Paysages manufacturés
2006

Provinces de Zhejiang et Fujian en 2004. Un long travelling latéral de 7mn45 saisit les chaînes de montage des divers produits fabriqués dans l'usine chinoise. Edward Burtynsky fait ensuite placer les ouvriers chinois pour une photographie de groupe.

Photographie que l'on retrouve dans une exposition où Edward Burtynsky fait une conférence sur ses travaux passés. Il évoque ses travaux en Pennsylvanie sur les mines de nickel, cuivre et fer à ciel ouvert :

"Le paysage dont nous devons parler est celui que nous transformons, celui que nous disloquons au nom du progrès. J'essaie donc d'envisager le paysage industriel comme un moyen de définir notre identité et notre relation à la planète".

Retour en Chine dans une usine de fers à repasser. Une ouvrière perce quelques éléments, une autre les assemble, une autre passe un fils de cuivre autour d'un tube souple.

Edward Burtynsky parle du problème général des déchets. Il fait peu de portrait mais il ne résiste pas à celui de cette vieille femme qui a probablement connu Mao et la révolution culturelle et qui est maintenant devant sa porte, entourée de déchets industriels. En contrepoint, Jennifer Baichwal montre des images d'archives d'enfants dans des décharges d'objets électroniques.

Chez Sentai electronical. Une voix off explique que l'entreprise qui a maintenant treize ans d'expérience exporte dans 60 pays. Elle exporte du matériel de protection basse tension. Une ouvrière assemble un disjoncteur en 45 secondes et dit en faire ainsi 400 par jours. La voix off vente l'excellence des matériaux employés. Tan Yanfang explique qu'elle travaille là depuis six ans. La jeune chargée des relations publiques lit son discours :" Une production de masse de qualité fera de nous une entreprise leader. Nous visons l'excellence, le professionnalisme est notre principe"

Chantier naval de Chittagong, Bangladesh 2001. Discours de responsabilité globale de Edward Burtynsky : les pétroliers transportent l'essence de nos voitures, les mines d'argent permettent le sel argentique des photos.

L'idée du thème unificateur des sources d'énergie est venue à Burtynsky en 1997 en filmant des champs de pétrole puis des raffineries en Californie.

Centre de distribution du port de marchandise du port de Tianjin. Edward Burtynsky fait valoir qu'une bonne part du matériel recyclage est transporté par bateau en Chine. 50 % des ordinateurs sont recyclés en Chine pour en tirer du cuivre. Les habitants pauvres recyclent les cartes en les chauffant et enlevant les composants avec des pinces. Les odeurs des fumées toxiques se répandent à cinq ou six kilomètres à la ronde.

Le barrage des Trois Gorges, commencé le 14 décembre 1994, il y a presque 10 ans pour une fin de travaux prévue en 2009. Construit pour empêcher les inondations, produire de l'électricité, améliorer les transports, le barrage fait 2 309 mètres. Sur la base du recensement de 1992, on a comptabilisé 830 000 personnes déplacées ; elles seront en tout probablement 1 100 000. C'est un paysage intentionnel avec 13 grandes villes déplacées sur les hauteurs du Yangtze.

La maquette de Shanghai au 1/500 sur 600 m2 avec, en contrepoint le fleuve bleu, le Huang-Pu, secteur du Pudong. La population rurale de la Chine passera de 90 % sous Mao à 30 %. A Shanghai, les tours remplacent les maisons traditionnelles. Une veille femme résiste aux expulsions dont ont été victimes ses voisins. Cela ne trouble pas une jeune bourgeoise, nouvelle riche de l'immobilier, qui fait visiter sa luxueuse maison.

Edward Burtynsky, né en 1955, travaille depuis 1985 sur les lieux de conflit entre activité humaine et la nature, avec un accent sur son action dégradante et les cicatrices monumentales de la terre : carrières, chantiers de chemins de fer, lotissements, mines.

Son intention documentaire est sans cesse contredite par les moyens mis en œuvre, qui le rangent parmi les pictorialistes : recherche de la belle image, composition sophistiquée, mise en scène maîtrisée, couleurs éclatantes et concordantes d'un cliché à l'autre.

