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A  

AALTRA de Benoît Delépine et Gustave Kervern. 1*. Deux voisins, suite à un tragi-comique accident dû à des querelles liées aux nuisances sonores, se retrouvent en fauteuil roulant. L'un d'eux est en effet rentré en collision avec sa moto dans la remorque du tracteur de l'autre, une remorque de la marque finlandaise Aaltra. Attristés par leur si injuste sort, on l'eût été pour moins, ils décident tous deux de se rendre en Finlande, vaille que vaille, et de demander des dommages et intérêts au fabricant.
Sur une idée de départ totalement absurde et loufdingue Delépine et Kervern brodent (le terme n'est peut-être pas approprié, faut pas exagérer) un road movie déglingué, filmé dans un noir et blanc cafardeux et neigeux, prétexte à des rencontres et des situations insolites. Pourquoi pas ? Mais le hic c'est que leurs aventures manquent singulièrement de trépidations et de rythme. Le fauteuil roulant, stigmate de leur erreur et de leur problème commun, mais aussi moyen de locomotion donne lieu à quelques gags assez drôles, mais il aurait pu être mieux utilisé. On sent que les deux compères ont du digérer les films de Kaurismaki, auquel ils rendent un hommage appuyé ici, mais ce dernier manie l'humour pisse-froid et le misérabilisme d'apparence bien mieux qu'eux. Pas grand chose d'autre à dire là-dessus. C'est pas nul, mais c'est tiédasse.

AMERICAN SPLENDOR de Shari Springer Berman et Robert Pulcini. 3*. Harvey Pekar est un Américain des plus moyens. Ventripotent, dégarni, fan de comics et de jazz, déprimé et névrosé il travaille dans un hôpital de Cleveland, à la section documentation, au milieu de milliers de dossiers d'anciens patients. De la vie, qu'il trouve tellement complexe, il n'attend rien, pas même l'amour, sur lequel il semble avoir fait une croix, peu enclin aux joies de l 'existence, le bonheur paraît n'avoir aucune prise sur lui. Rongé de ne pouvoir faire sortir ce mal être profond, il erre dans sa vie, spectateur impuissant de son lent déclin. Puis vient la rencontre avec Robert Crumb, un dessinateur underground. Ils décident de mettre en dessins et en bulles cette vie si exsangue, si monotone. Pekar se raconte, sans fard, avec un réalisme cru et un humour grinçant, Crumb lui donne forme. Le succès, relatif, faisant, les numéros d'American Splendor se succèdent et prennent une part importante de la vie de ce M. Tout-le-monde. Joyce, une jeune femme perturbée, son alter ego féminin si on veut, entre dans sa vie, dans sa BD aussi puisque les deux se fondent. Il est reconnu pour son travail de créateur, qui ne lui permet quand même pas d'en vivre, se fourvoie dans quelques émissions télé populaires…chaque nouvelle chose qui lui arrive s'intègre de facto dans le morne train-train de son existence. Un jour il apprend qu'il est atteint d'un cancer. Avec sa femme il décide de faire de sa maladie et de son traitement le sujet d'une BD…
On est frappé par les ressemblances entre le film et la vie même de Pekar : les réalisateurs y ont intègré des images dessinées et quelquefois animées, des morceaux d'archives donnant au film un aspect de patchwork un peu bordélique. De plus ils nous livrent une poignée de scènes de tournage du film, où les vrais personnages et les acteurs qui interprètent leur rôle sont présents. Ce côté foutraque, qui nous rend Pekar si humain et sympathique insuffle au film une vie réelle et grouillante mais de façon peu explicite. La dynamique dans laquelle Pekar se met, à savoir que son travail d'artiste devient la substance même de sa vie alors qu'il n'est sensé, au début du moins, qu'en être le reflet, se substitue à sa vie d' " avant ", une confusion se fait entre le personnage et l'homme. L'art n'a chez lui pas de vocation thérapeutique,il ne sublime rien, il serait plutôt aliénant dans cette optique. En conclusion, ce film est un objet " malade ", qui souffre des mêmes maux que son sujet, il est animé de la même énergie, les deux étant en osmose (on pourrait parler de mimétisme) parfaite.

ANYTHING ELSE de Woody Allen. 2*. Jerry Falk est un jeune auteur de sketchs new-yorkais qui se lasse un peu de se limiter au comique et décide donc d'écrire un roman. Il est entouré d'une jeune femme, dont il est éperdument sous le charme et qui le mène par le bout de la braguette, d'un vieux bonhomme, M. Dobel, un professeur de collège (comique frustré et aigri), un psychanalyste refroidissant et enfin d'un agent, une espèce de has been minable et manipulateur qui veut lui faire signer un contrat à vie. Tout ce petit monde gravite dans un New-York blanc, autour de Central Park (l'Upper East Side où Jerry a son appartement, très années 40/50, et Greenwhich Village).
On est clairement dans l'univers familier de Allen, qui à travers ces deux personnages, Jerry et David Dobel, parle de lui et de sa vie. Jerry serait un Woody jeune, du moins dans les apparences (façon de s'habiller, humour grinçant, appartement rétro, jazz, rapport conflictuels avec la belle-mère, psy, frustration sexuelle…), et idéal dans la mesure où Allen y projette son regard rétrospectif. Ce jeune auteur a un parcours qui ressemble à celui de son créateur et Allen le met en relation avec Dobel, une sorte de lui actuel mais aux défauts exagéremment grossis, un peu comme si il réécrivait son histoire. Car ce Dobel est un phénomène : paranoïaque, adepte d'une autodéfense radicale et irrationnelle, onaniste convaincu, juif athée mais apeuré par une possible existence de dieu, aigri par tous ses actes manqués (il n'a pas osé assumer la carrière d'auteur et s'est réfugié dans celle de prof), il va même se distinguer par un vocabulaire hors d'âge, en employant des mots qu'il est peut-être le seul à utiliser et il distille à son jeune alter ego tout un fatras éthique bancal. Cette étrange relation qu'ils nouent, qu'on pourrait grosso modo assimiler à une relation père/fils (père ou Pygmallion) va les amener à un projet commun, celui de partir tous les deux à Los Angeles ; pour l'un, il s'agit de se lancer véritablement et pour l'autre d'essayer de rattrapper le temps perdu. Mais au dernier moment, Dobel renonce pour d'obscures raisons, il invente à cet effet une abracadabrante histoire de vengeance…bref, seul Jerry quittera Big Apple, plaquant tout ce qui formait son " décor ", son environnement et se donnant, contrairement à son aîné aigri et plein de regrets, la chance de faire ce qu'il veut.
En conclusion, Anything else est un film amusant qui recèle une grosse poignée de répliques qui font mouche. Mais c'est un Woody Allen très mineur, loin des fulgurances de Broadway Danny Rose. Les acteurs apportent une plus value non négligeable au film, Christina Ricci en tête (elle dégage un sex appeal exorbitant) mais aussi Jason Biggs, un des teenagers abrutis des American Pie ou Danny de Vito qui compose un agent gluant mémorable.

AVIATOR de Martin Scorsese. 3*.Play boy, mégalo, paranoïaque, névrosé, égocentrique exacerbé, obsédé, monomaniaque, visionnaire, souffrant d'hallucinations, terrorisé par les germes…bref, Howard Hughes en plus de ça était aussi un homme comme les autres, essayant de vivre avec les séquelles laissées par une mère toxique, pathétiquement turlupinée par le fait de se protéger des agressions du monde extérieur, surtout celles dont la taille se calcule en microns. Le film s'ouvre sur le tournage homérique de Hell's angels, une hagiographie de valeureux pilotes de chasse américains, tourné avec un nombre phénoménal de caméras. Son film pharaonique qui faillit le mettre sur la paille est un succès et devient le film le plus cher de l'histoire du cinéma. Et il enchaîne avec des prototypes d'avions inédits, d'autres films et d'autres avions jusqu'à ce qu'on cherche à le traîner dans la boue, pour une histoire de contrats non remplis…
Le personnage de Hughes a tout ce qu'il faut pour être un véritable " héros " scorsesien : des aspirations méchamment ambitieuses, une bonne dose de folie (dans le sens psychiatrique)…autant d'éléments qui lui permettront d'atteindre le firmament de son rêve fou et de s'y brûler les ailes pour s'échoir irréversiblement. La fuite en avant de Hughes, toujours plus gros les avions, toujours plus chers, toujours plus osés les films, est remarquablement montrée par Scorsese, on est entraîné dans son sillage tourmenté, toujours au bord de l'implosion (et de l'explosion), apparaissant fort pour tout le monde, et incroyablement fragile et exposé pour ses proches. Un colosse aux pieds d'argile. La moindre trace de saleté, de négligence le met à mal, lui faisant perdre ses moyens.
Hughes souffre de sa matérialité d'être humain (son corps, et l'univers physique humain est son talon d'Achille), cela doit lui sembler un frein à ses folles ambitions, en même temps qu'un moteur, car ça lui permet de voler, de s'éloigner de ce monde dans lequel il se sent trop à l'étroit. Inoculée par sa mère, cette phobie, dérisoire, presque paradoxale, en comparaison de l'énergie immense déployée par le personnage semble le marquer du sceau de la malédiction. Les personnages des femmes, choisies dans son immense tableau de chasse, retenus par le metteur en scène sont intéressants : on voit essentiellement Katharine Hepburn, présentée comme une femme indépendante, une forte tête mais qui " joue " (dans le sens qu'elle l'interprète) sa vie en permanence et Ava Gardner, qui n'hésite pas lorsqu'elle découvre que Hughes a posé des micros partout chez elle, à l'assommer. On suit donc la confrontation permanente de Hughes avec sa folie, on le sent exposé, fragile et instable alors que l'image et l'histoire tend à le présenter comme un démiurge. Cette césure pathologique fait naître une grande tension chez le spectateur. Scorsese en joue avec maestria, comme lors de la scène du dîner avec le sénateur où l'on voit que ce dernier laisse exprès une trace de doigt sur le verre de son hôte. Si le film n'émeut pas vraiment, on est sollicité par le biais de cette mécanique, souhaitant et redoutant le prochain pétage de plombs du nabab. Sa déchéance est impressionnante, même si le film ne se clôt pas là-dessus. Seul, hermétiquement cloîtré dans sa salle de projection, tel un Robinson, il ressasse sa folie dans un déluge d'images (les siennes). Une terrifiante image de la solitude… Aviator est une œuvre passionnante, très bien interprétée (une nuance toutefois quant à Cate Blanchett, qui appuie un poil trop) et émaillée de mouvements d'appareil renversant.

B  

BAD SANTA de Terry Zwigoff. 2*. Willie et son copain Marcus, un nain, ont une arnaque originale : tous les mois de décembre, ils changent d'Etat et jouent pour le premier le père noël, pour le second un elfe dans un grand centre commercial. Et le soir du réveillon ils cambriolent le coffre fort du magasin. Le hic c'est que Willie s'enfonce de plus en plus dans une consommation irraisonnée d'alcool, du réveil au coucher il absorbe des quantités de liquide à rendre priapique le patron de Ricard. Là ils sont à Phœnix, Arizona, et les choses vont de plus en plus mal pour le duo d'escrocs : alors que Marcus prend son rôle avec sérieux, Willie mulitiplie les dérapages incontrôlés. Alors qu'il squatte dans une maison habitée par un gamin obèse, objet de la risée générale et sa grand-mère il rencontre une ravissante serveuse de bar que les pères noël ont toujours fait fantasmer. Le film est une chronique assez intimiste malgré tous ses débordements, qu'ils soient verbaux ou éthyliques. Willie est arrivé au bout. Les deux rencontres qu'il fait, le gamin et plus encore la serveuse, vont lui donner une chance de s'extraire de son bourbier, lui permettre enfin de relever la tête, et de sinon entrevoir la possibilité de vivre heureux au moins celle de vivre en arrêtant de se cracher dessus. Dans le gamin, faussement arriéré et victime toute désignée de sarcasmes il voit peut-être un reflet de ce qu'il fût enfant, plus précisément l'inverse de ce qu'il était. Enfant battu il dût très tôt apprendre à se défendre et à se construire une carapace, à se blaser de tout pour ne plus être atteint par rien. Son dernier coup s'apparentera donc à la fin de cet itinéraire et pourra laisser place à une rédemption. Bref si c'est bien le sujet du film, il ne s'agit pas pour autant, c'est du rabattu, de son intérêt principal. Bad santa trouve son originalité dans le traitement des dérives éthyliques de Willie. Le voir arriver complètement saoul, envoyer balader les gamins qui viennent poser à côté de lui…le tout dans le temple de la consommation de masse, voilà qui dynamite joyeusement le tableau d'une fête religieuse, sacralisée et populaire. Tous ces ratés, cette agressivité et ces outrances passés à la moulinette d'un humour méchant provoquent un rire grinçant. Un petit film très marrant.

BIG FISH de Tim Burton. 4*. Burton revient, après une incartade simiesque des plus déplorables, avec un conte merveilleux sur lequel plane, écrasante, l'ombre de la mort. Dans une petite bourgade tranquille de l'Alabama grandit Edward Bloom, un garçon qui se promet à un avenir extraordinaire. De lui nous ne savons rien d'autre que ce qu'il en raconte (ce qui nous met à égalité avec son fils, William), et chacun des épisodes de son existence prend une dimension surnaturelle et poétique quand il le narre. Tout irait bien si son fils, devenu un jeune adulte et un futur père ne rejetait pas ce monde et ce passé chimériques. Lui a besoin de " vérité ", il veut connaître la vraie vie de son père pour savoir qui il est lui-même. Ils se brouillent. L'agonie de son père va lui offrir une dernière chance. Hélas pour lui ce ne sera pas l'occasion d'obtenir les réponses qu'il cherche. Mais plutôt d'en venir à accepter toutes ces histoires incroyables, ces péripéties rocambolesques et improbables comme, non pas faisant partie de son père, mais comme étant son père lui-même. Cet homme qu'il a tant souffert à vouloir le découvrir, il l'avait, là, dans réalité, tout le temps. Cette figure paternelle envahissante et dévorante, malgré ces nombreuses absences, est le créateur ainsi que le protagoniste principal de ces contes, de sa vie et, lui, le fils en est le récepteur/spectateur mais aussi la cause et la raison d'être.
La césure réel/imaginaire n'est pas le propos de Burton : ce qui est vrai ou pas n'a pas d'importance ici. Le " réalisme " n'est qu'une vision du monde et de la réalité au même titre que les conte de William Bloom. Si on voulait tenter d'expliquer cet acharnement à romancer sa vie il faudrait probablement chercher dans l'inadaptation de Bloom à cette vie-là, celle que lui offre son état d'être humain lambda né en Alabama dans les années 30, doté d'une imagination si débordante qu'il ne peut que s'y sentir à l'étroit. Le metteur en scène pour rendre tangible ce décalage a pris le parti de filmer ces aventures au premier degré, non sans avoir appliqué à l'image un traitement spécial : l'éclairage très lumineux du personnage de Bloom (sur le visage par exemple : par moment, pour les cadrages serrés, sa tête est éclairée comme si le film était en noir et blanc à l'époque du muet), les couleurs très tranchées (qui peuvent rappeler Edward aux mains d'argent), les cadrages obliques, les légères plongées en gros plan…tout cela donne une texture spéciale à l'image et lui insuffle le merveilleux nécessaire, contrecarrant l'absence de transition visuelle entre les deux " mondes ". de plus le thème de la mort du père (du créateur), imminente ou effective donne à Big Fish une grande émotion, toujours juste, sans excès. Sans oublier l'humour comme dans ce bref clin d'œil au moment où Edward entre dans le " paradis " après avoir traversé la forêt soit disant hantée, on aperçoit subrepticement un joueur de banjo qui joue l'intro du célèbre morceau qu'on entend dans Délivrance de John Boorman (mais qui dans ce dernier annonçait une entrée en enfer…).
Bref, il s'agit sans doute de l'un des meilleurs films de l'atypique Tim Burton, qui continue de s'affirmer comme un très grand metteur en scène, secondé avec génie par la photo de Rousselot et la musique typée de Elfman. Un très beau film.

