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Composition avec deux points verts

1935

Composition avec deux points verts
Vassily Kandinsky,1935
Huile et sable sur toile 115 x 162,5 cm
Paris, Musée National d'art Moderne

La structure du tableau est faite d'une suite de neuf grands parallélogrammes verticaux très allongés de couleurs différentes dont les surfaces s'interpénètrent en générant d'autres parallélogrammes de couleurs différentes. L'intersection des surfaces colorées ne répond pas aux lois de la formation des couleurs par le mélange des pigments mais n'est pas pour autant arbitraire: les effets de clarté et d'obscurcissement sont conservés; un pigment de clarté intermédiaire donnant la couleur de la surface à l'intersection d'une surface claire et d'une surface foncée.

La complexité des effets de recouvrement est accrue par la présence ,d'une part, de trois rectangles horizontaux: deux petits à gauche, un plus grands à droite, et, d'autre part ,par plusieurs formes arrondies rappelant vaguement une lampe, un pis de vache ou un coeur. Ces formes arrondies sont situées aux deux-cinquième du tableau.

Sur cette structure dominante viennent jouer dans la partie supérieure quelques carrés et rectangles, et, au centre, deux points verts (ayant chacun une partie violette dans leur intersection avec un parallélogramme) ainsi qu'à droite une demi-lune. Presqu'à la verticale des deux points verts, se tient dressé sur sa pointe, un petit losange. Au sein des parallélogrammes quelques formes gardent l'intégrité de leur couleur: à gauche un petit trapèze blanc, et une forme évoquant une poignée de violon vue de profil, et, à droite, trois arcs superposés dominant trois verticales ,ainsi qu'une forme serpentine noire.

Les deux points verts et de la forme serpentine noire attirent immédiatement le regard et cela d'autant plus qu'aucune couleur n'apporte une dominante décisive. Il est fait un grand usage des tons rabattus et dégradés et des tons rompus . L' harmonie dominante pourrait être le jaune cassé autour duquel jouent principalement des blanc-bleuté et blanc-cassés, des gris-bleu, des vert pomme clair, des marron clair.

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Le tableau donne l'impression d'être complexe sans être compliqué. Il n'est pas compliqué car le registre des formes et des couleurs est limité, mais il est complexe parce que leur confrontation ne répond à aucune loi systématique. Le sujet du tableau est très certainement la rencontre des formes et des couleurs et la présentation des effets induits.

Après 1922 Kandinsky est guidé par la conscience qu'il a pris de l'art abstrait "de ses droits et de ses devoirs" - le mot est de lui. Il est convaincu que les formes sont des variations sur un thème unique, que sous l'action des contraires, à travers les similitudes et les oppositions, leurs possibilités infinies découlent d'un même principe. Il est décidé désormais à ne s'occuper que du principe. Tout comme le décoratif l'effrayait lors de ses premiers pas dans l'abstraction, de même il redoute maintenant qu'une composition abstraite libre ne reproduise certains aspects internes du réel (conformations de cristaux, mouvement vibratoires des plantes -exemples, tous, qu'il cite lui-même). Sur ce point Kandinsky est catégorique: "il est impensable affirme-t-il de mettre l'intérieur d'un monde dans l'extérieur d'un autre". L'art abstrait doit trouver l'équivalent de ce qui dans la nature est organiquement nécessaire. Entre ces deux mondes, le réel et l'art, parallèles et affrontés il ne peut y avoir de contact. L'art doit dominer le réel. Toute reprise d'un élément naturel dans une composition abstraite est une faiblesse.

Dans deux points verts Kandinsky montre que le complexe se génère de lui même à partir de formes simples tracées au tire-ligne et au compas ,que ces formes par leur rencontre suscitent des vibrations générant des formes arrondies et serpentines sans déranger l'ordre d'ensemble. De même à partir d'une palette limitée, se propagent des effets colorées harmonieux.

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La rencontre des formes et des couleurs sera l'objet d'étude presque unique des peintres non figuratifs dans les années 30. La peinture abstraite s'y sclérose dans un formalisme coupé de l'émotion. La période classique de Kandinsky est aussi soumise à la recherche d'un principe unique hors du réel. Cela ce traduit par un raidissement de sa peinture, une absence de spontanéité loin de l'exubérance des années 10.

Raidissement et composition intellectuelle, certes, mais nul dessèchement pourtant. Les formes ne sont ni indistinctement mêlées, ni systématiquement répétées. Le principe d'un génération à partir d'un principe unique contenu dans le peintre fonctionne. Certes il est difficile en regardant le tableau de mettre à jour le principe unique, moteur de la composition. Kandinsky n'a pas connaissance de ce principe, il le porte en lui. Le principe n'est pas conceptualisé mais offert au regard. Sa structure nous retient. La rencontre des arêtes verticales est adoucie par le mélange harmonieux des couleurs. Libre sans être arbitraire la composition est très proche de la condition humaine. La vision et l'expérience de la forme (la Gestalt) du tableau me restitue le plaisir d'un pouvoir créateur; une création abstraite comme la musique, un développement des formes.