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Rosiers sous les arbres

1905

Rosiers sous les arbres
Gustav Klimt ,1905
Huile sur toile, 110 x 110cm
Paris, Musée d'Orsay

Un paysage estival saturé de milliers de touches vibrionnantes; pommiers et rosiers, cadrés serrés, fusionnent pour happer l’œil dans un fourmillement vert

Le seul et unique tableau de Gustav Klimt des collections publiques françaises, conservé au musée d’Orsay, sera pourtant bientôt rendu aux ayants droit de Nora Stiasny, sa propriétaire d’avant-guerre, amatrice d’art et francophile, issue du milieu intellectuel et scientifique juif viennois.

Nora Stiasny en hérite de son oncle, Victor Zuckerkandl, un collectionneur réputé qui possédait, entre autres, sept Klimt, dont il était l’un des mécènes et amis. A la suite de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, avant la guerre, Nora Stiasny est, comme toute sa famille, dépossédée de ses biens et doit céder le tableau,déjà célèbre à l’époque — il fut exposé à de multiples reprises, à la Biennale de Venise entre autres. Un de ses amis, artiste, sympathisant nazi — elle l’ignore —, l’achète pour un prix dérisoire, afin de lui « rendre service ». Quatre ans plus tard, Nora Stiasny est déportée en Pologne avec sa famille. Tous meurent assassinés dans les camps. Le Klimt spolié ne réapparaît pas après-guerre.

En 1980, l’équipe de préfiguration du musée (inauguré en 1986) fait l’acquisition de l’œuvre dans la galerie suisse Peter Nathan, à Zurich, avec l’aide financière d’un fonds privé canadien. L’opération est transparente, et au vu des sommes en jeu, les recherches de provenance rigoureuses. On ne trouve aucune information suspecte. À l’époque, les moyens d’investigation sont plus réduits, et toutes les archives ne sont pas forcément accessibles. De plus, la vente forcée date d’avant la guerre, et toutes ses preuves ont été effacées. On apprendra seulement quarante ans plus tard que le tableau est resté incognito chez son acquéreur nazi, jusqu’à sa mort, dans les années 1960, puis qu’il a réapparu en Suisse, n’éveillant aucun soupçon, ni en France ni en Autriche.

Si le « pommier de Nora » est resté si longtemps au musée Orsay sans qu’on lui cherche des poux, c’est aussi pour une autre raison, beaucoup plus incroyable : les ayants droit de la collectionneuse francophile pensaient l’avoir déjà récupéré ! Dans les années 1990, ceux-ci réclament réparation à l’État autrichien et obtiennent la restitution d’un Klimt qu’on croit alors être celui recherché. Ce faux jumeau est aussi une toile carrée, de 80 par 80, représentant des pommiers. C’est ainsi que, en 2001, grâce à un quiproquo à peine croyable, Pommiers II, un autre tableau du maître sur — presque — le même thème, peint en 1916 et conservé à la galerie du Belvédère, à Vienne, est rendu à Hermine Müller Hofmann, héritière de Nora Stiasny.

En 2017, la découverte de nouvelle archives révèle que l’État autrichien s’est sans doute trompé et a probablement rendu le mauvais Klimt… Celui de Nora, le vert vibrionnant, avec des rosiers blancs aux allures d’églantiers, est accroché depuis quarante ans ailleurs : sur les murs du musée d’Orsay. L’État autrichien prévient les protagonistes. Trop tard du côté des ayants droit, qui ne veulent ni ne peuvent rendre leur tableau de substitution puisqu’ils l’ont déjà vendu. Lequel réapparaît brièvement lors de l’inauguration d’une rétrospective Klimt à Vienne en 2018, avant d’être retiré illico par le prêteur, qui s’avère être la Fondation Vuitton. Pour cette toile aussi, les archives ont parlé et l’on connaît désormais ses véritables ayants droit, lesquels pourraient se retourner contre l’État autrichien, les anciens propriétaires qui n’en étaient finalement pas ou le nouvel acquéreur, ce qui promet des imbroglios en cascade.

Avec la montée en puissance des recherches sur les spoliations menées depuis les années 1990, et la création, il y a vingt ans d’une commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) puis, tout récemment, d’une mission de recherches sur les biens spoliés entre 1933 et 1945, sous la houlette du ministère de la Culture, la politique de restitutions en France, réputée lente et pas forcément de bonne volonté, avance aujourd’hui crescendo, pour les MNR en tous cas. Les restitutions d’œuvres spoliées, dites MNR, relatées régulièrement par la presse chaque année — quarante depuis quatre ans — comptent deux mille œuvres classées « Musées nationaux récupération », tableaux, dessins, objets d’art récupérés dans l’immédiat après-guerre (on compte 960 peintures) dont les musées ont la garde, mais pas la propriété. Au contraire, le Klimt, lui, appartient à l’État français. Et tous les musées ont désormais pour mission, délicate, de chercher dans leurs propres collections toutes pièces éventuellement mal acquises, dans une période élargie autour de la Seconde Guerre mondiale.

Plutôt que de camper sur son acte de propriété ou de se lancer dans des batailles juridiques à long terme, comme le font nombre de musées, notamment aux États-Unis, le musée d’Orsay a, quant à lui, opté pour la restitution pure et simple si les preuves s’avéraient irréfutables. Deux conservateurs du musée entreprennent aussitôt des recherches poussées. Verdict : le musée parisien n’a commis aucune faute en acquérant de bonne foi cette œuvre, qui se révèle effectivement provenir d’une spoliation exercée par un membre du régime nazi.

« Sortir des collections nationales un tel chef-d’œuvre est une décision lourde et j’en assume le prix », déclarait Laurence des Cars, présidente du musée d’Orsay. Pour la présidente du musée d’Orsaychoisir la restitution est « un accomplissement de notre devoir face à l’Histoire ». Le Klimt, appartenant aux collections publiques, et donc inaliénable, va devoir maintenant faire l’objet d’une loi d’exception pour pouvoir l’en sortir, à l’image des pièces du trésor d’Abomey, restituées par le musée du quai Branly au Bénin en janvier dernier. Loi qui pourrait aussitôt s’appliquer à un autre cas en souffrance, un petit tableau de Maurice Utrillo, propriété du musée Utrillo-Valadon, à Sannois, dans le Val-d’Oise, qui attend depuis deux ans de pouvoir le rendre. Moins iconique que le Klimt, mais tout aussi précieux aux yeux des descendants de ses véritables propriétaires.

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