Baselitz, la rétrospective. Centre Pompidou 20 octobre 2021 - 7 mars 2022 |
C’est la première rétrospective en France de cet artiste prolifique né en 1938 dans le village saxon de Großbaselitz (plus tard en RDA) renommé Deutschbaselitz en 1948. Enfant, il traverse avec sa mère la ville voisine de Dresde, entièrement détruite pendant la guerre. Ces ruines le marqueront à jamais. Adolescent, il est surtout en contact avec la campagne, les animaux, les forestiers, un métier qu’il a failli exercer (on verra qu’en faisant ses sculptures en bois avec une tronçonneuse et une hache, il n’est pas loin de ce métier). Tout cela se retrouvera dans son œuvre, parfois des dizaines d’années plus tard.
En 1956, il entre à l’École des arts plastiques et des arts appliqués de Berlin-Est. Il s’y lie d’amitié avec Ralf Winkler, plus connu sous le nom de A.R. Penck, mais est renvoyé au bout de deux semestres pour « manque de maturité socio-politique ». Il passe alors à l’Ouest et étudie à l’École des beaux-arts de Berlin-Ouest. La construction du mur qui coupe la ville en deux en août 1961 le condamne à un exil forcé. Cette année-là il prend le pseudonyme de Baselitz, d’après le nom de son village natal.
Le jeune artiste n’est intéressé ni par la peinture figurative, ni par la peinture abstraite qu’il découvre à l’Ouest. Il veut exister avec un style personnel à mi-chemin entre ces deux manières de peindre. C’est en octobre 1963 qu’il se fait connaître au-delà de ses attentes, avec sa première exposition personnelle, dans la galerie Werner & Katz à Berlin. Deux tableaux, jugés pornographiques, Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue] et Der nackte Mann [L’Homme nu], font scandale. Le ministère public saisi les toiles et Baselitz est traduit en justice pour outrage aux bonnes mœurs. Ce procès le marquera longtemps et il ne se départira jamais de l’étiquette de provocateur.
Le parcours de la présente exposition suit un ordre chronologique. Il est composé de quinze sections dont trois sont consacrées aux arts graphiques. On y voit aussi divers documents sur l’artiste. Dès les premières sections, on découvre les fameux tableaux qui firent scandale et une première série de tableaux, une pratique à laquelle il ne cessera d’avoir recours par la suite. Celle-ci représente des pieds (P.D. Fuße), déformés et mutilés, peut-être inspirés par Le Bœuf écorché de Soutine. Les initiales P.D. renvoie au Pandemonium, la capitale imaginaire de l’Enfer. Ce nom avait donné son titre au manifeste publié en 1961 par Baselitz et son ami Eugen Schönebeck, un texte engagé et centré sur la situation post-apocalyptique de l'Allemagne en 1945.
En 1965, bénéficiant d’une bourse, il passe six mois à la Villa Romana à Florence. Il découvre la manière de peindre non académique des maniéristes, au 16e siècle. Il s’en inspire alors pour peindre sa série Ein neuer Typ [Un nouveau type], connue plus tard sous l'appellation des Helden [Héros]. On y remarque tout particulièrement B.j.M.C. – Bonjour Monsieur Courbet, le Partisan et Die großen Freunde [Les Grands Amis]. Tous ces personnages errent dans des paysages dévastés.
Après 1966, Baselitz, qui s’est retiré à la campagne avec sa famille après le procès, se met à peindre de grands tableaux aux motifs ruraux, comme des forestiers, des chiens, des arbres. Mais les personnages sont fracturés, éparpillés, parfois à l’horizontal le long d’un tronc d’arbre ou encore la tête en bas. Baselitz veut ainsi casser les conventions de la figuration. Cette volonté s’affirmera à partir de 1969 avec des sujets représentés à l’envers. Ce sera la marque de fabrique de Baselitz et le début de sa notoriété. Ces tableaux ne sont pas peints à l’endroit puis retournés mais peints effectivement comme on les voit, ce qui est une véritable prouesse technique. En outre, les toiles étant de plus en plus grandes (jusqu’à 4 x 6 mètres), Baselitz les peint à même le sol. S’il ne se départit pas de peindre à l’envers, cela ne l’empêche pas de changer régulièrement de style.
