "filmmakers".

Le blockbuster avait pointé dès Les dents de la mer (Spielberg, 1975) et Stars war (Lucas, 1977) ce qui n'avait pas empêché les succès de Voyage au bout de l'enfer (Cimino, 1978) et le succès de Apocalypse now (Coppola, 1979). Mais le désastre financier de La porte du paradis se situe aussi à une date charnière de l'histoire politique, morale et sociale des États-Unis. Le film sort l'année de l'élection de Ronald Reagan à la présidence, élection qui mit fin à l'ère des contestations des années 1960 et 1970 pour ouvrir une période ultraconservatrice et ultralibérale. La "papesse" de la critique américaine, Pauline Kael, n'avait pas tort quand elle écrivait que le film de Cimino consacrait la fin de l'esprit des années soixante. L'Amérique qui doute, celle du traumatisme post-Viêtnam, laisse la place à une Amérique triomphante, celle du "America first", slogan reaganien.

L'année du dragon

La carrière de Cimino est toutefois relancée par Dino De Laurentiis, qui finance lL'année du dragon en 1985. L'importance de l'immigration dans l'histoire américaine, thème encore secondaire dans Voyage au bout de l'enfer (la communauté slave), était devenue centrale dans La porte du paradis, qui traite d'un génocide de race et de classe à la fois. L'année du dragon aborde frontalement la place de l'immigration asiatique dans la société américaine. Le film, à sa sortie, fut taxé de racisme, car il semblait stigmatiser les activités criminelles de la communauté chinoise. Cimino s'en est défendu, arguant que pour la première fois dans un film américain un personnage chinois occupe le premier plan conjointement avec le héros du film. D'autre part, Cimino a insisté pour que les personnages chinois parlent leur propre langue (beaucoup de scène du film sont dialoguées en chinois). Enfin, le personnage de Stanley White (l'inspecteur de police joué par Mickey Rourke), ramène lui aussi à la thématique centrale de Cimino : il s'agit d'un américain d'origine polonaise, fier d'être américain et de s'être intégré à ce pays, mais ne manquant pas de rappeler ces origines. Ce personnage renvoie aussi, comme un écho, à Voyage au bout de l'enfer : Stanley White est un ancien Marine's pour qui la lutte contre la pègre n'est que la continuation de la guerre du Vietnam. "Pour Stanley White, dit Cimino, Chinatown devient un autre champ de bataille, la répétition d'un conflit qui pour lui n'a pas été résolu".

Bertrand Tavernier et Jean-Baptiste Coursodon ont tenté une analyse du "système" dramaturgique mis en place par Cimino dans ses plus grands films. Refusant la psychologie facile, les explications, les constructions prévisibles, Cimino construit

"une élaboration très concertée de type musical, faisant appel à une multitude de signe (...) Ces signes peuvent être des éléments du jeu des acteurs (regards, gestes, mouvements ), des objets, des situations, des figures de style (éclairages, cadrages, mouvements d'appareil, transitions). Pas nécessairement signifiant en eux-mêmes, ils le deviennent par leur répétition, leurs modulations, leurs juxtapositions à d'autres signes".

Fin de carrière

Cimino n'aura ensuite plus les moyens de tourner des films aussi denses. Après l'échec du Sicilien (1987), ce sera La maison des otages (1990), de nouveau financé par Dino de Laurentiis et The Sunchaser (1996), puis en 2007, No Translation Needed, un segment du film collectif Chacun son cinéma, commandé pour le 60e anniversaire du Festival de Cannes.

Michael Cimino décède le samedi 2 juillet 2016, à l'âge de 77 ans.

Bibliographie :

Eclipses, revue de cinéma n°39, Michael Cimino : territoire et identité. 2006.
   
  15 ans de cinéma américain : 1979-1994 (interviews de Cimino par des journalistes des "Cahiers du Cinéma" en 1982 et 1985)
 
50 ans de cinéma américain ; Bertrand Tavernier, Jean-Baptiste Coursodon (notice sur Michael Cimino).