BLIND SHAFT de Li Yang. 3*. Dans la Chine rurale d'aujourd'hui, deux hommes vont de mines en mines et montent de sinistres arnaques. Ils débusquent un " pigeon ", le persuade de les suivre et ils se font tous les trois embaucher dans une mine, le troisième étant présenté comme un parent d'un des deux autres. Au bout d'un certain temps, ils le tuent et font croire à un accident dû à des conditions de sécurité non respectées par le directeur de la mine. Par peur du scandale et de la dénonciation celui-ci accepte de payer. Ils peuvent passer à un autre pigeon et une autre mine.
C'est une histoire classique de films noirs, dans un milieu essentiellement masculin (les femmes y sont presque absentes). Le film s'ouvre sur le meurtre d'une de leur proie, suivent les tractations financières avec le patron de la mine. En une dizaine de minutes le spectateur se prend une dose XXL de cynisme froid et calculé. Car ces deux tueurs, si monstrueux que puisse être leur comportement, ne sont que des hommes qui pervertissent un système et une réalité économique durs pour leur permettre de survivre, et de faire vivre leur famille. Ce n'est pas une excuse à leurs actes mais on sent une dimension de nécessité quasi-vitale dans ceux-ci en même temps qu'un refus d'accepter cet univers désespérant qu'est le leur. Ils sont des marginaux qui ont renoncé à une bonne partie de leur humanité pour pouvoir garder le reste intact. Les scènes où ils discutent de comment ils vont procéder au meurtre font froid dans le dos, ils en parlent de façon dégagée comme s'ils palabraient gaiement sur des sujets futiles : dans leur cas à eux, la fin justifie tous les moyens, et ils ne semblent pas s'encombrer de scrupules ou de remords. Sauf pour leur dernière victime, un jeune homme, à peine sorti de l'adolescence et pas encore débourré. Là, l'un des deux va éprouver de la pitié et va essayer vainement de convaincre son complice de ne pas le tuer, repoussant sans cesse la date fatidique. La fin apparaît alors inéluctable : leur dernier coup sera leur ultime. Ils s'entretuent.
La mise en scène est très efficace, Yang alterne les scènes dans l'enceinte de la mine avec les jours de repos, où les trois hommes vadrouillent en ville. Loin d'aérer le propos, ces scènes enferment encore plus la future victime dans leur projet morbide : on ne peut voir en elle qu'un sursitaire, un condamné, qui ne le sait pas, à qui on laisse quelques jours de vie en plus. L'étau se referme progressivement sur cet innocent (un peu trop innocent peut-être). De plus le fait que ce soit filmé en partie clandestinement apporte à Blind shaft une énergie malsaine incroyable, proche de celle qu'on ressent dans Laws of gravity (de Nick Gomez), dans lequel la caméra cherchait la moindre parcelle de vie, de mouvement dans les déambulations de ces protagonistes. Un très bon film, maîtrisé et dont l'arrière-plan social apporte une dimension supplémentaire, l'inscrivant à mi-chemin entre le pur film noir et le documentaire sur un aspect de la Chine du troisième millénaire.

BLUSH de Wim Vandekeybus 0* .Blush est le filmage en décors plus ou moins naturels du spectacle d'une compagnie de danse bruxelloise. Soit. On voit donc tous les membres de ladite troupe se contorsionner dans tous les sens avec une grâce que l'esthète ne retrouvera pas à la Star academy, sur une musique sourde et anxiogène. Les corps se frôlent, se cognent, se percutent et se repoussent, sur le sable, dans l'eau, dans un champ de maïs, dans une boîte SM. Puisque le film ne m'a rien inspiré d'autre qu'une grande lassitude et un amusement ironique je vais compléter par une citation de Télérama (il s'agit de la fin de la critique du film par Jacques Morice) sur laquelle j'apposerai quelques commentaires : " Le rock magnifiquement lancinant de David Eugene Edwards (chanteur de 16 Horsepower) et le texte incantatoire du poète Peter Verhelst concourent aussi à la beauté tumultueuse de cet objet inclassable, mixage dionysiaque de tous les arts ou presque. " Pour le rock lancinant on est d'accord quoique l'aspect magnifique du susdit rock reste discutable. Le texte incantatoire…là ça se grippe. Où est l'incantation là dedans ? La beauté tumultueuse, objet inclassable, le mixage dionysiaque…alors là c'est le pompon. Je présente mes excuses à tous les amateurs de danse* mais je n'y ai vu que des déhanchements vigoureux et lascifs et des chorégraphies répétitives filmées à grand renfort d'effets stroboscopiques et de montage clippé. Bref, un truc qui aurait plus sa place dans une théma d'Arte sur la danse contemporaine. * En réalité je ne présente pas mes excuses à ces gens-là, n'exagérons pas.

LE BOIS LACTE de Christoph Hochhäusler. 4*. Une jeune fille et son petit frère marchent le long d'une route. Une voiture s'arrête, c'est leur belle-mère qui avait oublié de venir les chercher à l'école. Dans la voiture la discussion est houleuse, la tension grimpe. Excédée la femme stoppe et laisse les enfants seuls, dans un bois.
Les deux gamins, Allemands, se retrouvent livrés à eux-mêmes dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, la Pologne. Alors que la nuit est tombée, ils rencontrent un livreur, bilingue avec qui ils vont passer quelques jours.
Très dépouillé, le film permet l'éclosion, rapide d'une angoisse diffuse et sourde qui devient permanente et enferme peu à peu tous les personnages, toutes les situations, chaque instant de la vie de ces personnages énigmatiques. Car finalement on ne sait quasiment rien de ces êtres, qui ne nous sont que montrés, froidement. Il y a un petit garçon un peu geignard, une petite fille capricieuse et sournoise, une belle-mère visiblement en détresse sentimentale capable d'un ignominieux abandon d'enfants (on peut supposer que celle-ci dans son apparent besoin éperdu d'amour et de reconnaissance amoureuse auprès de son mari est atteinte d'une sorte de folie, qui la pousse donc jusqu'au déni de l'existence des enfants), un père inquiet mais absent et légèrement fuyant et enfin le livreur polonais, un peu irresponsable puis vénal. L'errance imposée des enfants est rendue à l'image par une progression dans un univers très vertical (et géométrique plus généralement) qui les écrase : les arbres de la forêt et leurs ombres inquiétantes sur le chemin quand le jour tombe créent un climat oppressant, proche de celui des contes scandinaves (d'ailleurs le film est une version moderne de Hansël et Gretel). Ces décors, auxquels il convient de rajouter ceux de la maison en travaux, de l'antique camionnette du livreur, des restaurants et motels évitent bien des paroles et des effets inutiles de mise en scène enserrant les personnages dans un univers d'incertitude, d'imminence et de désolation. Les couleurs sont froides (prédominance du vert et du gris), les plans durent, les espaces diminuent les gens, la rareté des dialogues les laisse à une vie intérieure qu'on imagine pleine de tourments, les mouvements sont calculés…jamais la détresse ne franchit la barrière des corps, pas d'éclat, de larmes ni de cri. Hochhäusler a réussi avec son film un véritable film d'angoisse plein de flou, de points d'interrogation et d'ombre, une œuvre glacée et moribonde sur laquelle plane le spectre de la mort et de la souffrance mais où la vie palpite tapie dans les recoins.

LES BOUCHERS VERTS de Anders-Thomas Jensen. 2*.Svend et Bjoran, deux employés de boucherie, peu aidés par la nature voire complètement débiles, décident d'ouvrir leur propre échoppe. Tout commence plutôt bien pour eux. Leur local est parfait, ils ont été livré en viande, mais voilà un jour ils oublient en fermant la boutique un technicien frigoriste dans la chambre froide. Toute leur entreprise s'en trouve mise en péril. C'est sans compter sur Svend, dit " La sueur " en raison d'une hyperactivité de ses glandes sudoripares, et ses pétages de plombs. Ce dernier dans un accès de folie découpe le macchabée et le fait mariner dans une sauce dont il a le secret. C'est si goûtu que les clients en redemandent. Il n'en fallait pas plus à Svend pour qu'il se mette désormais en chasse et qu'il approvisionne régulièrement son stock, persuadé qu'il est que dans cette réussite il y a la marque du divin. Le malheureux technico si accidentelle que soit sa mort a bien donné une idée au boucher cinglé. Couic l'agent immobilier, couic le passant dans la rue, couic l'infirmière psychiatrique (oserai-je parler de Couic-burger ?). Seul l'un des clients trouve que sa viande lui rappelle le goût de sa femme (ce gag d'un goût douteux, lui aussi, est sûrement le meilleur du film), qu'il avait pour des raisons de survie, mangé quelques années auparavant.
Un boucher qui sert à ses clients de la viande humaine…ça ne vous rappelle rien ? Et bien la comparaison s'arrête là tant ce film-ci a banni toute poésie, toute sophistication visuelle au profit d'une ambiance estampillée nordique, couleurs froides, dialogues rares et durée des plans disproportionnée. Seul le portrait de cette paire de crétins détonne un poil, on les aurait plutôt vu dans un film des frères Farrelly (l'aspect scato en moins). Et c'est justement ce côté qui rend le film paradoxalement attachant : s'ils n'inspirent pas la pitié ni la compassion ils font rire, plus que leur empêtrement dans le commerce cannibalique. Un truc cependant : la morale du film, ambiguë. L'important ce n'est pas ce qu'on mange, mais le goût que ça a. Avec de pareilles thèses on ne peut s'empêcher de penser à une perception industrielle du cinéma. Bref, c'est marrant quelquefois et creux tout le temps.

BREAKING NEWS de Johnnie To 2* A Hong Kong un casse échoue et se termine en fusillade avec la police. Les malfrats réussissent à s'enfuir profitant de la désorganisation des forces de l'ordre. Malheureusement les médias étant sur place lors du massacre retransmettent en direct les images de l'assaut raté. Les flics deviennent la risée de la population qui s'interroge sur l'efficacité réelle de sa police. Pour riposter la police décide d'établir un plan de communication : ils conçoivent la traque des truands comme un spectacle, avec compte-rendus à la presse réguliers, hommes d'intervention équipés de caméras portées, le tout étant monté avec musique et effets de mise en scène par un monteur professionnel avant d'être donné aux médias. Sur une trame des plus usées, Johnnie To bricole un gros film d'action avec débordements pyrotechniques et flics shootés à la testostérone doublé d'une charge pas très finaude sur les médias et leur prétendue omnipotence. Ca manque un peu d'originalité tout ça et l'aspect satirique n'est pas assez bien traité pour que le film emporte réellement l'adhésion. Les personnages des flics et des truands sont très stéréotypés, on y retrouve les mêmes que dans un film de série HK classique, le personnage du capitaine, une femme pour une fois pas faire valoir de collègues virils, en moins et l'absence de bluette de comptoir en plus. Les scènes d'action si elles sont bien tournées ne sont pas renversantes, exception faite de la superbe scène d'ouverture, un plan séquence de 6 ou 7 minutes sidérantes (juste quelques petits grains dans le timing et la fluidité de l'action), dopées qu'elles sont par un montage stonien* avec cadrages multiples. C'est d'autant plus dommage que le lieu de l'action (où 80 % du film se déroule) pouvait prêter à autre chose. Les dédales de couloirs, l'exiguïté de l'appartement dans lequel les fuyards ont pris une famille en otage, la succession d'étages identiques…bref tout cela aurait pu amener à façonner une ambiance plus anxiogène, nous faire ressentir la montée d'un sentiment de claustrophobie, créer un véritable suspense. Mais non, To a été trop paresseux pour ça, il s'est contenté de décliner très légèrement le canevas du polar d'action de série en vogue à Hong Kong depuis une quinzaine d'années en y introduisant cette dimension satirique mais qui faute d'un traitement approprié fait long feu. Pas mal mais sans plus. * du nom d'Oliver Stone, apparemment metteur en scène de cinéma de la fin du 2ème millénaire et qui s'appliquait à faire rentrer le maximum d'images dans le minimum de pellicule en faisant le plus de bruit possible.

C  

CAFE LUMIERE de Hou Hsiao Hsien. 3*. Yoko est une jeune Japonaise qui vit à Tokyo. Journaliste, elle prépare une monographie sur un compositeur Taiwanais qui émigra au Japon au début du siècle. Son insouciance et l'apparente tranquillité de sa vie se trouvent entravées par un problème qui va rapidement lui faire prendre conscience de la difficulté d'être adulte, et responsable de ses actes et décisions. En effet elle est enceinte d'un homme qu'elle ne voit qu'épisodiquement lorsqu'elle va à Taiwan et qui ne semble pas décidé à s'installer avec elle (il vit avec sa mère). Entre des entrevues avec son père et sa belle-mère, son ami libraire, un joyeux illuminé qui nourrit une obsession infantile pour les trains et tout ce qui s'y rapporte Yoko va devoir affronter son avenir.
Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c'est la ville de Tokyo. Elle est montrée comme une sorte de fourmilière hyper-active d'un côté mais aussi presque paisible de l'autre (les scènes ensoleillées où Yoko se promène dans les rues, ou quand elle prend les fameux transports en communs qui circulent partout, ou quand elle va dans un café, presque toujours vide). Cette vision renforce l'impression de douce solitude mélancolique de Yoko. Ce n'est pas du côté de son père qu'elle pourra trouver des réponses aux questions qu'elle se pose : si celui-ci est bien vivant il est absent, il n'arrive pas à communiquer avec elle ; de plus elle ne peut compter sur sa belle-mère pour lui donner le moindre conseil. Son ami libraire, lui n'en paraît pas apte non plus, préférant prolonger son enfance avec ses occupations monomaniaques. C'est donc seule qu'elle se prépare à passer cette étape décisive dans sa vie qu'est le passage à l'âge adulte, ou tout du moins à des préoccupations qui le seront un peu plus. Accueillir et élever cet enfant signifie renoncer à une vie entièrement tournée sur soi-même, un véritable défi pour elle. Plusieurs fois on la voit sur le point de craquer sous la pression que cela représente, plusieurs fois elle semble prête à abandonner se réfugiant dans le sommeil, souffrant de malaises et de fatigue chronique. C'est d'ailleurs dans ses longs moments où elle dort qu'elle fait son rêve récurrent, celui qui est inspiré d'un conte européen et qui raconte l'histoire des lutins qui échangent un vrai bébé par un mannequin de glace, pendant que la jeune fille chargée de le surveiller leur tourne le dos ; celle-ci ne se rendant pas compte tout de suite de la supercherie, le prend dans ses bras et le substitut fond littéralement dans ses bras. A ce propos Yoko ne se le rappelait pas tel quel, mais dans son souvenir à elle, c'est par un bébé tout fripé qu'était remplacé le poupon : comme si ce récit avec les lutins lui faisait passer de l'image fantasmée d'un bébé tout rond tout propre, idéel, à celle, réaliste celle-là, d'un bébé frippé qui ne fondra pas comme neige au soleil. Hou a réussi un film très abouti sur la grande difficulté d'assumer et de faire sienne la vie qu'on mène, de s'approprier sa vie en devenant adulte. Il manque peut-être l'émotion qui aurait rendu Yoko plus proche de nous.

LE CAUCHEMAR DE DARWIN de Hubert Sauper 3*. En Tanzanie, de nos jours, sur les rives du lac Victoria (rives partagées avec le Mozambique, l'Ouganda, la Zambie et la RD du Congo entre autres), un gros porteur russe amorce sa descente sur la piste rudimentaire de Mwanza. Il vient y faire ce que deux avions comme lui viennent y faire tous les jours, se remplir les soutes de 50 tonnes de filets de perche du Nil, un poisson prédateur et cannibale, pour les expédier en Europe ou au Japon. Le but du metteur en scène de ce docu coup de poing est de nous faire entrevoir l'incroyable étendue, les effets tentaculaires de ce commerce là. Pour ce faire il procède très intelligemment en suivant une logique d'approche qui pourrait être celle d'un quidam éclairé et désireux de savoir ce qui se cache derrière le balai incessant des avions sur cette piste miteuse. Ainsi on commence par voir l'avion approcher, atterrir. On fait la connaissance d'un pilote, et des deux ou trois techniciens embarqués. Après on découvre les pêcheurs de perche, l'usine de transformation, puis la face la moins reluisante, le noyau noir de ce business, à savoir la misère insupportable qui règne en réalité dans cette zone qui pourtant produit des millions de dollars : car autour de ce commerce gravite toute une sous-humanité vouée à la destruction : les pêcheurs, les prostituées, les enfants abandonnés…tous sont confrontés quotidiennement à leur survie précaire. Sauper fait très bien ressortir l'implacable mécanique d'annihilation humaine : les pilotes livrent des armes qui alimentent les confits dans les pays frontaliers du lac Victoria, ils repartent pleins de perches alimenter les étals de leurs affréteurs, poisson qui détruit complètement l'écosystème du lac mais au rendement économique qui autorise un déni total du reste. La production de ce poisson génère outre les emploi dans l'usine elle-même une économie de survie parasitaire et immontrable : les carcasses de poissons grouillantes de vers qui sont revendues, séchées (avec fort dégagement d'ammoniac et effets secondaires dramatiques sur la santé des gens qui végètent dans cet environnement vicié), bouillies et mangées. Les pêcheurs eux vivent dans des petits villages qui poussent comme des champignons autour du site, dans une misère écrasante ; les prostituées qui travaillent ou avec les pilotes (et c'est très risqué pour elles, car bien souvent ceux-ci boivent et sont violents) ou les pêcheurs dans des conditions sanitaires déplorables sont des vecteurs sans cesse renouvelés de la propagation du VIH (qui fait des ravages), risquent leur vie en permanence pour quelques dollars à la merci d'un meurtre crapuleux ou d'un déchaînement sadique, et les enfants, normalement appelés à succéder meurent comme des chiens errants, drogués, violés…bref, le tableau est d'une noirceur impitoyable. La cruelle réalité, ironique, de la situation est que chacun d'eux, quel que soit son rôle, sa fonction, son statut trouve une place dans cette synergie au-delà même des habitants de la zone (les armes continuent à voyager après l'arrivée à Mwanza, les profits dégagés enrichissent des gens hors des frontières de la Tanzanie). L'Afrique, qui est depuis des lustres un laboratoire d'expérimentations pour les pays occidentaux continue de payer le lourd tribut d'un passé colonial très loin d'être révolu (mais qui du politique a glissé incidemment à l'économique et ce au mépris de toute notion d'humanité). La voix de la sagesse dirait que Sauper enfonce des portes ouvertes, et elle n'aurait pas complètement tort la bougresse mais il met au premier plan des hommes, des femmes et des enfants oubliés de tous, ignorés, il les filme, les interroge, les fait parler de leur quotidien et de leurs espoirs, fous bien entendu; outre l'absence totale d'avenir tolérable pour ces damnés il continue l'interminable radiographie du cancer occidental qui ronge l'Afrique. Et la misère révoltante, dont on se prend un digest dans la gueule lors de la projection est plus qu'un inconfort ou une indélicatesse c'est leur quotidien d'Homme. Le réalisateur ne craint donc pas de montrer la misère, sa caméra ne se détourne pas devant le sordide de certaines situations mais son but est d'humaniser cette misère, de donner un visage aux victimes (en donnant aussi un aperçu de celui des bourreaux), que ce soit lors de l'interview du gardien du laboratoire ou d'une des prostituées ou lorsqu'il laisse sa caméra saisir de longues scènes comme celle de la soirée avec les pilotes russes et les prostituées ou celle dans laquelle les enfants se battent au poing pour attraper une poignée de riz. Il rend intellectuellement intolérable une horreur que sa méconnaissance ou sa non-envie de savoir nous fait tolérer.

