Portier de nuit
1974

Vienne, 1957. Max travaille comme portier de nuit dans un hôtel, le Zur Oper. Un jour, arrive Lucia, en voyage avec son mari, chef d'orchestre américain en tournée en Europe. Il suffit alors d'un regard pour que leur passé commun resurgisse : ancien officier SS, Max a entretenu avec Lucia une histoire d'amour passionnelle et brutale alors qu'elle était, à peine âgée de 16 ans, prisonnière dans un camp de concentration.

Max doit aussi faire face au "procès-thérapie" que lui intentent ses anciens compagnons Nazi. Dans le camp de concentration hongrois dirigé par Ernst Kaltenbrunner, Hans et Klaus étaient médecins alors que Max, passionné par la photographie, s'était fait passer pour l'un d'eux afin d'obtenir des clichés. Hans et Klaus veulent obtenir de Mario, un prisonnier qu'il avaient laissé en vie pour sa bonne cuisine, le nom d'un des témoins, survivant du camp qui pourrait témoigner contre Max et ainsi les mettre en danger s'ils ne le tue pas.

Max a compris que le témoin en question n'est autre que Lucia et il supprime Mario qui est pourtant un ami. Lucia sent renaitre le désir de Max. Il la suit quand elle va à l'opéra écouter La flûte enchantée que dirige son mari. Elle est elle-même de plus en plus troublée. Dans un magasin d'antiquités, elle achète une nuisette semblable à celle que Max lui faisait enfiler autrefois avant leurs jeux sexuels sado-maso. Elle laisse partir son mari pour Hambourg et promet de l'y rejoindre dans deux jours. Max vient dans sa chambre et elle n'oppose qu'un refus de principe au fait qu'il la prenne à nouveau.

Hans et Klaus ont réuni les participants au procès thérapie de Max. Ils regrettent l'absence de Mario. Face à Hans et Klaus mais aussi Abe, le danseur qui vit reclus dans l'hôtel et Kurt, Thompson, Max plaide pour vivre reclus dans sa taupinière de l'hôtel. Au grand jour, le sentiment de honte le submergerait. Ce n'est pas du goût de Klaus pour qui le procès est nécessaire pour se libérer du complexe de culpabilité qui serait une névrose. Klaus le procureur, traque les témoins pour les tuer car ceux-ci, mieux que les documents écrits entrent dans les détails et crient la vérité montrant les limites des capacités à se défendre des anciens nazis. Or ceux-ci ne veulent pas rester cacher pour continuer la guerre.

Lucia a surpris cette réunion et décidé de fuir dans l'appartement de Max. Celui-ci donne le change à l'hôtel et se confie pourtant à la comtesse Erika Stein : Lucia était sa petite fille avec qui il entretenait une relation certes pas romantique mais biblique. Alors qu'elle avait fini par participer aux orgies nazies, il lui avait offert la tête de Johan, un prisonnier qui la faisait souffrir tel Hérode pour remercier Salomé.

Hans sait maintenant que Lucia est chez Max. Stumm le vieux valet de l'hôtel ainsi que le gigolo de la comtesse se joignent à Abe Hans, Klaus, Kurt et Thompson pour assiéger l'appartement de Max. Ils subordonnent les commerçants et voisins pour couper les deux amants de toute source de ravitaillement et tentent de les tuer dès qu'ils sortent aux fenêtres.

Au bout de dix jours sans plus aucune nourriture dans un appartement où ils n'ont plus l'électricité, Max habille sa Lucia en petite fille et ils prennent la voiture pour s'enfuir, suivis par les anciens nazis. Au petit matin alors qu'ils se promènent sur un pont, ils sont tués de deux balles.

Le film fit scandale à l'époque de sa sortie en 1974, notamment aux Etats-Unis, où il fut classé X, en Italie où il fut censuré et en France où, à part Jean-Louis Bory, il fut très mal reçu par la critique. La relation entre une ancienne victime des camps et un tortionnaire nazi, sur fond de sadomasochisme et d'esthétique décadente remporta pourtant un succès public qui a fait de ce film d'art et d'essai à petit budget un film emblématique de son époque.

Quatre enjeux sont à l'œuvre dans le film : le passé de la relation sadomasochiste entre Max et Lucia, la reprise de leur relation en 1957, la résurgence de l'idéologie nazie à cette même époque et les échos de cette situation politique en 1974.

Les amants maudits de 1945 et 1957.

La relation sadomasochiste de Max et Lucia s'inspire des Damnés (Luchino Visconti, 1969) et d'une rencontre avec une ancienne victime des camps que rencontra Liliana Cavani pour son documentaire de 1965 sur les femmes dans la résistance. Cavani avait interviewé beaucoup de femmes partisanes du nord de l'Italie, dont certaines avaient été capturées par les Allemands et enfermées dans les camps de la mort (Dachau et Auschwitz) mais l'une d'entre elles l'avait beaucoup marquée. Ce qu'elle pardonnait le moins aux Allemands était de lui avoir fait découvrir un aspect d'elle qu'elle ignorait. Cela lui a permis de survivre mais elle a alors connu le mal, le côté obscur en elle, et ce pour le reste de sa vie. Liliana écrit ensuite un court scenario, moins de deux pages, qu'elle fait lire à Mario Gallo, qui avait produit Les Damnés, avec Bob Edward. Charlotte Rampling avait impressionné Cavani dans ce même film où elle faisait une très belle apparition. Dirk Bogarde la passionnait depuis The servant (Joseph Losey, 1963).

