Bellamy

2009

Genre : Film noir

Avec : Gérard Depardieu (Paul Bellamy), Clovis Cornillac (Jacques Lebas), Vahina Giocante (Nadia Sancho), Jacques Gamblin (Noël Gentil), Marie Bunel (Françoise Bellamy), Rodolphe Pauly (L'avocat), Adrienne Pauly (Claire Bonheur), Marie Matheron (Madame Leullet). 1h50.

Cimetière marin de Sète, tombe de Gorges Brassens. Un peu plus loin, à l'aplomb de la falaise, près de la mer, une voiture calcinée et un cadavre tenant un volant qui ne l'est pas moins.

Le commissaire Paul Bellamy sur un divan fait des mots croisés alors que sa femme s'en va chez le dentiste. Elle remarque un homme qui les épie dans le jardin. Celui-ci réclame un rendez-vous au commissaire qu'elle lui refuse. Elle est en vacances dans sa maison nîmoise. Pourtant, elle finit par donner à son mari le numéro de téléphone de l'inconnu alors que Paul lui annonce l'arrivée prochaine de son frère, Jacques. Françoise partie, Paul constate que les fleurs de son jardin ont été piétinées par l'inconnu. Il l'appelle pour lui dire qu'il est prêt à le recevoir s'il lui demande un rendez-vous. En attendant, il s'en va au Bricomarché chercher des planches pour une étagère dans la chambre d'amis. Paul y rencontre Claire Bonheur, une charmante vendeuse qui chantonne du Brassens.

Le soir, Paul et Françoise Bellamy reçoivent le dentiste, un notable de Nîmes qui n'a pas pu, ce soir là, venir avec son ami. Autour d'une pintade et d'un bon vin, ils discutent de la dernière affaire en date, celle de l'escroquerie de Leullet, agent d'assurance qui a essayé de faire croire à son suicide avec un corps mort carbonisé en bas de la falaise. Depuis, la police est à ses trousses. Bellamy, et Françoise terminent le repas en fumant le cigare.

A minuit, le mystérieux inconnu appelle et donne rendez-vous au commissaire. Il s'appelle Noël Gentil et donne une photo de celui qu'il prétend avoir tué au commissaire. Il a, dit-il, commis un crime pour vivre avec sa maîtresse, sa princesse, la femme de sa vie mais craint que, s'il va en prison, sa belle maison où vit sa femme ne soit saisie.

Bellamy ne croit pas à cette histoire et Françoise remarque la ressemblance frappante entre Gentil et l'homme qu'il prétend avoir tué. Le matin, Paul se rend au domicile de Noël Gentil. Sa femme veut bien le recevoir car elle connaît Françoise, qui apprend à lire à son petit garçon. Mais celle que Bellamy prenait pour madame Gentil ne connaît pas de Noël Gentil. Elle n'a été mariée qu'une fois et son mari s'appelle Emile Leullet, l'agent d'assurance traqué par la police. Elle raconte à Bellamy qu'Emile est tombé follement amoureux de sa partenaire de danse, Nadia Sancho, et qu'il partait la rejoindre toutes les nuits. Elle se dit fort inquiète de sa situation après l'escroquerie ratée de son mari qui a essayé de se faire passer pour mort avec un cadavre retrouvé dans sa voiture.

Paul Bellamy se rend ensuite chez Nadia Sancho qui lui avoue avoir trouvé le SDF qui a fini carbonisé dans la voiture. Elle l'avait repéré pour sa ressemblance avec Emile. Ils n'avaient eu aucune peine à l'amener vers Sète car il voulait voir la tombe de Brassens, son idole. Mais avant d'arriver, Nadia n'avait eu peur et était sortie de la voiture.

Le soir, Paul raconte à Françoise le résultat de ses investigations. Pour s'enfuir avec sa maîtresse, Emile Leullet s'est fait refaire le visage et s'est créé une fausse identité avec de faux papiers au nom de Noël Gentil. Au milieu de la nuit, surgit Jacques qui offre des cadeaux, alcool et toblerone à son frère et sa belle-sœur qui tombent fort mal, l'un s'étant résolu à ne plus boire et l'autre sortant de chez le dentiste.

