Les enseignants ayant inscrits leurs classes au concours Cinecrítica, concours de critiques en langue espagnole, organisée par la Délégation à l'action culturelle (DAAC) de l'Académie de Caen, bénéficiaient d’une demi-journée de formation. Elle fut dispensée le mercredi 14 novembre après-midi à Caen par Thierry Méranger, à la fois professeur et critique. Elle était destinée à alimenter la réflexion sur la rédaction de critiques de films. La journée était aussi ouverte aux participants au prix littéraire lycéen de la ville de Caen.

Le concours Cinecrítica, organisé depuis trois ans dans l'académie, porte sur un film commun aux trois départements, Medianeras de Gustavo Taretto en 2013, et un au choix par département, Rabia de Sébastian Cordero pour le Calvados, Les vieux chats de Sebastián Silva et Pedro Peirano dans La Manche et El Chino de Sebastián Borensztein dans l'Orne. Les projections au cinéma sont organisées pour les classes : au Café des Images à Hérouville-Saint-Clair (14), au Long Court à Coutances (50) et au Rex à Sées (61).

Les classes participant au concours rendent une à deux critiques, écrites individuellement, en espagnol (1500 à 2000 signes, espaces compris). La classe désigne par vote la ou les deux meilleures critiques produites en son sein. Afin d’être accessible à tous les membres du jury, la critique sélectionnée par la classe est ensuite traduite en français par le professeur. Elle doit être envoyée à la DAAC par mail (daac@ac-caen.fr) pour le 31 janvier 2013, qui la transmet aux membres du jury. Seront récompensées les trois meilleures critiques par département. La remise des prix aura lieu le 21 mai 2013 dans l'Orne, le 31 mai dans le Calvados et le 7 juin dans La Manche. Les critiques lauréates seront publiées sur les sites web :

Formation brillante, vivante et analytique assurée par Thierry Méranger, critique et enseignant

Thierry Méranger est critique aux Cahiers du cinéma mais aussi enseignant au lycée Rotrou à Dreux où il a créé une section cinéma. Il est aussi programmateur art et essai dans une salle de cinéma qui croit à la pédagogie avec ses ateliers de programmation. Ceux-ci sont encadrés : quatre ou cinq films en DVD sont prêtés à des lycéens pour qu'ils puissent ensuite choisir la projection au cinéma de l'un d'eux et le présenter aux spectateurs. Thierry Méranger est aussi créateur du Festival Regards d'ailleurs qui en sera à sa onzième édition en mars 2013.

Thierry Méranger rappelle la nécessité de développer des stratégies avant la première projection en salle. Beaucoup de choses se jouent dans les consignes avant la projection. Ne pas imaginer que le contact à l'œuvre est évident comme il l'était pour la génération des années 60. Ne pas croire que l'on va éventer l'intérêt d'un film et ne pas hésiter à donner des consignes : apprendre à rester assis dans une salle, se concentrer sur le film, sur une ou deux séquences, repérer les noms des personnages, leurs liens....

Cette sensibilisation du spectateur avant la projection se retrouve avec le dispositif de "la 7e salle" qui propose aux spectateurs d'une salle de voter au sein d'un ensemble de trois films qui sera projeté s'il obtient au moins 15 spectateurs. Les conditions générales de perception du film ont bien changé depuis les années 80. Autrefois on rêvait de posséder un film à soi. A l'époque du DVD, du streaming, il est néanmoins nécessaire de reconquérir l'objet film. Au Festival de Vendôme, Thierry Méranger encadre la programmation lycéenne. Un petit journal du festival est distribué à la séance de 20 heures. Expérience valorisante de créer un objet publié qui au va susciter l'intérêt d'un public pour lequel on écrit.

I - Qu'est-ce que la critique ?

Le sens le plus fort est négatif : "il m'a critiqué". La critique casserait ainsi les films. On constate pourtant qu'une majorité de critiques publiées sont positives.

La critique a pour but d'enclencher une réflexion. Il arrive que l'on sorte d'un film sans avoir si on a aimé ou non. Le film est une graine plantée en nous dont on ne sait pas si elle poussera ou non. Méfiance sur des positions trop tranchées. L'adhésion ou le rejet spontané n'est pas garant d'un jugement solide à long terme. L'élève s'enferre dans un jugement porté très fort et très haut au début. Parfois on ne sait pas si le critique a aimé ou pas.