La personnalité de Max est un composite de plusieurs obsessions. Il y est montré comme un passionné de photographies, fasciné par la belle adolescente qu'est Lucia à seize ans. Il vient la chercher dans la chambre des prisonniers où hommes et femmes pratiquent des relations homo et hétéros sexuelles. Il semble d'abord la contraindre à une fellation et la terrorise en lui tirant des balles de révolver dans une salle de douche désaffectée. Il est aussi pédophile, habillant Lucia d'une combinaison d'enfant rose et l'appelant "ma petite fille". Sans soute la fait-il monter sur le manège entraperçu dès le début du film, sorte de tir aux pigeons sadique où les jeunes femmes sont terrorisées et abattues au bon vouloir de leurs bourreaux.

Lucia finit par jouir de ce jeu malsain qui lui permet de survivre. Le visage d'ange maladif, les cheveux courts de Charlotte Rampling mimant un numéro de cabaret sur une musique de Marlène Dietrich et flanquée d'un pantalon à bretelles et d'une casquette nazie est resté ainsi l'emblème du film.

De "la petite fille" terrorisée à l'ange déchu

La reprise de leurs relations en 1957 doit conduire à la même tragédie. La force pulsionnelle qui renait alors est marquée au sceau des yeux bleus de Lucia et de l'air de La flûte enchantée. Cette innocence et ce voyage initiatique n'est pas pour eux. La dégradation permanente de leur condition de vie, due à la traque dont ils sont victimes de la part des nazis, est la condition même de cet amour maudit. Ils y retrouvent la même décadence que douze plus tôt.

De 1957 à 1974, une paranoïa qui ne cesse de grandir

L'hôtel Zur Oper, dans un pur style "Sécession", est le repaire secret d'un groupe d'ex-nazis, qui ne se sont jamais repentis. Au contraire, dans une sorte de pervertion de la psychanalyse, ils refusent toute culpabilité. Celle-ci serait une névrose dont ils doivent se libérer en tuant.

En déplaçant de l'Allemagne à l'Autriche le devenir des anciens nazis dont une phrase de dialogue indique qu'ils ont commis leurs crimes dans un camp de concentration hongrois dirigé par Ernst Kaltenbrunner, Lilian Cavani met en garde sur la possible résurgence dans toute l'Europe de la peste nazie. Les contre-plongées avec grand angle ou les plongées surplombantes contribuent à l'atmosphère de complot qui gagne progressivement le film.

L'oppressant hôtel Zur Oper

Tous les personnages de l'hôtel vont s'avérer progressivement liés à Hans, Klaus, Kurt et Thompson. Abe le danseur, mais aussi le gigolo et Stumm, le valet, et la comtesse Erika Stein se révèlent complices des ex-nazis. La comtesse, qui porte un nom juif, est une autre image de Lucia, des victimes qui ont basculé dans le camp des bourreaux. En gros, le complot est partout, jusqu'aux voisins et commerçants que les nazis finissent par circonvenir.

Le film s'inscrit ainsi dans cet ensemble de films qui, au milieu des années 70, des flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972) à Serpico (Sidney Lumet, 1973), de L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1972) à Monsieur Klein (Joeph Losey, 1976) montrent des défenseurs de l'ordre et de la démocratie défaits par les groupuscules terroristes ou d'autodéfenses ; films parfaitement négatifs où la mort et la corruption finissent, comme ici, toujours par gagner.

Un succès inattendu

Le film s'est fait avec, au départ, la moitié du budget prévu. Liliana Cavani et les acteurs ont mis leurs salaires en participation et les semaines de tournage en extérieur à Vienne ont pu être réalisé après un mois seulement d'interruption de tournage. La United Artists de Paris finance le reste du film à la vue de ses premiers rushes.

Personne ne s'attendait au succès commercial pour un film qui ne comporte aucun héros positif. Le film sort d'abord à Paris où la liberté d'opinion est plus grande. Le film ne sera pas effectivement pas censuré. Il reçoit une mauvaise critique des Cahiers du Cinéma, alors d'extrême gauche, qui ne veulent pas entendre parler de positions ambiguës mais Jean-Louis Bory, dans Le Nouvel observateur, comprend le film et éclaire les spectateurs. Le film est aussi un succès en Italie mais est bloqué par la censure. Il en est de même aux Etats-Unis où il rapporte 15 millions de dollars tout en étant classé X. Bogarde et Rampling ont d'ailleurs eu un peu peur de ce succès : d'acteurs de films d'art et essai, ils deviennent des acteurs de choix pour des personnages noirs.

Jean-Luc Lacuve le 30/10/2011

Test du DVD

Wild Side Video, octobre 2011. Anglais & Français. Sous-titres : Français - Durée : 1h53 . Interdit aux moins de 16 ans.

suppléments :

  • La Donna Nella Resistenza (50') le documentaire de Liliana Cavani sur l'implication des femmes dans la Résistance italienne
  • Interview de Liliana Cavani (20')
  • Galerie photos

 

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(Il portiere di notte). Avec : Dirk Bogarde (Max Aldorfer), Charlotte Rampling (Lucia Atherton), Philippe Leroy (Klaus), Gabriele Ferzetti (Hans), Giuseppe Addobbati (Stumm), Isa Miranda (La Comtesse Stein).1h58.

 
dvd chez Carlotta Films