LE CHATEAU AMBULANT de Hayao Miyazaki. 5*. Sophie, une jeune fille un peu triste qui s'ennuie dans sa boutique d'accessoires de mode rencontre un jour un jeune et beau sorcier et tombe sous son charme. Mais le même jour elle se fait aussi jeter un sort par une gargantuesque sorcière. Elle se retrouve ainsi nonagénaire à l'ossature aussi précaire que rouillée. Elle quitte alors son échoppe et part à la recherche de son sorcier, le ténébreux Hauru, pensant le solliciter pour un désenvoûtement. Hélas ce dernier, qui vit dans un château mobile a lui aussi été victime, lorsqu'il était enfant, d'un sortilège qui l'a condamné à se transformer en gigantesque oiseau. Le pays est en guerre et toutes les nuits il part en vadrouille pour essayer d'échapper à des poursuivants plumitifs ou caoutchouteux et protéger ainsi son château ambulant.
Dans un pays indéfini, dont on sait juste qu'il est en guerre contre son voisin, un pays dans lequel le merveilleux côtoie le quotidien le plus prosaïque sans que cela ne semble perturber qui que ce soit, l'histoire d'amour que l'on sent poindre entre le sorcier et la jeune fille envoûtés va se heurter à de multiples obstacles, tant tout est imprévisible, tout peut basculer d'un instant à l'autre. Certes il n'y a guère de suspense quant à l'issue de cette " quête ", mais les personnages évoluent, chacun à leur rythme, dans leur mesure. Le sorcier, figure romanesque, vit sa dualité avec une sombre résignation que seule l'arrivée dans sa vie de Sophie va rompre ; pour Sophie, par contre la malédiction est non seulement l'occasion de revoir Hauru mais aussi devenir vieille lui fait prendre conscience de la difficulté d'affronter la vie, de se battre pour aimer, de la souffrance que cela engendre. Elle apprendra à ne pas se laisser guider par l'apparence des choses et des gens, d'ailleurs comment le pourrait-elle ? Tout autour d'elle est mouvant et n'est pas ce qu'il paraît être : le château qui change de forme, Hauru qui se transforme, elle qui a pris 70 ans en 1 seconde et dont le visage change selon son humeur et l'endroit où elle est (selon le degré de perception de la " réalité " où elle se trouve, son visage et son apparence évoluent), la sorcière des landes qui a été victime d'un mauvais sort, encore un et qui nourrit un amour secret pour Hauru (elle a ensorcelé Sophie par désespoir de ne pouvoir obtenir ce qu'elle désirait le plus au monde), la porte du château qui donne au choix accès à une ville en guerre et en ruines, à un immense champ à l'herbe verte et aux fleurs éclatantes…cette porte est celle qui mène aux rêves et aux cauchemars, aux souvenirs, à la réalité aussi. C'est un passage vers l'esprit. Le récit est cabossé d'une part par l'introduction de multiples personnages secondaires (l'épouvantail, le chien espion, la grosse sorcière…) qui ne prennent pas le même itinéraire que Sophie, et d'autre part par le glissement intermittent de la narration sur ces autres personnages. Au bout de cette course initiatique chacun aura appris sur lui-même et en sortira amélioré. Vision idyllique de la vie ? Pas si sûr, optimiste oui mais le chaos décrit par Miyazaki ne laisse aucun doute quant à sa lucidité. Tout est affaire de perception. Et la tendresse avec laquelle il dessine ses personnages, l'émotion qu'il ne manque jamais d'introduire dans les pires moments, le ravissement provoqué par son savoir-faire technique immense, la subtilité et la richesse de son propos (son génie ?) tout concourre à faire du film un joyau, encore une fois somptueusement habillé par la musique aux accents mélancoliques de Hisaishi.

LA CHUTE de Oliver Hirschbiegel. 2*. Ou les derniers jours du boucher autrichien micro-moustachu enfermé dans son bunker avec ses amis. Hitler sait la défaite inéluctable mais continue à faire semblant de croire à l'impossible victoire. Il tente vainement d'engager ses ultimes forces dans le conflit, terré dans sa cave fortifiée. Il ressasse sa haine et crache son amertume à la face de sa cour sordide mais ne néglige cependant pas quelques attentions particulières : et une risette à la brave secrétaire un peu nunuche, une petite caresse aux enfants de Goebbels, une tapette au chien…et tout ça avec les mêmes mains qui ont assassiné plusieurs millions de personnes ! Par contre, son état-major ne bénéficie pas des mêmes largesses, il passe 150 minutes à se faire vertement tancer pour ne pas avoir réussi à faire de ses chimères mégalomaniaques une réalité effective. Et puis, sentant l'issue proche on assiste à une épidémie de suicides, assistés par moments, et de séditions diverses.
Que dire de ce film ? C'est un spectacle avant tout, qui a ouvertement choisi d'aborder ce pan de l'histoire allemande par cet angle-là, à savoir la toute fin d'une de ses périodes les plus noires. Le but recherché n'est pas de montrer à quel point l'armée régulière et le peuple allemand ont pu collaborer et ont été des acteurs déterminant dans l'étendue de l'entreprise meurtrière de Hitler, ni de tenter d'approcher les raisons monstrueuses du génocide ; non ici les auteurs ont préféré centrer leur intérêt sur le dictateur lui-même, la dizaine de jours qui ont précédé son suicide plus exactement et les relations de plus en plus tendues qu'il entretenait avec ses " proches ". Acculé, dévoré de tics nerveux, en proie à des crises de colère homériques, c'est un Hitler diminué qu'on nous donne à voir, lâché par tous ses fidèles. Pourquoi pas ? L'histoire appartient à tous et il n'y a guère de traces de révisionnisme là-dedans, juste un léger voile d'amnésie (question d'esthétique ?) et une naïveté que je n'ose croire sincère : l'exemple de la secrétaire particulière mérite réflexion (sachant que le film s'inspire entre autre de ses mémoires). Que penser de sa déclaration, placée en épilogue du film et dans laquelle elle affirme avoir découvert l'existence du génocide sur le tard, une fois la guerre finie ? …on ne peut décemment imaginer une once de sincérité dans ces propos. Sa situation est peut-être une métaphore de celle des Allemands qui n'ont pu ignorer l'antisémitisme délirant de Hitler, qui ne s'en cachait pas. Bref, parlons du film lui-même. Son rythme est trop ralenti par d'interminables dialogues, ou monologues, un peu entaché par les scènes incontournables (de celles qu'on retrouve dans n'importe quel film sur la deuxième guerre mondiale) et parasité par l'interprétation, habitée certes, mais outrancière de Bruno Ganz. Le gros point positif de La chute est à mon avis à créditer à l'ambiance, à la façon dont Hirschbiegel fait ressortir la folie mortifère qui règne. La mort est omniprésente dans le bunker, les hommes ne sont que des vecteurs de mort, une mort violente et malsaine. Le respect aveugle que certains placent en cette autorité suprême, incarnée par un homme unique, une soumission totale et masochiste car ne pouvant conduire qu'à la mort, est encore exacerbé par le fait que ça se déroule en lieu clos, ultime bastion moribond de résistance à l'inéluctable, à l'atmosphère saturée et viciée, entièrement ceint et isolé au milieu d'un no man's land bombardé sans répit par des ennemis invisibles (le symbole naïf d'une punition divine ?)…tout cela dessine le tableau d'un chaos absolu, humain, psychologique et matériel, le râle d'un régime qui meurt aussi violemment qu'il a vécu, nourri par la haine et la mort.

5 X 2 de François Ozon. 1*. Cinq moments de la vie et de la mort d'un couple. Cinq sketches teintés d'une ironie souvent cinglante mais toujours gratuite et lestés d'annotations sociopsycho du type de celles qui suintent dans tous les magazines féminins, la fin de chacune de ces tranches de vie étant annoncée par de la grosse variétoche italienne qui tache. Voilà pour la " structure " de l'engin, ne restait plus à Ozon qu'à remplir les blancs avec quelques dialogues oiseux, sachant que l'ellipse, élément fondateur de ce film permettait le vague et l'imprécision dans le domaine. Il parachute alors dans son jouet de luxe une poignée de personnages dégrossis au marteau-piqueur : la brave fille, pas fine, trop sensible et paumée (à qui, et ça tient du miracle, l'excellente Valeria Bruni Tedeschi arrive à donner de l'humanité, des émotions, une vie secrète presque) et son julot, un type un peu lâche, fuyant et instable, les parents qui se chamaillent, le frère gay, le gosse décoratif…et tout ce petit monde évolue dans des décors travaillés et pensés, qui viennent renforcer l'ironie et le mépris dans lesquels le metteur en scène le tient. La division en cinq époques distinctes aurait pu être une bonne idée pour, si ce n'est raconter, tout du moins montrer une histoire de couple, mais là il n'y a rien de ce type, c'est un gadget. On entrevoit quelques instants, on entre dans le vif d'une intimité sans être pour autant des observateurs des symptômes d'une rupture annoncée, comme l'infidélité le soir de la nuit de noce, après une fête illuminée (quelle ironie) et arrosée ou la fuite du mari lors de l'accouchement. Ozon ne nous donne que quelques morceaux, des petits riens insignifiants, comme des fausses pistes…mais le piège est grossier tant il est évident. A trop vouloir éluder les moments importants, et accorder ainsi un droit d'existence à ses marionnettes il semble vouloir nous amener à les toiser et à les détester encore plus que lui. Alors merde, 5 x 2 est un naufrage complet dont seuls émergent le talent des deux interprètes (surtout elle) et une chanson de Paolo Conte. C'est pas bézef.

 

CLEAN de Olivier Assayas. 3*. Emily est une quadragénaire qui patauge dans le milieu de la musique vaguement underground depuis trop longtemps. Elle est accroc à l'héroïne, Lee, son copain, le chanteur d'un sinistre groupe dont elle est chargée d'assurer la promo, aussi. Suite à une dispute il fait une overdose et meurt. La voilà brutalement seule et condamnée à 6 mois de prison. Six mois plus tard, Emily prend la décision de se construire une nouvelle vie, de couper les ponts avec son passé, de retrouver son fils…bref de commencer à vivre.
Clean est le récit d'un retour à la vie doublé du portrait sym-pathique d'une femme. On voit un peu de l' avant (la mort de Lee et l'incarcération) et beaucoup du pendant (après la sortie de prison). Entre les deux on ne sait pas grand chose, sinon qu'elle y a rencontré une autre femme, Gloria, avec qui elle a écrit des chansons. Ce séjour en prison, bien que traité en ellipse est le point à partir duquel Emily va changer, c'est une rupture certes brutale mais nécessaire pour elle puisqu'elle va lui permettre, du moins le pense-t-elle, de reconquérir son fils et sa vie. Elle change de ville, accepte des petits boulots, encaisse l'ironie des autres qui doutent de son envie de changer…elle tient bon, et même si elle trébuche par moments elle résiste. On sent bien l'attirance d'Assayas pour Maggie Cheung, il la filme non comme une icône mais avec un magnétisme teinté d'emphase presque, donnant une dimension supérieure à cette femme qu'il s'attache pourtant à décrire comme étant très humaine. Ainsi le film recèle de scènes muettes, mais musicalisées, où on la voit marcher, fumer, chanter, courir…La caméra la suit, s'approche, la colle, s'éloigne un peu mais jamais ne la perd. Quand on ne la voit pas, on en entend parler, elle est le cœur du film, sa condition sine qua non. Les autres personnages ont une véritable existence aussi, ils ne sont pas effacés, Assayas leur a donné un droit de vie, indispensable à mon avis.
La sublime Maggie Cheung a bien du talent, elle donne de son personnage une interprétation nuancée et toujours juste, elle semble s'être glissée dans le rôle. Clean est une réussite, bien que certaines scènes puissent faire penser à un mauvais film des années 80 (les scènes de concert par exemple).

CLOSER, ENTRE ADULTES CONSENTANTS de Mike Nichols 2* Deux hommes, deux femmes, 2 possibilités (pas d'homosexuels ni de triolistes là-dedans, faut pas déconner !!). Un journaliste nécro hypersensible et séducteur sort avec une strip teaseuse new-yorkaise transie d'amour mais au cœur froid, mais il est secrètement amoureux d'une photographe indécise qui, elle, sort avec un dermatologue animal (non, il ne s'occupe pas de problèmes d'acné canine…pour simplifier c'est un type basique et assez bourrin) tout en ressentant des papillonnement là et là en présence du journaliste. Le décor est posé. Place maintenant aux interactions diverses entre les membres, ô combien bavards de ce quatuor qui joue à qui-baise-qui. L'origine théâtrale du film est omniprésente. On sent la sur-importance des dialogues (genre bourgeois qui s'encanaille) mais la neutralité de la mise en scène finalement fait passer la sauce, faisant se succéder les scènes d'intérieur. Quelques scènes retiennent l'attention toutefois, comme la drôlissime scène du chat entre les deux hommes, d'autres, très cruelles sont réussies, d'autres enfin, plus conventionnelles glissent. L'impression d'ensemble est relativement bonne et les acteurs interprètent leur rôle avec suffisamment de conviction pour emporter l'adhésion. Le portrait des personnages est lui un poil convenu : le sensible qui fait échouer toutes ses relations à cause de son besoin maladif de penser qu'il sait tout de l'autre, la jeune strip teaseuse qui de fragile au début apparaît bel et bien solide et froide par défense, le dermatologue lui évolue peu trainant toujours son humour heavy metal et un égoïsme agressif encombrant, reste la photographe, qui change de mains deux ou trois fois, qui pleure un coup entre chaque et qui ne sais jamais sur quel lit se coucher. En résumé Closer est un film très divertissant, drôle et qui fait oublier ses défauts

THE COAST GUARD de Kim Ki-Duk. 3*. Quelque part sur le littoral sud-coréen, pas très loin du 47ème parallèle, une poignée de soldats, composée en grande partie d'appelés, surveille jour et nuit leur portion de côte, guettant l'improbable arrivée d'espions nord-coréens. Leurs consignes sont claires : tirer à vue sur quiconque se trouve dans le no man's land. Un jour, l'incontournable se produit : l'un de ces soldats tue un civil, en quête de sensations fortes (il copulait joyeusement avec sa dulcinée derrière une paire de rochers). Ses supérieurs l'honorent pour cet acte, vantant son application intransigeante du règlement et lui offrent une semaine de congés supplémentaires. Lui, est assommé par son forfait et sombre peu à peu dans une sorte de folie. Devenu incontrôlable, il sera renvoyé chez lui. Il revient rôder autour de ce casernement et disjoncte définitivement. Le film se termine dans un carnage absurde.
Dès le départ du film on sent l'absurdité totale de la présence de ces soldats d'opérette. Leur mission est dérisoire, ils courent après des chimères, ils sont les marionnettes d'une politique paranoïaque datée, prolongement archaïque de la guerre froide. Ils souffrent aussi de l'ostracisme dans lequel les enferment les habitants du village tout proche. Ils sont comme des anachronismes ridicules, des persistances préhistoriques sujets de moqueries. Dans ce contexte, leur travail si stupide soit-il prend les atours singuliers d'un combat contre la folie : s'enfermer dans cette optique les empêche de devenir fou. La descente aux enfers du tueur malgré lui est traitée avec humour et légèreté même si la dernière se solde par une horrible, et ubuesque, tuerie. Voilà donc un pamphlet antimilitariste de très bonne facture, qui trouve le ton juste pour décrire la misère et la vanité humaines. La folie vue comme rébellion ultime contre la folie.

COLLATERAL de Michael Mann. 2*. Max un chauffeur de taxi plein de rêves et de timidité charge un soir un client très spécial : Vincent, un tueur à gages qui travaille pour un cartel de la drogue, hispano donc, et qui s'est programmé une nuit de folie, à savoir 5 contrats à exécuter en quelques heures. Ce dernier décide donc de réquisitionner le brave chauffeur pour le driver dans les rues désertes du L.A. nocturne. Bien entendu les choses ne se passeront pas tout à fait comme prévu.
D'accord Tom Cruise en clone de Richard Gere moyen, tueur qui plus est, n'est pas la meilleure idée de Mann pour ce film. Le scénario n'est pas non plus des plus novateur ; après les 20 premières minutes on sait ce qui va se passer dans les 100 qui restent. Et pourtant bizarrement il s'échappe de ce film une sensation diffuse, comme un parfum de cool, au sens jazzien du terme. En effet Mann a parsemé ça et là son récit de petites fenêtres qui sortent de l'histoire à proprement parler et qui soufflent un air apaisé. Malgré le barra tin pseudo-pro que Cruise déblatère sur son métier, malgré l'esquisse de passé et d'enfance malheureux qu'il donne comme excuse au fait qu'il exerce cette profession, il subsiste une certaine légèreté dans le film (comme la scène, par exemple, de l'anecdote sur Miles Davis) qui sauve les meubles. Le résultat n'est pas le meilleur film de l'année, mais un film d'action bien mené et avec suffisamment d'originalité pour le rendre sinon bon au moins intéressant.