Parce qu'il est souvent considéré comme un objet de divertissement, il faudrait que le film plaise immédiatement pour être étudié. Objet d'étude, le film ne requiert pas une adhésion spontanée. Le professeur n'est pas là pour montrer des films avec lesquels l'adhésion est immédiate. On doit s'éloigner du prêt à penser puisque l'on va leur demander d'argumenter.

Recenser où est la critique. Elle est historiquement liée à l'écrit, écrire sur le cinéma est un genre littéraire. Elle se trouve dans les revues, magazines et quotidiens (dont la périodicité et la spécialisation échappent souvent aux lycéens). Tous les supports de presse ont des critiques. La critique n'est pas isolée. Elle prend place parmi d'autres critiques dans un journal qui a une attente. Première et Studio font essentiellement de la promotion. Les Cahiers du cinéma et Positif ont une position de quasi duopole. Travail d'écriture au sein d'un groupe. Esprit de la publication. Les articles sont écrits pour différents publics : pour qui écrit-on ? Le journal du lycée, le ciné-club du quartier, ses parents, ses professeurs ?

La critique publiée est la plus prestigieuse. Les sites internet se créent à profusion mais un de réussi sur cinquante. A la radio et à la télévision, le critique se donne en spectacle. Au masque et la plume ou au Cercle, les critiques sont là pour faire leur show comme des animateurs. Les exigences littéraires ne sont pas assez visuelles pour passer à la télévision qui fait exclusivement de la promotion. Les chaines coproductrices des films poussent la consommation. La critique doit essayer de se détacher de la chaine commerciale.

Evaluer la quantité : un article, c'est au-dessus de 2500 caractères. En dessous de 2000 c'est une notule. L'entretien c'est aussi de la critique. Il faut savoir faire parler, poser les bonnes questions. Le Hitchcock de Truffaut est un modèle. Les bonus de DVD, ceux de Bertrand Tavernier par exemple sont aussi de la critique.

Chaque mercredi sortent environ 15 films. Les critiques voient les films, en séances de presse ou par DVD, avec deux ou trois mois d'avance. Pour le grand public, il est désormais possible d'accéder au dossier de presse (en cherchant la société de distribution) et à la bande-annonce.

Statut de la critique en France. Le lien qui unit les critiques et les réalisateurs est plus fort en France que dans d'autres pays. Déjà dans les années 20 avec Epstein et Delluc puis, à partir de leur création en 1951, Les Cahiers du cinéma servent de tremplin pour passer à la réalisation pour Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer, Rivette, Moullet, Bonitzer, Assayas, Carax, Honoré, Jousse, Mia Hansen Love...

Le 7e art est lié à la France. L’expression septième art fut forgée par un critique franco-italien, Ricciotto Canudo et le fut en France. L'envie de la critique se manifeste par la consultation des étoiles d'Allociné. Elles sont établies par une lecture rapide et parfois fausse des publications critiques mais dépassent largement en notoriété les quelques 10 000 à 20000 exemplaires des Cahiers du cinéma. Les jugements qui peuvent être laissés indiquent sans doute que la critique à un statut comparable à la poésie : plus d'adolescents qui en font que d'adolescents qui en lisent.


II - Qu'écrire dans une critique et comment ?

Critique compte-rendu personnel, expérience de spectateur. Renoncer au mythe de l'objectivité et revendiquer sa subjectivité. Ne peux parler que de son expérience à soi. C'est là une différence entre le critique et le journaliste qui transmet des faits objectifs. La critique à plusieurs est difficile sauf accord minimal avec l'autre.

Partir du vécu subjectif et parvenir à une opinion cohérente et argumentée. Faire émerger ce que le spectateur n'a peut-être pas vu. Il faut se débarrasser de l'auteur. Ne pas se focaliser sur ce qu'il a voulu y mettre mais sur ce qui est dans le film. L'auteur n'est pas le détenteur du sens de son film. C'est au spectateur d'exécuter la partition pour que l'auteur existe. Il est l'exécutant d'une partition écrite pas un auteur. L'improvisation comme l'interprétation sont possibles en veillant toutefois à ne pas s'en éloigner jusqu'au contresens.