 

Filmographie :

1974 Le canardeur
(Thunderbolt and Lightfood). Avec : Clint Eastwood (John 'Thunderbolt' Doherty, alias 'the Canardor' ), Jeff Bridges (Lightfoot, alias 'Crowbar') Geoffrey Lewis (Eddie Goody), Catherine Bach ( Melody). 1h55.

John Thunderbolt, braqueur de banques, se lie d'amitie avec un jeune aventurier, Lighfoot. Faute de retrouver un magot planque dans une ecole qui a disparu, il entreprend avec d'anciens complices d'attaquer une chambre forte au canon anti-char...

   
1978 Voyage au bout de l'enfer
(The deer hunter). Avec : Robert De Niro (Michael Vronsky), John Cazale ( Stanley 'Stosh'), John Savage (Steven), Christopher Walken ( Nick), Meryl Streep (Linda). 3h03

Dans une petite ville industrielle de Pennsylvanie, cinq ouvriers de l'équipe de nuit se retrouvent dans un bar, après leur travail. Ils s'apprêtent à fêter le mariage de l'un d'entre eux et le départ de trois autres appelés au Vietnam. Quand ils reviendront, leur esprit restera marqué à jamais par les horreurs qu'ils y ont subies.

   
1980 La porte du paradis
(Heaven's gate). Avec : Kris Kristofferson (James Averill), Christopher Walken (Nate Champion), Isabelle Huppert (Ella). 3h39.

A la fin du XIXe siecle, peu apres la conquete de l'Ouest, des terres doivent etre distribuees aux emigrants. Mais un climat de concurrence et de violence s'installe parmi les differentes minorites. Et les grands proprietaires locaux, lies aux banques, n'entendent pas ceder ainsi leurs terres...

   
1985 L'année du dragon
(Year of the dragon). Avec : Mickey Rourke (Stanley White), John Lone (Joey Tai), Ariane (Tracy Tzu), Leonard Termo (Angelo Rizzo). 2h14.

Arrogant, tetu, colereux, mal aime de ses collegues bien qu'il soit le flic le plus decore de New-York, le capitaine Stanley White vient d'etre nomme a la tete du district de Chinatown. Une vague de violence s'etant mysterieusement abattue sur la communaute chinoise jusqu'ici tres paisible.

   
1987 Le sicilien
(The Sicilian). Avec : Christopher Lambert (Salvatore Giuliano), Terence Stamp ( Prince Borsa), Joss Ackland (Don Masino Croce), John Turturro (Pisciotta). 2h25.

Salvatore Giuliano decide de séparer la Sicile de l'Italie, au detriment des trois grands dirigeants que sont l'Eglise, la Mafia et l'Etat.

   
1990 Desperate hours, la maison des otages
(The desperate hours). Avec : Mickey Rourke (Michael Bosworth), Anthony Hopkins (Tim Cornell), Mimi Rogers (Nora Cornell), Lindsay Crouse (Brenda Chandler). 1h45.

Michael Bosworth, tueur sadique et ruse s'est enfuit du tribunal grâce à l'aide de son avocate et maitresse Nancy Breyers. Flanqué de son frère Wally et d'un compagnon de ce dernier, Michael décide d'attendre pour fuir avec Nancy et, pour assurer leur sécurite, les trois hommes prennent la maison Cornell et ses occupants en otages...

   
1995 Sunchaser
(The Sunchaser). Avec : Woody Harrelson (Michael Reynolds), Jon Seda (Brandon 'Blue' Monroe), Anne Bancroft (Renata Baumbauer). 2h00.

Brillant cancérologue qu'un drame secret ronge depuis l'enfance, Michael Reynolds hérite d'un patient peu ordinaire : Brandon Blue Monroe, un jeune délinquant. Atteint d'un mal incurable, ce dernier croit naïvement en l'existence d'un lac enchanté des montagnes du Colorado, aux vertus curatives. Pour s'y rendre, il kidnappe Michael...