COMME UNE IMAGE de Agnès Jaoui. 1*. C'est la triste histoire de Lolita, fille d'un grand éditeur parisien, qui va de déconvenue en déception. Elle est délaissée, ignorée par son père, obèse ce qui n'arrange rien à ses affaires et en manque terrible de reconnaissance et d'amour pour ce qu'elle est, c'est à dire on ne sait pas trop bien quoi, en plus elle a fait un constat implacable : les gens ne la fréquentent que parcequ'elle est la fille de. D'un autre côté, on rencontre Pierre un écrivain végétatif qui peine comme un beau diable pour se faire connaître et sa femme, prof de chant de la malheureuse Lolita. Enfin il y a bien entendu son père, un être égoïste et insensible autour duquel gravite une cour de lèche-bottes pour ne pas dire plus. Et puis une chose va quelque peu changer la donne de départ : Pierre, suite à un article élogieux dans le Monde, devient un écrivain adulé ou tout du moins demandé partout. Il se met à la colle avec l'éditeur et peu à peu fait une croix sur son ancienne vie : il laisse tomber ses anciens amis, délaisse sa femme, sa première éditrice et comble de l'horreur fait une émission télé (Ardisson à peine déguisé) dans lequel il avoue -quelle vulgarité !-qu'il pratique la sodomie.
Voilà le tableau. Tout n'est certes pas mauvais, certains personnages sont assez marrants (l'éditeur joué par Bacri par exemple, ou l'écrivain) mais il s'échappe de cette soupe lourdement moralisatrice un parfum de naphtaline. Que c'est rabaché tout ça ! Dès le début du film on voit bien où veut en venir Jaoui, les thèmes qu'elle aborde sont généreux et tous les spectateurs pourront un moment ou à un autre s'y retrouver, mais elle n'apporte rien de nouveau dans sa description de ce monde impitoyable. Les situations sont téléphonées, les évolutions prévisibles. Sa mise en scène ne vient à aucun instant enrichir son propos ; les scènes sont filmées platement, seulement soutenues par des dialogues amusants. Un bon point, mais est-ce vraiment voulu ?, est l'antipathie de la jeune fille, ça nous évite l'apitoiement lacrymal mais ses tentatives vaines et répétées pour exister aux yeux de son père fatiguent assez vite. En conclusion on en retire que devenir célèbre rend con, qu'être rejeté par son père rend gros, qu'être maghrébin rend tolérant et que chanter dans une chorale rend sympathique. Un tel chapelet de vérités ainsi assénées laisse pantois.

THE CONSTANT GARDENER de Fernando Meirelles 1*. Le phytophile Justin Quayle, travaillant accessoirement au Haut Commissariat Britannique à Nairobi et chargé de superviser l'aide humanitaire anglaise au Kenya rencontre un jour une jeune et belle militante qui en le bousculant par des questions rentre-dedans finira par se faire bousculer par le diplomate de façon encore plus rentre dedans. Les deux toutereaux semblent roucouler à l'envi, lui entre deux tailles de plantes et elle entre deux opérations avec son ONG. Jusqu'au jour où la donzelle se fait violer et assassiner lors d'un déplacement. Le falot diplomate ne va pas en rester là, à pleurer sa disparition et décide de savoir un peu pourquoi elle s'est faite envoyer ad patres. Et que va-t-il découvrir ? Que sa copine faisait une enquête sur les pratiques on ne peut plus douteuses d'un gros groupe pharmaceutique qui a tendance à confondre l'Afrique avec un laboratoire à taille réelle et ses habitants avec des cobayes. Les malotrus administrent ainsi sans vergogne un anti-palu expérimental (et on s'en doute assez vite pas sans danger ni effets secondaires de type très indésirables) à des pauvres indigènes qui non contents de mourir de faim à l'ombre de rien doivent en plus se faire décimer par des pharmacopées aussi occidentales qu'approximatives. Notre gentil bonhomme aura donc fort à faire. Aaaaaaaaaah que c'est terrible ça ! Mais voilà le film a tendance pisser dans un violon. Les malversations de ces gros laboratoires sont un sujet bien intéressant et sur lequel il y aurait beaucoup à dire mais le réalisateur ne s'attarde pas trop sur ce point qui ne sert qu'à faire progresser l'intrigue " thriller " du film. Il semble que la relation entre Justin et Tessa et la découverte post mortem, à grand renfort de flash-back, qu'il fait d'elle soit plutôt l'axe principal. Mais tout est tièdasse, de leur histoire d'amour, aux inévitables mystères qui jalonnent l'enquête de Quayle, aux doutes vite effacés, les traitres…s'il n'y avait le filmage, toujours un poil prétentieux de Meirelles, ça ferait un téléfilm moyen. La caméra est mobile, les images sont belles (mais à moins de filmer avec un cache devant l'objectif, il paraît difficile de mal filmer le Kenya), les acteurs sont mimis tout plein. Un film pas beurk mais bof.

THE CORPORATION de Jennifer Abbott et Mark Achbar 3* 145 minutes pendant lesquelles les deux réalisateurs tentent de montrer le capitalisme sous l'angle de ses tares et de celles qu'il engendre. A l'aide d'interviews multiples d'économistes, de patrons de multinationales, de Michael Moore (un métier à part entière), d'écrivains et de philosophes (considérons Chomsky comme l'un d'eux) ils dressent un diagnostic de ce système économique (érigé par certains en système philosophique), par le biais de l'analyse de l'entreprise prise en tant que personne, puisque aux Etats Unis elle est considérée comme une personne morale et dans cette optique détient les mêmes droits qu'une personne physique. Et cette personne, disent les deux cinéastes est malade, psychiatriquement atteinte. A eux ensuite d'étudier les différents symptômes de cette psychose pour in fine révéler le mensonge énorme qui ceint cette entité quasi sacrée. La réalité de l'entreprise aujourd'hui est la course inlassable au profit financier, profit qui est pris là dans son acception de dividende des actionnaires. Après quelques rappels historiques liés à la genèse de ce système la paire de Canadiens tâche de montrer toutes les facettes de son fonctionnement, une recette écœurante composée de marketing-pressions politiques-lobbies-espionnage industriel-relations contre-nature entre politique et économique-course au profit-mépris total des conséquences humaines et écologiques. Après un flot colossal d'images et de voix, après l'absorption massive de toutes ces informations qui nous sont données on est littéralement sonné. Le constat est pessimiste, malgré la petite ouverture optimiste de la fin : l'entreprise, qui devrait avoir un rôle social à jouer, n'est qu'un vecteur, incontournable certes mais méprisé par ceux-là même qui la financent, de transport pour des flux financiers. Les employés, la localisation géographique, les métiers sont des contingences assujetties à l'omnipotence du profit. A ce sujet l'interview du trader est frappante : celui-ci avouait sans vergogne souhaiter l'éclatement et l'enlisement de conflits armés impliquant ou des partenaires économiques des Etats Unis ou les Etats Unis eux-mêmes, puisque invariablement cela crée une hausse de la toute puissante NYSE (bourse de Wall Street), donc de leurs commissions et des dividendes de leurs clients. Le processus d'auto destruction de la planète annoncé dans le film n'est pas inévitable de même qu'il est possible d'entraver la position dominante du profit, l'histoire de la Bolivie et de la tentative échouée de privatisation de la distribution d'eau en est un exemple, la conversion presque miraculeuse à une production qui tend vers le 100% recyclable du PDG d'une société frabriquant des tapis aussi mais le talon d'Achille de ce mastodonte est bien petit et la mobilisation demandée est si importante qu'un sursaut citoyen dans ce sens paraît peu probable. Le docu de Abbott et Achbar est bien fait, les intervenants ont des discours très à propos, le montage, ludique et riche, permet de suivre le film sans ressentir de lassitude, la façon de circonscrire le thème dans le champs sémantique de la psychiatrie est en plus d'être amusante, pertinente. Reste quelques longueurs, dont l'interview inutile et ridicule des deux journalistes de la Fox qu'on laisse jacasser pendant 10 minutes sur leur reportage avorté et ses suites judiciaires.

D  

DEAD OR ALIVE 1 de Takashi Miike. 2*. L'histoire ? Elle est des plus classiques : une bande de truands fait un coup fumant, des flics les traquent. L'affrontement se réduit vite à un duel à mort entre l'un des flics, le plus tenace, et le chef des gangsters, un mafieux sadique. La bataille qu'ils vont se livrer ne connaîtra pas de limites, elle est jalonnée de massacres et se termine en duel, face à face avec des armes surprenantes.
Le sujet étant fin comme un argument publicitaire, c'est dans le traitement qu'il faut chercher l'intérêt de ce film. Après un départ assez typique, Miike se rapproche de ses personnages, non pas pour les décrire de façon précise (pas de psychologie, pas d'étude de caractère) mais pour leur dessiner (le flic et le tueur) une dimension mythique et quasi-religieuse : leur combat devient l'affrontement entre le bien et le mal. Au fur et à mesure de l'avancée du film, il les dégage de tout ce qui faisaient d'eux des personnages de films " normaux ", famille, adjoint, complices…à tel point qu'il ne subsiste finalement qu'eux deux, donc qu'il ne leur reste plus qu'à se rencontrer directement (pas par le biais d'actions indirectes, comme le meurtre de la famille du policier) et à se battre jusqu'à la mort de l'un ou l'autre.
La réalisation de Miike évolue avec son film : elle s'emballe de plus en plus, et le spectateur finit par assister à un duel final délirant où ni les pistolets " conventionnels ", ni les bazookas n'ont eu raison des " guerriers ", c'est un giganstesque flux d'énergie destructrice qui rayonnera sur toute la surface de la planète (allons-y gaiment) qui le concluera, apportant un dénouement qui vient tout droit de l'univers des mangas de science-fiction (Dragonball et Cie). Certes pas le meilleur film de Miike, mais un exercice de style amusant et excitant.

DE BATTRE MON CŒUR S'EST ARRETE de Jacques Audiard 2* Digne fils de son père, Tom est un spéculateur immobilier sans scrupule. Avec ses associés il monte des arnaques, expulse des squatters et monte de sombres business d'achat/revente d'immeubles en région parisienne très lucratifs. Apparemment dénué de remords et de conscience, il rend de plus de temps en temps des menus services à son père, dans la partie lui aussi, en allant encaisser des clients récalcitrants, quitte à utiliser la manière forte. Et puis un beau jour il croise la route de l'ancien impresario de feue sa pianiste de mère. Celui-ci, se souvenant des dons prometteurs de Tom lui propose de venir passer une audition chez lui, en vue d'une possible carrière de concertiste. Hésitant, il décide quand même de saisir sa chance et s'inscrit à des cours particuliers chez une jeune Chinoise fraîchement débarquée en France. A cheval sur ces deux vies, il se désengage et néglige de plus en plus ses magouilles immobilières pour, plein de naïveté, se lancer dans ses cours. La problématique dans laquelle se retrouve Tom est claire : sa vie professionnelle, malhonnête, lui permet de suivre les pas de son père, de tenter d'exister aux yeux de celui qu'il prend pour un démiurge. Quand bien même cela ne lui correspond pas au fond, il a la sensation d'être, comme ça. La musique elle, représente la mère, jadis pianiste de concert célèbre. L'opposition entre la musique et la violence de son travail borderline n'est pas très fine. Les choses sont très marquées et séparées. Le montage alterné entre scènes de piano et scènes de bagarres ou d'expulsions est un poil grossier, il appuie sur le dilemme qui habite le jeune homme. On sait qu'il n'a pas encore trouvé sa place, coincé qu'il est entre une image du père écrasante et un souvenir de la mère douloureux. Son parcours devra obligatoirement passer par le " meurtre " du père, meurtre qu'il n'aura pas besoin de commettre, la vie dissolue de ce dernier le faisant à sa place. Là où le film fait mouche c'est dans le portrait de Tom, qu'on sent capable à tous moments d'exploser, tant ses conflits intérieurs sont forts. Cet apprentissage va le fissurer, il va peu à peu perdre le contrôle de ce qu'il laisse paraître : il oublie des rendez-vous de travail et en parallèle a des explosions de colère avec sa prof de piano. Sa vulnérabilité, dont il n'a pas forcément conscience, le place dans une situation délicate qui lui interdit le droit à l'erreur. Cette imminence, cette instabilité glissante est bien rendue par Audiard. Peut-être y a-t-il mis de lui dedans, car lui aussi a été obligé de s'affranchir de l'image et du poids paternel. Le film est sincère, un peu maladroit dans son acharnement à souligner les choses intangibles, les ressorts psychologiques sont datés et n'apportent pas de regard nouveau sur les thèmes abordés mais il dégage de l'énergie, une vraie noirceur aussi.

2046 de Wong Kar-wai. 4*.M. Chow revient, toujours hanté par son histoire d'amour aussi intense qu'avortée, et doublement fantasmée, avec la belle Shu Li Zhen. Il s'installe à l'Oriental Hotel, chambre 2047. De ses rencontres avec Loulou, une ancienne connaissance de Singapour et la fille du tenancier de l'hôtel va naître l'envie d'écrire un roman de science-fiction dans lequel un train permet à ses passagers clandestins d'aller en 2046. Mais cette destination ne les propulse pas dans le futur, c'est une sorte d'introspection rétroactive qui leur permet de revivre, éternellement, dans leurs souvenirs. L'alter ego de l'écrivain, un jeune Japonais, lui, décide de retourner d'où il vient et refuse de se laisser enfermer dans la douce prison de sa mémoire. Son roman s'émaille et se structure selon quelques rencontres marquantes qui ont constellé sa vie amoureuse. On y retrouve bien sûr Shu mais sous deux " aspects ", personnalités différentes : l'une sublimée, presque éthérée qui renvoie à celle que l'on voyait dans In the mood for love, interprètée par Maggie Cheung et l'autre, rencontre éphémère à Singapour, jouée par la sublime Gong Li. Mais aussi Bao, une jeune prostituée avec laquelle il va nouer une relation douloureuse et stérile.
Wong Kar Waï a construit son film de façon complexe. Il a brouillé les repères chronologiques, même si certains sont récurrents comme le 24 et le 25 décembre, les personnages, avec les deux Shu Li Zhen ou les femmes que l'on voit en humain et en androïdes. Il ballade son personnage de M. Chow dans cet univers trouble et extrêmement sensuel. Ici tout passe par les couleurs, les yeux (les personnages qui regardent au travers des vitres pourtant opaques de la chambre 2046), les vêtements, la musique…c'est par ce biais que le metteur en scène fait passer les émotions : toujours ces fameux plans de personnages qui marchent ou qui fument, filmés au ralenti, plans qui donnent l'impression que l'on assiste à un transit de perception : du présent vécu on passe au souvenir de ce moment dans un même mouvement, ralenti pour le faire entrer dans une éternité teintée de mélancolie diffuse. Chacune des rencontres féminines de Chow est un échec relatif. Avec Shu, relation-mère, omniprésente cause de regrets infinis, avec Bao, dans un jeu d'attraction-répulsion dans lequel elle tombe littéralement pour son plus grand désespoir ou avec la deuxième Shu à la main gauche gantée de noir, qui le sauve d'une déchéance annoncée en échange d'un pacte de non-relation mutuelle. Avec la fille du patron de l'hôtel c'est une autre affaire : s'il y a bel et bien une attirance sexuelle entre eux, là n'est pas sa finalité. Elle permettra à la jeune femme de s'opposer à son père et d'aller jusqu'au bout de son idée et de son amour et à Chow d'écrire un livre sur lui, le libérant par-là même d'encombrants souvenirs.
2046 est un film qui nous donne à ressentir, viscéralement, l'infini dédale des sentiments et des relations entre humains, un monde dans lequel rien n'est réellement définitif, où tout peut faire machine arrière à conditions d'y être enclin à tous moments, de garder espoir en un mieux quitte à y laisser ses illusions et à se laisser envahir par la mélancolie.

