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         AALTRA de Benoît Delépine et Gustave 
          Kervern. 1*. Deux voisins, suite à un tragi-comique accident 
          dû à des querelles liées aux nuisances sonores, 
          se retrouvent en fauteuil roulant. L'un d'eux est en effet rentré 
          en collision avec sa moto dans la remorque du tracteur de l'autre, une 
          remorque de la marque finlandaise Aaltra. Attristés par leur 
          si injuste sort, on l'eût été pour moins, ils décident 
          tous deux de se rendre en Finlande, vaille que vaille, et de demander 
          des dommages et intérêts au fabricant.  
          Sur une idée de départ totalement absurde et loufdingue 
          Delépine et Kervern brodent (le terme n'est peut-être pas 
          approprié, faut pas exagérer) un road movie déglingué, 
          filmé dans un noir et blanc cafardeux et neigeux, prétexte 
          à des rencontres et des situations insolites. Pourquoi pas ? 
          Mais le hic c'est que leurs aventures manquent singulièrement 
          de trépidations et de rythme. Le fauteuil roulant, stigmate de 
          leur erreur et de leur problème commun, mais aussi moyen de locomotion 
          donne lieu à quelques gags assez drôles, mais il aurait 
          pu être mieux utilisé. On sent que les deux compères 
          ont du digérer les films de Kaurismaki, auquel ils rendent un 
          hommage appuyé ici, mais ce dernier manie l'humour pisse-froid 
          et le misérabilisme d'apparence bien mieux qu'eux. Pas grand 
          chose d'autre à dire là-dessus. C'est pas nul, mais c'est 
          tiédasse. 
        AMERICAN SPLENDOR de Shari Springer Berman et 
          Robert Pulcini. 3*. Harvey Pekar est un Américain des plus moyens. 
          Ventripotent, dégarni, fan de comics et de jazz, déprimé 
          et névrosé il travaille dans un hôpital de Cleveland, 
          à la section documentation, au milieu de milliers de dossiers 
          d'anciens patients. De la vie, qu'il trouve tellement complexe, il n'attend 
          rien, pas même l'amour, sur lequel il semble avoir fait une croix, 
          peu enclin aux joies de l 'existence, le bonheur paraît n'avoir 
          aucune prise sur lui. Rongé de ne pouvoir faire sortir ce mal 
          être profond, il erre dans sa vie, spectateur impuissant de son 
          lent déclin. Puis vient la rencontre avec Robert Crumb, un dessinateur 
          underground. Ils décident de mettre en dessins et en bulles cette 
          vie si exsangue, si monotone. Pekar se raconte, sans fard, avec un réalisme 
          cru et un humour grinçant, Crumb lui donne forme. Le succès, 
          relatif, faisant, les numéros d'American Splendor se succèdent 
          et prennent une part importante de la vie de ce M. Tout-le-monde. Joyce, 
          une jeune femme perturbée, son alter ego féminin si on 
          veut, entre dans sa vie, dans sa BD aussi puisque les deux se fondent. 
          Il est reconnu pour son travail de créateur, qui ne lui permet 
          quand même pas d'en vivre, se fourvoie dans quelques émissions 
          télé populaires
chaque nouvelle chose qui lui arrive 
          s'intègre de facto dans le morne train-train de son existence. 
          Un jour il apprend qu'il est atteint d'un cancer. Avec sa femme il décide 
          de faire de sa maladie et de son traitement le sujet d'une BD
 
          On est frappé par les ressemblances entre le film et la vie même 
          de Pekar : les réalisateurs y ont intègré des images 
          dessinées et quelquefois animées, des morceaux d'archives 
          donnant au film un aspect de patchwork un peu bordélique. De 
          plus ils nous livrent une poignée de scènes de tournage 
          du film, où les vrais personnages et les acteurs qui interprètent 
          leur rôle sont présents. Ce côté foutraque, 
          qui nous rend Pekar si humain et sympathique insuffle au film une vie 
          réelle et grouillante mais de façon peu explicite. La 
          dynamique dans laquelle Pekar se met, à savoir que son travail 
          d'artiste devient la substance même de sa vie alors qu'il n'est 
          sensé, au début du moins, qu'en être le reflet, 
          se substitue à sa vie d' " avant ", une confusion se 
          fait entre le personnage et l'homme. L'art n'a chez lui pas de vocation 
          thérapeutique,il ne sublime rien, il serait plutôt aliénant 
          dans cette optique. En conclusion, ce film est un objet " malade 
          ", qui souffre des mêmes maux que son sujet, il est animé 
          de la même énergie, les deux étant en osmose (on 
          pourrait parler de mimétisme) parfaite. 
        ANYTHING ELSE de Woody Allen. 2*. Jerry Falk 
          est un jeune auteur de sketchs new-yorkais qui se lasse un peu de se 
          limiter au comique et décide donc d'écrire un roman. Il 
          est entouré d'une jeune femme, dont il est éperdument 
          sous le charme et qui le mène par le bout de la braguette, d'un 
          vieux bonhomme, M. Dobel, un professeur de collège (comique frustré 
          et aigri), un psychanalyste refroidissant et enfin d'un agent, une espèce 
          de has been minable et manipulateur qui veut lui faire signer un contrat 
          à vie. Tout ce petit monde gravite dans un New-York blanc, autour 
          de Central Park (l'Upper East Side où Jerry a son appartement, 
          très années 40/50, et Greenwhich Village).  
          On est clairement dans l'univers familier de Allen, qui à travers 
          ces deux personnages, Jerry et David Dobel, parle de lui et de sa vie. 
          Jerry serait un Woody jeune, du moins dans les apparences (façon 
          de s'habiller, humour grinçant, appartement rétro, jazz, 
          rapport conflictuels avec la belle-mère, psy, frustration sexuelle
), 
          et idéal dans la mesure où Allen y projette son regard 
          rétrospectif. Ce jeune auteur a un parcours qui ressemble à 
          celui de son créateur et Allen le met en relation avec Dobel, 
          une sorte de lui actuel mais aux défauts exagéremment 
          grossis, un peu comme si il réécrivait son histoire. Car 
          ce Dobel est un phénomène : paranoïaque, adepte d'une 
          autodéfense radicale et irrationnelle, onaniste convaincu, juif 
          athée mais apeuré par une possible existence de dieu, 
          aigri par tous ses actes manqués (il n'a pas osé assumer 
          la carrière d'auteur et s'est réfugié dans celle 
          de prof), il va même se distinguer par un vocabulaire hors d'âge, 
          en employant des mots qu'il est peut-être le seul à utiliser 
          et il distille à son jeune alter ego tout un fatras éthique 
          bancal. Cette étrange relation qu'ils nouent, qu'on pourrait 
          grosso modo assimiler à une relation père/fils (père 
          ou Pygmallion) va les amener à un projet commun, celui de partir 
          tous les deux à Los Angeles ; pour l'un, il s'agit de se lancer 
          véritablement et pour l'autre d'essayer de rattrapper le temps 
          perdu. Mais au dernier moment, Dobel renonce pour d'obscures raisons, 
          il invente à cet effet une abracadabrante histoire de vengeance
bref, 
          seul Jerry quittera Big Apple, plaquant tout ce qui formait son " 
          décor ", son environnement et se donnant, contrairement 
          à son aîné aigri et plein de regrets, la chance 
          de faire ce qu'il veut.  
          En conclusion, Anything else est un film amusant qui recèle une 
          grosse poignée de répliques qui font mouche. Mais c'est 
          un Woody Allen très mineur, loin des fulgurances de Broadway 
          Danny Rose. Les acteurs apportent une plus value non négligeable 
          au film, Christina Ricci en tête (elle dégage un sex appeal 
          exorbitant) mais aussi Jason Biggs, un des teenagers abrutis des American 
          Pie ou Danny de Vito qui compose un agent gluant mémorable. 
        
        AVIATOR de Martin Scorsese. 3*.Play boy, 
          mégalo, paranoïaque, névrosé, égocentrique 
          exacerbé, obsédé, monomaniaque, visionnaire, souffrant 
          d'hallucinations, terrorisé par les germes
bref, Howard 
          Hughes en plus de ça était aussi un homme comme les autres, 
          essayant de vivre avec les séquelles laissées par une 
          mère toxique, pathétiquement turlupinée par le 
          fait de se protéger des agressions du monde extérieur, 
          surtout celles dont la taille se calcule en microns. Le film s'ouvre 
          sur le tournage homérique de Hell's angels, une hagiographie 
          de valeureux pilotes de chasse américains, tourné avec 
          un nombre phénoménal de caméras. Son film pharaonique 
          qui faillit le mettre sur la paille est un succès et devient 
          le film le plus cher de l'histoire du cinéma. Et il enchaîne 
          avec des prototypes d'avions inédits, d'autres films et d'autres 
          avions jusqu'à ce qu'on cherche à le traîner dans 
          la boue, pour une histoire de contrats non remplis
 
          Le personnage de Hughes a tout ce qu'il faut pour être un véritable 
          " héros " scorsesien : des aspirations méchamment 
          ambitieuses, une bonne dose de folie (dans le sens psychiatrique)
autant 
          d'éléments qui lui permettront d'atteindre le firmament 
          de son rêve fou et de s'y brûler les ailes pour s'échoir 
          irréversiblement. La fuite en avant de Hughes, toujours plus 
          gros les avions, toujours plus chers, toujours plus osés les 
          films, est remarquablement montrée par Scorsese, on est entraîné 
          dans son sillage tourmenté, toujours au bord de l'implosion (et 
          de l'explosion), apparaissant fort pour tout le monde, et incroyablement 
          fragile et exposé pour ses proches. Un colosse aux pieds d'argile. 
          La moindre trace de saleté, de négligence le met à 
          mal, lui faisant perdre ses moyens.  
          Hughes souffre de sa matérialité d'être humain (son 
          corps, et l'univers physique humain est son talon d'Achille), cela doit 
          lui sembler un frein à ses folles ambitions, en même temps 
          qu'un moteur, car ça lui permet de voler, de s'éloigner 
          de ce monde dans lequel il se sent trop à l'étroit. Inoculée 
          par sa mère, cette phobie, dérisoire, presque paradoxale, 
          en comparaison de l'énergie immense déployée par 
          le personnage semble le marquer du sceau de la malédiction. Les 
          personnages des femmes, choisies dans son immense tableau de chasse, 
          retenus par le metteur en scène sont intéressants : on 
          voit essentiellement Katharine Hepburn, présentée comme 
          une femme indépendante, une forte tête mais qui " 
          joue " (dans le sens qu'elle l'interprète) sa vie en permanence 
          et Ava Gardner, qui n'hésite pas lorsqu'elle découvre 
          que Hughes a posé des micros partout chez elle, à l'assommer. 
          On suit donc la confrontation permanente de Hughes avec sa folie, on 
          le sent exposé, fragile et instable alors que l'image et l'histoire 
          tend à le présenter comme un démiurge. Cette césure 
          pathologique fait naître une grande tension chez le spectateur. 
          Scorsese en joue avec maestria, comme lors de la scène du dîner 
          avec le sénateur où l'on voit que ce dernier laisse exprès 
          une trace de doigt sur le verre de son hôte. Si le film n'émeut 
          pas vraiment, on est sollicité par le biais de cette mécanique, 
          souhaitant et redoutant le prochain pétage de plombs du nabab. 
          Sa déchéance est impressionnante, même si le film 
          ne se clôt pas là-dessus. Seul, hermétiquement cloîtré 
          dans sa salle de projection, tel un Robinson, il ressasse sa folie dans 
          un déluge d'images (les siennes). Une terrifiante image de la 
          solitude
 Aviator est une uvre passionnante, très 
          bien interprétée (une nuance toutefois quant à 
          Cate Blanchett, qui appuie un poil trop) et émaillée de 
          mouvements d'appareil renversant. 
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         BAD SANTA de Terry Zwigoff. 2*. Willie 
          et son copain Marcus, un nain, ont une arnaque originale : tous les 
          mois de décembre, ils changent d'Etat et jouent pour le premier le père 
          noël, pour le second un elfe dans un grand centre commercial. Et le 
          soir du réveillon ils cambriolent le coffre fort du magasin. Le hic 
          c'est que Willie s'enfonce de plus en plus dans une consommation irraisonnée 
          d'alcool, du réveil au coucher il absorbe des quantités de liquide à 
          rendre priapique le patron de Ricard. Là ils sont à Phœnix, Arizona, 
          et les choses vont de plus en plus mal pour le duo d'escrocs : alors 
          que Marcus prend son rôle avec sérieux, Willie mulitiplie les dérapages 
          incontrôlés. Alors qu'il squatte dans une maison habitée par un gamin 
          obèse, objet de la risée générale et sa grand-mère il rencontre une 
          ravissante serveuse de bar que les pères noël ont toujours fait fantasmer. 
          Le film est une chronique assez intimiste malgré tous ses débordements, 
          qu'ils soient verbaux ou éthyliques. Willie est arrivé au bout. Les 
          deux rencontres qu'il fait, le gamin et plus encore la serveuse, vont 
          lui donner une chance de s'extraire de son bourbier, lui permettre enfin 
          de relever la tête, et de sinon entrevoir la possibilité de vivre heureux 
          au moins celle de vivre en arrêtant de se cracher dessus. Dans le gamin, 
          faussement arriéré et victime toute désignée de sarcasmes il voit peut-être 
          un reflet de ce qu'il fût enfant, plus précisément l'inverse de ce qu'il 
          était. Enfant battu il dût très tôt apprendre à se défendre et à se 
          construire une carapace, à se blaser de tout pour ne plus être atteint 
          par rien. Son dernier coup s'apparentera donc à la fin de cet itinéraire 
          et pourra laisser place à une rédemption. Bref si c'est bien le sujet 
          du film, il ne s'agit pas pour autant, c'est du rabattu, de son intérêt 
          principal. Bad santa trouve son originalité dans le traitement des dérives 
          éthyliques de Willie. Le voir arriver complètement saoul, envoyer balader 
          les gamins qui viennent poser à côté de lui…le tout dans le temple de 
          la consommation de masse, voilà qui dynamite joyeusement le tableau 
          d'une fête religieuse, sacralisée et populaire. Tous ces ratés, cette 
          agressivité et ces outrances passés à la moulinette d'un humour méchant 
          provoquent un rire grinçant. Un petit film très marrant.  
        BIG FISH de Tim Burton. 4*. Burton revient, après une 
          incartade simiesque des plus déplorables, avec un conte merveilleux 
          sur lequel plane, écrasante, l'ombre de la mort. Dans une petite 
          bourgade tranquille de l'Alabama grandit Edward Bloom, un garçon 
          qui se promet à un avenir extraordinaire. De lui nous ne savons 
          rien d'autre que ce qu'il en raconte (ce qui nous met à égalité 
          avec son fils, William), et chacun des épisodes de son existence 
          prend une dimension surnaturelle et poétique quand il le narre. 
          Tout irait bien si son fils, devenu un jeune adulte et un futur père 
          ne rejetait pas ce monde et ce passé chimériques. Lui 
          a besoin de " vérité ", il veut connaître 
          la vraie vie de son père pour savoir qui il est lui-même. 
          Ils se brouillent. L'agonie de son père va lui offrir une dernière 
          chance. Hélas pour lui ce ne sera pas l'occasion d'obtenir les 
          réponses qu'il cherche. Mais plutôt d'en venir à 
          accepter toutes ces histoires incroyables, ces péripéties 
          rocambolesques et improbables comme, non pas faisant partie de son père, 
          mais comme étant son père lui-même. Cet homme qu'il 
          a tant souffert à vouloir le découvrir, il l'avait, là, 
          dans réalité, tout le temps. Cette figure paternelle envahissante 
          et dévorante, malgré ces nombreuses absences, est le créateur 
          ainsi que le protagoniste principal de ces contes, de sa vie et, lui, 
          le fils en est le récepteur/spectateur mais aussi la cause et 
          la raison d'être. 
          La césure réel/imaginaire n'est pas le propos de Burton 
          : ce qui est vrai ou pas n'a pas d'importance ici. Le " réalisme 
          " n'est qu'une vision du monde et de la réalité au 
          même titre que les conte de William Bloom. Si on voulait tenter 
          d'expliquer cet acharnement à romancer sa vie il faudrait probablement 
          chercher dans l'inadaptation de Bloom à cette vie-là, 
          celle que lui offre son état d'être humain lambda né 
          en Alabama dans les années 30, doté d'une imagination 
          si débordante qu'il ne peut que s'y sentir à l'étroit. 
          Le metteur en scène pour rendre tangible ce décalage a 
          pris le parti de filmer ces aventures au premier degré, non sans 
          avoir appliqué à l'image un traitement spécial 
          : l'éclairage très lumineux du personnage de Bloom (sur 
          le visage par exemple : par moment, pour les cadrages serrés, 
          sa tête est éclairée comme si le film était 
          en noir et blanc à l'époque du muet), les couleurs très 
          tranchées (qui peuvent rappeler Edward aux mains d'argent), les 
          cadrages obliques, les légères plongées en gros 
          plan
tout cela donne une texture spéciale à l'image 
          et lui insuffle le merveilleux nécessaire, contrecarrant l'absence 
          de transition visuelle entre les deux " mondes ". de plus 
          le thème de la mort du père (du créateur), imminente 
          ou effective donne à Big Fish une grande émotion, toujours 
          juste, sans excès. Sans oublier l'humour comme dans ce bref clin 
          d'il au moment où Edward entre dans le " paradis " 
          après avoir traversé la forêt soit disant hantée, 
          on aperçoit subrepticement un joueur de banjo qui joue l'intro 
          du célèbre morceau qu'on entend dans Délivrance 
          de John Boorman (mais qui dans ce dernier annonçait une entrée 
          en enfer
). 
          Bref, il s'agit sans doute de l'un des meilleurs films de l'atypique 
          Tim Burton, qui continue de s'affirmer comme un très grand metteur 
          en scène, secondé avec génie par la photo de Rousselot 
          et la musique typée de Elfman. Un très beau film. 
        
