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Arroyo
(1937-2018)
Figuration narrative
Cuatrodedos 1963 Genève, Fondation Gandur
Les quatre dictateurs 1963 Madrid, Musée de la reine Sofia
La femme sans tête 1964 Genève, Fondation Gandur
Les compagnons du futur 1965 Genève, Fondation Gandur
Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp 1965 Madrid, Musée de la reine Sofia
Guernica 1970 Genève, Fondation Gandur
La femme du mineur Perez-Martinez Constantina 1970 Madrid, Musée de la reine Sofia

Eduardo Arroyo naît le 26 février 1937 à Madrid. Son père était pharmacien, homme de droite phalangiste. Eduardo Arroyo grandit dans le Madrid des années 1950. Élève du lycée français, il a de piètres résultats ; il intègre une école de journalisme. Après avoir exercé le métier de caricaturiste de presse en 1957 et s'être initié à la peinture, il se rend à Paris, pour fuir le franquisme, en abandonnant cette première activité, sans toutefois renoncer à l'écriture, sa première vocation.

À Paris, il fait des petits boulots pour survivre et dessine des portraits à la terrasse des cafés ou reproduit les chefs-d'œuvre du musée du Prado à la craie sur le trottoir. Il rencontre de jeunes peintres surréalistes espagnols et des vieux républicains. Puis il fait la connaissance d'Antonio Recalcati. Les deux artistes vont « faire de l’agitation politique à l’intérieur du Salon de la Jeune Peinture » avec Gilles Aillaud. Ensemble, ils réalisent des œuvres collectives, questionnent le rôle de l’artiste dans la société, sur la peinture comme arme militante.

En 1960, il commença à exposer au Salon de la jeune peinture, mais il se fait connaître à l'occasion de la IIIe Biennale de Paris de 1963, où il expose son polyptyque Les quatre dictateurs, une série de portraits de dictateurs incluant Franco, qui provoque la protestation du gouvernement espagnol. Les quatre dictateurs sont Mussolini, Hitler, Salazar et Franco, représentés de manière allégorique. En 1963, deux des dictateurs peints sont encore vivants : Salazar et Franco. Ces dictateurs n'ont pas de visage reconnaissable sur le tableau. Seul un drapeau en arrière-plan permet de déduire la nationalité du dictateur et donc du nom que l'on peut attribuer. Les corps des quatre dictateurs sont grotesques, vidés d’âme, sans visage et sans cœur. À l'intérieur de leurs figures, Arroyo dénonce les pires crimes commis par les dictateurs. Hitler est ainsi couronné d’un fil de fer barbelé rappelant les camps de concentration tandis que Salazar est caractérisé par les horreurs coloniales. Franco est flanqué d'un visage où figurent un bombardement et des manifestants. Pour éviter de provoquer des hostilités avec l’Espagne, André Malraux, le président de la Biennale, sous pression de l’ambassade espagnole, exige la dissimulation des différents drapeaux pour éviter que les dictateurs soient reconnaissables.

Toujours en 1963, il réalise une exposition à la galerie Biosca de Madrid, inaugurée sans sa présence, dès lors que poursuivi par la police, il doit fuir à Paris. L'exposition est alors interdite et ferme quelques jours plus tard. En octobre, il participe à l'exposition Grands et jeunes d'aujourd'hui à la Galerie Charpentier avec Orlando Pelayo, Georges Feher, Albert Bitran, André Cottavoz et Gustav Bolin sous le parrainage d'Alexandre Garbell.

En juillet 1964, il participe à l'exposition Mythologíes quotidiennes, fondatrice du mouvement de la figuration narrative au Musée d'art moderne de la ville de Paris avec Bernard Rancillac, Hervé Télémaque, Peter Klasen, Antonio Recalcati, Jacques Monory, Leonardo Cremonini, Jan Voss et Öyvind Fahlström et l'année suivante à l'exposition éponyme La figuration narrative dans l'art contemporain, où il présenta avec Gilles Aillaud et Recalcati le polyptyque Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp, acquis en 2013 par le Musée Reina Sofia, qui constitue le manifeste de ce mouvement.

Ayant quitté l'Espagne franquiste en 1958, il se partage depuis lors entre Madrid et Paris. Proche de Hervé Télémaque, il est comme lui un des représentants majeurs de la Nouvelle figuration et un des fondateurs du mouvement de la figuration narrative. Son style se caractérise par une relative absence de profondeur et une perspective frontale en aplat.

Après avoir participé aux événements de 68, il se tourne vers la réalité espagnole : « les luttes, le procès de Burgos, Franco, la dictature, l’Église, enfin tout le spectre de ce que sera l'Espagne jusqu'à la mort de Franco ». "El caballero español", œuvre réalisée à cette époque, se veut le portrait d’un bourgeois sous le régime franquiste. El caballero montre une star ou danseur de flamenco au regard aguicheur, travesti en femme. Sur un ton ironique, le peintre montre le caballero prenant la pose comme si on le photographiait. Il est enveloppé d'une aura, d'un halo de lumière, le reste du studio demeurant dans la pénombre. Le procédé photographique est utilisé avec le gros plan sur l'escarpin avec un effet zoom sur la chaussure. Le peintre s'est inspiré de l’image médiatique, de la photographie de magazine et celle du cinéma américain. Ce tableau peut être interprété comme une critique d'une tradition culturelle avec la robe, panoplie typique d’une danseuse espagnole, derrière laquelle un peuple se cache.