DEUX SŒURS de Kim Jee-woon. 3*.Une salle immense et aseptisée, des bruits de pas qui résonnent, une lumière blanche forte, un homme en blouse blanche qui se lave les mains dans une cuvette blanche, deux infirmières qui soutiennent une jeune femme…nous sommes sans aucun doute dans un hôpital psychiatrique. Le médecin parle à sa patiente, mutique, puis il lui demande comment tout cela a-t-il commencé. Changement de décor : deux jeunes filles sont conduites par leur père dans une grande maison isolée dans la campagne coréenne. Cette demeure, et son jardin, aussi belle de l'extérieur que glaçante à l'intérieur sera le dernier lieu dans lequel nous pénétrerons. Tout le reste du film nous cloître dans ses murs. Petit à petit, la tension monte, la folie sourd et la terreur s'installe gentiment pour ne plus nous lâcher. Les personnages ont des comportements étranges : entre la belle-mère qui n'arrête pas de meubler un silence qu'on lui suppose insupportable, le père qui ne dit rien et qui est systématiquement loin de toutes les tensions qui gangrènent progressivement sa maison, et surtout les deux sœurs, dont l'une ne dit rien et affiche sans cesse un regard apeuré et un visage presque sans expression, tenant fermement la main de sa sœur. On ne sait pas de qui vient la folie qui envahit cet univers clos…
A coup de longs plans Kim Jee-woon installe son ambiance lourde et anxieuse, il place le spectateur dans l'expectative permanente d'un éclatement, d'un éclair d'horreur, de folie ou de violence, on ne sait pas exactement, juste que c'est imminent. Puis quand il décide d'envoyer une décharge dans notre épine dorsale il modifie quelque peu sa façon de filmer : montage haché avec zoom monté, cadrage étrange, visions furtives, musique (utilisée en de rares moments), bruitages stressants…et ça marche redoutablement bien, par instants c'en est même presque insoutenable. On ne sait pas immédiatement le pourquoi du comment, que voit-on précisément, puis peu à peu les contours se tracent, on se rend compte qu'on assiste à une plongée cauchemardesque dans l'inconscient d'une adolescente perturbée, puisque amputée de sa sœur, de sa mère et presque de son père, réduit à une présence physique, même pas rassurante et encore moins chaleureuse ; il est un ectoplasme, vécu par sa fille comme un phantasme. La jeune fille paraît sans cesse au bord d'un gouffre sans fond, elle est une boule de douleur et de pulsions macabres. La maison est le théâtre de ses troubles psychiques et de sa peine immense. Elle projette sa culpabilité et ses peurs sur sa marâtre et s'enferme dans une folie profonde. Le metteur en scène a savamment réussi à donner corps aux manifestations terrifiantes de son esprit torturé, nous entraînant avec elle jusqu'au bout, ne laissant aucune respiration, aucun répit. En conclusion Deux sœurs est un film passionnant et intelligent qui propose une vision de l'adolescence diamétralement opposée aux clichés lénifiants et sirupeux qui l'emballent généralement. Et c'est un film absolument terrifiant…

E  

EDVARD MUNCH de Peter Watkins 4* Dans la Norvège conservatrice et empesée de la deuxième moitié du XIXème siècle, dans une famille bourgeoise traditionaliste et protestante naît Edvard Munch, au sein d'une fratrie de 5 enfants. Ce film se présente comme un documentaire très personnel sur la vie du peintre norvégien. Alternant des citations de ses carnets, des séquences jouées et des plans magnifiques (malgré la piètre qualité des bobines visionnées) de ses œuvres, il superpose les niveaux de récit en appliquant à ce traitement un pendant au symbolisme utilisé par Munch pour peindre. Le montage, travaillé et pensé, est comme une autre voix off qui nous fait ressentir quelque chose de supplémentaire par rapport à l'image brute accompagnée ou de commentaires ou du texte des acteurs. Par exemple certains plans sont récurrents et Watkins les insère très souvent dans son film : notamment celui dans lequel on voit une des sœurs de Munch malade, en train de mourir atrocement d'une tuberculose avec à ses côtés sa mère, pâle et malade elle aussi et son père, médecin impuissant à la soigner. Le rappel de ces plans au cours du récit enserre chaque fois un peu plus le peintre, dans une douleur intérieure, une douleur qui a façonné et modelé son inspiration artistique mais dont on pressent qu'elle finira par avoir le dessus sur le reste. De même que le souvenir de sa relation avec (la superbe) Mme Heiger, sorte de relation mère au travers de laquelle il découvre l 'amour et un de ses douloureux corollaires la jalousie maladive. Des plans où on les voit tous les deux, nimbés d'une lumière presque surnaturelle à force de douceur reviennent régulièrement, venant dynamiter toutes ses relations postérieures en imposant encore et toujours le même visage féminin. C'est donc enserré par ce passé qui continue de le hanter que Munch va construire son œuvre tourmentée et visionnaire, devant en plus accepter le rejet de ses contemporains, l'incompréhension totale suscitée par ses tableaux et ses visions macabres hautement subjectives. Son travail de créateur est une restitution, à travers une grille de couleurs et de formes intimement liée à son vécu et son inspiration du moment à ses impressions et ses affects, de plus en plus dégagée de contraintes réalistes ou naturalistes. Les scènes avec acteurs se déroulent en plusieurs strates : d'une part il y a celles qui sont dialoguées, représentant des scènes de la vie du peintre et chargées du regard rétrospectif que Watkins porte sur Munch (sa mise en scène souligne subtilement les sentiments, l'état d'esprit de Munch) ; d'autre part on distingue les scènes avec acteurs soliloquant, comme celles des critiques qui s'expriment sur ses œuvres ou les petits dialogues entre l'homme et la femme filmés en tronc, censés représenter la bourgeoisie régnante et bien pensante, porte-étendard de valeurs réactionnaires, ces deux derniers exemples dessinent le contexte social. Chacune des scènes jouée de la vie de Munch est signifiante, elle apporte une pierre à l'édification de son portrait-total, dans sa définition globale. Le choix du metteur en scène de laisser une large place à l'improvisation chez ses acteurs apporte une dimension unique à son film. On a l'impression que les acteurs s'approprient littéralement les personnages, leur prêtant des mots que peut-être ils n'ont pas eu mais qui construisent le film avec précision et netteté dans une logique d'ensemble cohérente. Le peintre maudit, en lutte contre lui-même et la société bourgeoise du XIXème et début du XXème siècles, à l'œuvre bouleversante et touchante méritait ce grand film.

ELEPHANT de Gus van Sant. 2*. Tape à l'oeil, armes à feu, steadicam et Ludwig van...on dirait le titre d'une énième resucée sous-tarantinesque. Et bien non, il s'agit de la " recette " du dernier van Sant. Certes le film ne se réduit pas à ça, il est plus riche et complexe mais, comment dire, plus vain. Voilà le mot est lâché. Qu'a-t-il bien voulu nous dire ? Du carnage de Colombine il n'a gardé qu'une filiation d'apparence. Si le film peut se présenter comme une reconstruction (avec jeu sur le temps et les lieux) plus qu'une reconstitution de ce fait divers, tout aspect humain semble en avoir été chassé. Pas de sentiments, pas de chaleur, rien. Ce film est réfrigérant. Les personnages ne sont que décoratifs et utilitaires, ils servent uniquement le metteur en scène, ils sont les instruments mono-dimensionnels qui étayent son propos. Au même titre que le lycée (lieu vivant, grouillant en temps normal): réduit à une succession figée de couloirs et de salles, à son état matériel de bâtiment, à tel point que le moindre mouvement en son sein ne semble exister que pour souligner l'immuable immobilité de ses murs. Les dialogues sont strictement informatifs voire meublant...
Van Sant se désintéresse du contenu à proprement parler. La fonction de ce dernier est de lui permettre d'enquiller un nombre pléthorique de plans séquences en travelling (dont un bon paquet en steadi je pense), chacun d'eux suivant un des lycéens. Les premières 70 minutes ne montrent quasiment que le laps de 5/10 minutes qui précède la boucherie, mais à chaque fois avec un point de vue différent. D'où certaines scènes que l'on revoit 3 fois. L'idée est bonne, distendre le temps, l'étirer au maximum mais ici elle tourne au procédé mécanique. La mise en scène, éblouissante dans les vingt premières minutes devient un poids. Le réalisateur, à tant vouloir nous en mettre plein la vue lasse avec ses redites stylistiques. La tension qui naît immanquablement, car on connaît la fin de l'histoire, monte crescendo et à cet effet il modifie ses interminables P/S en brouillant peu à peu l'arrière plan (la mise au point n'est faite que sur le personnage suivi). Ce travail sur la netteté de l'image culmine avec un long plan fixe au milieu d'un chaos apocalyptique (assez réjouissant d'ailleurs, il renvoie un peu à l'ouverture de L'homme des hautes plaines, de Clint Eastwood) qui est totalement flou au départ, la mise au point ne se faisant qu'à la toute fin, quand le personnage occupe les trois quart de l'écran.
En résumé, Elephant n'est pas un mauvais film et van Sant un excellent technicien mais tout reste trop à la surface pour emballer réellement. Son film souffre d'un aspect arty énervant et son racolage virtuose le fait un peu sombrer. De plus les quelques recours à Beethoven ne s'imposaient absolument pas, surtout ces extraits-là.

ESPACE DETENTE de Bruno Solo et Yvan le Bolloc'h. 1*. Toute l'équipe des sketches de Caméra café est au complet pour ce premier (et espérons-le, dernier) long métrage. L'histoire-prétexte est digne d'une sitcom bas de gamme, tellement d'ailleurs que ça ne vaut pas le coup d'en parler. Si la série se faisait fort de montrer du doigt les mesquineries, les bassesses, la sottise régnant au sein de l'entreprise, et plus généralement chez les gens, le film se pose là pour boursoufler cette saine croisade. Car faire vivre des caricatures durant deux minutes a un sens quand on cherche la satire, mais 90 minutes c'est autre chose. Sans épaisseur, les ectoplasmes se dépatouillent comme ils peuvent avec le matériau délétère que les auteurs leur ont donné à rogner. Le film peut même prendre un sens légèrement différent ; ne frôlerait-on pas le jeanyannisme* par instants ? Bolloc'h et Solo s'en prennent à un thème très à la mode, un fourre-tout idéologique dans lequel bien souvent on met tout et n'importe quoi : la mondialisation, représentée ici par la délocalisation de la production à Taiwan. La menace prend les traits d'un cadre sadique, malade mental et escroc. Qui donc de ce requin ou des employés crétins de Geugène (c'est le nom de l'entreprise, inventeuse de la Gégène) aura gain de cause ? A mettre tout le monde dans le même sac, il ressort du film un sombre constat : dans ce duel de cons, finalement ce qui est bien, c'est que c'est les bons cons de chez nous qui gagnent, car un con local vaut mieux qu'un autre. Toutefois retrouver ce microcosme sinistré reste un plaisir, mais on se situe là dans de l'immédiat absolu, une seconde après il ne reste aucune trace. Quelques éclats de rire ici et là mais un rire un tantinet gêné, honteux un peu comme de prendre du plaisir à se saouler avec une bouteille de château-la-picrate en se retapissant la paroi intestinale de sa texture soyeuse qui évoque pour les plus perspicaces un acide de batterie du meilleur millésime. Ne cherchez pas la trace d'une ossature autour de laquelle la comédie se déroule, j'ai regardé et je n'ai rien vu de semblable. Pas de rythme, pas de structure, pas de substance, pas de discours autre que ce qu'on pourrait trouver dans les pages société du Chasseur français. C'est un peu coupable donc que j'avoue que le film m'a fait rire…mais je voue un culte secret à Jean-Claude Convenant, un équivalent hexagonal à l'inénarrable Homer Simpson. * jeanyannisme : subtil mélange de j'en foutisme, de poujadisme plus ou moins light et de nihilisme démago que l'on retrouvait dans les brûlots de Jean Yanne tels Tout le monde il est gentil…, Les Chinois à Paris, Moi y'en a vouloir des sous ou Chobizenesse.

ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND de Michel Gondry. 3*. Une histoire sans fin (définitive). Joel est un quadra célibataire et introverti qui un beau jour, lors d'un barbecue avec des amis sur une plage, rencontre Clementine, une femme un peu azimutée, impulsive et pathologiquement versatile. Les deux tourtereaux sont en manque flagrant d'amour, leur liaison de complicité fusionnelle va lentement évoluer vers une incompatibilité caractérielle, un rejet réciproque de l'autre pour finalement non pas prendre fin mais disparaître, effacée de la mémoire des deux personnages. Ainsi vide de ces souvenirs douloureux, Joel et Clementine vont pouvoir à nouveau se rencontrer, sur la même plage où ils s'étaient déjà trouvés.
Le film se présente comme une succession, sans ordre chronologique, de scènes de la vie des deux personnages, les repères étant la couleur des cheveux de Clementine (orange, bleu, vert). Loin de troubler la compréhension du récit, ce parti pris non seulement se justifie par la suite de l'histoire avec l'effacement de la mémoire de Joel mais aussi il autorise au spectateur une vision alternative des protagonistes et des évènements, permettant de les mettre en perspective avec leurs conséquences. Ce lavage de mémoire prend la forme d'un trip mental dans lequel les protagonistes agissent et tentent d'intervenir pour en changer l'issue. Ca donne lieu à quelques idées visuelles intéressantes comme les personnages qui se dématérialisent en cascade, où encore Joel qui essaye de cacher des traces de cette liaison dans ses souvenirs d'enfance, réalisant qu'il ne veut pas oublier tout. En fait ce qu'il veut c'est n'en garder que les bons moments, idéaliser a posteriori cette passade, accélérer en quelque sorte le travail du temps. Le discours de l'auteur est assez clair dans ce sens : la mémoire est constitutive des individus, indispensable puisqu'elle joue un rôle actif dans leur vie. Les souvenirs communs n'appartiennent pas à chacun des deux mais aux deux à la fois. Ainsi l'effacer est une amputation. Là où ça s'englue un poil, c'est dans son aspect histoire d'amour éternelle, c'est naïf comme tout. Une fois lessivés les deux ex se re-rencontrent comme si rien n'avait été. Et les revoilà se rengageant dans une histoire commune. Bof ! Mais ne soyons pas trop tatillons, le côté ludique de la mise en scène et du scénario fait tout passer. Carrey donne une interprétation profonde de son personnage et Kate Winslet est comme à son habitude excellente. Une œuvre intelligente, qui arbore un côté bricolage amusant.

F  

FAHRENHEIT 9/11 de Michael Moore. 1*. Le film s'ouvre sur une séquence amusante qu'on pourrait résumer par " Et si le président de la plus grande démocratie du monde avait été élu par des moyens frauduleux au nez de 230 millions d'Américains, et qu'aucun n'y trouve quoique ce soit à y redire… ". Le montage est ludique, alternant images d'archive, interview d'officiels et commentaires personnels acides garants d'une efficacité optimale. On enchaîne ensuite sur les liens de la famille Bush, gros industriels du pétrole au Texas avec les Binladen, leurs homologues Saoudiens : pour les non-avertis, on frôle l'écoeurement. Enfin on en arrive à la pierre angulaire du film, la guerre insensée que les US ont lancée contre Saddam Hussein sous des prétextes aussi fallacieux qu'ils étaient faciles à contrecarrer. Les gendarmes du monde ont ainsi enterré un pays qu'ils avaient déjà vidé de son sang par 10 ans d'embargo (et près d'un million de morts). La première partie du film s'achève. On embraye après cela sur une deuxième partie beaucoup moins convaincante, voire discutable. Plus de faits, ici c'est le " côté humain " que Moore a voulu mettre en avant, en suivant la douleur de la mère d'un soldat tué en Irak. D'un coup on se prend à penser que le mécanisme jusqu'ici bien huilé de cette machine à dénoncer est grippé, que Moore en voulant convaincre à tout prix s'est simplement planté. Que viennent faire ces séquences boul'd'hum* rédhibitoires dans un pamphlet qui se tenait à peu près ?
C'est ça le hic avec ce film et fondamentalement dans tous les docus de Moore : il est près à toutes les bassesses pour défendre son point de vue, aussi généreux et sensé soit-il. Si ce procédé grossier pouvait passer dans ses précédents opus, ici il est bloquant. En plus de casser le rythme (excellent pendant la première heure), il donne un aspect putassier à son pensum. Au plus fort de ces moments qui fleurent bon la charogne, on se prend à rêver au superbe film de William Karel, Le monde selon Bush, sur le même thème. Là où Karel ne donnait que des faits, appuyés par des témoignages à propos, Moore veut faire marcher la machine à larmichettes faciles. Pour le coup l'efficacité si recherchée disparaît. Et puis dans l'absolu, son docu n'est pas critique du tout envers un point important, me semble-t-il, de l'histoire : le patriotisme à tout crin des millions d'Américains, porte ouverte à toutes les manipulations retorses. L'administration Bush s'en est d'ailleurs tellement servie qu'on croirait qu'elle l'a inventé. On peut sans excès imaginer que ce film, en surfant sur les mêmes procédés, devrait être un succès important au box office US. C'est du prosélytisme de masse, plus du documentaire rigoureux.
Me reste à espérer que c'est juste un coup pour rien (avec usurpation de la palme d'or 2004) et pas un avant-goût de ce que Moore fera désormais.*Boul'd'hum : expression signifiant " bouleversant d'humanité"

FAUX AMIS de Harold Ramis 3*. Wichita - Kansas. Vic, un businessman marron et Charlie, un avocat idem arnaque 2 millions de dollars et des brouettes le soir de noël au patron de ce dernier, un redoutable caïd. Le plan si huilé dérape immanquablement. Ce qui est appréciable dans ce film au scénario conventionnel, au-delà des retournements inhérents au genre c'est le personnage de Charlie. Un truand sympathique, loser lunaire et naïf qui s'est engagé dans son casse avec l'espoir inouï de s'en sortir vivant et de quitter riche le bourg. Car mis à part lui, peu sont sympathiques : son associé qui sent le coup fourré à 10 lieues, la sulfureuse patronne de la boîte de strip tease avec qui Charlie nourrit l'espoir de partir, son copain de lycée un lourdingue XXL, son ex-femme une pisse vinaigre jusqu'au tueur envoyé pour récupérer le pognon…bref aucun de ces échantillons d'humanité n'inspire confiance. Pourtant il va slalomer entre toutes ces embûches potentielles, sans jamais refuser le contact avec elles. Et sa tentative d'évitement de la loi de l'emmerdement maximum sans se départir de son fond de gentillesse devient son petit chemin de croix. Son casse, si brillant et facile sur le papier et si facilement réalisé va l'entraîner de surprises en surprises, lui faire frôler plusieurs fois la mort et la lui faire donner indirectement (jamais directement) aussi, le blessant intérieurement mais pas suffisamment pour lui faire renoncer à son but initial, la raison pour laquelle il a voulu ça : partir. A force d'acharnement et de refus de nier ce qu'il est réellement et aussi improbable que cela puisse paraître, Charlie l'avocat marron réussira dans son entreprise et déguerpira accompagné de son ami d'enfance, le balourd qui lui avait piqué sa femme. Faux amis est un bon film noir assez décontracté, très bien mis en scène et interprété brillamment par John Cusack. Très réussi.

LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME de Hong Sang-Soo. 4*. De retour des Etats-Unis après des études de cinéma Hunjoon retrouve son ami Munho, un prof d'arts plastiques. Le premier est fauché, rêveur et veut se lancer dans l'écriture d'un scénario, le second, marié et père de famille n'attend que sa titularisation. Ils déjeunent ensemble, ressassent leurs souvenirs et s'enivrent. De tendues, leurs retrouvailles prennent une autre tournure, l'agressivité sentie au départ laissant place à de la camaraderie de bouteille, éthérée, les propos échangés évoluent de plus en plus vers une connaissance commune, une jeune femme dont tous deux ont été l'amant, successivement, la fluette Sunwha. Au plus fort de leur cuite, ils décident de se rendre dans la banlieue de Séoul où elle travaille comme serveuse dans un bar, et lui faire la surprise de leur venue. Ils passent tous les trois une soirée irriguée…
En dix secondes Hong Sang-Soo arrive à installer la tension qui semble régir les rapports entre les deux amis : reçu dans la rue, en face de la maison de Munho, Hunjoon fait figure d'intrus presque, un pan du passé de Munho qui ne peut pas rentrer dans sa vie actuelle telle qu'il se l'ait construite. Il y a du ressentiment, un poids intangible qui assombrit cette scène qui devrait être joyeuse, doublé d'une sorte de jalousie, de rivalité de la part de Munho, qui reproche à Hunjoon des griefs que leur amitié aurait du prescrire. Le metteur en scène en profite pour glisser quelques flash-back, montrant tour à tour les deux hommes avec la jeune femme. Le premier qui l'a plaqué avant de partir aux US, le second qui a en profité pour se rapprocher d'elle, de façon éphémère. Pour elle, le départ de Hunjoon fut une grande douleur : tous les trois vivent encore dans le souvenir de leur inter-relation, à différents degrés. Hong les filme avec une grande légèreté, une bonne dose d'humour un peu mélancolique et par instants féroce. La façon dont se termine leur soirée est à ce titre marquante : Munho tombe sur des étudiants à lui et va manger avec eux pour finalement aller à l'hôtel avec l'une d'elles, Hunjoon fait une crise de jalousie à Sunwha…bref, à la fin chacun se retrouve seul. " La femme… " est un film magnifique, qui nous donne à ressentir beaucoup en nous montrant peu. Les relations sont vues à travers des gestes quotidiens, des discussions qui ont l'air anodin, tous ces " rites " sont montrés également, sans distinction de traitement : il n'y a aucune sublimation, aucun lyrisme. Il ressort de ce dépouillement formel une vérité prenante, on touche presque à l'épure. Un grand moment.

LA FILLE DU JUGE de William Karel 1*. Clémence Boulouque, fille du juge antiterroriste du même nom raconte aux spectateurs les souvenirs qu'il lui reste de son père avant qu'il ne se donne la mort en 1990. Alternant les souvenirs de leur vie privée avec les affaires publiques dont son père avait la charge et qui le mettaient par là-même sur le devant de la scène médiatique elle tente de dresser un portrait, éminemment subjectif du bonhomme. Et puis voilà. Certes l'entreprise est louable ou du moins compréhensible. Mais elle se limite à ça, à ce regard de l'intérieur qui plus est d'un enfant, soulignant les répercussions personnelles que peuvent avoir des évènements publics, des " attaques " (comme le juge en a subi)…bref comment le public vient perturber la sphère du privé. Je suis bien d'accord avec toi Clémence mais comme je l'objectais l'autre fois à George Clooney, était-ce la peine d'en faire un film ? Le mélange films de vacances tournés à la super 8 avec commentaires, écrits par la donzelle, redondants même si sincères c'est trop pour moi. Ce film est un journal intime qui se limite trop à une somme d'émotions dévoilées, de sensations, un travail impressionniste qui finalement s'étouffe dans ce qu'il ne sort pas un peu de son sujet direct. Le passage du livre au film aurait pourtant pu donner lieu à une distanciation bénéfique… Lassant.

G  

GERRY de Gus van Sant. 1*. Deux amis roulent en voiture au milieu de la Death Valley. Ils se garent et se rendent à pieds, chacun une bière en poche, à un probable point de vue panoramique sur la vallée. Ils marchent et se perdent dans l'immensité tranquille et terrifiante de ce désert où alternent dunes, montagnes et étendues sableuses à perte de vue.
Voilà pour la trame. Gerry n'est ni un film de scénario (écrit par les deux acteurs et van Sant), ni d'acteurs (Matt Damon et Casey Affleck se contentent de prêter un corps à leurs personnages ectoplasmiques), ni de dialogues, très limités. Il s'agit plutôt d'un film conceptuel, un exercice de style où la mise en scène, aidée par la musique envoutante et hypnotique de Arvo Pärt, écrase tout le reste. C'est un film expéri-mental dont la forme dépouillée et construite d'interminables plans-séquence (qui annoncent leur foisonnance dans son futur film Elephant ; redite stylistique ?) à la beauté stupéfiante nous invite à une contemplation languissante et méditative. Le hic c'est le sujet de cette méditation imposée. Je ne l'ai pas trouvé. D'accord les deux copains sont perdus dans un désert hostile. D'accord leurs relations se font de plus en plus ténues pour finir dans un côte à côte silencieux. Ils marchent pour ne pas s'arrêter, ce serait un ultime renoncement, une mort aussi lente que certaine. Le sujet est alors peut-être la valeur de la vie humaine, l'importance qu'on peut y accorder soi-même…bof ! L'image que je garderai de Gerry est celle d'un film arty au discours hermétique, assez prétentieux mais qu'on ne peut lâcher du regard malgré sa lenteur. Etrange.

GOODBYE, DRAGON INN de Tsai Ming-Liang. 3*. Une vieille salle de cinéma à Taipei. C'est la dernière séance, il passe L'auberge du dragon*. Seuls quelques personnes sont présentes. L'ouvreuse, une jeune femme boiteuse, le projectionniste, un fumeur invétéré et une poignée de clients, dont deux ressemblent à s'y méprendre aux héros du film projeté, une prostituée qui grignote bruyamment des oléagineux, un japonais homosexuel qui tente de draguer le projectionniste et un enfant…une micro humanité en somme. La séance se passe, le cinéma ferme, le tout sous une pluie battante.
Tsai Ming Liang filme à coup de plans très longs et fixes ces personnages. On suit ainsi l'ouvreuse, qui une fois le film lancé se promène dans les couloirs sombres, étroits et envahis de cartons du cinéma, cherchant timidement à aborder le projectionniste, jamais là où elle s'attend à le trouver, peut-être la fuyant (quand elle est dans la cabine, une cigarette fume, indiquant son départ récent pour…fumer une cigarette dans un couloir). On se doute que ces deux-là travaillent ensemble depuis quelques années, mais jamais apparemment elle ne réussit à l'aborder franchement. Le metteur en scène nous donne à ressentir comme une tension érotique, encore accentuée par le pas lent et bruyant de l'ouvreuse, que l'on entend arriver avant de la voir. Cette lenteur, presque languissante semble faire partie des murs du bâtiment, de la salle aux fauteuils rouge sombre, aux couloirs. Le spectateur japonais, élément comique du tableau, n'arrête pas de changer de place ne trouvant nulle part le calme nécessaire. Il sort un instant, fumer une cigarette, et demande du feu au projectionniste qu'il croise là : cette scène est marrante, car le second fume tranquillement adossé à une grosse pile de cartons, ne laissant devant lui qu'un très étroit couloir pour un passage éventuel. Le Japonais lui, tente, plutôt que de prendre un autre chemin, de " forcer " le passage, leurs corps se plus que touchant, il approche aussi son visage du sien comme pour l'embrasser. Sinon on a les deux personnes qui ressemblent à s'y méprendre aux acteurs de Dragon Inn, et qui ne se rencontrent qu'après la fin de la séance, dehors. L'un pleurait pendant la projection, devant les combats homériques de Hu. Ils apportent une nostalgie triste au film. Voir cet homme pleurer devant son passé, exposé à la vue de tous, à quelque chose de touchant, presque d'angoissant, surtout qu'il garde un visage impassible. Tous deux ramènent le présent vers un passé, pas forcément glorieux ni meilleur, mais ils donnent un sentiment de mélancolie, celle d'une période qui prend fin. La jeune femme qui passe son temps à manger du bout des dents et qui est avachi sur son fauteuil, est un élément de la bande son : ses cassages de coquille cadencés finissent par s'intégrer, au même titre que le ronronnement du projecteur, que le pas claudiquant de l'ouvreuse, que le film projeté ou que la pluie qui tombe en trombes à l'extérieur au monde sonore du cinéma. Tsai Ming Liang a réussi un film quasiment muet (5 ou 6 lignes de dialogue pas plus), sans musique qui ne sombre jamais dans la nostalgie aveugle, dans lequel les sentiments ne sont pas exprimés et semblent condamnés à rester sous-jacents. Un beau film.


* Dragon Inn : film de 1966, réalisé par un petit maître, King Hu, cinéaste né en Chine populaire qui tourna ses films entre Taïwan et Hong Kong. Il fut l'instigateur d'un renouveau du wu xia pan, un genre qui mélange arts martiaux et combats au sabre, en y introduisant un côté fantastique (sauts aériens disproportionnés, chorégraphies martiales millimétrées…). Ang Lee pour son Tigre et dragon s'en inspira profondément. Dragon Inn fait partie d'une tétralogie dite des films d'auberge (lieu central de l'action).

GOTHIKA de Mathieu Kassovitz. 1* . Une JJP (Jeune et Jolie Psy, stéréotype très courant dans les thrillers US) se retrouve du jour au lendemain de l'autre côté d'une cellule capitonnée, accusée du meurtre horrible de son directeur de mari. " Ce n'est pas possible, ce n'est pas moi… !!! " crie-t-elle à la face incrédule et circonspecte de ses ex-collègues qui la regardent désormais avec une méfiance à peine contenue. Parallèlement à ses tentatives, vaines on s'en doute, de convaincre les autres qu'elle n'est pas passée sur la tranche, elle a des hallucinations : sous ses yeux effrayés apparaissent des fantômes de jeunes femmes assassinées qui la terrorisent, la tabassent un poil et la guident vers la solution à cette énigme ampoulée. La vérité : son mari était un salopard de pervers meurtrier qui, avec un complice, rassurez-vous ce dernier se fait zigouiller 10 minutes avant la fin, filmaient le meurtre des donzelles dans sa cave. Le pot aux roses est dévoilé, tout rentre dans l'ordre, youpi tralala.
Le scénario, signé Sebastian Gutierrez (auteur/réalisateur de Judas Kiss, polarillon de seconde zone), est un mauvais mélange de tout un salmigondis de références assemblées à la va comme je te pousse, prétexte à une performance assez physique de son actrice principale sur le visage de laquelle passe en 90 minutes la palette entière des expressions que se doit de posséder toute actrice qui aurait des prétentions oscarières. La mise en scène ne permet guère de relever ça, elle ne décolle jamais. Certes le filmage est propre mais très impersonnel, c'est un boulot carré de tâcheron lambda, pas un film de Kasssovitz, jadis talent prometteur. La musique ne souligne pas les choses, elle les stabilote violemment ayant un peu trop tendance à tomber dans le tonitruant le plus assourdissant (elle est composée par John Ottman, compositeur/monteur de Usual Suspects et metteur en scène du bergmanien Urban Legend 2). Seules quelques scènes foutent vraiment les jetons, mais cette peur ne repose que sur la surprise, il n'y a pas de recherche sur l'ambiance, très convenue. En résumé, ce n'est pas nul mais c'est quelconque, c'est un produit de série anonyme qui ne mérite d'être vu que pour cette poignée de scènes flippantes (très flippantes devrai-je dire).
En espérant que le prochain sera mieux…

GOZU de Takashi Miike. 3*. Ozaki un yakusa, suite à des comportements étranges répétés est envoyé par son patron avec Minami son aniki dans la casse des yakusas à Nagoya. Mais suite à l'un de ses pétages de plomb rituels Ozaki meurt. Pendant que son aniki prévient le big boss de Tokyo, il se volatilise. Seul à Nagoya, Minami va tenter de le retrouver. Dans sa recherche il va tomber sur un bar aux patrons et aux clients étranges, un couple d'aubergistes insistants, une jeune femme énigmatique et tout une tripotée de bizarreries.
Sur un rythme très lent, voire trop par moments, Miike suit les déboires de son personnage dans la ville de Nagoya, montrée comme un asile psychiatrique géant peuplé d'êtres fantomatiques aux motivations troubles. Car séparé de son mentor, Minami est perdu : leur relation dépassait le simple cadre d'une relation professionnelle, pour entrer dans la sphère des liens familiaux doublée d'une forte attirance sexuelle qui va de l'exposition des génitoires dans la voiture jusqu'à l'hallucinante scène de dépucelage monstrueux avec masturbation/pénétration/accouchement de la fin, cristallisant la complexité des liens/pulsions qui les unissent. Le remplacement de Ozaki par une jeune femme est à ce titre explicite car cela permet à Minami, encore puceau et évoluant dans un milieu viril et violent qui dénie l'homosexualité, de se laisser aller à ses fantasmes : elle est jeune et belle mais c'est aussi son patron (dont il entend la voix qui s'échappe du sexe de la femme), elle est à la fois homme et femme ; son honneur de yakusa est sauf. L'accouchement représentant probablement l'acceptation de sa sexualité par Minami. Le barman travesti, les deux aubergistes, qui sont frère et sœur mais qui entretiennent une relation sadomasochiste ainsi que le dégoût que provoquent chez Minami la sœur et ses éjaculations lactées (une image érotisée de la mère en quelque sorte) prolixes, l'homme de main du vieux boss yakusa de Nagoya avec son visage scindé en deux (un côté qu'il cache, l'autre qu'il expose) et même son grand patron de Tokyo qui pour avoir une relation sexuelle doit utiliser des accessoires (la louche a un usage qu'on ne lui connaissait pas)…bref, ce sont autant de détails qui font prendre conscience peu à peu du but de la quête du jeune yakusa. Au final, Gozu est un film à la forme très osée, aux outrances visuelles assumées et réjouissantes, une preuve supplémentaire du talent protéiforme de Miike. Inoubliable

H  

 

I  

INFERNAL AFFAIRS de Andrew Lau et Alan Mak 3*

Yan est un flic infiltré dans une bande de trafiquants de drogue à Hong-Kong. Ming/Lau est un truand infiltré dans la police. Deux taupes, deux troubles et doubles jeux. Aucun d'eux ne peut être celui qu'il est, ils jouent sans cesse, un jeu de mort, surfant à la frontière de la schizophrénie. Sans repères fixes, ils sont en perdition, n'étant même plus sûrs de leur véritable identité. Las de cette confusion, ils aspirent à mettre un terme à cette dangereuse mascarade.
Rarement le thème du double (et du double négatif) fut traité de manière aussi précise. Entre Yan, que ces dix années de clandestinité ont rongé et Ming/Lau qui désire devenir réellement flic il n'y a pas un fossé. Dans le fond peu de choses les séparent, une ligne peut-être mais qu'elle est-elle cette ligne ? De plus ce masque qu'ils ont endossé a fini par agir sur eux, par déteindre comme s'ils avaient absorbé et intégré des éléments de leurs rôles- Aux yeux de tous ils sont ce qu'ils ne sont pas. Le réalisateur exploite remarquablement cette confusion, par exemple lorsque les policiers tentent d'appréhender en flagrant délit les trafiquants. Le spectateur est amené à suivre l'action des deux côtés, chacune des taupes étant présente, Yan communiquant par morse pour donner en temps réel les informations cruciales sur le lieu de l'échange, Ming désamorçant les stratégies mises au point pour les arrêter au moyen de SMS. La tension va crescendo, donnant au film une atmosphère lourde et suffocante, plaçant le spectateur dans l'expectative d'une issue incertaine. Les traditionnels Colt 45 ont été remplacé par des téléphones cellulaires et les gun-fights par des communications. On retrouve par contre une utilisation du temps qui passe un peu similaire à celle que l'on trouvait dans des polars tels The big heat (de Johnnie To), City of Fire (de Ringo Lam) ou The killer (de John Woo)-trois références du polar HK- : quand il ne se passe rien c'est que les choses se préparent et bien souvent cette inertie, relative, produit une anxiété sourde. On peut même presque trouver à ce film un côté sensuel tant les yeux par le biais des regards, les oreilles et le toucher prennent une place importante.
Bref, dégraissé de ses stigmates de film commercial HK, mélodies sirupeuses voire carrément loukoums, historiettes d'amour ridicules (avec la psy et le flic ou celle du truand avec sa copine qui cherche à écrire un roman) le film en eut gagné en sécheresse, ce qui avouons-le ne l'aurait pas desservi. Mais le résultat est plus que convaincant, il s'agit sans nul doute d'un très bon film, qui évite tout manichéisme et qui préfère au blanc et au noir un gris bleuté et froid.