        BLIND SHAFT de Li Yang. 3*. Dans la Chine rurale d'aujourd'hui, 
          deux hommes vont de mines en mines et montent de sinistres arnaques. 
          Ils débusquent un " pigeon ", le persuade de les suivre 
          et ils se font tous les trois embaucher dans une mine, le troisième 
          étant présenté comme un parent d'un des deux autres. 
          Au bout d'un certain temps, ils le tuent et font croire à un 
          accident dû à des conditions de sécurité 
          non respectées par le directeur de la mine. Par peur du scandale 
          et de la dénonciation celui-ci accepte de payer. Ils peuvent 
          passer à un autre pigeon et une autre mine. 
          C'est une histoire classique de films noirs, dans un milieu essentiellement 
          masculin (les femmes y sont presque absentes). Le film s'ouvre sur le 
          meurtre d'une de leur proie, suivent les tractations financières 
          avec le patron de la mine. En une dizaine de minutes le spectateur se 
          prend une dose XXL de cynisme froid et calculé. Car ces deux 
          tueurs, si monstrueux que puisse être leur comportement, ne sont 
          que des hommes qui pervertissent un système et une réalité 
          économique durs pour leur permettre de survivre, et de faire 
          vivre leur famille. Ce n'est pas une excuse à leurs actes mais 
          on sent une dimension de nécessité quasi-vitale dans ceux-ci 
          en même temps qu'un refus d'accepter cet univers désespérant 
          qu'est le leur. Ils sont des marginaux qui ont renoncé à 
          une bonne partie de leur humanité pour pouvoir garder le reste 
          intact. Les scènes où ils discutent de comment ils vont 
          procéder au meurtre font froid dans le dos, ils en parlent de 
          façon dégagée comme s'ils palabraient gaiement 
          sur des sujets futiles : dans leur cas à eux, la fin justifie 
          tous les moyens, et ils ne semblent pas s'encombrer de scrupules ou 
          de remords. Sauf pour leur dernière victime, un jeune homme, 
          à peine sorti de l'adolescence et pas encore débourré. 
          Là, l'un des deux va éprouver de la pitié et va 
          essayer vainement de convaincre son complice de ne pas le tuer, repoussant 
          sans cesse la date fatidique. La fin apparaît alors inéluctable 
          : leur dernier coup sera leur ultime. Ils s'entretuent.  
          La mise en scène est très efficace, Yang alterne les scènes 
          dans l'enceinte de la mine avec les jours de repos, où les trois 
          hommes vadrouillent en ville. Loin d'aérer le propos, ces scènes 
          enferment encore plus la future victime dans leur projet morbide : on 
          ne peut voir en elle qu'un sursitaire, un condamné, qui ne le 
          sait pas, à qui on laisse quelques jours de vie en plus. L'étau 
          se referme progressivement sur cet innocent (un peu trop innocent peut-être). 
          De plus le fait que ce soit filmé en partie clandestinement apporte 
          à Blind shaft une énergie malsaine incroyable, proche 
          de celle qu'on ressent dans Laws of gravity (de Nick Gomez), dans lequel 
          la caméra cherchait la moindre parcelle de vie, de mouvement 
          dans les déambulations de ces protagonistes. Un très bon 
          film, maîtrisé et dont l'arrière-plan social apporte 
          une dimension supplémentaire, l'inscrivant à mi-chemin 
          entre le pur film noir et le documentaire sur un aspect de la Chine 
          du troisième millénaire. 
        BLUSH de Wim Vandekeybus 0* .Blush est le 
          filmage en décors plus ou moins naturels du spectacle d'une compagnie 
          de danse bruxelloise. Soit. On voit donc tous les membres de ladite 
          troupe se contorsionner dans tous les sens avec une grâce que l'esthète 
          ne retrouvera pas à la Star academy, sur une musique sourde et anxiogène. 
          Les corps se frôlent, se cognent, se percutent et se repoussent, sur 
          le sable, dans l'eau, dans un champ de maïs, dans une boîte SM. Puisque 
          le film ne m'a rien inspiré d'autre qu'une grande lassitude et un amusement 
          ironique je vais compléter par une citation de Télérama (il s'agit de 
          la fin de la critique du film par Jacques Morice) sur laquelle j'apposerai 
          quelques commentaires : " Le rock magnifiquement lancinant de David 
          Eugene Edwards (chanteur de 16 Horsepower) et le texte incantatoire 
          du poète Peter Verhelst concourent aussi à la beauté tumultueuse de 
          cet objet inclassable, mixage dionysiaque de tous les arts ou presque. 
          " Pour le rock lancinant on est d'accord quoique l'aspect magnifique 
          du susdit rock reste discutable. Le texte incantatoire…là ça se grippe. 
          Où est l'incantation là dedans ? La beauté tumultueuse, objet inclassable, 
          le mixage dionysiaque…alors là c'est le pompon. Je présente mes excuses 
          à tous les amateurs de danse* mais je n'y ai vu que des déhanchements 
          vigoureux et lascifs et des chorégraphies répétitives filmées à grand 
          renfort d'effets stroboscopiques et de montage clippé. Bref, un truc 
          qui aurait plus sa place dans une théma d'Arte sur la danse contemporaine. 
          * En réalité je ne présente pas mes excuses à ces gens-là, n'exagérons 
          pas.  
        LE BOIS LACTE de Christoph Hochhäusler. 
          4*. Une jeune fille et son petit frère marchent le long d'une 
          route. Une voiture s'arrête, c'est leur belle-mère qui 
          avait oublié de venir les chercher à l'école. Dans 
          la voiture la discussion est houleuse, la tension grimpe. Excédée 
          la femme stoppe et laisse les enfants seuls, dans un bois. 
          Les deux gamins, Allemands, se retrouvent livrés à eux-mêmes 
          dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, la Pologne. Alors 
          que la nuit est tombée, ils rencontrent un livreur, bilingue 
          avec qui ils vont passer quelques jours.  
          Très dépouillé, le film permet l'éclosion, 
          rapide d'une angoisse diffuse et sourde qui devient permanente et enferme 
          peu à peu tous les personnages, toutes les situations, chaque 
          instant de la vie de ces personnages énigmatiques. Car finalement 
          on ne sait quasiment rien de ces êtres, qui ne nous sont que montrés, 
          froidement. Il y a un petit garçon un peu geignard, une petite 
          fille capricieuse et sournoise, une belle-mère visiblement en 
          détresse sentimentale capable d'un ignominieux abandon d'enfants 
          (on peut supposer que celle-ci dans son apparent besoin éperdu 
          d'amour et de reconnaissance amoureuse auprès de son mari est 
          atteinte d'une sorte de folie, qui la pousse donc jusqu'au déni 
          de l'existence des enfants), un père inquiet mais absent et légèrement 
          fuyant et enfin le livreur polonais, un peu irresponsable puis vénal. 
          L'errance imposée des enfants est rendue à l'image par 
          une progression dans un univers très vertical (et géométrique 
          plus généralement) qui les écrase : les arbres 
          de la forêt et leurs ombres inquiétantes sur le chemin 
          quand le jour tombe créent un climat oppressant, proche de celui 
          des contes scandinaves (d'ailleurs le film est une version moderne de 
          Hansël et Gretel). Ces décors, auxquels il convient de rajouter 
          ceux de la maison en travaux, de l'antique camionnette du livreur, des 
          restaurants et motels évitent bien des paroles et des effets 
          inutiles de mise en scène enserrant les personnages dans un univers 
          d'incertitude, d'imminence et de désolation. Les couleurs sont 
          froides (prédominance du vert et du gris), les plans durent, 
          les espaces diminuent les gens, la rareté des dialogues les laisse 
          à une vie intérieure qu'on imagine pleine de tourments, 
          les mouvements sont calculés
jamais la détresse ne 
          franchit la barrière des corps, pas d'éclat, de larmes 
          ni de cri. Hochhäusler a réussi avec son film un véritable 
          film d'angoisse plein de flou, de points d'interrogation et d'ombre, 
          une uvre glacée et moribonde sur laquelle plane le spectre 
          de la mort et de la souffrance mais où la vie palpite tapie dans 
          les recoins. 
        
        
        
        LES BOUCHERS VERTS de Anders-Thomas 
          Jensen. 2*.Svend et Bjoran, deux employés de boucherie, peu aidés 
          par la nature voire complètement débiles, décident 
          d'ouvrir leur propre échoppe. Tout commence plutôt bien 
          pour eux. Leur local est parfait, ils ont été livré 
          en viande, mais voilà un jour ils oublient en fermant la boutique 
          un technicien frigoriste dans la chambre froide. Toute leur entreprise 
          s'en trouve mise en péril. C'est sans compter sur Svend, dit 
          " La sueur " en raison d'une hyperactivité de ses glandes 
          sudoripares, et ses pétages de plombs. Ce dernier dans un accès 
          de folie découpe le macchabée et le fait mariner dans 
          une sauce dont il a le secret. C'est si goûtu que les clients 
          en redemandent. Il n'en fallait pas plus à Svend pour qu'il se 
          mette désormais en chasse et qu'il approvisionne régulièrement 
          son stock, persuadé qu'il est que dans cette réussite 
          il y a la marque du divin. Le malheureux technico si accidentelle que 
          soit sa mort a bien donné une idée au boucher cinglé. 
          Couic l'agent immobilier, couic le passant dans la rue, couic l'infirmière 
          psychiatrique (oserai-je parler de Couic-burger ?). Seul l'un des clients 
          trouve que sa viande lui rappelle le goût de sa femme (ce gag 
          d'un goût douteux, lui aussi, est sûrement le meilleur du 
          film), qu'il avait pour des raisons de survie, mangé quelques 
          années auparavant.  
          Un boucher qui sert à ses clients de la viande humaine
ça 
          ne vous rappelle rien ? Et bien la comparaison s'arrête là 
          tant ce film-ci a banni toute poésie, toute sophistication visuelle 
          au profit d'une ambiance estampillée nordique, couleurs froides, 
          dialogues rares et durée des plans disproportionnée. Seul 
          le portrait de cette paire de crétins détonne un poil, 
          on les aurait plutôt vu dans un film des frères Farrelly 
          (l'aspect scato en moins). Et c'est justement ce côté qui 
          rend le film paradoxalement attachant : s'ils n'inspirent pas la pitié 
          ni la compassion ils font rire, plus que leur empêtrement dans 
          le commerce cannibalique. Un truc cependant : la morale du film, ambiguë. 
          L'important ce n'est pas ce qu'on mange, mais le goût que ça 
          a. Avec de pareilles thèses on ne peut s'empêcher de penser 
          à une perception industrielle du cinéma. Bref, c'est marrant 
          quelquefois et creux tout le temps.  
        BREAKING NEWS de Johnnie To 2* A 
          Hong Kong un casse échoue et se termine en fusillade avec la police. 
          Les malfrats réussissent à s'enfuir profitant de la désorganisation 
          des forces de l'ordre. Malheureusement les médias étant sur place lors 
          du massacre retransmettent en direct les images de l'assaut raté. Les 
          flics deviennent la risée de la population qui s'interroge sur l'efficacité 
          réelle de sa police. Pour riposter la police décide d'établir un plan 
          de communication : ils conçoivent la traque des truands comme un spectacle, 
          avec compte-rendus à la presse réguliers, hommes d'intervention équipés 
          de caméras portées, le tout étant monté avec musique et effets de mise 
          en scène par un monteur professionnel avant d'être donné aux médias. 
          Sur une trame des plus usées, Johnnie To bricole un gros film d'action 
          avec débordements pyrotechniques et flics shootés à la testostérone 
          doublé d'une charge pas très finaude sur les médias et leur prétendue 
          omnipotence. Ca manque un peu d'originalité tout ça et l'aspect satirique 
          n'est pas assez bien traité pour que le film emporte réellement l'adhésion. 
          Les personnages des flics et des truands sont très stéréotypés, on y 
          retrouve les mêmes que dans un film de série HK classique, le personnage 
          du capitaine, une femme pour une fois pas faire valoir de collègues 
          virils, en moins et l'absence de bluette de comptoir en plus. Les scènes 
          d'action si elles sont bien tournées ne sont pas renversantes, exception 
          faite de la superbe scène d'ouverture, un plan séquence de 6 ou 7 minutes 
          sidérantes (juste quelques petits grains dans le timing et la fluidité 
          de l'action), dopées qu'elles sont par un montage stonien* avec cadrages 
          multiples. C'est d'autant plus dommage que le lieu de l'action (où 80 
          % du film se déroule) pouvait prêter à autre chose. Les dédales de couloirs, 
          l'exiguïté de l'appartement dans lequel les fuyards ont pris une famille 
          en otage, la succession d'étages identiques…bref tout cela aurait pu 
          amener à façonner une ambiance plus anxiogène, nous faire ressentir 
          la montée d'un sentiment de claustrophobie, créer un véritable suspense. 
          Mais non, To a été trop paresseux pour ça, il s'est contenté de décliner 
          très légèrement le canevas du polar d'action de série en vogue à Hong 
          Kong depuis une quinzaine d'années en y introduisant cette dimension 
          satirique mais qui faute d'un traitement approprié fait long feu. Pas 
          mal mais sans plus. * du nom d'Oliver Stone, apparemment metteur en 
          scène de cinéma de la fin du 2ème millénaire et qui s'appliquait à faire 
          rentrer le maximum d'images dans le minimum de pellicule en faisant 
          le plus de bruit possible.  
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         CAFE LUMIERE de Hou Hsiao Hsien. 3*. 
          Yoko est une jeune Japonaise qui vit à Tokyo. Journaliste, elle 
          prépare une monographie sur un compositeur Taiwanais qui émigra 
          au Japon au début du siècle. Son insouciance et l'apparente 
          tranquillité de sa vie se trouvent entravées par un problème 
          qui va rapidement lui faire prendre conscience de la difficulté 
          d'être adulte, et responsable de ses actes et décisions. 
          En effet elle est enceinte d'un homme qu'elle ne voit qu'épisodiquement 
          lorsqu'elle va à Taiwan et qui ne semble pas décidé 
          à s'installer avec elle (il vit avec sa mère). Entre des 
          entrevues avec son père et sa belle-mère, son ami libraire, 
          un joyeux illuminé qui nourrit une obsession infantile pour les 
          trains et tout ce qui s'y rapporte Yoko va devoir affronter son avenir. 
           
          Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c'est la ville de Tokyo. 
          Elle est montrée comme une sorte de fourmilière hyper-active 
          d'un côté mais aussi presque paisible de l'autre (les scènes 
          ensoleillées où Yoko se promène dans les rues, 
          ou quand elle prend les fameux transports en communs qui circulent partout, 
          ou quand elle va dans un café, presque toujours vide). Cette 
          vision renforce l'impression de douce solitude mélancolique de 
          Yoko. Ce n'est pas du côté de son père qu'elle pourra 
          trouver des réponses aux questions qu'elle se pose : si celui-ci 
          est bien vivant il est absent, il n'arrive pas à communiquer 
          avec elle ; de plus elle ne peut compter sur sa belle-mère pour 
          lui donner le moindre conseil. Son ami libraire, lui n'en paraît 
          pas apte non plus, préférant prolonger son enfance avec 
          ses occupations monomaniaques. C'est donc seule qu'elle se prépare 
          à passer cette étape décisive dans sa vie qu'est 
          le passage à l'âge adulte, ou tout du moins à des 
          préoccupations qui le seront un peu plus. Accueillir et élever 
          cet enfant signifie renoncer à une vie entièrement tournée 
          sur soi-même, un véritable défi pour elle. Plusieurs 
          fois on la voit sur le point de craquer sous la pression que cela représente, 
          plusieurs fois elle semble prête à abandonner se réfugiant 
          dans le sommeil, souffrant de malaises et de fatigue chronique. C'est 
          d'ailleurs dans ses longs moments où elle dort qu'elle fait son 
          rêve récurrent, celui qui est inspiré d'un conte 
          européen et qui raconte l'histoire des lutins qui échangent 
          un vrai bébé par un mannequin de glace, pendant que la 
          jeune fille chargée de le surveiller leur tourne le dos ; celle-ci 
          ne se rendant pas compte tout de suite de la supercherie, le prend dans 
          ses bras et le substitut fond littéralement dans ses bras. A 
          ce propos Yoko ne se le rappelait pas tel quel, mais dans son souvenir 
          à elle, c'est par un bébé tout fripé qu'était 
          remplacé le poupon : comme si ce récit avec les lutins 
          lui faisait passer de l'image fantasmée d'un bébé 
          tout rond tout propre, idéel, à celle, réaliste 
          celle-là, d'un bébé frippé qui ne fondra 
          pas comme neige au soleil. Hou a réussi un film très abouti 
          sur la grande difficulté d'assumer et de faire sienne la vie 
          qu'on mène, de s'approprier sa vie en devenant adulte. Il manque 
          peut-être l'émotion qui aurait rendu Yoko plus proche de 
          nous. 
        LE CAUCHEMAR DE DARWIN de Hubert 
          Sauper 3*. En Tanzanie, de nos jours, sur les rives du lac Victoria 
          (rives partagées avec le Mozambique, l'Ouganda, la Zambie et la RD du 
          Congo entre autres), un gros porteur russe amorce sa descente sur la 
          piste rudimentaire de Mwanza. Il vient y faire ce que deux avions comme 
          lui viennent y faire tous les jours, se remplir les soutes de 50 tonnes 
          de filets de perche du Nil, un poisson prédateur et cannibale, pour 
          les expédier en Europe ou au Japon. Le but du metteur en scène de ce 
          docu coup de poing est de nous faire entrevoir l'incroyable étendue, 
          les effets tentaculaires de ce commerce là. Pour ce faire il procède 
          très intelligemment en suivant une logique d'approche qui pourrait être 
          celle d'un quidam éclairé et désireux de savoir ce qui se cache derrière 
          le balai incessant des avions sur cette piste miteuse. Ainsi on commence 
          par voir l'avion approcher, atterrir. On fait la connaissance d'un pilote, 
          et des deux ou trois techniciens embarqués. Après on découvre les pêcheurs 
          de perche, l'usine de transformation, puis la face la moins reluisante, 
          le noyau noir de ce business, à savoir la misère insupportable qui règne 
          en réalité dans cette zone qui pourtant produit des millions de dollars 
          : car autour de ce commerce gravite toute une sous-humanité vouée à 
          la destruction : les pêcheurs, les prostituées, les enfants abandonnés…tous 
          sont confrontés quotidiennement à leur survie précaire. Sauper fait 
          très bien ressortir l'implacable mécanique d'annihilation humaine : 
          les pilotes livrent des armes qui alimentent les confits dans les pays 
          frontaliers du lac Victoria, ils repartent pleins de perches alimenter 
          les étals de leurs affréteurs, poisson qui détruit complètement l'écosystème 
          du lac mais au rendement économique qui autorise un déni total du reste. 
          La production de ce poisson génère outre les emploi dans l'usine elle-même 
          une économie de survie parasitaire et immontrable : les carcasses de 
          poissons grouillantes de vers qui sont revendues, séchées (avec fort 
          dégagement d'ammoniac et effets secondaires dramatiques sur la santé 
          des gens qui végètent dans cet environnement vicié), bouillies et mangées. 
          Les pêcheurs eux vivent dans des petits villages qui poussent comme 
          des champignons autour du site, dans une misère écrasante ; les prostituées 
          qui travaillent ou avec les pilotes (et c'est très risqué pour elles, 
          car bien souvent ceux-ci boivent et sont violents) ou les pêcheurs dans 
          des conditions sanitaires déplorables sont des vecteurs sans cesse renouvelés 
          de la propagation du VIH (qui fait des ravages), risquent leur vie en 
          permanence pour quelques dollars à la merci d'un meurtre crapuleux ou 
          d'un déchaînement sadique, et les enfants, normalement appelés à succéder 
          meurent comme des chiens errants, drogués, violés…bref, le tableau est 
          d'une noirceur impitoyable. La cruelle réalité, ironique, de la situation 
          est que chacun d'eux, quel que soit son rôle, sa fonction, son statut 
          trouve une place dans cette synergie au-delà même des habitants de la 
          zone (les armes continuent à voyager après l'arrivée à Mwanza, les profits 
          dégagés enrichissent des gens hors des frontières de la Tanzanie). L'Afrique, 
          qui est depuis des lustres un laboratoire d'expérimentations pour les 
          pays occidentaux continue de payer le lourd tribut d'un passé colonial 
          très loin d'être révolu (mais qui du politique a glissé incidemment 
          à l'économique et ce au mépris de toute notion d'humanité). La voix 
          de la sagesse dirait que Sauper enfonce des portes ouvertes, et elle 
          n'aurait pas complètement tort la bougresse mais il met au premier plan 
          des hommes, des femmes et des enfants oubliés de tous, ignorés, il les 
          filme, les interroge, les fait parler de leur quotidien et de leurs 
          espoirs, fous bien entendu; outre l'absence totale d'avenir tolérable 
          pour ces damnés il continue l'interminable radiographie du cancer occidental 
          qui ronge l'Afrique. Et la misère révoltante, dont on se prend un digest 
          dans la gueule lors de la projection est plus qu'un inconfort ou une 
          indélicatesse c'est leur quotidien d'Homme. Le réalisateur ne craint 
          donc pas de montrer la misère, sa caméra ne se détourne pas devant le 
          sordide de certaines situations mais son but est d'humaniser cette misère, 
          de donner un visage aux victimes (en donnant aussi un aperçu de celui 
          des bourreaux), que ce soit lors de l'interview du gardien du laboratoire 
          ou d'une des prostituées ou lorsqu'il laisse sa caméra saisir de longues 
          scènes comme celle de la soirée avec les pilotes russes et les prostituées 
          ou celle dans laquelle les enfants se battent au poing pour attraper 
          une poignée de riz. Il rend intellectuellement intolérable une horreur 
          que sa méconnaissance ou sa non-envie de savoir nous fait tolérer.  
        LE CHATEAU AMBULANT de Hayao Miyazaki. 
          5*. Sophie, une jeune fille un peu triste qui s'ennuie dans sa boutique 
          d'accessoires de mode rencontre un jour un jeune et beau sorcier et 
          tombe sous son charme. Mais le même jour elle se fait aussi jeter 
          un sort par une gargantuesque sorcière. Elle se retrouve ainsi 
          nonagénaire à l'ossature aussi précaire que rouillée. 
          Elle quitte alors son échoppe et part à la recherche de 
          son sorcier, le ténébreux Hauru, pensant le solliciter 
          pour un désenvoûtement. Hélas ce dernier, qui vit 
          dans un château mobile a lui aussi été victime, 
          lorsqu'il était enfant, d'un sortilège qui l'a condamné 
          à se transformer en gigantesque oiseau. Le pays est en guerre 
          et toutes les nuits il part en vadrouille pour essayer d'échapper 
          à des poursuivants plumitifs ou caoutchouteux et protéger 
          ainsi son château ambulant.  
          Dans un pays indéfini, dont on sait juste qu'il est en guerre 
          contre son voisin, un pays dans lequel le merveilleux côtoie le 
          quotidien le plus prosaïque sans que cela ne semble perturber qui 
          que ce soit, l'histoire d'amour que l'on sent poindre entre le sorcier 
          et la jeune fille envoûtés va se heurter à de multiples 
          obstacles, tant tout est imprévisible, tout peut basculer d'un 
          instant à l'autre. Certes il n'y a guère de suspense quant 
          à l'issue de cette " quête ", mais les personnages 
          évoluent, chacun à leur rythme, dans leur mesure. Le sorcier, 
          figure romanesque, vit sa dualité avec une sombre résignation 
          que seule l'arrivée dans sa vie de Sophie va rompre ; pour Sophie, 
          par contre la malédiction est non seulement l'occasion de revoir 
          Hauru mais aussi devenir vieille lui fait prendre conscience de la difficulté 
          d'affronter la vie, de se battre pour aimer, de la souffrance que cela 
          engendre. Elle apprendra à ne pas se laisser guider par l'apparence 
          des choses et des gens, d'ailleurs comment le pourrait-elle ? Tout autour 
          d'elle est mouvant et n'est pas ce qu'il paraît être : le 
          château qui change de forme, Hauru qui se transforme, elle qui 
          a pris 70 ans en 1 seconde et dont le visage change selon son humeur 
          et l'endroit où elle est (selon le degré de perception 
          de la " réalité " où elle se trouve, 
          son visage et son apparence évoluent), la sorcière des 
          landes qui a été victime d'un mauvais sort, encore un 
          et qui nourrit un amour secret pour Hauru (elle a ensorcelé Sophie 
          par désespoir de ne pouvoir obtenir ce qu'elle désirait 
          le plus au monde), la porte du château qui donne au choix accès 
          à une ville en guerre et en ruines, à un immense champ 
          à l'herbe verte et aux fleurs éclatantes
cette porte 
          est celle qui mène aux rêves et aux cauchemars, aux souvenirs, 
          à la réalité aussi. C'est un passage vers l'esprit. 
          Le récit est cabossé d'une part par l'introduction de 
          multiples personnages secondaires (l'épouvantail, le chien espion, 
          la grosse sorcière
) qui ne prennent pas le même itinéraire 
          que Sophie, et d'autre part par le glissement intermittent de la narration 
          sur ces autres personnages. Au bout de cette course initiatique chacun 
          aura appris sur lui-même et en sortira amélioré. 
          Vision idyllique de la vie ? Pas si sûr, optimiste oui mais le 
          chaos décrit par Miyazaki ne laisse aucun doute quant à 
          sa lucidité. Tout est affaire de perception. Et la tendresse 
          avec laquelle il dessine ses personnages, l'émotion qu'il ne 
          manque jamais d'introduire dans les pires moments, le ravissement provoqué 
          par son savoir-faire technique immense, la subtilité et la richesse 
          de son propos (son génie ?) tout concourre à faire du 
          film un joyau, encore une fois somptueusement habillé par la 
          musique aux accents mélancoliques de Hisaishi.  
        LA CHUTE de Oliver Hirschbiegel. 2*. Ou 
          les derniers jours du boucher autrichien micro-moustachu enfermé 
          dans son bunker avec ses amis. Hitler sait la défaite inéluctable 
          mais continue à faire semblant de croire à l'impossible 
          victoire. Il tente vainement d'engager ses ultimes forces dans le conflit, 
          terré dans sa cave fortifiée. Il ressasse sa haine et 
          crache son amertume à la face de sa cour sordide mais ne néglige 
          cependant pas quelques attentions particulières : et une risette 
          à la brave secrétaire un peu nunuche, une petite caresse 
          aux enfants de Goebbels, une tapette au chien
et tout ça 
          avec les mêmes mains qui ont assassiné plusieurs millions 
          de personnes ! Par contre, son état-major ne bénéficie 
          pas des mêmes largesses, il passe 150 minutes à se faire 
          vertement tancer pour ne pas avoir réussi à faire de ses 
          chimères mégalomaniaques une réalité effective. 
          Et puis, sentant l'issue proche on assiste à une épidémie 
          de suicides, assistés par moments, et de séditions diverses. 
           
          Que dire de ce film ? C'est un spectacle avant tout, qui a ouvertement 
          choisi d'aborder ce pan de l'histoire allemande par cet angle-là, 
          à savoir la toute fin d'une de ses périodes les plus noires. 
          Le but recherché n'est pas de montrer à quel point l'armée 
          régulière et le peuple allemand ont pu collaborer et ont 
          été des acteurs déterminant dans l'étendue 
          de l'entreprise meurtrière de Hitler, ni de tenter d'approcher 
          les raisons monstrueuses du génocide ; non ici les auteurs ont 
          préféré centrer leur intérêt sur le 
          dictateur lui-même, la dizaine de jours qui ont précédé 
          son suicide plus exactement et les relations de plus en plus tendues 
          qu'il entretenait avec ses " proches ". Acculé, dévoré 
          de tics nerveux, en proie à des crises de colère homériques, 
          c'est un Hitler diminué qu'on nous donne à voir, lâché 
          par tous ses fidèles. Pourquoi pas ? L'histoire appartient à 
          tous et il n'y a guère de traces de révisionnisme là-dedans, 
          juste un léger voile d'amnésie (question d'esthétique 
          ?) et une naïveté que je n'ose croire sincère : l'exemple 
          de la secrétaire particulière mérite réflexion 
          (sachant que le film s'inspire entre autre de ses mémoires). 
          Que penser de sa déclaration, placée en épilogue 
          du film et dans laquelle elle affirme avoir découvert l'existence 
          du génocide sur le tard, une fois la guerre finie ? 
on 
          ne peut décemment imaginer une once de sincérité 
          dans ces propos. Sa situation est peut-être une métaphore 
          de celle des Allemands qui n'ont pu ignorer l'antisémitisme délirant 
          de Hitler, qui ne s'en cachait pas. Bref, parlons du film lui-même. 
          Son rythme est trop ralenti par d'interminables dialogues, ou monologues, 
          un peu entaché par les scènes incontournables (de celles 
          qu'on retrouve dans n'importe quel film sur la deuxième guerre 
          mondiale) et parasité par l'interprétation, habitée 
          certes, mais outrancière de Bruno Ganz. Le gros point positif 
          de La chute est à mon avis à créditer à 
          l'ambiance, à la façon dont Hirschbiegel fait ressortir 
          la folie mortifère qui règne. La mort est omniprésente 
          dans le bunker, les hommes ne sont que des vecteurs de mort, une mort 
          violente et malsaine. Le respect aveugle que certains placent en cette 
          autorité suprême, incarnée par un homme unique, 
          une soumission totale et masochiste car ne pouvant conduire qu'à 
          la mort, est encore exacerbé par le fait que ça se déroule 
          en lieu clos, ultime bastion moribond de résistance à 
          l'inéluctable, à l'atmosphère saturée et 
          viciée, entièrement ceint et isolé au milieu d'un 
          no man's land bombardé sans répit par des ennemis invisibles 
          (le symbole naïf d'une punition divine ?)
tout cela dessine 
          le tableau d'un chaos absolu, humain, psychologique et matériel, 
          le râle d'un régime qui meurt aussi violemment qu'il a 
          vécu, nourri par la haine et la mort.  
        
        5 X 2 de François Ozon. 1*. Cinq moments de la vie et 
          de la mort d'un couple. Cinq sketches teintés d'une ironie souvent 
          cinglante mais toujours gratuite et lestés d'annotations sociopsycho 
          du type de celles qui suintent dans tous les magazines féminins, 
          la fin de chacune de ces tranches de vie étant annoncée 
          par de la grosse variétoche italienne qui tache. Voilà 
          pour la " structure " de l'engin, ne restait plus à 
          Ozon qu'à remplir les blancs avec quelques dialogues oiseux, 
          sachant que l'ellipse, élément fondateur de ce film permettait 
          le vague et l'imprécision dans le domaine. Il parachute alors 
          dans son jouet de luxe une poignée de personnages dégrossis 
          au marteau-piqueur : la brave fille, pas fine, trop sensible et paumée 
          (à qui, et ça tient du miracle, l'excellente Valeria Bruni 
          Tedeschi arrive à donner de l'humanité, des émotions, 
          une vie secrète presque) et son julot, un type un peu lâche, 
          fuyant et instable, les parents qui se chamaillent, le frère 
          gay, le gosse décoratif
et tout ce petit monde évolue 
          dans des décors travaillés et pensés, qui viennent 
          renforcer l'ironie et le mépris dans lesquels le metteur en scène 
          le tient. La division en cinq époques distinctes aurait pu être 
          une bonne idée pour, si ce n'est raconter, tout du moins montrer 
          une histoire de couple, mais là il n'y a rien de ce type, c'est 
          un gadget. On entrevoit quelques instants, on entre dans le vif d'une 
          intimité sans être pour autant des observateurs des symptômes 
          d'une rupture annoncée, comme l'infidélité le soir 
          de la nuit de noce, après une fête illuminée (quelle 
          ironie) et arrosée ou la fuite du mari lors de l'accouchement. 
          Ozon ne nous donne que quelques morceaux, des petits riens insignifiants, 
          comme des fausses pistes
mais le piège est grossier tant 
          il est évident. A trop vouloir éluder les moments importants, 
          et accorder ainsi un droit d'existence à ses marionnettes il 
          semble vouloir nous amener à les toiser et à les détester 
          encore plus que lui. Alors merde, 5 x 2 est un naufrage complet dont 
          seuls émergent le talent des deux interprètes (surtout 
          elle) et une chanson de Paolo Conte. C'est pas bézef. 
          
