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La couleur : lumière ou matière

La question de savoir si la couleur doit ou non être présente dans le temple chrétien est violemment débattue à l'époque romane lors du conflit qui oppose les clunisiens aux cisterciens.

Plusieurs prélats (dont tous les grands abbés de Cluny) et un grand nombre de théologiens pensent que la couleur c'est la lumière, seule partie du monde sensible qui soit à la fois visible et immatérielle. Or Dieu est lumière. Il est donc licite, et même conseillé, d'étendre dans l'église la place réservée à la couleur, non seulement pour dissiper les ténèbres mais aussi pour faire une plus large place au divin. C'est ce que fait Suger, lorsque à partir de 1129-1130, il entreprend la reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis.

Mais d'autres prélats sont hostiles à la couleur, en laquelle ils voient de la matière et non de la lumière. Ce second point de vu prévaut dans les églises cisterciennes pendant une large partie du XIIème siècle et même quelque fois encore au XIIème.

A partir du milieu du XIVème siècle les deux positions se rapprochent. Ni la polychromie absolue ni la décoloration totale ne sont de mise. On préfère désormais les simples rehauts de couleurs, la dorure des seules lignes et arrêtes, les effets de grisaille.

Les débuts de la réforme protestante ne se situent donc pas au moment où les églises d'occident ont été le plus chargées de couleurs. Au contraire, ils s'inscrivent dans une phase de polychromie déclinante et de coloration plus sobre. Mais cette tendance n'est pas générale et pour les réformateurs elle est insuffisante ; il faut faire sortir massivement la couleur du temple. Comme saint Bernard au XIIème, Carlstadt, Melanchton, Zwingli et Calvin (L'attitude de Luther semble plus nuancée) dénoncent la couleur et les sanctuaires trop richement peints. La couleur rouge, la couleur par excellence de la bible, est celle qui symbolise au plus haut point le luxe et le péché. Elle ne renvoie plus au sang du Christ mais à la folie des hommes. Carlstadt et Luther la tienne en horreur. Ce dernier y voit la couleur emblématique de la Rome papiste, colorée comme la grande prostituée de Babylone. Pour les protestants les couleurs jugées "honnêtes" ou morale sont le blanc, le noir, le gris et le bleu.

Calvin ne condamne pas les arts plastiques mais ceux-ci doivent être uniquement séculiers et chercher à instruire, à réjouir et à honorer Dieu. Non pas en représentant le créateur (ce qui est abominable) mais la Création. L'artiste doit donc fuir les sujets artificiels, gratuits, invitant à l'intrigue ou à la lascivité. L'art n'a pas de valeur en soi ; il vient de Dieu et doit aider à mieux le comprendre. Par là même, les peintres doivent travailler avec modération, chercher l'harmonie des formes et des tons, prendre son inspiration dans le créé et représenter ce qu'il voit. Pour Calvin, les éléments constructifs de la beauté sont la clarté, l'ordre et la perfection. Les plus belles couleurs sont celles de la nature ; les tons vert tendre de certains végétaux ont à ses yeux "beaucoup de grâce et la plus belle couleur est naturellement celle du ciel.

La couleur contre la ligne

Selon l'historien d'art Heinrich Wolflin, l'histoire de l'art est faite d'alternances entre l'intérêt pour la ligne et pour la couleur.

A Florence sous Laurent de Médicis, Marcel Ficin commente Plotin. Il propage auprès des peintres du Quattocento les théories de Platon pour qui le monde n'est que le reflet de la beauté qui est une idée spirituelle. Les peintres de Venise sont plus proches de l'Université de Padoue et d'Aristote pour qui la beauté est substantielle, inhérente à la matière. Le quattrocento florentin est ainsi dominé par la ligne alors que Venise et les Flamands de la fin du XVème privilégient la couleur.

En 1646, les peintres français obtiennent la création la création de l'Académie Royale de Peinture qui leur donne un statut intellectuel comparable aux auteurs littéraires. La promotion de la peinture comme un art libéral entraine le primat du dessin sur la couleur, de l'idée sur la matière, de l'essence sur la substance. Une controverse philosophique agite l'Académie en 1670 et donne lieu à la célèbre Querelle du colorie. Roger de Piles, second théoricien de l'art français après Félibien, publie en 1673 "Dialogue sur le colorie", où il fait l'éloge du colorie au travers de l'œuvre de Rubens. Il conseille à Richelieu de céder ses Poussin à Louis XIII et de se constituer une collection d'œuvres de Rubens. En 1690, la révolution s'est opérée, le renouvellement des générations sacre Rubens génie de la peinture. La voix est libre pour la Fosse, Boucher, Watteau et, plus tard, Delacroix. Valorisation des couleurs vives, du travail de la couleur, de l'empâtement, de la vue à distance.

Retour à la ligne avec l'académisme du début du XIX qui privilégie le dessin et la composition. La couleur est utilisée pour remplir l'espace entre les lignes. Elle n'a guère de valeur expressive. Les règles qui prévalent préconisent l'emploi des tons chauds pour les premiers plans et des bleus pâles à l'horizon.

Constable puis Delacroix et les romantiques se dégagent de ce carcan. Courbet puis Manet utilisent la couleur à la fois avec parcimonie et grande vigueur alors que de nombreux peintres de leur époque abusent des couleurs vendues en tube et de la théorie des tons rompus ou rabattus.

Les Impressionnistes et les fauvistes font à nouveau éclater la couleur puis la ligne reprend le pouvoir avec les cubistes...