INNOCENCE de Lucile Hadzihalilovic. 3*. Perdu au milieu d'une forêt lugubre, une sorte de pensionnat recueille des jeunes filles âgées de 5/6 ans. Elles arrivent dans les lieux à bord d'un cercueil, ouvert en présence de leurs camarades de " caste ", elles sont ensuite vêtues comme des petites filles modèles (genre fantasme japonais : soquettes blanches, mini jupe plissée et couettes). Qu'y font-elles ? Elles apprennent une forme d'autorité qui repose sur le respect d'une hiérarchie liée à l'âge, à chaque tranche d'âge passée on remet aux jeunes filles un ruban à cheveux d'une couleur différente, et d'un règlement oppressant, elles étudient aussi la biologie (métamorphose et reproduction des papillons…) et apprennent à danser. Seulement encadrées par des femmes, la prof de danse qui en permanence paraît être sur le point de craquer nerveusement et la prof de biologie, une jeune femme boiteuse à l'allure stricte. Les aînées donnent de plus, une fois la nuit tombée, dans une salle " secrète " des spectacles de danse dans lesquels les spectateurs restent dans l'ombre et jettent des fleurs à celles qui leur plaisent le plus. Une fois par an, la directrice du pensionnat passe dans l'école et sélectionne l'une des jeunes filles après l'avoir regardée danser et inspecté sous toutes les coutures. Puis lorsqu'elles atteignent une douzaine d'années, en fait lorsqu'elles sont réglées elles quittent le lieu sinistre et sont accompagnées à travers un dédale de couloirs souterrains sombres et glauques dans un train (fantôme ?) qui les mène dans une ville où elles sont " lâchées ". Il ne fait nul doute que le propos de la réalisatrice est acerbe, mais elle utilise pour cela un symbolisme parfois pesant. Certes on comprend rapidement que tout est fait pour que ces filles deviennent des épouses modèle, bonnes ménagères, bonnes pondeuses et soucieuses de conserver une apparence physique et une " grâce " attrayantes. Les couper ainsi du monde extérieur permet aussi de faire fi de toute attirance, tentation envers l'autre sexe, singulièrement absent du film. On imagine alors sans mal, sur la foi de ce qui nous est donné à voir, que le premier homme qui viendra les aborder sera le bon, celui pour lequel elles renonceront, mais en auront-elles seulement profité une fois, à toute velléité d'indépendance, un abandon du libre arbitre en somme. Mais voilà, malgré toutes les restrictions liées à leur passage dans ce lieu mortifère, le désir est bien là, loin d'être étouffé et se manifeste autrement, entre elles. Elles font la découverte des changements qui les attendent au contact de leurs aînées. Ce qui ressort de cette symbolisation du passage à la maturité, pris au sens biologique du terme (à savoir à la possibilité physiologique de donner naissance à une descendance) est assez lourd. La réalisatrice insiste beaucoup là-dessus. Ce qui est bien plus intéressant c'est l'atmosphère qu'elle arrive à rendre : un sentiment d'écrasement diffus, de totalitarisme abstrait, un peu comme une représentation du poids du machisme dans une culture française axée sur l'épanouissement masculin, donc sur la perpétuation du nom (triomphe absolu de l'image du père). L'image est extrêmement travaillée, elle participe pour beaucoup au symbolisme du propos, grâce à elle Hadzihalilovic arrive à transmettre quelque chose de l'angoisse (actuelle ?) de devenir une femme. La sensation d'enfermement est renforcée encore par la topologie et l'apparence des lieux : la longue allée forestière éclairée, la hauteur de plafond dans les salles, les bruits de grincements, la froideur incroyable des plans, les couloirs souterrains humides tous identiques et labyrinthiques, silencieux et sombres, la musique (les extrait de Janacek diffusés pendant les spectacles de danse ambigus), l'ombre pesante de la pédophilie…à ce sujet elle entretient des zones mystérieuses ; le devenir des filles choisies par la directrice après son inspection malsaine, la raison de la présence des spectateurs anonymes aux " galas " nocturnes…bref, autant d'indices de la réalité de ce qui attend ces jeunettes au sortir de l'enceinte confinée et viciée de l'institution. La scène finale donne à réfléchir : on y voit l'une des jeunes filles sorties pataugeant dans une fontaine publique sur une place fréquentée, faire de l'œil à un garçon, d'au moins 5 ou 6 ans son aîné et prenant entre ses mains le puissant jet d'eau, comme s'il s'était agi d'un phallus gigantesque…En résumé, Innocence est un film envoûtant, dérangeant, personnel mais un peu insistant.

INSIDE JOB de Nicolas Winding Refn. 3*. Harry Caine est vigile dans un centre commercial. Sa femme a été tuée dans le parking souterrain de ce complexe. Depuis, veuf inconsolable il n'a de cesse de visionner les bandes de vidéo surveillance du magasin avec l'insondable espoir d'y voir un visage récurrent, un comportement étrange…bref, il se raccroche à ces chimères pour tenter d'oublier son deuil et sa douleur inextinguible.
Nous assistons impuissants à la lente chute de Caine dans les abymes les plus noires de sa monomanie. Son obsession à vouloir tout voir pour y trouver un indice, si infime soit-il, prend une place prépondérante dans sa vie. Car à part son métier, qu'il pratique avec de plus en plus de difficultés, il n'a rien d'autre. Il se terre chez lui, seul, hanté par des hallucinations de sa femme à tapisser ses murs de photos floues, hypothétiques portraits volés d'un possible assassin. Le jour où il peut enfin visionner la cassette sur laquelle a été enregistré le meurtre tout bascule. Le film entre dans une seconde sphère, on quitte celle de sa réalité morose et ralentie pour entrer dans celle, plus troublante des délires pathologiques de Caine. En utilisant la même perspicacité dont il faisait preuve dans le traitement des photos auparavant il va remonter une piste, improbable chemin vers un dénouement qui ne peut être que factice. Il se retrouve dans un hôtel aux teintes sanguines, saturées de rouge, à l'atmosphère pesante, qui font bien penser à un " trip " dans la psyché perturbée du vigile, un univers où la culpabilité, le regret et l'incommensurable incompréhension face à la mort et à la disparition d'un être d'autant plus cher qu'il est magnifié par son absence accentuent l'instabilité. Chacune de ces étapes est un pas de plus dans la folie, perdant tout repère, tout contact avec une quelconque réalité matérielle. Il semble qu'aucun retour vers une normalité acceptable ne soit envisageable, ce voyage est un adieu. On le revoit après cette expérience au bout de la raison, sur un lit d'hôpital, en position fœtale, pleurant ce renoncement ultime juste avant qu'il ne soit lâché dans un désert immense et vierge, comme une représentation du néant. Inside job est un film perturbant et formellement très abouti.

IN THE CUT de Jane Campion. 3*. Pour parler du dernier film de l'esthète Jane Campion, je ne parlerai pas de l'histoire, un simple package rayon serial Killer/boucher avec tout l'attirail obligé, car le thriller n'est ici qu'un vernis, quelque peu écaillé, qui donne au vrai sujet du film sa forme la plus voyante. Ce qui en fait la consistance, la matière et le moteur c'est le formidable portrait que dresse l'auteur de Franny, l'héroine, une prof de littérature à la quarantaine sonnée qui vit à New York (à ce propos la vision que Campion donne de la grosse pomme est sombre et angoissée, on sent presque la ville faire preuve d'hostilité). Plutôt jolie, les sentiments forts et extrêmes ne semblent pas la traverser ; elle aurait même tendance à ne chercher dans ses aventures et dans la séduction faussement involontaire qu'elle ne peut s'empêcher de susciter, qu'une source de problèmes, problèmes stériles s'il en est car ils mènent invariablement à l'absurde : en témoigne la relation qu'elle entretient avec son ex, un maboul pris d'accès de rage subits et démesurés, joué par Kevin Bacon qui s'en donne à cœur joie, ou le gringue qu'elle fait à son élève sous le fallacieux pretexte de recherches sur l'argot (le slang) black des rues. Puis elle rencontre, dans le cadre de l'enquête sur les meurtres, Malloy, un flic pathologiquement machiste. Et là, malgré ses manières déplorables, son vocabulaire de charretier moyen, sa misogynie phallocrate elle est magnétiquement attirée vers lui. Son apparente frigidité bourgeoise trouve un echo déformant (déformé) dans la bestialité ambiguë du flic. Durant la qusi totalité du film, elle prend ce policier pour le tueur ; ça ne l'empêche nullement d'aller vers lui, bien au contraire, c'est comme si cette face sombre de Malloy était ce qui attirait Franny, l'idée de n'être entre ses mains qu'une vulnérable proie, renonçant par la-même à tout ce contrôle qui formait le carcan dans lequel elle s'était jusque là enfermée. Car face à elle, elle pensait avoir le mal à l'état pur, un concentré d'inhumanité, jeter dans ses bras c'est renoncé, même temporairement à la vie, c'est un abandon complet…et paradoxalement c'est vivre la vie avec intensité, embrasser chaque moment avec un fougue absolue. Ce paradoxe, cette contradiction fondatrice de Franny, est le vrai thème du film. Son personnage se définit et s'épanouit dans cette situation extrême. Le désir de mort est ici assimilé à une pulsion sexuelle violente. D'ailleurs, à la toute fin, quand elle se fait enlever par le vrai meurtrier, elle met un temps fou à réagir et à songer à se défendre : ils dansent d'abord au pieds du phare, ils commencent à faire l'amour avant qu'elle ne le tue. Bref, rien n'est simple, rien n'est linéaire, le côté sombre cohabite avec une face plus " respectable " ; sur ce thème de l'amour au mépris de la vie, Philippe Grandrieux avait signé il y a 7 ou 8 ans un film remarquable, Sombre, un jeu de séduction entre la proie et son prédateur qui mélangeait allègrement eros et thanatos.
Dans son rôle contrasté et subtil Meg Ryan est méconnaissable. Quelle crédibilité et quelle complexité elle dégage dans son éveil à sa sexualité refoulée. Chapeau bas Mme la midinette échevelée des comédies romantiques à la con. Quant aux images, elles sont toujours aussi composées et somptueuses. In the cut est un régal visuel.

INTOLERABLE CRUAUTE de Joel Coen. 3*.Miles est un avocat spécialisé dans les divorces, un crack dans son domaine, obsédé par son sourire lisse et immaculé, bref, l'archétype de l'arriviste satisfait. Associé dans un cabinet, il ne recule devant aucune bassesse pour gagner un procès. Mais sa vie qui semble promise à une ascension certaine et régulière va se dérégler suite à sa rencontre avec Marilyne, une sorte de mante religieuse qui ne veut se marier qu'avec un homme beau comme Crésus pour s'approprier la moitié de sa fortune une fois le divorce prononcé.
Voilà pour la trame. Rien de très original en somme ; par contre le traitement lui, est plus débridé. Ce couple a priori peu glamour, deux manipulateurs cyniques qui paraissent exempts de tous sentiments humains, ne semble mû que par leur cupidité dévorante. Autour d'eux gravite une poignée de personnages secondaires " marqués " : l'assistant fleur bleue, le détective qui ne vit que pour niquer tout le monde, le tueur asthmatique qui confond sa ventoline et son magnum ou l'associé principal du cabinet, un vieux kroumir décati et post sénile qui ne tient que par ses perfusions et ses diverses sondes (il est annoncé deux fois dans le film par le Requiem de Mozart, comme le vieux Lebowski dans Big Lebowski)… Les frères Coen s'en donnent à cœur joie, ils laissent parler leur ironie mordante et leur nihilisme débonnaire. Tous ces personnages n'ont aucune réalité, ce sont des symboles, des représentations abstraites et vitriolées d'archétypes, ils sont réduits à un ou deux aspects de leur personnalité, un ou deux traits de caractère. Les décors sont idem : villas qui suintent le mauvais goût le plus crasse, casinos (temples du kitsch), motels pour 5 à 7, chapelles pour mariages sprint…jusqu'au bellâtre bodybuildé et luisant comme peu de vers qui taille les haies en faisant gonfler ses pectoraux et en lançant des œillades concupiscentes et coïtogènes aux vieilles oisives qui se mélanomisent sur leurs transats en ingurgitant des cocktails fluorescents, ou le surfeur peroxydé qui nettoie censément les piscines mais qui préfère s'occuper de la propriétaire. Les Coen toisent tous ces pitoyables losers et les regardent se débattre dans une mélasse inextricable. Jamais ils ne témoignent la moindre sympathie à ces ectoplasmes. Cette méchanceté un peu roublarde pourrait finir par tourner court mais elle est contrebalancée par l'humour parfois délirant des situations. C'est du pur humour méprisant qui fait grincer les zygomatiques. Ils signent un film cathartique et réjouissant, un peu dans la veine de Big Lebowski, un film qui ne fera pas date dans leur carrière mais qui permet de se défouler durant 90 minutes.

 

J  

JARHEAD de Sam Mendes 3* .Début 90, de jeunes Américains s'engagent dans les marines. Après quelques mois de classes voilà nos petits militaires qui partent pour le Koweït faire la guéguerre aux affreux Irakiens avec la bénédiction et le soutien des gentils Saoudiens. Après s'être bien fait bourrer le mou et déconstruire ce qu'il pouvait y avoir à déconstruire dans leur personnalité, les louveteaux n'attendent qu'une seule chose : de casser du zarab par rafale de 12. Mais pas de chance pour eux ils vont devoir se la mettre sur l'oreille, car ce qui les attend c'est une interminable attente dans le désert. Pour occuper ces longues journées ne leur reste qu'à refaire des exercices stupides comme appris durant les classes ou bien se laisser tenter par le sultanat d'Onan. Le trajet asservissant et abrutissant qui mène de jeunes hommes à devenir des machines à tuer même pas fiables est un thème couramment abordé au cinéma, il est d'ailleurs souvent l'occasion pour les metteurs en scène de nous infliger quelques scènes bien lourdingues sur l'amitié virile avec bagarres à grand renfort de cris de bêtes sous la douche, biceps saillants et œil vitreux, de bras de fer et de buvage de Budweiser entre rires gras et larmes déchirantes en passant par les scènes d'émotions avec souvenirs d'enfance et tout le bataclan…bref, ces écueils insupportables sont rarement contournés. Ici Mendes a eu la bonté de nous raccourcir le business et de ne pas en mettre trop. L'intérêt d'une telle entreprise, suivre des bleubites du dortoir au champ de bataille est tout de même, outre de dénoncer l'absurdité de toute guerre, de démonter la mécanique totalitaire et fascisante de leur formation dans laquelle tout est assujetti à l'omnipotence d'une hiérarchie indiscutable, où comment il est possible dans ces zones de non droit de détruire un humain pour en faire un soldat prompt à satisfaire les pulsions de mort et de domination inhérentes à tout homme. Là le propos de Mendes est dilué dans le digest light des rites de films de militaires. Il a préféré s'attacher au personnage le plus intéressant du film, le narrateur (le film est tiré d'un de ses livres) et au travers de son regard on a quand même un aperçu, édulcoré, du néant. Dommage.

JELLYFISH de Kyoshi Kurosawa. 3*. Yujiro et Mamoru sont deux jeunes adultes qui travaillent dans la même usine à Tokyo. Le premier se perd dans des rêves radieux mais inaccessibles, il est dépendant de ce fantasme permanent, tout le reste de sa vie terrestre le désintéressant au plus haut point. Mamoru lui, aime contempler sa méduse à la luminescence si spéciale. Un beau jour Mamoru tue son contremaître et sa femme, sans raisons réelles. Il est incarcéré et meurt en laissant sa méduse à Yujiro. Celui-ci s'approprie sa fascination pour l'animal et le rejette dans un égoût, espérant le voir se multiplier. Il erre, entouré de son vide existentiel, de sa non-envie de vivre dans la réalité, étranger qu'il est à celle-ci. Il se rapproche du père de son défunt ami, un vieux solitaire qui redonne vie à des appareils électroménagers condamnés au rebut. Il va projeter sur Yujiro l'amour filial qu'il n'a pas pu ou pas su témoigner à son propre fils et se laisse hypnotiser lui aussi par cette fameuse méduse qui cristallise tous les manques, les interrogations, elle est comme le dernier bastion d'émerveillement pour ces gens perdus et seuls.
Kurosawa filme ces jeunes gens sans repère, aspirés par le vide, sans foi ni attache. Il les montre sans fioriture, dans un quotidien sans gloire qui érode tout et tous. Dans ce monde là la méduse est tout et son contraire, unique et multiple, opaque mais lumineuse, gélatineuse mais gracieuse, venimeuse mais génératrice de rêve. Quel sens a-t-elle ? Au spectateur de voir…car sa métaphore animalière n'est pas d'une transparence afflelienne. Elle est là, c'est tout et on la voit. D'ailleurs quand on ne la voit pas on la cherche. Quant à la déshérance de ces jeunes gens on n'en connaît rien de plus que les quelques symptomes que le metteur en scène nous lâche ça et là. De ses tenants on ignore tout. Ils sont inadaptés, souffrent, font ce qu'ils peuvent pour s'évader, mais à chaque fois c'est pour retomber plus lourdement.
Tourné en video, Jellyfish est un film désespéré toutefois plus lumineux que les autres opus de son auteur…mais la noirceur du fond est toujours là.