Baselitz ne cesse de se remettre en question. Il se rapproche de l’abstraction en disposant ses personnages sur des fonds non figuratifs et surtout en utilisant des couleurs à dominante jaune, bleu ou rouge, comme dans la série « Hommage à Munch » représentant un peintre, en rouge sur fond noir avec des motifs jaunes. Baselitz emprunte leurs sujets à d’autres peintres qu’il admire comme Munch, Otto Dix, Hokusai, Picasso, Willem de Koening, etc. Il fait de même avec ses propres tableaux qu’il qualifie de « Remix ». Une section de dessins et une de peintures sont consacrées à ces Remix. En 2006, le personnage de Die große Nacht im Eimer [La Grande Nuit foutue], prend ainsi la figure de Hitler. De même le Peintre moderne, en 1966 sur fond noir avec des lignes délimitant le personnage, est maintenant peint sur fond blanc, avec des couleurs gaies, et il éclabousse le spectateur avec des jets de peinture rouge qui envahissent toute la toile.
Baselitz s’est confronté à tous les médiums. Quelques-unes de ses sculptures comme Les Femmes de Dresde (1990) ou celle qui le fit internationalement connaître, Modell für eine Skulptur [Modèle pour une sculpture] (1979-1980), sont présentes ici. On peut voir aussi des sculptures plus récentes, coulées dans le bronze à partir des sculptures en bois de l’artiste telle Winterschlaf [Hibernation] (2014).
En août 1961, dans le contexte politique tendu de la construction du mur de Berlin, l'étudiant en art à Berlin-Ouest nommé Hans-Georg Kern prend comme pseudonyme «Georg Baselitz», en hommage à son village natal Großbaselitz renommé Deutschbaselitz en 1948 et par la suite situé de l’autre côté de la frontière, en République démocratique d'Allemagne (RDA). Réfutant l'idéologie véhiculée par l'Union soviétique à travers la peinture du réalisme socialiste, il découvre après son passage à l'Ouest, en 1957, l'avant-garde moderne et abstraite qui n'était pas enseignée en RDA, et bientôt l'expressionnisme abstrait américain. Alors que le débat artistique est polarisé entre les défenseurs de l'art abstrait — langage plastique commun aux démocraties incarnant une forme de résilience face au passé national-socialiste — et les peintres figuratifs qui rejettent la doctrine imposée par l'URSS, l'artiste cherche sa voie. Il commence par s'intéresser aux artistes singuliers comme Antonin Artaud, Jean Dubuffet ou les surréalistes et s'imprègne de leurs travaux. L'ouvrage Bildnerei der Geisteskranken [Expressions de la folie] que le psychiatre et historien d'art Hans Prinzhorn consacre en 1922 à sa collection d'œuvres réalisées par des personnes atteintes de troubles mentaux le marque tout particulièrement.
En octobre 1961, Baselitz rédige avec son ami Eugen Schönebeck un texte engagé et centré sur la situation post-apocalyptique de l'Allemagne en 1945 : le Premier manifeste pandémonique. Dans un style littéraire emprunté aussi bien aux poètes et dramaturges Samuel Beckett, Antonin Artaud qu'aux Chants de Maldoror de Lautréamont, ce manifeste engendre une série d'œuvres sombres, dont les titres sont souvent précédés des initiales P.D., en référence à la capitale imaginaire des enfers : le Pandémonium. À partir de motifs inspirés de la Saxe de son enfance et de ses souvenirs de la guerre, Baselitz imagine un langage plastique alliant pratique informelle et éléments de figuration naïve. Ses motifs outrepassent les limites morales de l'époque jusqu'à créer le scandale lors de sa première exposition à la galerie berlinoise Werner & Katz, en 1963. S'ensuit un procès médiatisé qui donne à Baselitz l'image d'un artiste provocateur qui ne le quittera plus.
En 1965, Georg Baselitz obtient une bourse pour séjourner six mois à la Villa Romana de Florence. Sensible à la démarche volontairement non académique des peintres maniéristes au 16e siècle, c'est pour lui l'occasion d'étudier leurs motifs et la manière dont ils utilisent les distorsions dans leurs compositions. Dès son retour à Berlin, il peint l'œuvre B.j.M.C - Bonjour Monsieur Courbet (1965) qui contribue à la création d'un nouveau corpus d'œuvres intitulé de manière provocatrice Ein neuer Typ [Un nouveau type], plus tard connu sous l'appellation des Helden [Héros]. Baselitz prend ici comme point de départ l'iconographie des représentations romantiques, voire pathétiques, de l’« homme parfait ». Cette nouvelle galerie de personnages — partisans, peintres ou poètes — erre dans des campagnes ou forêts dévastées. Avec le tableau-manifeste Die großen Freunde [Les Grands Amis] (1965), l'artiste dit peindre une « parade sociale » où l'individu est toujours seul face à l'Histoire.