        CLEAN de Olivier Assayas. 3*. Emily est une quadragénaire 
          qui patauge dans le milieu de la musique vaguement underground depuis 
          trop longtemps. Elle est accroc à l'héroïne, Lee, 
          son copain, le chanteur d'un sinistre groupe dont elle est chargée 
          d'assurer la promo, aussi. Suite à une dispute il fait une overdose 
          et meurt. La voilà brutalement seule et condamnée à 
          6 mois de prison. Six mois plus tard, Emily prend la décision 
          de se construire une nouvelle vie, de couper les ponts avec son passé, 
          de retrouver son fils
bref de commencer à vivre.  
          Clean est le récit d'un retour à la vie doublé 
          du portrait sym-pathique d'une femme. On voit un peu de l' avant (la 
          mort de Lee et l'incarcération) et beaucoup du pendant (après 
          la sortie de prison). Entre les deux on ne sait pas grand chose, sinon 
          qu'elle y a rencontré une autre femme, Gloria, avec qui elle 
          a écrit des chansons. Ce séjour en prison, bien que traité 
          en ellipse est le point à partir duquel Emily va changer, c'est 
          une rupture certes brutale mais nécessaire pour elle puisqu'elle 
          va lui permettre, du moins le pense-t-elle, de reconquérir son 
          fils et sa vie. Elle change de ville, accepte des petits boulots, encaisse 
          l'ironie des autres qui doutent de son envie de changer
elle tient 
          bon, et même si elle trébuche par moments elle résiste. 
          On sent bien l'attirance d'Assayas pour Maggie Cheung, il la filme non 
          comme une icône mais avec un magnétisme teinté d'emphase 
          presque, donnant une dimension supérieure à cette femme 
          qu'il s'attache pourtant à décrire comme étant 
          très humaine. Ainsi le film recèle de scènes muettes, 
          mais musicalisées, où on la voit marcher, fumer, chanter, 
          courir
La caméra la suit, s'approche, la colle, s'éloigne 
          un peu mais jamais ne la perd. Quand on ne la voit pas, on en entend 
          parler, elle est le cur du film, sa condition sine qua non. Les 
          autres personnages ont une véritable existence aussi, ils ne 
          sont pas effacés, Assayas leur a donné un droit de vie, 
          indispensable à mon avis.  
          La sublime Maggie Cheung a bien du talent, elle donne de son personnage 
          une interprétation nuancée et toujours juste, elle semble 
          s'être glissée dans le rôle. Clean est une réussite, 
          bien que certaines scènes puissent faire penser à un mauvais 
          film des années 80 (les scènes de concert par exemple). 
        CLOSER, ENTRE ADULTES CONSENTANTS de Mike 
          Nichols 2* Deux hommes, deux femmes, 2 possibilités (pas d'homosexuels 
          ni de triolistes là-dedans, faut pas déconner !!). Un journaliste nécro 
          hypersensible et séducteur sort avec une strip teaseuse new-yorkaise 
          transie d'amour mais au cœur froid, mais il est secrètement amoureux 
          d'une photographe indécise qui, elle, sort avec un dermatologue animal 
          (non, il ne s'occupe pas de problèmes d'acné canine…pour simplifier 
          c'est un type basique et assez bourrin) tout en ressentant des papillonnement 
          là et là en présence du journaliste. Le décor est posé. Place maintenant 
          aux interactions diverses entre les membres, ô combien bavards de ce 
          quatuor qui joue à qui-baise-qui. L'origine théâtrale du film est omniprésente. 
          On sent la sur-importance des dialogues (genre bourgeois qui s'encanaille) 
          mais la neutralité de la mise en scène finalement fait passer la sauce, 
          faisant se succéder les scènes d'intérieur. Quelques scènes retiennent 
          l'attention toutefois, comme la drôlissime scène du chat entre les deux 
          hommes, d'autres, très cruelles sont réussies, d'autres enfin, plus 
          conventionnelles glissent. L'impression d'ensemble est relativement 
          bonne et les acteurs interprètent leur rôle avec suffisamment de conviction 
          pour emporter l'adhésion. Le portrait des personnages est lui un poil 
          convenu : le sensible qui fait échouer toutes ses relations à cause 
          de son besoin maladif de penser qu'il sait tout de l'autre, la jeune 
          strip teaseuse qui de fragile au début apparaît bel et bien solide et 
          froide par défense, le dermatologue lui évolue peu trainant toujours 
          son humour heavy metal et un égoïsme agressif encombrant, reste la photographe, 
          qui change de mains deux ou trois fois, qui pleure un coup entre chaque 
          et qui ne sais jamais sur quel lit se coucher. En résumé Closer est 
          un film très divertissant, drôle et qui fait oublier ses défauts  
        THE COAST GUARD de Kim Ki-Duk. 3*. Quelque part sur le littoral 
          sud-coréen, pas très loin du 47ème parallèle, 
          une poignée de soldats, composée en grande partie d'appelés, 
          surveille jour et nuit leur portion de côte, guettant l'improbable 
          arrivée d'espions nord-coréens. Leurs consignes sont claires 
          : tirer à vue sur quiconque se trouve dans le no man's land. 
          Un jour, l'incontournable se produit : l'un de ces soldats tue un civil, 
          en quête de sensations fortes (il copulait joyeusement avec sa 
          dulcinée derrière une paire de rochers). Ses supérieurs 
          l'honorent pour cet acte, vantant son application intransigeante du 
          règlement et lui offrent une semaine de congés supplémentaires. 
          Lui, est assommé par son forfait et sombre peu à peu dans 
          une sorte de folie. Devenu incontrôlable, il sera renvoyé 
          chez lui. Il revient rôder autour de ce casernement et disjoncte 
          définitivement. Le film se termine dans un carnage absurde. 
          Dès le départ du film on sent l'absurdité totale 
          de la présence de ces soldats d'opérette. Leur mission 
          est dérisoire, ils courent après des chimères, 
          ils sont les marionnettes d'une politique paranoïaque datée, 
          prolongement archaïque de la guerre froide. Ils souffrent aussi 
          de l'ostracisme dans lequel les enferment les habitants du village tout 
          proche. Ils sont comme des anachronismes ridicules, des persistances 
          préhistoriques sujets de moqueries. Dans ce contexte, leur travail 
          si stupide soit-il prend les atours singuliers d'un combat contre la 
          folie : s'enfermer dans cette optique les empêche de devenir fou. 
          La descente aux enfers du tueur malgré lui est traitée 
          avec humour et légèreté même si la dernière 
          se solde par une horrible, et ubuesque, tuerie. Voilà donc un 
          pamphlet antimilitariste de très bonne facture, qui trouve le 
          ton juste pour décrire la misère et la vanité humaines. 
          La folie vue comme rébellion ultime contre la folie. 
        COLLATERAL de Michael Mann. 2*. Max un chauffeur de taxi plein 
          de rêves et de timidité charge un soir un client très 
          spécial : Vincent, un tueur à gages qui travaille pour 
          un cartel de la drogue, hispano donc, et qui s'est programmé 
          une nuit de folie, à savoir 5 contrats à exécuter 
          en quelques heures. Ce dernier décide donc de réquisitionner 
          le brave chauffeur pour le driver dans les rues désertes du L.A. 
          nocturne. Bien entendu les choses ne se passeront pas tout à 
          fait comme prévu.  
          D'accord Tom Cruise en clone de Richard Gere moyen, tueur qui plus est, 
          n'est pas la meilleure idée de Mann pour ce film. Le scénario 
          n'est pas non plus des plus novateur ; après les 20 premières 
          minutes on sait ce qui va se passer dans les 100 qui restent. Et pourtant 
          bizarrement il s'échappe de ce film une sensation diffuse, comme 
          un parfum de cool, au sens jazzien du terme. En effet Mann a parsemé 
          ça et là son récit de petites fenêtres qui 
          sortent de l'histoire à proprement parler et qui soufflent un 
          air apaisé. Malgré le barra tin pseudo-pro que Cruise 
          déblatère sur son métier, malgré l'esquisse 
          de passé et d'enfance malheureux qu'il donne comme excuse au 
          fait qu'il exerce cette profession, il subsiste une certaine légèreté 
          dans le film (comme la scène, par exemple, de l'anecdote sur 
          Miles Davis) qui sauve les meubles. Le résultat n'est pas le 
          meilleur film de l'année, mais un film d'action bien mené 
          et avec suffisamment d'originalité pour le rendre sinon bon au 
          moins intéressant. 
        
        COMME UNE IMAGE de Agnès Jaoui. 1*. C'est la triste histoire 
          de Lolita, fille d'un grand éditeur parisien, qui va de déconvenue 
          en déception. Elle est délaissée, ignorée 
          par son père, obèse ce qui n'arrange rien à ses 
          affaires et en manque terrible de reconnaissance et d'amour pour ce 
          qu'elle est, c'est à dire on ne sait pas trop bien quoi, en plus 
          elle a fait un constat implacable : les gens ne la fréquentent 
          que parcequ'elle est la fille de. D'un autre côté, on rencontre 
          Pierre un écrivain végétatif qui peine comme un 
          beau diable pour se faire connaître et sa femme, prof de chant 
          de la malheureuse Lolita. Enfin il y a bien entendu son père, 
          un être égoïste et insensible autour duquel gravite 
          une cour de lèche-bottes pour ne pas dire plus. Et puis une chose 
          va quelque peu changer la donne de départ : Pierre, suite à 
          un article élogieux dans le Monde, devient un écrivain 
          adulé ou tout du moins demandé partout. Il se met à 
          la colle avec l'éditeur et peu à peu fait une croix sur 
          son ancienne vie : il laisse tomber ses anciens amis, délaisse 
          sa femme, sa première éditrice et comble de l'horreur 
          fait une émission télé (Ardisson à peine 
          déguisé) dans lequel il avoue -quelle vulgarité 
          !-qu'il pratique la sodomie.  
          Voilà le tableau. Tout n'est certes pas mauvais, certains personnages 
          sont assez marrants (l'éditeur joué par Bacri par exemple, 
          ou l'écrivain) mais il s'échappe de cette soupe lourdement 
          moralisatrice un parfum de naphtaline. Que c'est rabaché tout 
          ça ! Dès le début du film on voit bien où 
          veut en venir Jaoui, les thèmes qu'elle aborde sont généreux 
          et tous les spectateurs pourront un moment ou à un autre s'y 
          retrouver, mais elle n'apporte rien de nouveau dans sa description de 
          ce monde impitoyable. Les situations sont téléphonées, 
          les évolutions prévisibles. Sa mise en scène ne 
          vient à aucun instant enrichir son propos ; les scènes 
          sont filmées platement, seulement soutenues par des dialogues 
          amusants. Un bon point, mais est-ce vraiment voulu ?, est l'antipathie 
          de la jeune fille, ça nous évite l'apitoiement lacrymal 
          mais ses tentatives vaines et répétées pour exister 
          aux yeux de son père fatiguent assez vite. En conclusion on en 
          retire que devenir célèbre rend con, qu'être rejeté 
          par son père rend gros, qu'être maghrébin rend tolérant 
          et que chanter dans une chorale rend sympathique. Un tel chapelet de 
          vérités ainsi assénées laisse pantois.  
        THE CONSTANT GARDENER de Fernando 
          Meirelles 1*. Le phytophile Justin Quayle, travaillant accessoirement 
          au Haut Commissariat Britannique à Nairobi et chargé de superviser l'aide 
          humanitaire anglaise au Kenya rencontre un jour une jeune et belle militante 
          qui en le bousculant par des questions rentre-dedans finira par se faire 
          bousculer par le diplomate de façon encore plus rentre dedans. Les deux 
          toutereaux semblent roucouler à l'envi, lui entre deux tailles de plantes 
          et elle entre deux opérations avec son ONG. Jusqu'au jour où la donzelle 
          se fait violer et assassiner lors d'un déplacement. Le falot diplomate 
          ne va pas en rester là, à pleurer sa disparition et décide de savoir 
          un peu pourquoi elle s'est faite envoyer ad patres. Et que va-t-il découvrir 
          ? Que sa copine faisait une enquête sur les pratiques on ne peut plus 
          douteuses d'un gros groupe pharmaceutique qui a tendance à confondre 
          l'Afrique avec un laboratoire à taille réelle et ses habitants avec 
          des cobayes. Les malotrus administrent ainsi sans vergogne un anti-palu 
          expérimental (et on s'en doute assez vite pas sans danger ni effets 
          secondaires de type très indésirables) à des pauvres indigènes qui non 
          contents de mourir de faim à l'ombre de rien doivent en plus se faire 
          décimer par des pharmacopées aussi occidentales qu'approximatives. Notre 
          gentil bonhomme aura donc fort à faire. Aaaaaaaaaah que c'est terrible 
          ça ! Mais voilà le film a tendance pisser dans un violon. Les malversations 
          de ces gros laboratoires sont un sujet bien intéressant et sur lequel 
          il y aurait beaucoup à dire mais le réalisateur ne s'attarde pas trop 
          sur ce point qui ne sert qu'à faire progresser l'intrigue " thriller 
          " du film. Il semble que la relation entre Justin et Tessa et la découverte 
          post mortem, à grand renfort de flash-back, qu'il fait d'elle soit plutôt 
          l'axe principal. Mais tout est tièdasse, de leur histoire d'amour, aux 
          inévitables mystères qui jalonnent l'enquête de Quayle, aux doutes vite 
          effacés, les traitres…s'il n'y avait le filmage, toujours un poil prétentieux 
          de Meirelles, ça ferait un téléfilm moyen. La caméra est mobile, les 
          images sont belles (mais à moins de filmer avec un cache devant l'objectif, 
          il paraît difficile de mal filmer le Kenya), les acteurs sont mimis 
          tout plein. Un film pas beurk mais bof.  
        THE CORPORATION de Jennifer Abbott 
          et Mark Achbar 3* 145 minutes pendant lesquelles les deux réalisateurs 
          tentent de montrer le capitalisme sous l'angle de ses tares et de celles 
          qu'il engendre. A l'aide d'interviews multiples d'économistes, de patrons 
          de multinationales, de Michael Moore (un métier à part entière), d'écrivains 
          et de philosophes (considérons Chomsky comme l'un d'eux) ils dressent 
          un diagnostic de ce système économique (érigé par certains en système 
          philosophique), par le biais de l'analyse de l'entreprise prise en tant 
          que personne, puisque aux Etats Unis elle est considérée comme une personne 
          morale et dans cette optique détient les mêmes droits qu'une personne 
          physique. Et cette personne, disent les deux cinéastes est malade, psychiatriquement 
          atteinte. A eux ensuite d'étudier les différents symptômes de cette 
          psychose pour in fine révéler le mensonge énorme qui ceint cette entité 
          quasi sacrée. La réalité de l'entreprise aujourd'hui est la course inlassable 
          au profit financier, profit qui est pris là dans son acception de dividende 
          des actionnaires. Après quelques rappels historiques liés à la genèse 
          de ce système la paire de Canadiens tâche de montrer toutes les facettes 
          de son fonctionnement, une recette écœurante composée de marketing-pressions 
          politiques-lobbies-espionnage industriel-relations contre-nature entre 
          politique et économique-course au profit-mépris total des conséquences 
          humaines et écologiques. Après un flot colossal d'images et de voix, 
          après l'absorption massive de toutes ces informations qui nous sont 
          données on est littéralement sonné. Le constat est pessimiste, malgré 
          la petite ouverture optimiste de la fin : l'entreprise, qui devrait 
          avoir un rôle social à jouer, n'est qu'un vecteur, incontournable certes 
          mais méprisé par ceux-là même qui la financent, de transport pour des 
          flux financiers. Les employés, la localisation géographique, les métiers 
          sont des contingences assujetties à l'omnipotence du profit. A ce sujet 
          l'interview du trader est frappante : celui-ci avouait sans vergogne 
          souhaiter l'éclatement et l'enlisement de conflits armés impliquant 
          ou des partenaires économiques des Etats Unis ou les Etats Unis eux-mêmes, 
          puisque invariablement cela crée une hausse de la toute puissante NYSE 
          (bourse de Wall Street), donc de leurs commissions et des dividendes 
          de leurs clients. Le processus d'auto destruction de la planète annoncé 
          dans le film n'est pas inévitable de même qu'il est possible d'entraver 
          la position dominante du profit, l'histoire de la Bolivie et de la tentative 
          échouée de privatisation de la distribution d'eau en est un exemple, 
          la conversion presque miraculeuse à une production qui tend vers le 
          100% recyclable du PDG d'une société frabriquant des tapis aussi mais 
          le talon d'Achille de ce mastodonte est bien petit et la mobilisation 
          demandée est si importante qu'un sursaut citoyen dans ce sens paraît 
          peu probable. Le docu de Abbott et Achbar est bien fait, les intervenants 
          ont des discours très à propos, le montage, ludique et riche, permet 
          de suivre le film sans ressentir de lassitude, la façon de circonscrire 
          le thème dans le champs sémantique de la psychiatrie est en plus d'être 
          amusante, pertinente. Reste quelques longueurs, dont l'interview inutile 
          et ridicule des deux journalistes de la Fox qu'on laisse jacasser pendant 
          10 minutes sur leur reportage avorté et ses suites judiciaires.  
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         DEAD OR ALIVE 1 de Takashi Miike. 2*. L'histoire 
          ? Elle est des plus classiques : une bande de truands fait un coup fumant, 
          des flics les traquent. L'affrontement se réduit vite à 
          un duel à mort entre l'un des flics, le plus tenace, et le chef 
          des gangsters, un mafieux sadique. La bataille qu'ils vont se livrer 
          ne connaîtra pas de limites, elle est jalonnée de massacres 
          et se termine en duel, face à face avec des armes surprenantes. 
           
