Les gardiennes

2017

Genre : Mélodrame

Avec : Nathalie Baye (Hortense Sandrail), Laura Smet (Solange), Iris Bry (Francine Riant), Olivier Rabourdin (Clovis), Cyril Descours (Georges Sandrail), Gilbert Bonneau (Henri), Nicolas Giraud (Constant Sandrail), Mathilde Viseux (Marguerite), Xavier Maly (Edgar), Yann Bean (John), Marie-Julie Maille (La Monette), Madeleine Beauvois (Jeanne). 2h17.

Sur un camp de bataille, des corps de soldats allongés, masques à gaz sur le visage.

1915. A la ferme du Paridier, Hortense et sa fille, Solange, labourent péniblement la terre. Henri, le frère aîné, trop vieux pour les aider, les regarde. Générique.

1916. Printemps. Constant, l'instituteur, le fils d'Hortense, revient de permission. Il est aimé de ses élèves qui récitent pour lui la poésie antigermanique, "Les Boches". Il est déjà décoré de la croix de guerre et promu lieutenant. Il constate que si les femmes ont pris la relève des hommes partis au front, elles s'échinent sur des travaux trop durs : labourage, réparation de roue, chargement et épandage de fumier. Constant conseille à sa mère mais aussi à sa sœur, Solange, qui attend le retour de son mari, Clovis, l'achat de machines. Solange avoue à son frère qu'elle ne peut avoir d'enfants de son mari. Bientôt, Hortense le voit s'éloigner dans le petit matin plein de brouillard.

Hortense attend désormais le retour de permission de son deuxième fils, Georges. Solange, attend le retour de son mari, Clovis et veille sur la fille de la première femme de celui-ci, Marguerite. Hortense doit se résigner à engager un commis de l'assistance publique pour les seconder. Edgar qui dirige l'établissement, lui indique une jeune fille, Francine qui lui donnera toutes satisfactions, sachant exécuter aussi bien les travaux d'intérieur que d'extérieur. Hortense l'engage pour 40 francs par jour jusqu'à la fin des moissons. Francine sait conduire les bêtes, faire les moissons, la couture. A l'orphelinat, elle a passé son certificat d'études: elle sait lire et écrire

Clovis revient de permission. Il a perdu toutes illusions : les Allemands ne sont pas des meurtriers sanguinaires mais des gens comme lui, des ouvriers des paysans. La guerre ne sert à rien. Il participe au fauchage des blés puis retourne au combat. Hortense prolonge le contrat d'Hortense pour un an. Labourage ,semailles.

A l'automne, c'est Georges qui revient. Hortense lui a dit tout le bien qu'elle pense de Francine et, entre eux, le coup de foudre est immédiat. Georges aimerait faire découvrir le trésor qui se trouve dans sa forêt à Francine. Sa permission est trop courte mais les jeunes gens promettent de s'écrire.

Hortense doit vendre une jument et se décourage. Elle lit cependant de la documentation sur une moissonneuse-lieuse qui simplifierait la moisson.

C'est l'hiver. Hortense promet à Francine de la garder après la guerre. Ce que Francine s'empresse d'écrire à Georges. C'est la victoire à Verdun mais Clovis est fait prisonnier en Allemagne, à Mannem.

1917; Le maire vient annoncer à Hortense le décès de Constant. Francine et Solange tentent vainement d'atténuer sa douleur. Funérailles de Constant mais sans sa dépouille ce qui révolte Hortense. Francine écrit de plus en plus souvent et amoureusement à Georges. Le jour de ses 21 ans, elle reçoit d'Edgar ses 900 francs d'économie et rêve de mariage. Mais Marguerite a découvert la correspondance entre Georges et Francine et en conçoit une terrible jalousie ayant toujours espéré épouser Georges. Elle s'en ouvre à Solange.

Hortense a fait l'acquisition de la moissonneuse-lieuse qui simplifie la moisson.

Georges bénéficie d'une nouvelle permission. Il est hanté par des cauchemars de la guerre. Le dernier soldat qu'il tue, c'est lui-même. Dans la forêt, il montre son trésor, un dolmen, à Francine. Leurs mains parcourent la pierre à la poursuite l'une de l'autre. Ils font l'amour. Georges est toutefois irrité de la présence des Américains qui draguent les filles du village et ne sont pas encore mobilisés pour le front. Georges vient chercher Marguerite à la gare, fâchée contre lui. Il ne lui avoue pas son amour pour Francine. Solange, de son côté, n'est pas insensible au charme de John et Hortense qui a repéré leur manège les découvre se réhabillant à l'abri de la forêt. Bien que faisant régulièrement l'amour avec Francine, Georges ne se déclare pas autour de la table familiale, le soir à la veille de son départ. En repartant, le lendemain, Georges voit John tenter d'embrasser Francine. Il se méprend sur son geste qui tentait de repousser l'Américain. Il en conçoit de terribles soupçons que sa mère va conforter en le reconduisant au train. Francine serait une fille de rien qui se serait déjà donnée aux Américains. Georges, furieux et dépité, exige qu'elle renvoie Francine.

Hortense voit là une façon de mettre fin aux rumeurs concernant la trop grande proximité des Américains dans la ferme qui met en danger la réputation de sa fille. Elle entrevoit aussi la possibilité de garder le patrimoine familial en mariant Marguerite à Georges.

Chassée du jour au lendemain, Francine va à travers les chemins et se réfugie chez Edgar qui lui trouve une nouvelle place. La Monette et sa fille, Jeanne, ont besoin d'une servante. Francine y est bien chez elles. Elles fabriquent du charbon de bois. Francine découvre qu'elle est enceinte. Solange annonce à sa mère qu'elle n'a pas fait l'amour avec John, le souvenir de Clovis l'en a empêché. Hortense a renvoyé Francine pour rien.