Le matin, Paul s'en retourne voir Noël Gentil qu'il sait être Emile Leullet. Celui-ci lui déclare avoir vu sans succès Nadia, vouloir être un homme bien, vouloir aller au bout des choses. Il va aussi voir Claire Bonheur qu'il sait avoir été convoquée comme témoin. Elle connaissait Denis Leprince, le SDF qui a fini carbonisé dans la voiture.

Le soir il trouve sa femme et Jacques jouant aux cartes et leur dit que l'histoire de Leullet : "C'est l'histoire d'un type qui veut tuer un type qui veut crever".

Le lendemain soir, jeudi, ils sont invités chez le dentiste et son ami Bernard. En choisissant les bouteilles de vin à la cave, Paul est troublé par le compliment que Jacques fait à sa femme. Au dîner, Jacques est à la limite de la goujaterie. Le lendemain, ils apprennent que Jacques a dérobé 2 000 euros au dentiste.

Paul Bellamy retourne voir Nadia Sancho mais il découvre que celle-ci est devenue la maîtresse du commissaire Leblanc qui enquête, plutôt mal, sur cette affaire. Il retourne voir Leullet qu'il met au courant de l'infidélité de sa maîtresse. Il lui conseille de se remettre avec sa femme. Il va voir celle-ci pour découvrir qu'elle est morte d'une rupture d'anévrisme.

En rentrant chez lui, il lui semble bien que son frère et Françoise ont passé du temps ensemble dans la chambre. Sa femme le détrompe. Ils s'en vont déjeuner sur la place des arènes. Paul manque de tomber dans une bouche d'égout lorsqu'il est retenu juste à temps par Françoise. Il apprend à la télévision que Leullet s'est rendu à la police.

Claire Bonheur a aussi vu que Leullet pour se créer une nouvelle identité s'était fait un visage qui ressemblait à celui de son ami Leprince. Elle appelle le commissaire pour lui présenter un ami avocat qui défendra Leullet.

En rentrant, Paul apprend de Françoise que Jacques est parti, saoul et au volant de leur Mercédès Mais Bellamy a une idée en tête : il demande à sa femme de lui indiquer un professeur de chant.

Le procès en assises a lieu. L'avocat chante la plaidoirie et Leullet est acquitté. Bellamy n'est toutefois pas satisfait ayant l'impression de s'être fait rouler par Nadia et Leullet. Il est peiné aussi de ne pas recevoir de carte postale de son frère alors que le dentiste en a reçu une où Jacques s'excuse de son vol.

Un soir il apprend à sa femme qu'autrefois, il a faillit tuer son frère. Il lui en voulait de sa belle gueule d'ange. Le matin François lui annonce que Jacques est mort. En Bretagne, il a conduit sa voiture au bout d'une falaise.

Le film se conclut sur la citation de W. H. Auden "Derrière chaque histoire, il y a une autre histoire. Il y a toujours plus que ce que l'œil peut voir", incitant par là le spectateur à décrypter une autre histoire derrière celle de l'intrigue criminelle que semble avoir résolu le commissaire Bellamy.

Cette intrigue qui se cache derrière celle que peut voir l'œil de Bellamy est celle qui se joue dans son cerveau. Bellamy enquête moins qu'il n'écoute les autres parler. Ce qu'il entend a une influence directe sur ce qu'il ressent et le fait reconsidérer son couple et sa relation avec son frère.

Un grand film mental

Si la chaîne de télévision locale qui suit l'affaire criminelle s'appelle Miroir TV, on peut aussi aller jusqu'à penser que Leullet et Bellamy sont deux personnages en miroir et, qu'à la manière de Cronenberg ou de Kubrick, tout se joue dans le cerveau de Bellamy.

A l'appui de cette thèse, on notera le travail sur les postures. Des l'entrée de Leullet alias Gentil chez Bellamy, deux plans se répondent : celui de Leullet assis sur un banc de l'autre coté de la vitre et celui de Bellamy affalé dans son canapé. Ensuite, lorsque Bellamy s'en va dans la chambre d'hôtel de Gentil-Leullet, il s'assoit sur une chaise derrière Leullet et celui-ci lui parle de dos, dans la position du patient et de son psychanalyste.