          Le sujet étant fin comme un argument publicitaire, c'est dans 
          le traitement qu'il faut chercher l'intérêt de ce film. 
          Après un départ assez typique, Miike se rapproche de ses 
          personnages, non pas pour les décrire de façon précise 
          (pas de psychologie, pas d'étude de caractère) mais pour 
          leur dessiner (le flic et le tueur) une dimension mythique et quasi-religieuse 
          : leur combat devient l'affrontement entre le bien et le mal. Au fur 
          et à mesure de l'avancée du film, il les dégage 
          de tout ce qui faisaient d'eux des personnages de films " normaux 
          ", famille, adjoint, complices
à tel point qu'il ne 
          subsiste finalement qu'eux deux, donc qu'il ne leur reste plus qu'à 
          se rencontrer directement (pas par le biais d'actions indirectes, comme 
          le meurtre de la famille du policier) et à se battre jusqu'à 
          la mort de l'un ou l'autre.  
          La réalisation de Miike évolue avec son film : elle s'emballe 
          de plus en plus, et le spectateur finit par assister à un duel 
          final délirant où ni les pistolets " conventionnels 
          ", ni les bazookas n'ont eu raison des " guerriers ", 
          c'est un giganstesque flux d'énergie destructrice qui rayonnera 
          sur toute la surface de la planète (allons-y gaiment) qui le 
          concluera, apportant un dénouement qui vient tout droit de l'univers 
          des mangas de science-fiction (Dragonball et Cie). Certes pas le meilleur 
          film de Miike, mais un exercice de style amusant et excitant. 
        DE BATTRE MON CŒUR S'EST ARRETE 
          de Jacques Audiard 2* Digne fils de son père, Tom est un spéculateur 
          immobilier sans scrupule. Avec ses associés il monte des arnaques, expulse 
          des squatters et monte de sombres business d'achat/revente d'immeubles 
          en région parisienne très lucratifs. Apparemment dénué de remords et 
          de conscience, il rend de plus de temps en temps des menus services 
          à son père, dans la partie lui aussi, en allant encaisser des clients 
          récalcitrants, quitte à utiliser la manière forte. Et puis un beau jour 
          il croise la route de l'ancien impresario de feue sa pianiste de mère. 
          Celui-ci, se souvenant des dons prometteurs de Tom lui propose de venir 
          passer une audition chez lui, en vue d'une possible carrière de concertiste. 
          Hésitant, il décide quand même de saisir sa chance et s'inscrit à des 
          cours particuliers chez une jeune Chinoise fraîchement débarquée en 
          France. A cheval sur ces deux vies, il se désengage et néglige de plus 
          en plus ses magouilles immobilières pour, plein de naïveté, se lancer 
          dans ses cours. La problématique dans laquelle se retrouve Tom est claire 
          : sa vie professionnelle, malhonnête, lui permet de suivre les pas de 
          son père, de tenter d'exister aux yeux de celui qu'il prend pour un 
          démiurge. Quand bien même cela ne lui correspond pas au fond, il a la 
          sensation d'être, comme ça. La musique elle, représente la mère, jadis 
          pianiste de concert célèbre. L'opposition entre la musique et la violence 
          de son travail borderline n'est pas très fine. Les choses sont très 
          marquées et séparées. Le montage alterné entre scènes de piano et scènes 
          de bagarres ou d'expulsions est un poil grossier, il appuie sur le dilemme 
          qui habite le jeune homme. On sait qu'il n'a pas encore trouvé sa place, 
          coincé qu'il est entre une image du père écrasante et un souvenir de 
          la mère douloureux. Son parcours devra obligatoirement passer par le 
          " meurtre " du père, meurtre qu'il n'aura pas besoin de commettre, la 
          vie dissolue de ce dernier le faisant à sa place. Là où le film fait 
          mouche c'est dans le portrait de Tom, qu'on sent capable à tous moments 
          d'exploser, tant ses conflits intérieurs sont forts. Cet apprentissage 
          va le fissurer, il va peu à peu perdre le contrôle de ce qu'il laisse 
          paraître : il oublie des rendez-vous de travail et en parallèle a des 
          explosions de colère avec sa prof de piano. Sa vulnérabilité, dont il 
          n'a pas forcément conscience, le place dans une situation délicate qui 
          lui interdit le droit à l'erreur. Cette imminence, cette instabilité 
          glissante est bien rendue par Audiard. Peut-être y a-t-il mis de lui 
          dedans, car lui aussi a été obligé de s'affranchir de l'image et du 
          poids paternel. Le film est sincère, un peu maladroit dans son acharnement 
          à souligner les choses intangibles, les ressorts psychologiques sont 
          datés et n'apportent pas de regard nouveau sur les thèmes abordés mais 
          il dégage de l'énergie, une vraie noirceur aussi.  
        2046 de Wong Kar-wai. 4*.M. Chow revient, toujours 
          hanté par son histoire d'amour aussi intense qu'avortée, 
          et doublement fantasmée, avec la belle Shu Li Zhen. Il s'installe 
          à l'Oriental Hotel, chambre 2047. De ses rencontres avec Loulou, 
          une ancienne connaissance de Singapour et la fille du tenancier de l'hôtel 
          va naître l'envie d'écrire un roman de science-fiction 
          dans lequel un train permet à ses passagers clandestins d'aller 
          en 2046. Mais cette destination ne les propulse pas dans le futur, c'est 
          une sorte d'introspection rétroactive qui leur permet de revivre, 
          éternellement, dans leurs souvenirs. L'alter ego de l'écrivain, 
          un jeune Japonais, lui, décide de retourner d'où il vient 
          et refuse de se laisser enfermer dans la douce prison de sa mémoire. 
          Son roman s'émaille et se structure selon quelques rencontres 
          marquantes qui ont constellé sa vie amoureuse. On y retrouve 
          bien sûr Shu mais sous deux " aspects ", personnalités 
          différentes : l'une sublimée, presque éthérée 
          qui renvoie à celle que l'on voyait dans In the mood for love, 
          interprètée par Maggie Cheung et l'autre, rencontre éphémère 
          à Singapour, jouée par la sublime Gong Li. Mais aussi 
          Bao, une jeune prostituée avec laquelle il va nouer une relation 
          douloureuse et stérile.  
          Wong Kar Waï a construit son film de façon complexe. Il 
          a brouillé les repères chronologiques, même si certains 
          sont récurrents comme le 24 et le 25 décembre, les personnages, 
          avec les deux Shu Li Zhen ou les femmes que l'on voit en humain et en 
          androïdes. Il ballade son personnage de M. Chow dans cet univers 
          trouble et extrêmement sensuel. Ici tout passe par les couleurs, 
          les yeux (les personnages qui regardent au travers des vitres pourtant 
          opaques de la chambre 2046), les vêtements, la musique
c'est 
          par ce biais que le metteur en scène fait passer les émotions 
          : toujours ces fameux plans de personnages qui marchent ou qui fument, 
          filmés au ralenti, plans qui donnent l'impression que l'on assiste 
          à un transit de perception : du présent vécu on 
          passe au souvenir de ce moment dans un même mouvement, ralenti 
          pour le faire entrer dans une éternité teintée 
          de mélancolie diffuse. Chacune des rencontres féminines 
          de Chow est un échec relatif. Avec Shu, relation-mère, 
          omniprésente cause de regrets infinis, avec Bao, dans un jeu 
          d'attraction-répulsion dans lequel elle tombe littéralement 
          pour son plus grand désespoir ou avec la deuxième Shu 
          à la main gauche gantée de noir, qui le sauve d'une déchéance 
          annoncée en échange d'un pacte de non-relation mutuelle. 
          Avec la fille du patron de l'hôtel c'est une autre affaire : s'il 
          y a bel et bien une attirance sexuelle entre eux, là n'est pas 
          sa finalité. Elle permettra à la jeune femme de s'opposer 
          à son père et d'aller jusqu'au bout de son idée 
          et de son amour et à Chow d'écrire un livre sur lui, le 
          libérant par-là même d'encombrants souvenirs.  
          2046 est un film qui nous donne à ressentir, viscéralement, 
          l'infini dédale des sentiments et des relations entre humains, 
          un monde dans lequel rien n'est réellement définitif, 
          où tout peut faire machine arrière à conditions 
          d'y être enclin à tous moments, de garder espoir en un 
          mieux quitte à y laisser ses illusions et à se laisser 
          envahir par la mélancolie. 
        
        DEUX SURS de Kim Jee-woon. 3*.Une salle immense et aseptisée, 
          des bruits de pas qui résonnent, une lumière blanche forte, 
          un homme en blouse blanche qui se lave les mains dans une cuvette blanche, 
          deux infirmières qui soutiennent une jeune femme
nous sommes 
          sans aucun doute dans un hôpital psychiatrique. Le médecin 
          parle à sa patiente, mutique, puis il lui demande comment tout 
          cela a-t-il commencé. Changement de décor : deux jeunes 
          filles sont conduites par leur père dans une grande maison isolée 
          dans la campagne coréenne. Cette demeure, et son jardin, aussi 
          belle de l'extérieur que glaçante à l'intérieur 
          sera le dernier lieu dans lequel nous pénétrerons. Tout 
          le reste du film nous cloître dans ses murs. Petit à petit, 
          la tension monte, la folie sourd et la terreur s'installe gentiment 
          pour ne plus nous lâcher. Les personnages ont des comportements 
          étranges : entre la belle-mère qui n'arrête pas 
          de meubler un silence qu'on lui suppose insupportable, le père 
          qui ne dit rien et qui est systématiquement loin de toutes les 
          tensions qui gangrènent progressivement sa maison, et surtout 
          les deux surs, dont l'une ne dit rien et affiche sans cesse un 
          regard apeuré et un visage presque sans expression, tenant fermement 
          la main de sa sur. On ne sait pas de qui vient la folie qui envahit 
          cet univers clos
 
          A coup de longs plans Kim Jee-woon installe son ambiance lourde et anxieuse, 
          il place le spectateur dans l'expectative permanente d'un éclatement, 
          d'un éclair d'horreur, de folie ou de violence, on ne sait pas 
          exactement, juste que c'est imminent. Puis quand il décide d'envoyer 
          une décharge dans notre épine dorsale il modifie quelque 
          peu sa façon de filmer : montage haché avec zoom monté, 
          cadrage étrange, visions furtives, musique (utilisée en 
          de rares moments), bruitages stressants
et ça marche redoutablement 
          bien, par instants c'en est même presque insoutenable. On ne sait 
          pas immédiatement le pourquoi du comment, que voit-on précisément, 
          puis peu à peu les contours se tracent, on se rend compte qu'on 
          assiste à une plongée cauchemardesque dans l'inconscient 
          d'une adolescente perturbée, puisque amputée de sa sur, 
          de sa mère et presque de son père, réduit à 
          une présence physique, même pas rassurante et encore moins 
          chaleureuse ; il est un ectoplasme, vécu par sa fille comme un 
          phantasme. La jeune fille paraît sans cesse au bord d'un gouffre 
          sans fond, elle est une boule de douleur et de pulsions macabres. La 
          maison est le théâtre de ses troubles psychiques et de 
          sa peine immense. Elle projette sa culpabilité et ses peurs sur 
          sa marâtre et s'enferme dans une folie profonde. Le metteur en 
          scène a savamment réussi à donner corps aux manifestations 
          terrifiantes de son esprit torturé, nous entraînant avec 
          elle jusqu'au bout, ne laissant aucune respiration, aucun répit. 
          En conclusion Deux surs est un film passionnant et intelligent 
          qui propose une vision de l'adolescence diamétralement opposée 
          aux clichés lénifiants et sirupeux qui l'emballent généralement. 
          Et c'est un film absolument terrifiant
 