Arroyo a été l'un des principaux artistes contestataires du franquisme. Il a notamment repris plusieurs œuvres de Joan Miró (La Ferme, etc.). En 1974, il est banni d'Espagne par le régime de Franco et ne récupère son passeport espagnol qu'à la mort de celui-ci en 1976. Ainsi, sa fortune critique ne fut pas immédiate dans son propre pays, jusqu'au début des années 80, lorsqu'il reçut en 1982 le Prix national d'arts plastiques, comme réparation de cet éloignement forcé. La même année, le Musée national d'art moderne lui consacra une importante rétrospective.

Le peintre s'amuse aussi à mettre en dérision les peintres contemporains comme Marcel Duchamp, Salvador Dalí et Miró (L'enterrement de Marcel Duchamp en 1966 Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, La Femme du mineur Perez-Martinez Constantina rasée par la police copie-charge du Portrait d'une danseuse de Miró). Puis il contribue aux Affiches murales et slogans de Mai 68.

Avec le Portrait du nain Sébastien de Mora, bouffon de cour né à Cadaqués dans la 1re moitié du xxe siècle, (1970), il pastiche Velasquez et le parodie en utilisant le visage de Dalí. Le tableau Gilles Aillaud regarde la réalité par un trou à côté d'un collègue indifférent, (1973) s'inspire d'une photo d'Henri Cartier-Bresson, en coloriant comme une palette le visage d'un des deux personnages. Le Meilleur cheval du monde, (1975, MNAM) est un portrait équestre d'Élisabeth II dont le visage est vide. Avec La Ronde de nuit (1975), il pastiche l'œuvre de Rembrandt : des gourdins sont substitués aux hallebardes et deux panneaux de paysages urbains ont été ajoutés.

Il désacralise aussi les personnalités politiques en les peignant sur un ton plus ou moins irrespectueux comme Napoléon Bonaparte (Six laitues, un couteau et trois d'épluchures en 1965, Les Soucis d’Espagne en 1965) et Winston Churchill (1970). Il réalise aussi des peintures d'histoires de grand format (Portrait de Walter Benjamin en 1998) ou (Le jour où Richard Lindner est mort). S'il déteste les hagiographies des grands héros de l'histoire, il abhorre aussi la neutralité qui cache les compromissions les plus scandaleuses, la lâcheté et l'impéritie la plus redoutable.

Heureux qui comme Ulysse peint en 1976 fait écho au thème de l’exil, sujet récurrent dans les œuvres du peintre. 1977 est l’année où, deux ans après la mort de Franco, Arroyo récupère son passeport, qui avait été confisqué par les autorités espagnoles, et peut alors rentrer chez lui. Le tableau montre la désillusion des espagnols qui retournent dans leur pays après la dictature de Franco. Le peintre est aussi connu pour sa série d'autoportraits en Robinson Crusoë. Il montre l'individualisme dérisoire de l'artiste. Cette série fait écho aussi à son exil volontaire. Dans ce tableau, sur un mode ironique, le peintre s'est habillé de peaux de bêtes, chaussé de haillons ficelés, coiffé d’un chapeau «tyrolien» piqué de plumes. Il est assis dans un fauteuil sorte de trône brinquebalant d'un peintre-roi exotique. Ce meuble occupe entièrement une île minuscule. Le peintre se montre focalisant toute son attention sur une petite marine exécutée dans une palette de voyage.

Pour la série Toute la ville en parle réalisée dans les années 1980, Arroyo s'est inspiré du film Toute la ville en parle (1935) de John Ford. L’artiste illumine la scène du crime avec une efficacité magistrale, une scène comprenant à la fois vivants des morts et des témoins cachés dans l’ombre ainsi que le meurtrier en train de s’échapper. Dans cette série est inclus Le chat noir (1982) et Carmen Amaya frit des sardines au Waldorf Astoria (1988). (Carmen Amaya est une danseuse de flamenco). Pour cette série, il s'inspire du monde des affiches de cinéma, des néons dans la nuit et des stars en vedette.

Le peintre aime la boxe (il a d'ailleurs rédigé une biographie du boxeur Panama Al Brown) et en a épousé les codes. Il fait de l'attaque une défense et de l'agressivité une morale. Il collectionne les œuvres d'art liées au thème de la boxe et on trouve dans sa collection les noms d'artistes comme Paul Rebeyrolle, Jean Cocteau ou Jean-Francis Laglenne.

Son activité de scénographe débuta avec le cinéaste Klaus Michael Grüber, et il connut un de ses plus grands succès en 1982, avec “La vie est un songe” de Calderón de la Barca, sous la direction de José Luis Gómez. En 1999 il monta avec Grüber l'opéra Tristan et Isolde, de Wagner, au festival de Salzbourg. Il a également produit des sculptures et des livres illustrés.

En 2000, il reçoit la Médaille d'or du mérite des beaux-arts par le Ministère de l'Éducation, de la Culture et des Sports6.

En 2009, il publie ses mémoires sous le titre de Minuta para un testamento (« Note pour un testament »).

En 2018, il participe à la Foire Arco de Madrid puis s'éteint dans son domicile madrilène le 14 octobre 2018 à Madrid