Lorsque Bellamy écoute madame Leullet lui parler de son mari, il imagine dans deux scènes très expressionnistes : Leullet s'en allant en babouches rejoindre sa maîtresse puis, au bas de l'escalier dansant avec elle avec, en fin de séquence, le visage de la femme esseulée. Le plan de sorti de cette scène mentale prend en amorce la nuque de Bellamy alors que madame Leullet est rejetée dans le fond du plan. Autre posture indiquant la prépondérance du mental par rapport au réel, la supposée découverte d'un adultère possible entre Françoise et Jacques. Paul Bellamy monte lentement l'escalier vers la chambre, appelant plusieurs fois sa femme comme s'accrochant à l'idée qu'il peut compter sur sa fidélité avant que le cerveau ne se mette à dérailler et à interpréter.

Au travail sur les postures, s'ajoute celui sur les phrases reprises par Bellamy dans sa propre vie et qu'il a entendu dans la bouche des gens enquêtés. Ainsi de l'absence de petite culotte que Leullet appréciait chez sa maîtresse Nadia et que Bellamy ne sait s'il doit l'oser l'espérer ou le craindre chez sa femme.

Ainsi de la distinction faite par madame Leullet entre la prestance en public de son mari et la vérité décevante de leurs relations intimes dont Bellamy retrouve un écho dans la fierté que disait éprouver sa femme à le voir en public sur un bateau de croisière. Ainsi de la situation de Leullet que Bellamy résume à "c'est l'histoire d'un type qui veut tuer un type qui veut crever" et que Jacques prend pour un écho de ce que veut faire son frère vis à vis de lui-même.

Une violente et noire psychanalyse.

Si Leullet est un miroir de Bellamy que cache donc cette double crainte de l'adultère et du meurtre du frère ? En quoi sont-elles liées ? Si le film donne des pistes, il faudra attendre la presque toute fin du film pour connaître le nœud de l'affaire.

Le soir qui précède le suicide de son frère, Bellamy apprend à sa femme, qu'autrefois, il a failli tuer son frère. Il lui en voulait de sa belle gueule d'ange. Guère difficile alors de voir que Bellamy se prenait pour "le laid" de la famille et qu'il a toujours cherché à se débarrasser de ce frère trop encombrant. On notera la perfidie avec laquelle Paul va chercher des planches de bois juste avant l'arrivée de son frère pour lui rappeler qu'il a détruit l'ancienne étagère. On peut bien douter de ses paroles lorsqu'il dit ne pas chercher du chêne pour un cercueil mais de quoi poser des polars légers. Juste après la parole libératrice, l'aveu de la culpabilité rentrée, Bellamy est délivré car son frère meurt. "J'ai trouvé une forme de dignité à me mépriser" dit-il : il avoue sa faute et s'en libère.

La crainte de l'adultère est liée à cette scène initiale. Jacques n'est en effet que le demi-frère de Paul. Ils ont la même mère mais c'est le père de Paul qui a élevé Jacques. Le premier reprochera au second de dire du mal de "celui qui l'a élevé". Il est bien connu que la beauté de l'enfant adultérin est sa revanche sur celui issu du lit conjugal. Paul est ainsi particulièrement sensible aux relations adultères qu'il considère avec légèreté tant qu'il n'y a pas d'enfant (scène de Nadia et du commissaire) mais qui l'empêche peut-être d'avoir un enfant et de participer au "merdier généralisé". Sa crainte d'être abandonné fait, si l'on peut dire, que se surajouté au traumatisme initial.

Des signes petits et gros à n'en plus finir

Chabrol s'amuse de cette psychanalyse sauvage et distille des signes de tous ordres, fins ou grossiers, qu'il associe avec jubilation. Jacques n'aime ainsi pas les fruits de la mer (mère) puisqu'il se suicidera devant elle (la mer). Les jeux sur les noms pullulent. Dans L'ivresse du pouvoir, Isabelle Huppert s'appelait Jeanne Charmant et Patrick Bruel, Sibaud, dans La fille coupée en deux, l'angélique Ludivine Sagnier s'appelait Gabrielle Deneige. Ici, nul n'échappe au patronyme signifiant. Bellamy n'est ni Belamant ni Beaufrère, toujours prêt à aider les autres, il n'aidera pas sa femme à partir en croisière ni son frère, Jacques Lebas, qui restera toujours en bas de l'échelle sociale. Nadia Sancho est une brûlante maîtresse, Emile Leullet veut changer de visage, Noël Gentil voudrait faire plaisir à sa femme et à sa maîtresse, Claire Bonheur qui savait les tendances suicidaires de son ex-ami vient au secours de celui qui, selon elle, l'a délivré. Denis Leprince est tombé bien bas socialement sans déchoir moralement.