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         EDVARD MUNCH de Peter Watkins 4* Dans 
          la Norvège conservatrice et empesée de la deuxième moitié du XIXème 
          siècle, dans une famille bourgeoise traditionaliste et protestante naît 
          Edvard Munch, au sein d'une fratrie de 5 enfants. Ce film se présente 
          comme un documentaire très personnel sur la vie du peintre norvégien. 
          Alternant des citations de ses carnets, des séquences jouées et des 
          plans magnifiques (malgré la piètre qualité des bobines visionnées) 
          de ses œuvres, il superpose les niveaux de récit en appliquant à ce 
          traitement un pendant au symbolisme utilisé par Munch pour peindre. 
          Le montage, travaillé et pensé, est comme une autre voix off qui nous 
          fait ressentir quelque chose de supplémentaire par rapport à l'image 
          brute accompagnée ou de commentaires ou du texte des acteurs. Par exemple 
          certains plans sont récurrents et Watkins les insère très souvent dans 
          son film : notamment celui dans lequel on voit une des sœurs de Munch 
          malade, en train de mourir atrocement d'une tuberculose avec à ses côtés 
          sa mère, pâle et malade elle aussi et son père, médecin impuissant à 
          la soigner. Le rappel de ces plans au cours du récit enserre chaque 
          fois un peu plus le peintre, dans une douleur intérieure, une douleur 
          qui a façonné et modelé son inspiration artistique mais dont on pressent 
          qu'elle finira par avoir le dessus sur le reste. De même que le souvenir 
          de sa relation avec (la superbe) Mme Heiger, sorte de relation mère 
          au travers de laquelle il découvre l 'amour et un de ses douloureux 
          corollaires la jalousie maladive. Des plans où on les voit tous les 
          deux, nimbés d'une lumière presque surnaturelle à force de douceur reviennent 
          régulièrement, venant dynamiter toutes ses relations postérieures en 
          imposant encore et toujours le même visage féminin. C'est donc enserré 
          par ce passé qui continue de le hanter que Munch va construire son œuvre 
          tourmentée et visionnaire, devant en plus accepter le rejet de ses contemporains, 
          l'incompréhension totale suscitée par ses tableaux et ses visions macabres 
          hautement subjectives. Son travail de créateur est une restitution, 
          à travers une grille de couleurs et de formes intimement liée à son 
          vécu et son inspiration du moment à ses impressions et ses affects, 
          de plus en plus dégagée de contraintes réalistes ou naturalistes. Les 
          scènes avec acteurs se déroulent en plusieurs strates : d'une part il 
          y a celles qui sont dialoguées, représentant des scènes de la vie du 
          peintre et chargées du regard rétrospectif que Watkins porte sur Munch 
          (sa mise en scène souligne subtilement les sentiments, l'état d'esprit 
          de Munch) ; d'autre part on distingue les scènes avec acteurs soliloquant, 
          comme celles des critiques qui s'expriment sur ses œuvres ou les petits 
          dialogues entre l'homme et la femme filmés en tronc, censés représenter 
          la bourgeoisie régnante et bien pensante, porte-étendard de valeurs 
          réactionnaires, ces deux derniers exemples dessinent le contexte social. 
          Chacune des scènes jouée de la vie de Munch est signifiante, elle apporte 
          une pierre à l'édification de son portrait-total, dans sa définition 
          globale. Le choix du metteur en scène de laisser une large place à l'improvisation 
          chez ses acteurs apporte une dimension unique à son film. On a l'impression 
          que les acteurs s'approprient littéralement les personnages, leur prêtant 
          des mots que peut-être ils n'ont pas eu mais qui construisent le film 
          avec précision et netteté dans une logique d'ensemble cohérente. Le 
          peintre maudit, en lutte contre lui-même et la société bourgeoise du 
          XIXème et début du XXème siècles, à l'œuvre bouleversante et touchante 
          méritait ce grand film.  
        ELEPHANT de Gus van Sant. 2*. Tape à l'oeil, armes à 
          feu, steadicam et Ludwig van...on dirait le titre d'une énième 
          resucée sous-tarantinesque. Et bien non, il s'agit de la " 
          recette " du dernier van Sant. Certes le film ne se réduit 
          pas à ça, il est plus riche et complexe mais, comment 
          dire, plus vain. Voilà le mot est lâché. Qu'a-t-il 
          bien voulu nous dire ? Du carnage de Colombine il n'a gardé qu'une 
          filiation d'apparence. Si le film peut se présenter comme une 
          reconstruction (avec jeu sur le temps et les lieux) plus qu'une reconstitution 
          de ce fait divers, tout aspect humain semble en avoir été 
          chassé. Pas de sentiments, pas de chaleur, rien. Ce film est 
          réfrigérant. Les personnages ne sont que décoratifs 
          et utilitaires, ils servent uniquement le metteur en scène, ils 
          sont les instruments mono-dimensionnels qui étayent son propos. 
          Au même titre que le lycée (lieu vivant, grouillant en 
          temps normal): réduit à une succession figée de 
          couloirs et de salles, à son état matériel de bâtiment, 
          à tel point que le moindre mouvement en son sein ne semble exister 
          que pour souligner l'immuable immobilité de ses murs. Les dialogues 
          sont strictement informatifs voire meublant... 
          Van Sant se désintéresse du contenu à proprement 
          parler. La fonction de ce dernier est de lui permettre d'enquiller un 
          nombre pléthorique de plans séquences en travelling (dont 
          un bon paquet en steadi je pense), chacun d'eux suivant un des lycéens. 
          Les premières 70 minutes ne montrent quasiment que le laps de 
          5/10 minutes qui précède la boucherie, mais à chaque 
          fois avec un point de vue différent. D'où certaines scènes 
          que l'on revoit 3 fois. L'idée est bonne, distendre le temps, 
          l'étirer au maximum mais ici elle tourne au procédé 
          mécanique. La mise en scène, éblouissante dans 
          les vingt premières minutes devient un poids. Le réalisateur, 
          à tant vouloir nous en mettre plein la vue lasse avec ses redites 
          stylistiques. La tension qui naît immanquablement, car on connaît 
          la fin de l'histoire, monte crescendo et à cet effet il modifie 
          ses interminables P/S en brouillant peu à peu l'arrière 
          plan (la mise au point n'est faite que sur le personnage suivi). Ce 
          travail sur la netteté de l'image culmine avec un long plan fixe 
          au milieu d'un chaos apocalyptique (assez réjouissant d'ailleurs, 
          il renvoie un peu à l'ouverture de L'homme des hautes plaines, 
          de Clint Eastwood) qui est totalement flou au départ, la mise 
          au point ne se faisant qu'à la toute fin, quand le personnage 
          occupe les trois quart de l'écran. 
          En résumé, Elephant n'est pas un mauvais film et van Sant 
          un excellent technicien mais tout reste trop à la surface pour 
          emballer réellement. Son film souffre d'un aspect arty énervant 
          et son racolage virtuose le fait un peu sombrer. De plus les quelques 
          recours à Beethoven ne s'imposaient absolument pas, surtout ces 
          extraits-là. 
        ESPACE DETENTE de Bruno Solo et 
          Yvan le Bolloc'h. 1*. Toute l'équipe des sketches de Caméra café est 
          au complet pour ce premier (et espérons-le, dernier) long métrage. L'histoire-prétexte 
          est digne d'une sitcom bas de gamme, tellement d'ailleurs que ça ne 
          vaut pas le coup d'en parler. Si la série se faisait fort de montrer 
          du doigt les mesquineries, les bassesses, la sottise régnant au sein 
          de l'entreprise, et plus généralement chez les gens, le film se pose 
          là pour boursoufler cette saine croisade. Car faire vivre des caricatures 
          durant deux minutes a un sens quand on cherche la satire, mais 90 minutes 
          c'est autre chose. Sans épaisseur, les ectoplasmes se dépatouillent 
          comme ils peuvent avec le matériau délétère que les auteurs leur ont 
          donné à rogner. Le film peut même prendre un sens légèrement différent 
          ; ne frôlerait-on pas le jeanyannisme* par instants ? Bolloc'h et Solo 
          s'en prennent à un thème très à la mode, un fourre-tout idéologique 
          dans lequel bien souvent on met tout et n'importe quoi : la mondialisation, 
          représentée ici par la délocalisation de la production à Taiwan. La 
          menace prend les traits d'un cadre sadique, malade mental et escroc. 
          Qui donc de ce requin ou des employés crétins de Geugène (c'est le nom 
          de l'entreprise, inventeuse de la Gégène) aura gain de cause ? A mettre 
          tout le monde dans le même sac, il ressort du film un sombre constat 
          : dans ce duel de cons, finalement ce qui est bien, c'est que c'est 
          les bons cons de chez nous qui gagnent, car un con local vaut mieux 
          qu'un autre. Toutefois retrouver ce microcosme sinistré reste un plaisir, 
          mais on se situe là dans de l'immédiat absolu, une seconde après il 
          ne reste aucune trace. Quelques éclats de rire ici et là mais un rire 
          un tantinet gêné, honteux un peu comme de prendre du plaisir à se saouler 
          avec une bouteille de château-la-picrate en se retapissant la paroi 
          intestinale de sa texture soyeuse qui évoque pour les plus perspicaces 
          un acide de batterie du meilleur millésime. Ne cherchez pas la trace 
          d'une ossature autour de laquelle la comédie se déroule, j'ai regardé 
          et je n'ai rien vu de semblable. Pas de rythme, pas de structure, pas 
          de substance, pas de discours autre que ce qu'on pourrait trouver dans 
          les pages société du Chasseur français. C'est un peu coupable donc que 
          j'avoue que le film m'a fait rire…mais je voue un culte secret à Jean-Claude 
          Convenant, un équivalent hexagonal à l'inénarrable Homer Simpson. * 
          jeanyannisme : subtil mélange de j'en foutisme, de poujadisme plus ou 
          moins light et de nihilisme démago que l'on retrouvait dans les brûlots 
          de Jean Yanne tels Tout le monde il est gentil…, Les Chinois à Paris, 
          Moi y'en a vouloir des sous ou Chobizenesse.  
        ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND de Michel Gondry. 3*. 
          Une histoire sans fin (définitive). Joel est un quadra célibataire 
          et introverti qui un beau jour, lors d'un barbecue avec des amis sur 
          une plage, rencontre Clementine, une femme un peu azimutée, impulsive 
          et pathologiquement versatile. Les deux tourtereaux sont en manque flagrant 
          d'amour, leur liaison de complicité fusionnelle va lentement 
          évoluer vers une incompatibilité caractérielle, 
          un rejet réciproque de l'autre pour finalement non pas prendre 
          fin mais disparaître, effacée de la mémoire des 
          deux personnages. Ainsi vide de ces souvenirs douloureux, Joel et Clementine 
          vont pouvoir à nouveau se rencontrer, sur la même plage 
          où ils s'étaient déjà trouvés.  
          Le film se présente comme une succession, sans ordre chronologique, 
          de scènes de la vie des deux personnages, les repères 
          étant la couleur des cheveux de Clementine (orange, bleu, vert). 
          Loin de troubler la compréhension du récit, ce parti pris 
          non seulement se justifie par la suite de l'histoire avec l'effacement 
          de la mémoire de Joel mais aussi il autorise au spectateur une 
          vision alternative des protagonistes et des évènements, 
          permettant de les mettre en perspective avec leurs conséquences. 
          Ce lavage de mémoire prend la forme d'un trip mental dans lequel 
          les protagonistes agissent et tentent d'intervenir pour en changer l'issue. 
          Ca donne lieu à quelques idées visuelles intéressantes 
          comme les personnages qui se dématérialisent en cascade, 
          où encore Joel qui essaye de cacher des traces de cette liaison 
          dans ses souvenirs d'enfance, réalisant qu'il ne veut pas oublier 
          tout. En fait ce qu'il veut c'est n'en garder que les bons moments, 
          idéaliser a posteriori cette passade, accélérer 
          en quelque sorte le travail du temps. Le discours de l'auteur est assez 
          clair dans ce sens : la mémoire est constitutive des individus, 
          indispensable puisqu'elle joue un rôle actif dans leur vie. Les 
          souvenirs communs n'appartiennent pas à chacun des deux mais 
          aux deux à la fois. Ainsi l'effacer est une amputation. Là 
          où ça s'englue un poil, c'est dans son aspect histoire 
          d'amour éternelle, c'est naïf comme tout. Une fois lessivés 
          les deux ex se re-rencontrent comme si rien n'avait été. 
          Et les revoilà se rengageant dans une histoire commune. Bof ! 
          Mais ne soyons pas trop tatillons, le côté ludique de la 
          mise en scène et du scénario fait tout passer. Carrey 
          donne une interprétation profonde de son personnage et Kate Winslet 
          est comme à son habitude excellente. Une uvre intelligente, 
          qui arbore un côté bricolage amusant. 
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         FAHRENHEIT 9/11 de Michael Moore. 1*. Le film 
          s'ouvre sur une séquence amusante qu'on pourrait résumer 
          par " Et si le président de la plus grande démocratie 
          du monde avait été élu par des moyens frauduleux 
          au nez de 230 millions d'Américains, et qu'aucun n'y trouve quoique 
          ce soit à y redire
 ". Le montage est ludique, alternant 
          images d'archive, interview d'officiels et commentaires personnels acides 
          garants d'une efficacité optimale. On enchaîne ensuite 
          sur les liens de la famille Bush, gros industriels du pétrole 
          au Texas avec les Binladen, leurs homologues Saoudiens : pour les non-avertis, 
          on frôle l'écoeurement. Enfin on en arrive à la 
          pierre angulaire du film, la guerre insensée que les US ont lancée 
          contre Saddam Hussein sous des prétextes aussi fallacieux qu'ils 
          étaient faciles à contrecarrer. Les gendarmes du monde 
          ont ainsi enterré un pays qu'ils avaient déjà vidé 
          de son sang par 10 ans d'embargo (et près d'un million de morts). 
          La première partie du film s'achève. On embraye après 
          cela sur une deuxième partie beaucoup moins convaincante, voire 
          discutable. Plus de faits, ici c'est le " côté humain 
          " que Moore a voulu mettre en avant, en suivant la douleur de la 
          mère d'un soldat tué en Irak. D'un coup on se prend à 
          penser que le mécanisme jusqu'ici bien huilé de cette 
          machine à dénoncer est grippé, que Moore en voulant 
          convaincre à tout prix s'est simplement planté. Que viennent 
          faire ces séquences boul'd'hum* rédhibitoires dans un 
          pamphlet qui se tenait à peu près ?  
          C'est ça le hic avec ce film et fondamentalement dans tous les 
          docus de Moore : il est près à toutes les bassesses pour 
          défendre son point de vue, aussi généreux et sensé 
          soit-il. Si ce procédé grossier pouvait passer dans ses 
          précédents opus, ici il est bloquant. En plus de casser 
          le rythme (excellent pendant la première heure), il donne un 
          aspect putassier à son pensum. Au plus fort de ces moments qui 
          fleurent bon la charogne, on se prend à rêver au superbe 
          film de William Karel, Le monde selon Bush, sur le même thème. 
          Là où Karel ne donnait que des faits, appuyés par 
          des témoignages à propos, Moore veut faire marcher la 
          machine à larmichettes faciles. Pour le coup l'efficacité 
          si recherchée disparaît. Et puis dans l'absolu, son docu 
          n'est pas critique du tout envers un point important, me semble-t-il, 
          de l'histoire : le patriotisme à tout crin des millions d'Américains, 
          porte ouverte à toutes les manipulations retorses. L'administration 
          Bush s'en est d'ailleurs tellement servie qu'on croirait qu'elle l'a 
          inventé. On peut sans excès imaginer que ce film, en surfant 
          sur les mêmes procédés, devrait être un succès 
          important au box office US. C'est du prosélytisme de masse, plus 
          du documentaire rigoureux.  
          Me reste à espérer que c'est juste un coup pour rien (avec 
          usurpation de la palme d'or 2004) et pas un avant-goût de ce que 
          Moore fera désormais.*Boul'd'hum : expression signifiant " 
          bouleversant d'humanité" 
        FAUX AMIS de Harold Ramis 
          3*. Wichita - Kansas. Vic, un businessman marron et Charlie, un avocat 
          idem arnaque 2 millions de dollars et des brouettes le soir de noël 
          au patron de ce dernier, un redoutable caïd. Le plan si huilé dérape 
          immanquablement. Ce qui est appréciable dans ce film au scénario conventionnel, 
          au-delà des retournements inhérents au genre c'est le personnage de 
          Charlie. Un truand sympathique, loser lunaire et naïf qui s'est engagé 
          dans son casse avec l'espoir inouï de s'en sortir vivant et de quitter 
          riche le bourg. Car mis à part lui, peu sont sympathiques : son associé 
          qui sent le coup fourré à 10 lieues, la sulfureuse patronne de la boîte 
          de strip tease avec qui Charlie nourrit l'espoir de partir, son copain 
          de lycée un lourdingue XXL, son ex-femme une pisse vinaigre jusqu'au 
          tueur envoyé pour récupérer le pognon…bref aucun de ces échantillons 
          d'humanité n'inspire confiance. Pourtant il va slalomer entre toutes 
          ces embûches potentielles, sans jamais refuser le contact avec elles. 
          Et sa tentative d'évitement de la loi de l'emmerdement maximum sans 
          se départir de son fond de gentillesse devient son petit chemin de croix. 
          Son casse, si brillant et facile sur le papier et si facilement réalisé 
          va l'entraîner de surprises en surprises, lui faire frôler plusieurs 
          fois la mort et la lui faire donner indirectement (jamais directement) 
          aussi, le blessant intérieurement mais pas suffisamment pour lui faire 
          renoncer à son but initial, la raison pour laquelle il a voulu ça : 
          partir. A force d'acharnement et de refus de nier ce qu'il est réellement 
          et aussi improbable que cela puisse paraître, Charlie l'avocat marron 
          réussira dans son entreprise et déguerpira accompagné de son ami d'enfance, 
          le balourd qui lui avait piqué sa femme. Faux amis est un bon film noir 
          assez décontracté, très bien mis en scène et interprété brillamment 
          par John Cusack. Très réussi.  
        LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME de Hong Sang-Soo. 
          4*. De retour des Etats-Unis après des études de cinéma 
          Hunjoon retrouve son ami Munho, un prof d'arts plastiques. Le premier 
          est fauché, rêveur et veut se lancer dans l'écriture 
          d'un scénario, le second, marié et père de famille 
          n'attend que sa titularisation. Ils déjeunent ensemble, ressassent 
          leurs souvenirs et s'enivrent. De tendues, leurs retrouvailles prennent 
          une autre tournure, l'agressivité sentie au départ laissant 
          place à de la camaraderie de bouteille, éthérée, 
          les propos échangés évoluent de plus en plus vers 
          une connaissance commune, une jeune femme dont tous deux ont été 
          l'amant, successivement, la fluette Sunwha. Au plus fort de leur cuite, 
          ils décident de se rendre dans la banlieue de Séoul où 
          elle travaille comme serveuse dans un bar, et lui faire la surprise 
          de leur venue. Ils passent tous les trois une soirée irriguée
 
          En dix secondes Hong Sang-Soo arrive à installer la tension qui 
          semble régir les rapports entre les deux amis : reçu dans 
          la rue, en face de la maison de Munho, Hunjoon fait figure d'intrus 
          presque, un pan du passé de Munho qui ne peut pas rentrer dans 
          sa vie actuelle telle qu'il se l'ait construite. Il y a du ressentiment, 
          un poids intangible qui assombrit cette scène qui devrait être 
          joyeuse, doublé d'une sorte de jalousie, de rivalité de 
          la part de Munho, qui reproche à Hunjoon des griefs que leur 
          amitié aurait du prescrire. Le metteur en scène en profite 
          pour glisser quelques flash-back, montrant tour à tour les deux 
          hommes avec la jeune femme. Le premier qui l'a plaqué avant de 
          partir aux US, le second qui a en profité pour se rapprocher 
          d'elle, de façon éphémère. Pour elle, le 
          départ de Hunjoon fut une grande douleur : tous les trois vivent 
          encore dans le souvenir de leur inter-relation, à différents 
          degrés. Hong les filme avec une grande légèreté, 
          une bonne dose d'humour un peu mélancolique et par instants féroce. 
          La façon dont se termine leur soirée est à ce titre 
          marquante : Munho tombe sur des étudiants à lui et va 
          manger avec eux pour finalement aller à l'hôtel avec l'une 
          d'elles, Hunjoon fait une crise de jalousie à Sunwha
bref, 
          à la fin chacun se retrouve seul. " La femme
 " 
          est un film magnifique, qui nous donne à ressentir beaucoup en 
          nous montrant peu. Les relations sont vues à travers des gestes 
          quotidiens, des discussions qui ont l'air anodin, tous ces " rites 
          " sont montrés également, sans distinction de traitement 
          : il n'y a aucune sublimation, aucun lyrisme. Il ressort de ce dépouillement 
          formel une vérité prenante, on touche presque à 
          l'épure. Un grand moment. 
        