Cette contradiction (qui lui a été reprochée dans Les inrocks) est tout à fait conforme à la profession de foi qu'il livre sur son site : travailler sur la contradiction insoluble entre la recherche d'un niveau de vie élevé et notre dépendance de la nature, soit une "métaphore du dilemme de notre existence : chercher un dialogue entre attirance et répulsion, séduction et peur."

A la fin du film, Burtynsky dit refuser d'orienter son travail vers des fins plus politiques. Il préfère laisser ses spectateurs s'interroger d'eux même sur ses paysages où la part de l'homme ne s'y révèle pas sous sont meilleur jour mais qui sont l'image de notre monde.

Roland Barthes disait que l'émotion de la photographie, son punctum, était le "ça a été". La force de l'image de Burtynsky est plutot de nous dire le monde d'aujourd'hui "c'est ça". Pour ce faire, à la manière de Bernd et Hilla Becher , il répertorie les éléments déterminant de la modernité économique (énergie et transport) et lui applique les effets répétitifs que l'on retrouve chez Alex MacLean.

C'est la violence le choc de ce "c'est ça" dont rend compte Jennifer Baichwal. Pour décrire l'usine, le cinéma a besoin de ce long plan séquence de 7mn45 sous forme de travelling latéral. A cette démarche longue et patiente du cinéma, elle oppose la photo double, magistrale, prise sous un axe perpendiculaire. Pareillement, alors que les ouvriers abattent sans fin les murs de leurs anciennes maisons dans un noir et blanc sans éclat, apparait sous un autre axe, la photo de ce qui pourrait être le dernier ouvrier abandonnant ce terrain bientôt englouti.

Jennifer Baichwal utilise aussi d'autres moyens pour mettre en valeur le travail du photographe : sur un son off mécanique, elle suit un à un les ouvriers de la photographie qui travaillent sur une chaîne de montage. Elle recourt au procédé général de l'élargissement de champ qui fait disparaître la notion de cadre de la photo, et partant de ses dimensions, pour retrouver l'idée que la caméra est un cache que l'on promène sur le monde. Elle donne ainsi l'impression d'une photo beaucoup plus grande qu'elle ne l'est en réalité retrouvant par la grandeur de l'écran de cinéma les effets que recherche Andreas Gursky dans ses immenses photographies. L'utilisation du noir et blanc, parfois un peu maniéré notamment lorsqu'il repasse à la couleur dans l'épisode au Bangladesh est surtout une utilisation modeste de la caméra vidéo pour faire exploser, par opposition, le lyrisme de la photo.

Paysages manufacturés a donc comme premier mérite de se mettre au service de la photographie pour en révéler toutes les potentialités

Le discours politique de Edward Burtynsky est un peu convenu par rapport à l'ambiguïté bienvenue de son travail photographique. Jennifer Baichwal relaie par les moyens du cinéma ce discours sans être guère plus originale. On notera toutefois la constance du propos qui consiste à opposer deux paroles : celle de ceux qui subissent des conditions de vie difficiles (les ouvriers des usines, l'ouvrière soudeuse au Bangladesh, la vieille femme de Shanghai) aux discours formatés des petits chefs (chefs d'équipe dans la première usine, dans la décharge de fer à repasser, jeune chargée des relations publiques chez Sentai electronical , la jeune agent immobilier, fière de sa maison de Shanghai).

 

Jean-Luc Lacuve le 09/12/2007. L'analyse ci-dessus rend compte du débat au Café des images, le jeudi 6 décembre 2007, animé par Gilles Boussard, directeur de l'Ardi-Photographies, Pierre Bergel, enseignant en géographie à l'Université de Caen et moi. Dans ce débat, qui a réuni une cinquantaine de participants, ont été évoqué les noms de plusieurs photographes dont vous trouverez ci-après les sites Internet :

voir aussi :

 

 

Analyse du DVD

Editeur : E. D Distribution.

 

Supplément : livret de 30 pages où Edward Burtynsky explique son travail et commente les photographies vues dans le film.

 

Retour à la page d'accueil

(Manufactured Landscapes). Avec : Edward Burtynsky. 1h26

 
Genre : Documentaire

Thèmes : Cinéma et photographie ,
ouvriers au cinéma.

Voir : photogrammes du film
dvd aux Editions Montparnasse