Tout autant l'œuvre graphique que l'œuvre gravé de Georg Baselitz dévoilent la richesse et l'abondance d'une recherche formelle constante et singulière. Ici sont regroupés une sélection de dessins faisant référence aux trois versions du Manifeste pandémonique, ainsi que la série des premiers vernis mous arborant les variations du motif d'Oberon débuté avec le tableau-manifeste exposé à Berlin-Ouest, en 1964.
En 1966, afin de retrouver le calme après le procès qui l'a meurtri, Georg Baselitz déménage avec sa famille à la campagne, à Osthofen, en Rhénanie-Palatinat. Il y réalise une suite de grands tableaux aux motifs ruraux — des forestiers, des chiens, des arbres — où les changements de sens de lecture se multiplient. Ces tableaux le mènent vers un nouveau cycle, celui des Frakturbilder [Tableaux fracturés], dont les motifs brisés évoquent des destins tragiques dans une Allemagne divisée. Ce cycle témoigne d'une volonté de casser les conventions de la figuration, en empruntant au principe du cadavre exquis, une méthode développée par les artistes surréalistes au début du 20e siècle. Il annonce le renversement complet des peintures qui deviendra la marque de fabrique de Baselitz.
Baselitz s'obstine à renouveler la peinture quand les tenants de l'art conceptuel la déclarent morte. À 30 ans, il cherche ainsi le moyen de rompre radicalement avec une représentation fidèle de la réalité : « Pour moi, le problème consistait à ne pas peindre de tableau anecdotique ou descriptif. D'un autre coté, j'ai toujours détesté cet arbitraire nébuleux des théories de la peinture abstraite. Le renversement du motif dans le tableau m'a donné la liberté de me confronter à des problèmes picturaux ». Tout en restant à distance du pop art et du réalisme capitaliste, il produit ses premiers tableaux aux motifs renversés d'après photographies en 1969. Présentés dès 1970 à Cologne par le marchand et collectionneur Franz Dahlem, ils créent l'événement Dès lors, l'artiste qui peinait encore à vivre de son art, va voir les institutions et certains collectionneurs influents s'intéresser à son travail.
Afin d'éviter d'être associé à un même « style » tout au long de sa carrière, il prend la décision et la liberté d'en changer régulièrement. S'il conserve systématiquement le principe du motif renversé, l'artiste varie désormais ses méthodes au gré de la gestuelle, de la composition de l'image et des composants de la peinture. Ces procédés créent des résultats esthétiques volontairement aléatoires, propices à ce que l'artiste appelle des « images nouvelles ».
En 1975, Georg Baselitz entreprend son premier voyage à New York et à São Paulo pour participer à la Biennale d'art contemporain avec l'artiste allemand Sigmar Polke.
Avec sa femme Elke et ses deux fils, il s'installe dans le château de Derneburg, en Basse-Saxe. Il y débute une série de nus de lui-même et d'Elke qui témoignent, dans un style proche de l’expressionnisme abstrait, d'une approche du corps et d'une intimité nouvelles. Le geste, devenu plus libre et énergique, crée des compositions régies par des jeux de clair-obscur, avec une palette de couleurs volontairement plus réduite.
Dès 1977, Baselitz réunit une collection d'art africain qui compte aujourd'hui parmi les plus importantes au monde et qui l'a considérablement inspiré pendant la naissance de son
travail de sculpteur, ainsi qu'au fil de ses différents motifs.
En 1980, pour représenter la RFA à la Biennale de Venise, il expose sa première sculpture Modell für eine Skulptur [Modèle pour une sculpture], seule au centre du hall du pavillon allemand. Inspiré de figures lobi qui lèvent le bras pour tendre la paume de la main vers le ciel, le geste représenté, trop proche du salut hitlérien, déclenche un nouveau scandale médiatique. Cette fois cependant, l'inventivité dans la manière de créer un lien entre la sculpture tribale, l'art brut et la sculpture en bois de l'Allemagne médiévale apporte à l'artiste une renommée internationale. Ses motifs picturaux variant entre des autoportraits et des représentations de corps dans diverses positions (à la plage, buvant) s'inscrivent sur des fonds abstraits dont la palette évoque celle des peintres expressionnistes.
Parallèlement à la peinture, Georg Baselitz crée des dessins et gravures à travers lesquels il explore davantage les motifs qui le préoccupent périodiquement. Au début des années 1980, il s'intéresse à la représentation du corps dans des actions volontairement banales, dévoilant ses maladresses. L'artiste expose ainsi sa vision théâtrale et poétique de la vie quotidienne et de la condition humaine.