A ces jeux de mots s'ajoutent les figurations symboliques. Le gouffre dans lequel Bellamy est sur le point de tomber, lui pourtant si bien installé déambulant dans Nîmes avec sa femme, c'est une bouche d'égout. Cette bouche d'égout s'oppose aux falaises qui ouvrent et clôturent le film. Chabrol met ainsi en scène le petit gouffre bourgeois auquel Bellamy échappe grâce à sa femme.

La musique classique tragique, qui accompagne l'entrée en scène de Jacques comme sa sortie, souligne l'aspect théâtral sous lequel Chabrol a décidé de traiter ce personnage.

L'excès de signes par rapport à l'explication psychanalytique la dynamite et rend la réalité finalement indécidable.


Un film dont la résolution dépend de l'intime conviction du spectateur.

On ne saura ainsi pas si Françoise trompe, ou non, son mari. Cette angoisse de l'adultère saisit Bellamy une première fois le soir lorsqu'il retrouve Jacques et sa femme jouant aux cartes. Chabrol les filme bizarrement rapprochés et complices, pas en face l'un de l'autre comme des joueurs de cartes. Le spectateur attentif s'interrogera sur le gros plan du ceinturon défait(1) qui pourrait suggérer une relation très intime. L'angoisse de Bellamy devient palpable lorsqu'il entend les hommages de son frère à Françoise dans le garage et qu'il en laisse tomber une bouteille de vin. L'angoisse se transforme en quasi-certitude lors de la montée des escaliers qui le fait croiser son frère torse-nu et sa femme en tenue légère qui sort de la chambre dont les draps du lit sont froissés.

Mieux même, on ne sait pas davantage si Bellamy a, ou non, résolu l'enquête. Le doute subsiste dans la tête du commissaire. Puisque le meurtre du SDF n'est pas montré, les interrogations restent multiples. Leullet va-t-il bien voir sa maîtresse avant sa femme, ou a t-il involontairement tué celle-ci en se montrant à elle trop brutalement? N'aurait-il pas provoqué ce que l'on prend pour une rupture d'anévrisme ? Est-ce même le SDF qui est mort ? Celui-ci n'aurait-il pas tué Leullet et pris sa place ?

Après un tel festival de signes, le mystère demeure, le cerveau de Bellamy comme celui du spectateur n'a pas arrêté d'interpréter et pourtant rien n'est certain.... Il y a toujours plus que ce que le cerveau peut interpréter.


Jean-Luc Lacuve, le 7/03/2009, après le débat du 5 mars du ciné-club du jeudi au Café des images :

 

Notes (Les cahiers du cinéma n°643, mars 2009 , Grand entretien avec Claude Chabrol, Gérard Depardieu et Odile Barski p.12 et p15) :

(1) "L'histoire que raconte Noël amène Bellamy sur la scène d'un tout autre délit. Il se souvient avoir vu son frère se lever de table pour jouer aux cartes et que sa ceinture était ouverte. C'est un détail, ça ne veut rien dire, mais il ne peut s'empêcher de ruminer ce détail."

(2) "Nous nous sommes inspirés d'un vrai fait divers. L'histoire du personnage d'Emile Leullet/Noël Gentil vient de l'affaire Dandoneau. Yves Dandoneau est un assureur qui a voulu tromper sa propre compagnie. Il a pris le corps d'un SDF et a tenté de se faire passer pour lui. L'escroquerie n'a pas marché. Dandoneau a été arrêté et incriminé, entre autres, pour meurtre. Pour la plaidoirie, l'avocat a modulé les notes d'une chanson de Brassens. Pas Quand les cons sont braves, une autre, Les copains d'abord. Dandoneau s'en est d'ailleurs très bien tiré.... Quand les cons sont braves, c'est une chanson posthume, Brassens ne l'a jamais chantée. Elle a été enregistrée par Jean Bertola et se trouve dans l'album Dernières chansons".