Le plain pays
2009

Quelque part dans le Lot vit un homme menant une existence peu ordinaire. Jean-Marie Massou récuse les termes d'artiste, d'ermite, d'homme des bois qui pourraient le dépeindre. IL s'est mis en marge de la société et ses faits et gestes trahissent une quête existentielle. Cette sorte de Facteur Cheval s'obstine à déterrer d'énormes pierres, les charrier à mains nues et les poser ailleurs.

Depuis 40 ans, Jean-Marie creuse sous terre, construit des galeries dans lesquelles il se faufile à plat ventre, fabrique des grottes artificielles sur les parois desquelles il grave des motifs, des dessins primitifs, un cerf, une chauve-souris.

Il enregistre des cassettes sur lesquels il prédit l'Apocalypse, s'adresse à une certaine Marie-Ange qu'il connût lorsqu'il était enfant (il s'agit de la fille d'un comte et d'une comtesse chez lesquels sa mère faisait des ménages), ainsi qu'à Brigitte Bardot.

Ces deux figures féminines incarnent à ses yeux le refus de procréer. Jean-Marie considère que la surpopulation mène le monde à sa perte. La reproduction, "c'est la fin, le recommencement des cimetières". La sexualité génère des cadavres. Il vénère Bardot (étrange vierge !) d'être "propre", d'avoir eu la sagesse de préférer les animaux aux enfants, de ne pas avoir "la salissure des accouchées".

Dans le paradis tel que le rêve Jean-Marie, les filles seraient sans sexe, les maternités seraient abolies... et peut-être écouterait-on comme lui Bach, ou Le Plat Pays de Jacques Brel qu'il chante à voix haute en haussant le ton pour évoquer ces "diables en peine" qui "décrochent les nuages", et répéter (touchante méprise) "le plein pays qui est le mien".

"C'est solide, c'est éternel !" lâche t-il à propos de ses travaux souterrains, ajoutant "le paradis, je l'aurais bien gagné !". Il dessine un calice sur la pochette de sa cassette, s'énerve sur une pierre insoulevable qui lui résiste, la traite de "salope !", de "morpionne !", d'"ordure !". Réclame le triomphe de l'âme sur le corps.

Pour le plasticien Antoine Boutet qui le filme avec une sorte de fascination, Jean-Marie exécute loin du monde social une œuvre artistique, et c'est la portée de cette œuvre qui interpelle. Il agit dans l'isolement, dans un geste de résistance au monde extérieur, aux confins de la folie. Comme pour lutter à la fois contre un univers qu'il voit foncer vers le chaos, et contre sa propre résignation.

Source : Jean-Luc Douin pour Le Monde

 

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Avec : Jean-Marie Massou. 0h58.

Antoine Boutet