Le syndrome de Stendhal

1996

Voir : Les tableaux du film
Genre : Giallo

(La Sindrome di Stendhal). Avec : Asia Argento (Anna Manni), Thomas Kretschmann (Alfredo Grossi), Marco Leonardi (Marco Longhi), Luigi Diberti (Inspecteur Manetti), Paolo Bonacelli (Docteur Cavanna), Julien Lambroschini (Marie). 1h54.

Pour les besoins d'une enquête à Florence, une jeune inspectrice, Anna, se rend à la galerie des Offices. Après avoir attendu dans la file des touristes, Anna pénètre au musée. Elle est submergée par l'émotion : elle croit entendre les cris des victimes dans La bataille de San Romano (Paolo Uccello, 1456) puis dans la salle des Botticelli, elle perçoit le souffle du zéphire dans La naissance de Vénus et se sent irrésistiblement attirée par l'herbe du Printemps. Dans la salle des cartes géographiques, elle est horrifiée par La tête de Méduse (Le Caravage) puis manque de s'évanouir en regardant, au plafond, Diane en déesse de la lune (Jacopo Zucchi, 1572). Elle s'évanouit et s'immerge dans La chute d'Icare (Pieter Bruegel); elle se voit alors plonger dans la mer et embrasser un affreux poisson.

Quand elle revient à elle, Anna semble ne pas voir que son revolver a disparu. Elle est devenue amnésique. Au sortir du musée, un charmant jeune homme, Alfredo, lui ramène son sac et lui propose son aide qu'elle refuse. Irritée de ne plus se rappeler ni qui elle est ni la raison de sa présence dans ce musée, elle trouve dans son sac l'adresse d'un hôtel dont elle est vraisemblablement cliente. De retour dans celui-ci, elle est une nouvelle fois victime de son syndrome : envoûtée par la reproduction de La ronde de nuit, suspendue face à son lit. Elle croit entendre les cliquetis des armes et les cris de la jeune fille. Pour les faire cesser, Anna recouvre la reproduction d'une grande serviette, cherche à voir si rien ne se cache derrière le tableau puis celui-ci semble couler sur lui-même et ouvrir la porte du passé. Elle se souvient de tout : les viols à Rome (15 femmes et, récemment, suivis de deux meurtres), les crimes similaires à Florence et finalement son enquête dans cette ville.

À son réveil, le tueur, qui n'est autre qu'Alfredo, est dans sa chambre. Il la viole, puis l'emmène, lors d'une de ses rondes, assister à un nouveau meurtre. Grâce à la folie meurtrière de son tortionnaire qui ne s'intéresse plus qu'à sa victime, elle réussit à s'enfuir. Traumatisée, ne sachant si elle est contaminée par le VIH, Anna se coupe les cheveux.

Dans le train qui la ramène à Rome, Anna se fait saigner en brisant un verre dans le wagon-restaurant. Convoquée à la préfecture, elle pénètre dans un tableau avant d'être appelée par une commission d'experts qui conclut qu'elle n'a pas commis de faute professionnelle. Durant cette séance néanmoins pénible, Anna se fait saigner en introduisant un trombone sous un ongle. On lui rend son insigne et une nouvelle arme et lui enjoint de voir un psychologue deux fois par semaine. Elle dit à celui-ci, le docteur Cavana, qu'arrivée à Florence, c'est une femme inconnue qui lui a téléphoné pour lui dire que le meurtrier serait ce matin là à la Galerie des offices. Cavana lui dit être victime de deux traumatismes; le viol et le syndrome de Stendhal dont il lui explique l'origine lorsqu'en 1817 à Florence lors de sa visite à Santa Croce, Stendhal fut submergé par une violente émotion et fut le premier à consigner ce phénomène dans ses écrits.

Quand Marco vient lui porter des fleurs et à manger, elle le repousse violemment. Elle a changé: elle aime les chocolats et la violence.

Pour passer cette épreuve et échapper au tueur, Anna décide, sur les conseils de Cavana, de prendre quelques jours de vacances chez son père à Viterbe. Elle a le souvenir de s'être évanouie, enfant, devant Le sarcophage des époux du musée étrusque. Elle allait toujours au musée avec sa mère, peintre qui voulait lui enseigner l'art. Anna demande au psychiatre si le fait de se mettre à la peinture pourrait l'aider à guérir.