        LA FILLE DU JUGE de William Karel 
          1*. Clémence Boulouque, fille du juge antiterroriste du même nom raconte 
          aux spectateurs les souvenirs qu'il lui reste de son père avant qu'il 
          ne se donne la mort en 1990. Alternant les souvenirs de leur vie privée 
          avec les affaires publiques dont son père avait la charge et qui le 
          mettaient par là-même sur le devant de la scène médiatique elle tente 
          de dresser un portrait, éminemment subjectif du bonhomme. Et puis voilà. 
          Certes l'entreprise est louable ou du moins compréhensible. Mais elle 
          se limite à ça, à ce regard de l'intérieur qui plus est d'un enfant, 
          soulignant les répercussions personnelles que peuvent avoir des évènements 
          publics, des " attaques " (comme le juge en a subi)…bref comment le 
          public vient perturber la sphère du privé. Je suis bien d'accord avec 
          toi Clémence mais comme je l'objectais l'autre fois à George Clooney, 
          était-ce la peine d'en faire un film ? Le mélange films de vacances 
          tournés à la super 8 avec commentaires, écrits par la donzelle, redondants 
          même si sincères c'est trop pour moi. Ce film est un journal intime 
          qui se limite trop à une somme d'émotions dévoilées, de sensations, 
          un travail impressionniste qui finalement s'étouffe dans ce qu'il ne 
          sort pas un peu de son sujet direct. Le passage du livre au film aurait 
          pourtant pu donner lieu à une distanciation bénéfique… Lassant.  
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         GERRY de Gus van Sant. 1*. Deux amis roulent 
          en voiture au milieu de la Death Valley. Ils se garent et se rendent 
          à pieds, chacun une bière en poche, à un probable 
          point de vue panoramique sur la vallée. Ils marchent et se perdent 
          dans l'immensité tranquille et terrifiante de ce désert 
          où alternent dunes, montagnes et étendues sableuses à 
          perte de vue. 
          Voilà pour la trame. Gerry n'est ni un film de scénario 
          (écrit par les deux acteurs et van Sant), ni d'acteurs (Matt 
          Damon et Casey Affleck se contentent de prêter un corps à 
          leurs personnages ectoplasmiques), ni de dialogues, très limités. 
          Il s'agit plutôt d'un film conceptuel, un exercice de style où 
          la mise en scène, aidée par la musique envoutante et hypnotique 
          de Arvo Pärt, écrase tout le reste. C'est un film expéri-mental 
          dont la forme dépouillée et construite d'interminables 
          plans-séquence (qui annoncent leur foisonnance dans son futur 
          film Elephant ; redite stylistique ?) à la beauté stupéfiante 
          nous invite à une contemplation languissante et méditative. 
          Le hic c'est le sujet de cette méditation imposée. Je 
          ne l'ai pas trouvé. D'accord les deux copains sont perdus dans 
          un désert hostile. D'accord leurs relations se font de plus en 
          plus ténues pour finir dans un côte à côte 
          silencieux. Ils marchent pour ne pas s'arrêter, ce serait un ultime 
          renoncement, une mort aussi lente que certaine. Le sujet est alors peut-être 
          la valeur de la vie humaine, l'importance qu'on peut y accorder soi-même
bof 
          ! L'image que je garderai de Gerry est celle d'un film arty au discours 
          hermétique, assez prétentieux mais qu'on ne peut lâcher 
          du regard malgré sa lenteur. Etrange. 
        GOODBYE, DRAGON INN 
          de Tsai Ming-Liang. 3*. Une vieille salle de cinéma à 
          Taipei. C'est la dernière séance, il passe L'auberge du 
          dragon*. Seuls quelques personnes sont présentes. L'ouvreuse, 
          une jeune femme boiteuse, le projectionniste, un fumeur invétéré 
          et une poignée de clients, dont deux ressemblent à s'y 
          méprendre aux héros du film projeté, une prostituée 
          qui grignote bruyamment des oléagineux, un japonais homosexuel 
          qui tente de draguer le projectionniste et un enfant
une micro 
          humanité en somme. La séance se passe, le cinéma 
          ferme, le tout sous une pluie battante.  
          Tsai Ming Liang filme à coup de plans très longs et fixes 
          ces personnages. On suit ainsi l'ouvreuse, qui une fois le film lancé 
          se promène dans les couloirs sombres, étroits et envahis 
          de cartons du cinéma, cherchant timidement à aborder le 
          projectionniste, jamais là où elle s'attend à le 
          trouver, peut-être la fuyant (quand elle est dans la cabine, une 
          cigarette fume, indiquant son départ récent pour
fumer 
          une cigarette dans un couloir). On se doute que ces deux-là travaillent 
          ensemble depuis quelques années, mais jamais apparemment elle 
          ne réussit à l'aborder franchement. Le metteur en scène 
          nous donne à ressentir comme une tension érotique, encore 
          accentuée par le pas lent et bruyant de l'ouvreuse, que l'on 
          entend arriver avant de la voir. Cette lenteur, presque languissante 
          semble faire partie des murs du bâtiment, de la salle aux fauteuils 
          rouge sombre, aux couloirs. Le spectateur japonais, élément 
          comique du tableau, n'arrête pas de changer de place ne trouvant 
          nulle part le calme nécessaire. Il sort un instant, fumer une 
          cigarette, et demande du feu au projectionniste qu'il croise là 
          : cette scène est marrante, car le second fume tranquillement 
          adossé à une grosse pile de cartons, ne laissant devant 
          lui qu'un très étroit couloir pour un passage éventuel. 
          Le Japonais lui, tente, plutôt que de prendre un autre chemin, 
          de " forcer " le passage, leurs corps se plus que touchant, 
          il approche aussi son visage du sien comme pour l'embrasser. Sinon on 
          a les deux personnes qui ressemblent à s'y méprendre aux 
          acteurs de Dragon Inn, et qui ne se rencontrent qu'après la fin 
          de la séance, dehors. L'un pleurait pendant la projection, devant 
          les combats homériques de Hu. Ils apportent une nostalgie triste 
          au film. Voir cet homme pleurer devant son passé, exposé 
          à la vue de tous, à quelque chose de touchant, presque 
          d'angoissant, surtout qu'il garde un visage impassible. Tous deux ramènent 
          le présent vers un passé, pas forcément glorieux 
          ni meilleur, mais ils donnent un sentiment de mélancolie, celle 
          d'une période qui prend fin. La jeune femme qui passe son temps 
          à manger du bout des dents et qui est avachi sur son fauteuil, 
          est un élément de la bande son : ses cassages de coquille 
          cadencés finissent par s'intégrer, au même titre 
          que le ronronnement du projecteur, que le pas claudiquant de l'ouvreuse, 
          que le film projeté ou que la pluie qui tombe en trombes à 
          l'extérieur au monde sonore du cinéma. Tsai Ming Liang 
          a réussi un film quasiment muet (5 ou 6 lignes de dialogue pas 
          plus), sans musique qui ne sombre jamais dans la nostalgie aveugle, 
          dans lequel les sentiments ne sont pas exprimés et semblent condamnés 
          à rester sous-jacents. Un beau film. 
        
        
        
        
        
        
         
          * Dragon Inn : film de 1966, réalisé par un petit maître, 
          King Hu, cinéaste né en Chine populaire qui tourna ses 
          films entre Taïwan et Hong Kong. Il fut l'instigateur d'un renouveau 
          du wu xia pan, un genre qui mélange arts martiaux et combats 
          au sabre, en y introduisant un côté fantastique (sauts 
          aériens disproportionnés, chorégraphies martiales 
          millimétrées
). Ang Lee pour son Tigre et dragon 
          s'en inspira profondément. Dragon Inn fait partie d'une tétralogie 
          dite des films d'auberge (lieu central de l'action). 
        
        GOTHIKA de Mathieu Kassovitz. 1* . Une JJP (Jeune 
          et Jolie Psy, stéréotype très courant dans les 
          thrillers US) se retrouve du jour au lendemain de l'autre côté 
          d'une cellule capitonnée, accusée du meurtre horrible 
          de son directeur de mari. " Ce n'est pas possible, ce n'est pas 
          moi
 !!! " crie-t-elle à la face incrédule et 
          circonspecte de ses ex-collègues qui la regardent désormais 
          avec une méfiance à peine contenue. Parallèlement 
          à ses tentatives, vaines on s'en doute, de convaincre les autres 
          qu'elle n'est pas passée sur la tranche, elle a des hallucinations 
          : sous ses yeux effrayés apparaissent des fantômes de jeunes 
          femmes assassinées qui la terrorisent, la tabassent un poil et 
          la guident vers la solution à cette énigme ampoulée. 
          La vérité : son mari était un salopard de pervers 
          meurtrier qui, avec un complice, rassurez-vous ce dernier se fait zigouiller 
          10 minutes avant la fin, filmaient le meurtre des donzelles dans sa 
          cave. Le pot aux roses est dévoilé, tout rentre dans l'ordre, 
          youpi tralala. 
          Le scénario, signé Sebastian Gutierrez (auteur/réalisateur 
          de Judas Kiss, polarillon de seconde zone), est un mauvais mélange 
          de tout un salmigondis de références assemblées 
          à la va comme je te pousse, prétexte à une performance 
          assez physique de son actrice principale sur le visage de laquelle passe 
          en 90 minutes la palette entière des expressions que se doit 
          de posséder toute actrice qui aurait des prétentions oscarières. 
          La mise en scène ne permet guère de relever ça, 
          elle ne décolle jamais. Certes le filmage est propre mais très 
          impersonnel, c'est un boulot carré de tâcheron lambda, 
          pas un film de Kasssovitz, jadis talent prometteur. La musique ne souligne 
          pas les choses, elle les stabilote violemment ayant un peu trop tendance 
          à tomber dans le tonitruant le plus assourdissant (elle est composée 
          par John Ottman, compositeur/monteur de Usual Suspects et metteur en 
          scène du bergmanien Urban Legend 2). Seules quelques scènes 
          foutent vraiment les jetons, mais cette peur ne repose que sur la surprise, 
          il n'y a pas de recherche sur l'ambiance, très convenue. En résumé, 
          ce n'est pas nul mais c'est quelconque, c'est un produit de série 
          anonyme qui ne mérite d'être vu que pour cette poignée 
          de scènes flippantes (très flippantes devrai-je dire). 
          En espérant que le prochain sera mieux
 
        
        
        GOZU de Takashi Miike. 3*. Ozaki un yakusa, suite 
          à des comportements étranges répétés 
          est envoyé par son patron avec Minami son aniki dans la casse 
          des yakusas à Nagoya. Mais suite à l'un de ses pétages 
          de plomb rituels Ozaki meurt. Pendant que son aniki prévient 
          le big boss de Tokyo, il se volatilise. Seul à Nagoya, Minami 
          va tenter de le retrouver. Dans sa recherche il va tomber sur un bar 
          aux patrons et aux clients étranges, un couple d'aubergistes 
          insistants, une jeune femme énigmatique et tout une tripotée 
          de bizarreries.  
          Sur un rythme très lent, voire trop par moments, Miike suit les 
          déboires de son personnage dans la ville de Nagoya, montrée 
          comme un asile psychiatrique géant peuplé d'êtres 
          fantomatiques aux motivations troubles. Car séparé de 
          son mentor, Minami est perdu : leur relation dépassait le simple 
          cadre d'une relation professionnelle, pour entrer dans la sphère 
          des liens familiaux doublée d'une forte attirance sexuelle qui 
          va de l'exposition des génitoires dans la voiture jusqu'à 
          l'hallucinante scène de dépucelage monstrueux avec masturbation/pénétration/accouchement 
          de la fin, cristallisant la complexité des liens/pulsions qui 
          les unissent. Le remplacement de Ozaki par une jeune femme est à 
          ce titre explicite car cela permet à Minami, encore puceau et 
          évoluant dans un milieu viril et violent qui dénie l'homosexualité, 
          de se laisser aller à ses fantasmes : elle est jeune et belle 
          mais c'est aussi son patron (dont il entend la voix qui s'échappe 
          du sexe de la femme), elle est à la fois homme et femme ; son 
          honneur de yakusa est sauf. L'accouchement représentant probablement 
          l'acceptation de sa sexualité par Minami. Le barman travesti, 
          les deux aubergistes, qui sont frère et sur mais qui entretiennent 
          une relation sadomasochiste ainsi que le dégoût que provoquent 
          chez Minami la sur et ses éjaculations lactées (une 
          image érotisée de la mère en quelque sorte) prolixes, 
          l'homme de main du vieux boss yakusa de Nagoya avec son visage scindé 
          en deux (un côté qu'il cache, l'autre qu'il expose) et 
          même son grand patron de Tokyo qui pour avoir une relation sexuelle 
          doit utiliser des accessoires (la louche a un usage qu'on ne lui connaissait 
          pas)
bref, ce sont autant de détails qui font prendre conscience 
          peu à peu du but de la quête du jeune yakusa. Au final, 
          Gozu est un film à la forme très osée, aux outrances 
          visuelles assumées et réjouissantes, une preuve supplémentaire 
          du talent protéiforme de Miike. Inoubliable 
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         INFERNAL AFFAIRS de Andrew Lau et Alan Mak 3* 
        Yan est un flic infiltré dans une bande de trafiquants de drogue 
          à Hong-Kong. Ming/Lau est un truand infiltré dans la police. 
          Deux taupes, deux troubles et doubles jeux. Aucun d'eux ne peut être 
          celui qu'il est, ils jouent sans cesse, un jeu de mort, surfant à 
          la frontière de la schizophrénie. Sans repères 
          fixes, ils sont en perdition, n'étant même plus sûrs 
          de leur véritable identité. Las de cette confusion, ils 
          aspirent à mettre un terme à cette dangereuse mascarade. 
          Rarement le thème du double (et du double négatif) fut 
          traité de manière aussi précise. Entre Yan, que 
          ces dix années de clandestinité ont rongé et Ming/Lau 
          qui désire devenir réellement flic il n'y a pas un fossé. 
          Dans le fond peu de choses les séparent, une ligne peut-être 
          mais qu'elle est-elle cette ligne ? De plus ce masque qu'ils ont endossé 
          a fini par agir sur eux, par déteindre comme s'ils avaient absorbé 
          et intégré des éléments de leurs rôles- 
          Aux yeux de tous ils sont ce qu'ils ne sont pas. Le réalisateur 
          exploite remarquablement cette confusion, par exemple lorsque les policiers 
          tentent d'appréhender en flagrant délit les trafiquants. 
          Le spectateur est amené à suivre l'action des deux côtés, 
          chacune des taupes étant présente, Yan communiquant par 
          morse pour donner en temps réel les informations cruciales sur 
          le lieu de l'échange, Ming désamorçant les stratégies 
          mises au point pour les arrêter au moyen de SMS. La tension va 
          crescendo, donnant au film une atmosphère lourde et suffocante, 
          plaçant le spectateur dans l'expectative d'une issue incertaine. 
          Les traditionnels Colt 45 ont été remplacé par 
          des téléphones cellulaires et les gun-fights par des communications. 
          On retrouve par contre une utilisation du temps qui passe un peu similaire 
          à celle que l'on trouvait dans des polars tels The big heat (de 
          Johnnie To), City of Fire (de Ringo Lam) ou The killer (de John Woo)-trois 
          références du polar HK- : quand il ne se passe rien c'est 
          que les choses se préparent et bien souvent cette inertie, relative, 
          produit une anxiété sourde. On peut même presque 
          trouver à ce film un côté sensuel tant les yeux 
          par le biais des regards, les oreilles et le toucher prennent une place 
          importante.  
          Bref, dégraissé de ses stigmates de film commercial HK, 
          mélodies sirupeuses voire carrément loukoums, historiettes 
          d'amour ridicules (avec la psy et le flic ou celle du truand avec sa 
          copine qui cherche à écrire un roman) le film en eut gagné 
          en sécheresse, ce qui avouons-le ne l'aurait pas desservi. Mais 
          le résultat est plus que convaincant, il s'agit sans nul doute 
          d'un très bon film, qui évite tout manichéisme 
          et qui préfère au blanc et au noir un gris bleuté 
          et froid.  
        INNOCENCE de Lucile Hadzihalilovic. 
          3*. Perdu au milieu d'une forêt lugubre, une sorte de pensionnat recueille 
          des jeunes filles âgées de 5/6 ans. Elles arrivent dans les lieux à 
          bord d'un cercueil, ouvert en présence de leurs camarades de " caste 
          ", elles sont ensuite vêtues comme des petites filles modèles (genre 
          fantasme japonais : soquettes blanches, mini jupe plissée et couettes). 
          Qu'y font-elles ? Elles apprennent une forme d'autorité qui repose sur 
          le respect d'une hiérarchie liée à l'âge, à chaque tranche d'âge passée 
          on remet aux jeunes filles un ruban à cheveux d'une couleur différente, 
          et d'un règlement oppressant, elles étudient aussi la biologie (métamorphose 
          et reproduction des papillons…) et apprennent à danser. Seulement encadrées 
          par des femmes, la prof de danse qui en permanence paraît être sur le 
          point de craquer nerveusement et la prof de biologie, une jeune femme 
          boiteuse à l'allure stricte. Les aînées donnent de plus, une fois la 
          nuit tombée, dans une salle " secrète " des spectacles de danse dans 
          lesquels les spectateurs restent dans l'ombre et jettent des fleurs 
          à celles qui leur plaisent le plus. Une fois par an, la directrice du 
          pensionnat passe dans l'école et sélectionne l'une des jeunes filles 
          après l'avoir regardée danser et inspecté sous toutes les coutures. 
          Puis lorsqu'elles atteignent une douzaine d'années, en fait lorsqu'elles 
          sont réglées elles quittent le lieu sinistre et sont accompagnées à 
          travers un dédale de couloirs souterrains sombres et glauques dans un 
          train (fantôme ?) qui les mène dans une ville où elles sont " lâchées 
          ". Il ne fait nul doute que le propos de la réalisatrice est acerbe, 
          mais elle utilise pour cela un symbolisme parfois pesant. Certes on 
          comprend rapidement que tout est fait pour que ces filles deviennent 
          des épouses modèle, bonnes ménagères, bonnes pondeuses et soucieuses 
          de conserver une apparence physique et une " grâce " attrayantes. Les 
          couper ainsi du monde extérieur permet aussi de faire fi de toute attirance, 
          tentation envers l'autre sexe, singulièrement absent du film. On imagine 
          alors sans mal, sur la foi de ce qui nous est donné à voir, que le premier 
          homme qui viendra les aborder sera le bon, celui pour lequel elles renonceront, 
          mais en auront-elles seulement profité une fois, à toute velléité d'indépendance, 
          un abandon du libre arbitre en somme. Mais voilà, malgré toutes les 
          restrictions liées à leur passage dans ce lieu mortifère, le désir est 
          bien là, loin d'être étouffé et se manifeste autrement, entre elles. 
          Elles font la découverte des changements qui les attendent au contact 
          de leurs aînées. Ce qui ressort de cette symbolisation du passage à 
          la maturité, pris au sens biologique du terme (à savoir à la possibilité 
          physiologique de donner naissance à une descendance) est assez lourd. 
          La réalisatrice insiste beaucoup là-dessus. Ce qui est bien plus intéressant 
          c'est l'atmosphère qu'elle arrive à rendre : un sentiment d'écrasement 
          diffus, de totalitarisme abstrait, un peu comme une représentation du 
          poids du machisme dans une culture française axée sur l'épanouissement 
          masculin, donc sur la perpétuation du nom (triomphe absolu de l'image 
          du père). L'image est extrêmement travaillée, elle participe pour beaucoup 
          au symbolisme du propos, grâce à elle Hadzihalilovic arrive à transmettre 
          quelque chose de l'angoisse (actuelle ?) de devenir une femme. La sensation 
          d'enfermement est renforcée encore par la topologie et l'apparence des 
          lieux : la longue allée forestière éclairée, la hauteur de plafond dans 
          les salles, les bruits de grincements, la froideur incroyable des plans, 
          les couloirs souterrains humides tous identiques et labyrinthiques, 
          silencieux et sombres, la musique (les extrait de Janacek diffusés pendant 
          les spectacles de danse ambigus), l'ombre pesante de la pédophilie…à 
          ce sujet elle entretient des zones mystérieuses ; le devenir des filles 
          choisies par la directrice après son inspection malsaine, la raison 
          de la présence des spectateurs anonymes aux " galas " nocturnes…bref, 
          autant d'indices de la réalité de ce qui attend ces jeunettes au sortir 
          de l'enceinte confinée et viciée de l'institution. La scène finale donne 
          à réfléchir : on y voit l'une des jeunes filles sorties pataugeant dans 
          une fontaine publique sur une place fréquentée, faire de l'œil à un 
          garçon, d'au moins 5 ou 6 ans son aîné et prenant entre ses mains le 
          puissant jet d'eau, comme s'il s'était agi d'un phallus gigantesque…En 
          résumé, Innocence est un film envoûtant, dérangeant, personnel mais 
          un peu insistant.  
        