En 1982. Baselitz crée Le Joueur de tambour (1982) montrant un homme nu tambourinant (ou luttant ?) entre des aplats de couleurs, le noir, le rouge et l'or évoquant le drapeau allemand. La même année, pour l'exposition «Zeitgeist» au Martin-Gropius-Bau, alors situé à proximité Immédiate du mur de Berlin, Georg Baselitz crée la série Mann im Bett [Homme au lit] (1982). Installées en hauteur lors de leur présentation initiale, ces peintures monumentales semblent flotter dans l'espace telles des fenêtres inaccessibles montrant des individus isolés, menacés et exclus de la société. Les titres et motifs des tableaux correspondent librement avec Plainte (II) (1914), l'un des derniers poèmes du poète expressionniste austro-hongrois Georg Trakl.
Baselitz poursuit son travail sur la mémoire qui le mêne à matérialiser des réflexions sur les idéologies dans l'art, qu'elles soient propres à l'art, comme chez Marcel Duchamp
(Marcel Duchamp, 2001), ou véhiculées par l'art, dans le cas de Frida Kahlo (Die ldeologie, die Jungfrau [L'idéologie, la vierge], 2001).
À partir de 2005, l'artiste réinterprète ses propres œuvres avec le cycle Remix. Il y reprend des compositions en changeant de rythme ou en y introduisant des références nouvelles, souvent provocatrices.
En novembre 1989, alors que le mur de Berlin vient de tomber, Baselitz plonge dans ses souvenirs d'enfance, ceux de la ville de Dresde détruite après les bombardements de 1945, qu'il découvre à l'âge de sept ans. Pendant l'année 1990, il poursuit ce travail de mémoire en rendant hommage aux Trümmerfrauen, ces femmes qui ont déblayé les villes pierre par pierre et activement participé à leur reconstruction, avec la série de sculptures intitulée Dresdner Frauen [Femmes de Dresde] (1990).
Entre 1991 et 1995, l'artiste cherche à traduire son ressenti et crée un ensemble de 39 tableaux monumentaux, Bildübereins [Tableau-sur-un-autre]. Il y superpose des têtes, bustes ou corps de facture toujours plus abstraite, parfois réduits à des tâches de couleurs, à des grilles de motifs abstraits - que l'artiste appelle des « ornements ». Ces grands formats nécessitent un travail au sol, pratique que l'artiste utilise encore aujourd'hui.
Georg Baselitz entame avec cette autre série créée en 1982 une correspondance picturale avec les silhouettes peintes par Edvard Munch, réinterprétant notamment ses tableaux Autoportrait en enfer (1903) et Le Noctambule (1923-1924).
Choqué par la découverte des dossiers le concernant établis par la Stasi en RDA, Baselitz écrit en mars 1997 le texte Wir besuchen den Rhein [Nous visitons le Rhin]. Il y évoque la façon dont cette expérience influence son état d'esprit comme son travail. À partir de 1998 et jusqu'à 2005, il revisite les souvenirs de sa jeunesse est-allemande et l'imagerie de propagande diffusée en RDA dans un cycle intitulé Russenbilder [Tableaux russes].
En 2006, Georg Baselitz et sa femme vendent le château de
Derneburg et emménagent sur les rives de l'Ammersee, en Bavière. Cette nouvelle étape inspire à l'artiste un travail d'introspection sur ses sources d'influences et ses propres tableaux qui donne naissance au cycle Remix - selon le terme utilisé en musique. Baselitz joue avec les compositions existantes, y ajoute des références nouvelles et rend hommage à des artistes qu'il vénère, tel Otto Dix (1891-1969).
À partir de 2014, l'artiste crée un cycle d'œuvres dont les motifs suggèrent son vieux corps fragile avec une matière qui exhale le plaisir de peindre. Ce motif de silhouette évanescente, qui obsède l'artiste ces dernières années, lui a été inspiré par un rêve. Baselitz se souvient «d'une peau, [la sienne], qui était déchirée par le milieu, fendue en deux» et dont le caractère anatomique reflète à ses yeux son état physique. Que ce soit par l'autoportrait ou le double-portrait avec sa femme Elke, ce motif sera ensuite abondamment décliné sur des très grands formats à l’aide de matrices dont les empreintes sont appliquées sur des fonds unis, évoquant les compositions verticales du peintre Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553). Les peintures sont retravaillées avec un vaporisateur créant des effets de voiles, faisant disparaître le corps progressivement dans l'obscurité
Source : Fiche de Spectacles-sélection