Pendant ce temps, une femme est violée et assassinée dans un terrain vague à Rome. Marco vient l'en avertir et lui remet, à sa demande, les coordonnées des femmes qui ont pu échapper miraculeusement à Alfredo. En rentrant chez elle, Anna voit plein de reproductions de La chute d'Icare. Malgré la protection de la police, le tueur l'a retrouvée, l'enlève à nouveau et la séquestre. Lorsque celui-ci s'absente pour commettre un nouveau crime, elle réussit à se libérer et l'attaque à son retour. Elle frappe tant et si bien son bourreau que celui-ci, à l'agonie, incapable du moindre mouvement, ne peut rien faire pour l'empêcher de le jeter à l'eau. Malgré les recherches, le corps n'est pas retrouvé.

Anna se coiffe d'une perruque blonde et va enquêter avec l’inspecteur chez la femme d'Alfredo qui refuse de lui parler. Elle se dit toujours traumatisée auprès de son psychiatre. Elle s'invente un prénom, Louise. Peu après ces tragiques événements, Anna fait la connaissance d'un jeune homme, Marie, restaurateur et étudiant en art, dont elle tombe rapidement amoureuse. Alors que Marco la surveille, elle reçoit un nouvel appel d'Alfredo menaçant Marie. Elle vient le retrouver aux beaux-arts, mais Marie est assassiné. Anna pense alors trouver l'assassin en la personne de son psychiatre lorsque celui-ci, passant aux alentours de son domicile, la supplie de l'écouter. La police repêche le corps d'Alfredo après trois semaines passées dans la ramification des canaux de Rome. Marco se précipite chez elle. Il constate horrifié, le meurtre du psychiatre. Anne prétend qu’il a tenté de la violer mais Marco ne la croit pas. Anna reconnaît alors qu'elle est Alfredo, qu'il grandit un peu plus chaque jour en elle. Comme Marco lui demande son arme, Anna le tue avec la porte de coffre de sa voiture. Elle s'enfuit, poursuivie par la police, et comprend que, folle, elle a commis les trois derniers meurtres en se prenant pour l'assassin. La police l'arrête pour la conduire se soigner.

En 1996, après avoir travaillé dix ans aux États-Unis, le cinéaste rentre dans son pays natal et tourne ce Syndrome de Stendhal qui met en scène au travers d'une jeune policière interprétée par sa fille, le malaise éprouvé par l'écrivain français en visite à Rome en 1817. En liant ce traumatisme à celui, beaucoup plus violent, d'un double viol, Argento décrit un procesus de schizophrénie et retrouve en partie sa maitrise du giallo sans atteindre toutefois les sommets des années 70-80. Qu'importe alors les libertés prises avec la localisation des tableaux et le texte de Stendhal.

Le syndrome de Stendhal

Stendhal, en visite à Florence en 1817, entre dans la basilique Santa Croce pour admirer les tombeaux d’hommes célèbres (Michel Ange, Galilée, Machiavel, …) et les fresques peintes par Volterrano. Il est alors pris d’un malaise qui l’oblige à sortir et qu’il relate dans Rome, Naples et Florence (1826). Il est ainsi le premier à décrire les symptômes de ce malaise, qui, en souvenir, porte désormais son nom. Il est d'abord mis en scène sans théorisation dans la séquence initiale. Anna est submergée par l'émotion : elle croit entendre les cris des victimes dans La bataille de San Romano (Paolo Uccello, 1456) puis dans la salle des Botticelli, le souffle du zéphire dans La naissance de Vénus et l'herbe du Printemps. Dans la salle des cartes géographiques, elle est horrifiée par La tête de Méduse (Le Caravage) puis manque de s'évanouir en regardant, au plafond, Diane en déesse de la lune (Jacopo Zucchi, 1572) puis s'immerge dans La chute d'Icare (Pieter Bruegel); elle s'évanouit  et se voit alors plonger dans la mer.

C'est Alfredo qui lui propose une première approche du syndrome en expliquant que comme lui, Anna est submergée par l'émotion provoquée par les tableaux. Il profitera de ce point faible de la policière pour la violer dans sa chambre quand elle regarde La ronde de nuit, suspendue face à son lit.