L'hiver. Georges écrit à sa mère mais retourne ses lettres à Francine.Le maire vient annoncer à la Monette que son mari est mort.

1918. Solange a acheté un tracteur.Edgar incite Francine à écrire à Georges qui changera sans doute d'avis s'il sait qu'il sera bientôt père. Francine écrit une lettre en ce sens à Hortense, la priant de prévenir son fils. Hortense en conçoit une terrible souffrance mais préfère jeter la lettre au feu plutôt que de remettre ses intérêts en cause.Marguerite et Hortense viennent chercher Gorges au train.Le bébé de Francine naît. Edgar assiste à son baptême. En sortant, elle croise Hortense que blessent la haine et la fierté de Francine.

Printemps 1919. Clovis a été libéré de son camp de prisonniers.  Il admire sa femme, Solange, qui a acheté l'un des premiers tracteurs. Les Américains l'ont laissé derrière eux et elle l'a acheté pour pas très cher. Il sera un complément bienvenu pour la moissonneuse-lieuse. Georges s'apprête à épouser Marguerite. Reste à se partager les terres de Constant. La dispute entre les deux frères réjouit Hortense : s'ils se chamaillent pour de l'argent c'est qu'ils sont redevenus comme avant.

1920. Francine est la chanteuse d'un groupe de musiciens "Les amours sont fragiles et les serments sont faciles". Elle est regardée avec amour et admiration par les hommes. Elle rit. Elle est émue. Elle est heureuse.

Chronique sur le travail des femmes qui veulent prouver qu'elles sont capables de tenir la ferme pendant l'absence des hommes partis au front. En choisissant le capital ou le travail, elles vont aussi participer aux combats sociaux du siècle alors que la nature restera immuable dans sa splendeur.

Capital ou travail

Économiquement, les femmes font mieux que les hommes partis au front. Contraintes de chercher un maximum efficacité vu la pénurie de main-d'œuvre, elles investissent dans des machines : la moissonneuse-lieuse d'Hortense, le tracteur de Solange.

Ainsi, à la sortie de la guerre, l'écart se creuse entre possédants, qui veulent que tout rentre dans l'ordre et ceux qui ne possèdent rien mais voudraient que leur travail soit reconnu. Ainsi, Francine qui, fragile, poursuit sa quête, honnête et romantique. Le groupe hommes qui la regarde chanter à la fin est-il ému par elle, comme le dernier plan des Sentiers de la gloire, ou sont-ce des prédateurs lorgnant cette jolie jeune femme seule ? Le sourire qui illumine le visage de Francine est de bonne augure.

Une nature splendide et indifférente

La splendeur de la terre, magnifiquement mise en lumière par Caroline Champetier, reste indifférente à ces mutations. La nature est  présente dès le plan initial avec ses feuilles mortes et le brouillard du matin recouvrant les corps des soldats asphyxiés par les gaz. Le chant discret d'un oiseau rend terriblement odieux ces morts au combat pour rien. Comme le rappellera plus tard Clovis : tous ces corps, français comme allemands, sont ceux d'ouvriers ou de paysans.

Plus tard, les lents travellings sur les visages des paysannes fauchant les blés les rassemblent dans une sorte de frise antique. Cette frise exprime cette même force du travail bien fait, en dépit des circonstances, en dépit des différences de sexe. Les plans des semeuses renvoient à la magnificence de Van Gogh réinterprétant la campagne française du XIXe siècle de Jean-François Millet.

Le semeur (1850) de Jean-François Millet

Ce sont les femmes et les hommes qui s'approprient une nature végétale ou humaine toujours disponible. A chacun de faire le choix de l'amour, du combat pour la justice ou de la monstruosité sociale. Gageons que Francine, fière et solitaire, gardera plus d'humanité au fond des yeux qu'Hortense contemplant sa terre acquise à vil prix.

Mise en scène des mains et des visages

Les mains ne cessent de faire signe d'une émotion depuis celle de Constant l'intituteur s'attardant sur le tableau noir jusqu'à celles de Clovis sur ces chevaux  puis sur le tracteur et la moisseueneu-lieuse. Entre temps ce seront les mains tordues de douleur d'Henri après le décès de Georges, et celles de la Monette engluées dans la pâte quand le maire vient lui annoncer le décès de son mari.

Quelques très beaux plans de visages. Lorsque Constant se retourne pour un dernier sourire à sa mère qui va bientôt le voir s'enfoncer dans le brouillard puis dans un panoramique gauche-droite le voir disparaître, signe annonciateur de sa mort. A l'inverse, le visage de Francine, riant des hommes qui l'admirent et d'un notamment qui fend la foule des danseurs pour venir vers elle, lui promet un destin heureux. La chanson qu'elle interprétait est reprise, off, par une voix inconnue qui déterritorialise son visage de l'ici et maintenant pour en faire une forme de symbole de liberté.

Une première métamorphose avait déjà transformé Francine de femme abandonnée en femme moderne et libre. Lorsque les ciseaux de la coiffeuse coupent ses longs cheveux, on pense immanquablement à la Fantine de Hugo vendant ses cheveux pour quelques sous. Mais nous sommes là un siècle plus tard. Et le long plan de 30 secondes, inutile dramatiquement, de Francine se contemplant dans la glace dit sa satisfaction d'entrer de plein pied dans les années folles qui vont recourcir jupes et coiffure.  

Jean-Luc Lacuve, le 17 décembre 2017