K  

KEN PARK de Larry Clark et Ed Lachman. 3*. Après Kids et Bully, Clark continue sa plongée dans l'univers pour le moins chaotique de l'adolescence. Le film s'ouvre sur le suicide autofilmé d'un ado, le fameux Ken Park, en plein après-midi, dans le skate park d'une petite ville californienne moyenne. Puis, petit à petit, en partant d'une photo d'un groupe de cinq teenagers dont l'un est Park, on entre dans l'intimité de chacun d'eux. Purs produits de la middle class de province, ces ados vivent leur vie, dans la mesure qui leur semble impartie. Aucun d'eux n'a de situation familiale exceptionnelle : l'un vit avec sa mère et son petit frère, l'autre avec ses deux grands-parents, une autre avec son père et enfin le dernier habite avec ses deux parents. D'emblée on prend conscience du fossé qui existe entre ces ados et leurs parents (directs ou de substitution) : même s'ils cohabitent physiquement, ils ne vivent pas dans le même monde. Le mur qui les sépare paraît infranchissable. Les " parents " sont ici accusés, rendus responsables de l'état des lieux auquel le film nous invite à assister. Bien plus que le côté dichotomique du propos (les coupables c'est ceux-ci, les victimes c'est ceux-là), son aspect thèse démonstrative, c'est par ses échappées dans le monde de ces préadultes que le film est intéressant, dans ces quelques instants où on les voit " libres " de leurs contraintes domestiques. Ils fument de la sensimilia en quantité industrielle, multiplient les relations sexuelles…ils se réfugient dans le plaisir immédiat, dans la recherche d'un absolu hédoniste qui leur permet de supporter le reste, ce qu'ils ne contrôlent pas ou ce que leur condition les oblige à subir. Le film est toutefois moins définitif qu'il n'y paraît : les adultes, malgré leur responsabilité indéniable, sont eux aussi enfermés dans une coque de souffrance, de regrets et d'amertume. Ce qu'ils voient dans les débordements de leurs progénitures c'est ce qu'ils ne sont plus, ou ce qu'ils ne pourrons pas ou plus être. Cette souffrance se traduit parfois par des comportements extrêmes, certains devenant même incestueux (le père qui va chercher un amour interdit auprès de son fils endormi ou encore le père qui se marie avec sa fille, portrait craché de sa défunte femme, parce qu'il ne supporte pas l'idée qu'elle ait une sexualité extérieure ; à une échelle moindre, la relation entre l'un des ados et la mère de sa petite amie est aussi un acte incestueux mais contourné, de la part de la mère). Dès lors, sachant le contexte réaliste de ce film (dont le traitement, lui, ne l'est pas tellement) le dénouement ne peut être que dramatique : l'un des ados tue sauvagement ses deux grands-parents et, les trois autres, dans une scène très belle et quasiment surréaliste (dans le sens où elle est filmée comme un songe, un rêve érotique ouaté), se retrouvent, se parlent et se taisent, se touchent et font l'amour. Ils semblent presque ne former qu'une entité, un corps multiple et blessé, respirant à l'unisson. Mais cette scène dégage un profond désespoir, finissant de noircir le tableau que nous livre Clark (et son jeune scénariste Harmony Korine) en inscrivant cet instant dans une sorte de 4ème dimension, inaccessible autrement que par la rêverie.

KIE LA PETITE PESTE de Isao Takahata 3*. Kié est une fillette qui lorsqu'elle n'est pas à l'école travaille dans la gargotte de son père, Tetsu. Ce dernier vit séparé de sa femme et passe ses journées entre une salle de jeux et les bars, à traîner avec ses copains. Kié porte tout sur ses épaules, palliant la faiblesse, la fainéantise et la lâcheté de son père, tâchant de maintenir un minimum de cohérence dans cet univers chaotique. Une enfance sacrifiée ? Non, car la fillette est joyeuse, gaie pleine d'entrain et d'un optimisme à tout crin. Dans sa vie civile, elle a renoncé provisoirement à son statut d'enfant pour endosser le rôle d'adulte responsable, de son père, du snack et des contingences ménagères de la maison. Il n'y a qu'à l'école où son enfance peut encore s'exprimer, laissant enfin s'extérioriser une juvénilité étouffée. Elle lutte gentiment pour reconstruire un monde dans lequel elle trouverait une place plus conforme à ce qu'elle est réellement, et non plus par défaut. Certes son père en bagarreur impénitent est d'une irresponsabilité qu'on prête traditionnellement à l'enfance, mais il aime sa fille, il souffre aussi de la séparation d'avec sa femme mais il se couperait le petit doigt plutôt que de l'avouer. Si les personnages paraissent si justes, c'est bien grâce à la vérité qui émane de leurs sentiments. La fillette reste une fillette malgré la vie qu'elle mène, Takahata ne lui a pas collé un esprit d'adulte, juste ce qu'il faut de ténacité et d'éveil pour lui faire endosser ses charges. De même son père, si négatif que puisse paraître son portrait, est un homme blessé à l'intérieur duquel bat un cœur tendre. Et on retrouve chez d'autres personnages cette subtilité de traitement et cette absence de jugement : chez le tenancier de la maison de jeu qui le jour où son chat se fait tuer (après une émasculation sauvage suite à un combat avec le chat de Kié), ruiné par le chagrin décide de se reconvertir et ouvre à son tour une gargotte, arrête de boire et vit dans la tristesse du souvenir de ce(lui) qu'il a perdu. Le film est traversé par l'humour : les deux chats par exemple, sont hauts en couleurs et donnent lieu à une scène réussie, un duel final, filmé comme dans un western spaghetti. Bref, le film est une réussite d'un réalisme sentimental prégnant et d'un humour grinçant mais pas cruel avec des touches potaches, comme la fascination que Takahata semble avoir pour les cojones de chats.

KIKI LA PETITE SORCIERE de Hayao Miyazaki. 3*. Kiki est, comme le titre l'indique, une petite sorcière, fille de sorcière et petite fille de sorcière…bref, chez elle, la sorcellerie est atavique. Elle a atteint l'âge pivot de 13 ans, âge auquel toutes les petites sorcières en devenir doivent quitter le domicile familial pour une durée de un an et ceci afin de faire leur preuve seule. Elle décide de s'arrêter dans une ville littorale et monte un service de livraison à domicile.
L'histoire est un classique apprentissage de la vie. Kiki, livrée à elle-même, seulement accompagnée de son fidèle et traditionnel chat noir, va peu à peu prendre conscience d'une réalité à laquelle elle avait été jusque là étrangère. Son apprentissage passera bien sûr par toutes les étapes obligées : rencontre amoureuse, déception, renoncement, joie, tristesse, amitié, peur pour finalement triompher de toutes les choses qu'elle craignait par méconnaissance. A la fin de son itinéraire, elle sera non pas changée mais endurcie sans avoir perdu cette part de naïveté que l'on prête à l'enfance. Certes tout ceci n'a rien de nouveau, c'est un thème des plus classiques, mais là où Miyazaki subjugue littéralement c'est dans le graphisme : les dessins sont à tomber, la description qu'il fait de la ville, une ville imaginaire qui est comme nimbée, fourmille de détails vivants, elle exhale ce qu'on pourrait assimiler à du bonheur…bref c'est une ville idéale, mais qui n'est pas pour autant coupée de certaines des dures réalités de la vie. Dans ce décor enchanteur la jeune héroïne traverse son initiation et apprend la valeur de la vie en se réappropriant ses pouvoirs qu'elle se donnait pour acquis.
Un très beau dessin animé, auquel il manque cependant la magie féerique et panthéiste qui rayonne dans les grandes réussites de son auteur (Le voyage de Chihiro, Princesse Mononoke ou Le château dans le ciel), indiqué pour les enfants mais tout à fait appréciable par les adultes sensibles à l'extraordinaire talent de ce génie Japonais.

KILL BILL de Quentin Tarantino. 4*. Black Mamba est une ex-tueuse pour une organisation redoutable qui raccroché le katana. Pensant qu'elle s'est faite oubliée de ses anciens compagnons d'armes, elle s'apprête à célèbrer son mariage, entourée d'une poignée de proches et d'un fœtus quasiment à terme. Presque mariée, presque mère…mais voilà, son passé la rattrappe. Un commando surgit dans la petite église texane et s'en suit un abominable massacre où tout le monde est laissé pour mort. Tout le monde sauf elle, plongée dans un coma profond qui durera 4 ans. Elle se réveille, dresse la liste noire de ses bourreaux et part à leur recherche pour assouvir sa soif de vengeance.
Sur un scénario vu des milliers de fois, Tarantino construit un film à la forme surprenante et éblouissante, car cette vengeance n'est qu'un prétexte à un gigantesque hommage de l'auteur aux cinémas qui l'ont nourris : films de yakusas et de sabre japonais, films d'arts martiaux chinois, western spaghettis, série B américaine…et même un soupçon de Truffaut (La mariée était en noir, sic). Les clins d'yeux pleuvent aussi vite que les coups de sabre de l'héroine, le sang gicle par hectolitres, les corps se strient, se démontent, se découpent, les cris et hurlements fusent…les combats finissent tous dans des flaques d'hémoglobine poisseuse. Tout est fait dans la démesure, en cela la mise en scène est en osmose avec le sujet : ici, la tiédeur n'a pas cours. D'un point de vue technique le réalisateur recycle, assaisonne à sa sauce un tas d'ingrédients disparates pour en faire un plat qui porte sa signature, teinté de son humour toujors aussi vachard et limite : une dose de noir et blanc pour les flash back, une dose de dessin animé pour raconter l'histoire d'une des tueuses (idée déjà utilisée pour Natural born killers du monolithique Oliver Stone, sur un scénar original de QT himself), des combats au sabre en couleurs avec une nette prééminence du rouge (avec en préambule une rencontre avec le mythique acteur nippon Sonny Chiba, interprète du Street Fighter, et qui reprend son rôle ici, dans une série de films ultraviolents produits dans les années soixante dix, films dont il était fait référence dans True Romance de Tony Scott, là encore sur un scénar initial de QT) et même une scène en ombres chinoises sans compter les hommages au Frelon vert, série kitschissime avec Bruce Lee, Kung Fu (idem, mais avec David Carradine), aux films de Fukasaku, de Suzuki…son film est un patchwork qui ne ressemble à rien d'autre qu'à lui-même, une œuvre shootée à la cinéphagie la plus hétéroclite irradiante d'envie, de suffisance aussi, une sorte de divertissement ultime et protéiforme qui se grave dans les spectateurs, qui nécessite d'eux une implication totale (un renoncement) pour en apprécier toutes les nuances cachées, toutes les saveurs insoupçonnées. Le jeu de Uma Thurman en est un exemple : d'un personnage relativement unidimensionnel elle fait sortir des émotions multiples, elle enrichit " gracieusement " son rôle de vengeresse en en faisant une femme qui, bien que fermement décidée à accomplir sa destinée, a une vraie existence, qui ne se définit pas uniquement par ses actes. Elle nous rend sympathique cette Black Mamba aux noirs desseins.
Rien n'est neuf mais rien ne sent le réchauffé, grâce aussi au montage ludique (une marque de fabrique chez Tarantino) qui juxtapose sur la pellicule des évènements qui appartiennent à des chronologies différentes, mais sur lesquels cette mise en contact sauvage apporte des éclaircissements. Bref, ce film est un spectacle visuel, avant tout, un divertissement riche et faussement linéaire, violent, drôle, fascinant, référencé, plein et dense, equilibré…pour qui accepte de se laisser emporter, ce Kill Bill vol.1 est inoubliable. Mention spéciale au mixage de la BO, exécutée de main de maître par le roi du platinage artistique, The RZA (ex Wu Tang Clan).

KILL BILL Vol. 2 de Quentin Tarantino. 3*. Suite et fin de la terrible vengeance de Black Mamba sur ses anciens compagnons d'arme. Après O-Ren Ishii et X, c'est le tour de Budd, Elle Driver et enfin Bill. Comme dans le premier, Tarantino brouille la chronologie de cette anti-quête, il digresse, avec moins de bonheur que dans le premier opus, et nous promène dans l'apprentissage de B. avec un vieux maître chinois et dans la répétition, laborieuse à tous points de vue, du mariage (juste avant le carnage initial). On fait même connaissance avec sa fille B.B., qui a survécu au meurtre raté de sa mère.
Il semble que le film ait souffert de sa séparation en deux tomes : en effet si le premier a un équilibre parfait, découenné, le second pâtit de longueurs assez rédhibitoires. Certes l'humour, parodique fait passer la sauce, mais les ruptures de rythme sont pesantes. Peut-être faut-il les voir comme un hommage appuyé aux films dont s'est inspiré le metteur en scène (les vieux films d'arts martiaux chinois, contenant tous, ou presque ce type de séquence d'apprentissage aux forts relents spiritualistes " toc ", ou les westerns de Leone, " Il était une fois dans l'ouest " plus particulièrement, pour la séquence du mariage où la tension monte progressivement alors qu'il ne se passe rien, on a juste la sensation de l'inéluctable tragédie*)… en fin de compte on réalise qu'on n'a rien appris de nouveau sur le personnage de Black Mamba. Pour Bill par contre on apprend qu'il est le père de l'enfant, que Budd est son frère. C'est peu pour 140 minutes. Même la musique déçoit : en dehors des emprunts répétés à Ennio Morricone le peu de musique originale passe quasi inaperçu. Heureusement les combats, chorégraphiés avec maestria par Yuen Wo-Ping, sont toujours aussi impressionnants et dynamiques, d'une grande violence.
Je n'ai pas grand chose d'autre à dire concernant ce second opus, si ce n'est que je suis intimement persuadé que le film mérite mieux que cette configuration en diptyque ; il aurait fallu remonter l'ensemble, mélanger tous les chapitres, écrémer ça et là…enfin, je ne suis qu'un spectateur un peu déçu par cette mouture-là.

Cf. la scène du massacre de la famille par la bande de tueurs dans le film de Leone

KITCHEN STORIES de Bent Hamer. 2*.Dans la Norvège des années 50, un bataillon de Suédois débarque dans un petit bled avec leur Volvo et leur caravane aux lignes arrondies. Ils sont envoyés par un scientifique étrange, spécialiste des comportements ménagers dans le but d'étudier les déplacements d'une tripotée de consommateurs cobayes à l'intérieur de leur cuisine. Trônant sur une chaise surélevée placée dans un coin de cette cuisine, ils doivent observer et consigner par écrit toutes les allées et venues de leur sujet, sans jamais chercher à communiquer avec eux. Le film va suivre l'un d'eux, Torfe, assigné au domicile de Isak, un vieux bonhomme solitaire. Entre les deux hommes les rapports vont inévitablement évoluer : d'une curiosité réciproque teintée de malaise ils vont s'acheminer vers une sorte d'amitié, chacun découvrant alors la chaleur d'une relation humaine fortuite, comblant par-là une bribe de leur solitude respective.
D'emblée le cinéaste se place dans le registre de l'absurde. La situation déjà, l' "espion " perché sur sa chaise d'arbitre, qui ne pipe mot et qui toise son cobaye du lever au coucher du soleil, et le dit cobaye qui tente vainement de faire comme s'il était seul dans sa cuisine. Mais le Suédois, tout observateur qu'il est, est un homme, c'est une présence humaine, et dans la vie de ce vieux loup, c'est une chose assez rare. Probablement un peu agacé par le mutisme de l'autre, il va à son tour se mettre à l'épier, par le biais d'un trou foré à l'aplomb de la chaise. Ajouté à cela une poignée de gags, comme le superviseur de l'expérience qui passe son temps en avion à boire et à s'envoyer en l'air ou l'ami de Isak, qui, jaloux de l'importance que semble avoir pris Torfe dans la vie de son vieux camarade, décide d'abandonner sa caravane sur une voie ferrée en pleine nuit, alors que le Suédois dort dedans…
Bref, l'humour pisse-froid scandinave (qui joue notamment sur la durée des scènes où il ne se passe presque rien, et où la banalité de ce qu'on voit finit par devenir absurde à force d'insistance et d'invariabilité) a été mieux utilisé, plus drôle, qu'on pense par exemple à Kaurismaki. Le déroulement des faits est un peu prévisible mais il y a une vraie dimension humaine dans les liens que tissent les deux hommes, une réelle sympathie. Ca permet de reléguer au second plan l'esthétique clinquante, pubesque du film avec son insistance sur des détails matériels (le décorum, le package 50's) et sa bande son sur-audible, il ne manque plus que le son grésille et que l'image tressaute pour faire film d'époque. Kitchen stories est un petit film amusant et simple (dans son contenu), pas désagréable du tout.

Les listes ci-desssous permettent de retrouver tous les films critiqués par Jean-Sébastien Leclercq de 2003 à 2006.

Les films de A à J (voir : L à Z)
TOP 2004

1. Nobody knows de Kore-eda Hirokazu
2. Old boy de Park Chan-wook
3. 2046 de Wong Kar-wai
4. La femme est l'avenir de l'homme de Hong Sang-soo
5. Big fish de Tim Burton
6. Le bois lacté de Christoph Hochhausler
7. Master and commander de Peter Weir
8. La mauvaise éducation de Pedro Almodovar
9. Memories of murder de Bong Joon-ho
10. Deux soeurs de Kim Jee-woon
ex aequo Blind Shaft de Li Yang

TOP 2005

1- Manderlay de Lars von Trier
2- Le château ambulant de Hayao Miyazaki
3- Million Dollar baby de Clint Eastwood
4- Match point de Woody Allen
5- A history of violence de David Cronenberg
6- Edvard Munch de Peter Watkins
7- La vie aquatique de Wes Anderson
8- Melinda et Melinda de Woody Allen
9- Aviator de Martin Scorsese
10- Mar adentro de Alejandro Amenabar