Ce n'est que dans un troisième temps que le psychiatre, lisant un livre médical bien davantage que le texte de Stendhal, lui relate l'origine du syndrome mais avec des paraphrases approximatives : "Mon émoi est si pénétrant qu'il confine au malaise. C'est à l'âme qu'il s'adresse et pourtant je donnerais tout pour oublier ces instants". Sont néanmoins ainsi liés viol et syndrome de Stendhal. Anna va tenter de s'en défaire en s'exilant à Viterbe pour échapper au tueur et en utilisant la peinture comme thérapie au syndrome de stendhal. Anna avait déjà été submergée par ce syndrome, enfant, lors de la vision du Sarcophage des époux du musée étrusque de Viterbe.

Psychopathe et schizophrène

Le choix de de La chute d'Icare est sans doute une allusion au mythe, la prétention d'Anne de vouloir arrêter le tueur, soleil trop brûlant. La scène la plus convaincante du traumatisme du viol est le moment où Anna se couvre de peinture noire jusqu'à presque disparaitre en position foetale. Ensuite, mal protégée par la police, victime d'un second viol dans le repère satanique (graffitis) du tueur, elle bascule dans la folie.

Ce sont ainsi trois personnalités que revêt successivement Anna. Avec ses cheveux longs, elle est la policière efficace. Apres le viol, elle se coupe les cheveux refusant la position de victime où l'on place les femmes mais commence à être infleuncée par le gout du sang du tueur qui l'a violée avec une lame de rasoir entaillant sa lèvre. Enfin, après le second viol et ayant tué Alfredo, elle bascule dans la folie. Elle porte alors une longue perruque blonde laissant grandir le blond Alfredo en elle.

Liberté avec le texte et les tableaux

Le psychiatre a raison de dire que Stendhal ne fut sans doute pas le premier à être ébloui jusqu'au malaise par la vision d'œuvre d'art mais qu'il fut le premier à le consigner. Cavanna reste aussi dans son domaine en  décrivant les symptômes de ce malaise ; un trouble psychosomatique lié à un trop plein émotionnel éprouvé par une personne plongée au milieu de nombreuses œuvres d’art. Les notions de temps et d’espace disparaissent, le rythme cardiaque augmente ; le sujet peut entrer dans un état nécessitant une hospitalisation et ressentir vertiges, hallucinations, crises de nerf ou de panique. Certains tentent même de détruire les œuvres, à tel point que les gardiens de musée sont formés pour gérer les visiteurs atteints du syndrome.

On peut néanmoins revenir au texte, finalement plus sobre : "(...) Enfin, je suis arrivé à Santa Croce. Là, à droite de la porte, est le tombeau de Michel-Ange; plus loin, voilà le tombeau d'Alfieri, par Canova: je reconnais cette grande figure de l'Italie. J'aperçois ensuite le tombeau de Machiavel; et, vis-à-vis de Michel-Ange, repose Galilée. Quels hommes! Et la Toscane pourrait y joindre le Dante, Boccace et Pétrarque. Quelle étonnante réunion! Mon émotion est si profonde, qu'elle va presque jusqu'à la piété. Le sombre religieux de cette église, son toit en simple charpente, sa façade non terminée, tout cela parle vivement à mon âme. Ah! si je pouvais oublier...! Un moine s'est approché de moi; au lieu de la répugnance allant presque jusqu'à l'horreur physique, je me suis trouvé comme de l'amitié pour lui. [...] Je l'ai prié de me faire ouvrir la chapelle à l'angle nord-est, où sont les fresques du Volterrano. Il m'y conduit et me laisse seul. Là, assis sur le marchepied d'un prie-Dieu, la tête renversée et appuyée sur le pupitre, pour pouvoir regarder au plafond, les Sibylles du Volterrano m'ont donné peut-être le plus vif plaisir que la peinture m'ait jamais fait. J'étais déjà dans une sorte d'extase, par l'idée d'être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs à Berlin; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. (Florence, 22 janvier 1817 dans Rome, Naples et Florence - 1826)

Dario Argento prend aussi quelques libertés avec les tableaux. La chute d'Icare n'est pas conservé aux Offices mais à Bruxelles dans la collection des musées royaux et Le sarcophage des époux se trouve au musée étrusque de la villa Giulia à Rome et non à Viterbe. Enfin, lorsque Anna va retrouver Marie, restaurateur de sculptures baroques, c'est la façade de la Galerie nationale d'art moderne qui est filmée.

Jean-Luc Lacuve, le 4 mai 2021