Pour qui écrit-on ? Il faut tenir compte de l'âge et de la culture du public sans pour autant essayer de répondre à l'attente supposée du jury (sait-on d'ailleurs s'il y a un élève, un étudiant de cinéma ?). Le jury attend probablement des critiques assez académiques mais acceptera volontiers une forme inhabituelle si elle est en adéquation avec le film.

La critique n'obéit à aucune contrainte formelle et peut englober d'autres genres littéraires : lettre, mode d'emploi, petite annonce, guide de voyage... Une des critiques de l'an passé, sous forme de guide de voyage a été trouvée très bien parce qu'en adéquation avec le thème du film et parce que, sur le fond, c'était une vraie critique. En revanhce pour une autre, rien dans le film ne justifiait une recette de cuisine.

Louis Skorecki écrivait certaine de ses critiques sous forme de dialogue. Il peut y avoir des entorses au langage écrit avec des phrases nominales, du vocabulaire peu châtié (revoilà ce lourdaud de X..). Il est possible d'interpeller le lecteur (Bon !, Pas vrai ?). L'écart doit cependant être assumé et ne pas naitre d'une faute de langue fortuite.

Ne pas paraphraser le sujet du film. Dire quelque chose, c'est donner un avis. Pas d'obligation d'être prescriptif (Allez ou n'allez pas voir le film).

On pourra donner au critique en herbe le même conseil qu'à un cinéaste auquel on dit "Fais un film comme tu l'entends". L'important est qu'il y ait adéquation entre la forme choisie et le propos, avec le genre ou le registre du film. La critique doit être vivante et analytique.

 

III - Les qualités requises.

Parmi les documents qu'il distribue, Thierry Méranger part du propos de Michel Ciment : "Un critique doit réunir cinq qualités : l'information, l'analyse, le style, l'évaluation et l'enthousiasme."

L'enthousiasme pour le cinéma, c'est ici montrer que l'on a envie d'écrire (que l'on ait aimé ou pas), que l'on a envie de partager une expérience, envie d'en parler. Premier conseil : ne pas hésiter à faire relire sa critique par quelqu'un d'autre.

L'information : sont obligatoires le nom du réalisateur, le titre et l'année. Résumer au moins en partie et faire comme si le spectateur n'avait pas vu le film. On limite le vocabulaire d'analyse filmique à quelques notions (plan, gros plan, travelling et panoramique). Conseil : donner un titre à la critique.

L'analyse : rechercher les centres d'intérêt du film. Ce peut être le genre et quel écart par rapport au genre Ce peut être les personnages, quels sont leurs caractéristiques. Ce peut être le jeu des acteurs. Conseil : ne pas sous-estimer les moments gênants, obscurs du film et, au contraire, partir des difficultés. On ne fait pas de la critique en étouffant la difficulté mais en partant d'elle, en posant de bonnes questions à défaut de les résoudre.

Il est souvent dangereux de partir des thèmes du film. Il faut d'abord avoir de l'info pour développer (L'architecture dans Medianeras). Dépasser le thème et faire preuve de distance critique. Jeanne d'Arc de Luc Besson parle-t-il du moyen âge ou des circonstances de son tournage ? Amélie Poulain paraissait très consensuel pourtant une célèbre critique de Serge Kaganski le fit apparaitre comme rance, référence à la France des années 40, rétrograde et passéiste. Il y a une différence entre ce qui croit être dit et ce qui est dit à l'écran. Indigène est un film salutaire sur la condition des harkis, mais est-ce du cinéma ?

Evaluer ne doit pas être premier. Ecrire fait partie de la réflexion. C'est en écrivant que l'on trouve une forme d'inspiration. Négatif par certains aspects mais le film bien choisis leur film préféré sur deux agaçant scène montée en épingle injustice travelling de Kapo scène de la douche ou du manteau rouge de La liste de Schindler. Donner des signes et laisser les élèves les interpréter.

Formulation : (voir point II). On retiendra : une forme et des formules, jeux de mots. Ne pas négliger les connecteurs logiques. Commencer à partir de sa réaction, de sa position de spectateur. Choisir une scène emblématique. On ne peut pas tout dire mais probablement y a-t-il des choses à ne pas rater.

 

Jean-Luc Lacuve le 18/11/2012.