        INSIDE JOB de Nicolas Winding Refn. 3*. Harry Caine est vigile 
          dans un centre commercial. Sa femme a été tuée 
          dans le parking souterrain de ce complexe. Depuis, veuf inconsolable 
          il n'a de cesse de visionner les bandes de vidéo surveillance 
          du magasin avec l'insondable espoir d'y voir un visage récurrent, 
          un comportement étrange
bref, il se raccroche à ces 
          chimères pour tenter d'oublier son deuil et sa douleur inextinguible. 
           
          Nous assistons impuissants à la lente chute de Caine dans les 
          abymes les plus noires de sa monomanie. Son obsession à vouloir 
          tout voir pour y trouver un indice, si infime soit-il, prend une place 
          prépondérante dans sa vie. Car à part son métier, 
          qu'il pratique avec de plus en plus de difficultés, il n'a rien 
          d'autre. Il se terre chez lui, seul, hanté par des hallucinations 
          de sa femme à tapisser ses murs de photos floues, hypothétiques 
          portraits volés d'un possible assassin. Le jour où il 
          peut enfin visionner la cassette sur laquelle a été enregistré 
          le meurtre tout bascule. Le film entre dans une seconde sphère, 
          on quitte celle de sa réalité morose et ralentie pour 
          entrer dans celle, plus troublante des délires pathologiques 
          de Caine. En utilisant la même perspicacité dont il faisait 
          preuve dans le traitement des photos auparavant il va remonter une piste, 
          improbable chemin vers un dénouement qui ne peut être que 
          factice. Il se retrouve dans un hôtel aux teintes sanguines, saturées 
          de rouge, à l'atmosphère pesante, qui font bien penser 
          à un " trip " dans la psyché perturbée 
          du vigile, un univers où la culpabilité, le regret et 
          l'incommensurable incompréhension face à la mort et à 
          la disparition d'un être d'autant plus cher qu'il est magnifié 
          par son absence accentuent l'instabilité. Chacune de ces étapes 
          est un pas de plus dans la folie, perdant tout repère, tout contact 
          avec une quelconque réalité matérielle. Il semble 
          qu'aucun retour vers une normalité acceptable ne soit envisageable, 
          ce voyage est un adieu. On le revoit après cette expérience 
          au bout de la raison, sur un lit d'hôpital, en position ftale, 
          pleurant ce renoncement ultime juste avant qu'il ne soit lâché 
          dans un désert immense et vierge, comme une représentation 
          du néant. Inside job est un film perturbant et formellement très 
          abouti.  
        IN THE CUT de Jane Campion. 3*. Pour parler du dernier film 
          de l'esthète Jane Campion, je ne parlerai pas de l'histoire, 
          un simple package rayon serial Killer/boucher avec tout l'attirail obligé, 
          car le thriller n'est ici qu'un vernis, quelque peu écaillé, 
          qui donne au vrai sujet du film sa forme la plus voyante. Ce qui en 
          fait la consistance, la matière et le moteur c'est le formidable 
          portrait que dresse l'auteur de Franny, l'héroine, une prof de 
          littérature à la quarantaine sonnée qui vit à 
          New York (à ce propos la vision que Campion donne de la grosse 
          pomme est sombre et angoissée, on sent presque la ville faire 
          preuve d'hostilité). Plutôt jolie, les sentiments forts 
          et extrêmes ne semblent pas la traverser ; elle aurait même 
          tendance à ne chercher dans ses aventures et dans la séduction 
          faussement involontaire qu'elle ne peut s'empêcher de susciter, 
          qu'une source de problèmes, problèmes stériles 
          s'il en est car ils mènent invariablement à l'absurde 
          : en témoigne la relation qu'elle entretient avec son ex, un 
          maboul pris d'accès de rage subits et démesurés, 
          joué par Kevin Bacon qui s'en donne à cur joie, 
          ou le gringue qu'elle fait à son élève sous le 
          fallacieux pretexte de recherches sur l'argot (le slang) black des rues. 
          Puis elle rencontre, dans le cadre de l'enquête sur les meurtres, 
          Malloy, un flic pathologiquement machiste. Et là, malgré 
          ses manières déplorables, son vocabulaire de charretier 
          moyen, sa misogynie phallocrate elle est magnétiquement attirée 
          vers lui. Son apparente frigidité bourgeoise trouve un echo déformant 
          (déformé) dans la bestialité ambiguë du flic. 
          Durant la qusi totalité du film, elle prend ce policier pour 
          le tueur ; ça ne l'empêche nullement d'aller vers lui, 
          bien au contraire, c'est comme si cette face sombre de Malloy était 
          ce qui attirait Franny, l'idée de n'être entre ses mains 
          qu'une vulnérable proie, renonçant par la-même à 
          tout ce contrôle qui formait le carcan dans lequel elle s'était 
          jusque là enfermée. Car face à elle, elle pensait 
          avoir le mal à l'état pur, un concentré d'inhumanité, 
          jeter dans ses bras c'est renoncé, même temporairement 
          à la vie, c'est un abandon complet
et paradoxalement c'est 
          vivre la vie avec intensité, embrasser chaque moment avec un 
          fougue absolue. Ce paradoxe, cette contradiction fondatrice de Franny, 
          est le vrai thème du film. Son personnage se définit et 
          s'épanouit dans cette situation extrême. Le désir 
          de mort est ici assimilé à une pulsion sexuelle violente. 
          D'ailleurs, à la toute fin, quand elle se fait enlever par le 
          vrai meurtrier, elle met un temps fou à réagir et à 
          songer à se défendre : ils dansent d'abord au pieds du 
          phare, ils commencent à faire l'amour avant qu'elle ne le tue. 
          Bref, rien n'est simple, rien n'est linéaire, le côté 
          sombre cohabite avec une face plus " respectable " ; sur ce 
          thème de l'amour au mépris de la vie, Philippe Grandrieux 
          avait signé il y a 7 ou 8 ans un film remarquable, Sombre, un 
          jeu de séduction entre la proie et son prédateur qui mélangeait 
          allègrement eros et thanatos.  
          Dans son rôle contrasté et subtil Meg Ryan est méconnaissable. 
          Quelle crédibilité et quelle complexité elle dégage 
          dans son éveil à sa sexualité refoulée. 
          Chapeau bas Mme la midinette échevelée des comédies 
          romantiques à la con. Quant aux images, elles sont toujours aussi 
          composées et somptueuses. In the cut est un régal visuel. 
         
        INTOLERABLE CRUAUTE de Joel Coen. 3*.Miles est un avocat spécialisé 
          dans les divorces, un crack dans son domaine, obsédé par 
          son sourire lisse et immaculé, bref, l'archétype de l'arriviste 
          satisfait. Associé dans un cabinet, il ne recule devant aucune 
          bassesse pour gagner un procès. Mais sa vie qui semble promise 
          à une ascension certaine et régulière va se dérégler 
          suite à sa rencontre avec Marilyne, une sorte de mante religieuse 
          qui ne veut se marier qu'avec un homme beau comme Crésus pour 
          s'approprier la moitié de sa fortune une fois le divorce prononcé. 
          Voilà pour la trame. Rien de très original en somme ; 
          par contre le traitement lui, est plus débridé. Ce couple 
          a priori peu glamour, deux manipulateurs cyniques qui paraissent exempts 
          de tous sentiments humains, ne semble mû que par leur cupidité 
          dévorante. Autour d'eux gravite une poignée de personnages 
          secondaires " marqués " : l'assistant fleur bleue, 
          le détective qui ne vit que pour niquer tout le monde, le tueur 
          asthmatique qui confond sa ventoline et son magnum ou l'associé 
          principal du cabinet, un vieux kroumir décati et post sénile 
          qui ne tient que par ses perfusions et ses diverses sondes (il est annoncé 
          deux fois dans le film par le Requiem de Mozart, comme le vieux Lebowski 
          dans Big Lebowski)
 Les frères Coen s'en donnent à 
          cur joie, ils laissent parler leur ironie mordante et leur nihilisme 
          débonnaire. Tous ces personnages n'ont aucune réalité, 
          ce sont des symboles, des représentations abstraites et vitriolées 
          d'archétypes, ils sont réduits à un ou deux aspects 
          de leur personnalité, un ou deux traits de caractère. 
          Les décors sont idem : villas qui suintent le mauvais goût 
          le plus crasse, casinos (temples du kitsch), motels pour 5 à 
          7, chapelles pour mariages sprint
jusqu'au bellâtre bodybuildé 
          et luisant comme peu de vers qui taille les haies en faisant gonfler 
          ses pectoraux et en lançant des illades concupiscentes 
          et coïtogènes aux vieilles oisives qui se mélanomisent 
          sur leurs transats en ingurgitant des cocktails fluorescents, ou le 
          surfeur peroxydé qui nettoie censément les piscines mais 
          qui préfère s'occuper de la propriétaire. Les Coen 
          toisent tous ces pitoyables losers et les regardent se débattre 
          dans une mélasse inextricable. Jamais ils ne témoignent 
          la moindre sympathie à ces ectoplasmes. Cette méchanceté 
          un peu roublarde pourrait finir par tourner court mais elle est contrebalancée 
          par l'humour parfois délirant des situations. C'est du pur humour 
          méprisant qui fait grincer les zygomatiques. Ils signent un film 
          cathartique et réjouissant, un peu dans la veine de Big Lebowski, 
          un film qui ne fera pas date dans leur carrière mais qui permet 
          de se défouler durant 90 minutes. 
        
           
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         JARHEAD de Sam Mendes 3* .Début 90, de 
          jeunes Américains s'engagent dans les marines. Après quelques mois de 
          classes voilà nos petits militaires qui partent pour le Koweït faire 
          la guéguerre aux affreux Irakiens avec la bénédiction et le soutien 
          des gentils Saoudiens. Après s'être bien fait bourrer le mou et déconstruire 
          ce qu'il pouvait y avoir à déconstruire dans leur personnalité, les 
          louveteaux n'attendent qu'une seule chose : de casser du zarab par rafale 
          de 12. Mais pas de chance pour eux ils vont devoir se la mettre sur 
          l'oreille, car ce qui les attend c'est une interminable attente dans 
          le désert. Pour occuper ces longues journées ne leur reste qu'à refaire 
          des exercices stupides comme appris durant les classes ou bien se laisser 
          tenter par le sultanat d'Onan. Le trajet asservissant et abrutissant 
          qui mène de jeunes hommes à devenir des machines à tuer même pas fiables 
          est un thème couramment abordé au cinéma, il est d'ailleurs souvent 
          l'occasion pour les metteurs en scène de nous infliger quelques scènes 
          bien lourdingues sur l'amitié virile avec bagarres à grand renfort de 
          cris de bêtes sous la douche, biceps saillants et œil vitreux, de bras 
          de fer et de buvage de Budweiser entre rires gras et larmes déchirantes 
          en passant par les scènes d'émotions avec souvenirs d'enfance et tout 
          le bataclan…bref, ces écueils insupportables sont rarement contournés. 
          Ici Mendes a eu la bonté de nous raccourcir le business et de ne pas 
          en mettre trop. L'intérêt d'une telle entreprise, suivre des bleubites 
          du dortoir au champ de bataille est tout de même, outre de dénoncer 
          l'absurdité de toute guerre, de démonter la mécanique totalitaire et 
          fascisante de leur formation dans laquelle tout est assujetti à l'omnipotence 
          d'une hiérarchie indiscutable, où comment il est possible dans ces zones 
          de non droit de détruire un humain pour en faire un soldat prompt à 
          satisfaire les pulsions de mort et de domination inhérentes à tout homme. 
          Là le propos de Mendes est dilué dans le digest light des rites de films 
          de militaires. Il a préféré s'attacher au personnage le plus intéressant 
          du film, le narrateur (le film est tiré d'un de ses livres) et au travers 
          de son regard on a quand même un aperçu, édulcoré, du néant. Dommage. 
         
        JELLYFISH de Kyoshi Kurosawa. 3*. Yujiro et Mamoru sont deux 
          jeunes adultes qui travaillent dans la même usine à Tokyo. 
          Le premier se perd dans des rêves radieux mais inaccessibles, 
          il est dépendant de ce fantasme permanent, tout le reste de sa 
          vie terrestre le désintéressant au plus haut point. Mamoru 
          lui, aime contempler sa méduse à la luminescence si spéciale. 
          Un beau jour Mamoru tue son contremaître et sa femme, sans raisons 
          réelles. Il est incarcéré et meurt en laissant 
          sa méduse à Yujiro. Celui-ci s'approprie sa fascination 
          pour l'animal et le rejette dans un égoût, espérant 
          le voir se multiplier. Il erre, entouré de son vide existentiel, 
          de sa non-envie de vivre dans la réalité, étranger 
          qu'il est à celle-ci. Il se rapproche du père de son défunt 
          ami, un vieux solitaire qui redonne vie à des appareils électroménagers 
          condamnés au rebut. Il va projeter sur Yujiro l'amour filial 
          qu'il n'a pas pu ou pas su témoigner à son propre fils 
          et se laisse hypnotiser lui aussi par cette fameuse méduse qui 
          cristallise tous les manques, les interrogations, elle est comme le 
          dernier bastion d'émerveillement pour ces gens perdus et seuls. 
          Kurosawa filme ces jeunes gens sans repère, aspirés par 
          le vide, sans foi ni attache. Il les montre sans fioriture, dans un 
          quotidien sans gloire qui érode tout et tous. Dans ce monde là 
          la méduse est tout et son contraire, unique et multiple, opaque 
          mais lumineuse, gélatineuse mais gracieuse, venimeuse mais génératrice 
          de rêve. Quel sens a-t-elle ? Au spectateur de voir
car sa 
          métaphore animalière n'est pas d'une transparence afflelienne. 
          Elle est là, c'est tout et on la voit. D'ailleurs quand on ne 
          la voit pas on la cherche. Quant à la déshérance 
          de ces jeunes gens on n'en connaît rien de plus que les quelques 
          symptomes que le metteur en scène nous lâche ça 
          et là. De ses tenants on ignore tout. Ils sont inadaptés, 
          souffrent, font ce qu'ils peuvent pour s'évader, mais à 
          chaque fois c'est pour retomber plus lourdement. 
          Tourné en video, Jellyfish est un film désespéré 
          toutefois plus lumineux que les autres opus de son auteur
mais 
          la noirceur du fond est toujours là. 
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         KEN PARK de Larry Clark et Ed Lachman. 3*. Après 
          Kids et Bully, Clark continue sa plongée dans l'univers pour le moins 
          chaotique de l'adolescence. Le film s'ouvre sur le suicide autofilmé 
          d'un ado, le fameux Ken Park, en plein après-midi, dans le skate park 
          d'une petite ville californienne moyenne. Puis, petit à petit, en partant 
          d'une photo d'un groupe de cinq teenagers dont l'un est Park, on entre 
          dans l'intimité de chacun d'eux. Purs produits de la middle class de 
          province, ces ados vivent leur vie, dans la mesure qui leur semble impartie. 
          Aucun d'eux n'a de situation familiale exceptionnelle : l'un vit avec 
          sa mère et son petit frère, l'autre avec ses deux grands-parents, une 
          autre avec son père et enfin le dernier habite avec ses deux parents. 
          D'emblée on prend conscience du fossé qui existe entre ces ados et leurs 
          parents (directs ou de substitution) : même s'ils cohabitent physiquement, 
          ils ne vivent pas dans le même monde. Le mur qui les sépare paraît infranchissable. 
          Les " parents " sont ici accusés, rendus responsables de l'état des 
          lieux auquel le film nous invite à assister. Bien plus que le côté dichotomique 
          du propos (les coupables c'est ceux-ci, les victimes c'est ceux-là), 
          son aspect thèse démonstrative, c'est par ses échappées dans le monde 
          de ces préadultes que le film est intéressant, dans ces quelques instants 
          où on les voit " libres " de leurs contraintes domestiques. Ils fument 
          de la sensimilia en quantité industrielle, multiplient les relations 
          sexuelles…ils se réfugient dans le plaisir immédiat, dans la recherche 
          d'un absolu hédoniste qui leur permet de supporter le reste, ce qu'ils 
          ne contrôlent pas ou ce que leur condition les oblige à subir. Le film 
          est toutefois moins définitif qu'il n'y paraît : les adultes, malgré 
          leur responsabilité indéniable, sont eux aussi enfermés dans une coque 
          de souffrance, de regrets et d'amertume. Ce qu'ils voient dans les débordements 
          de leurs progénitures c'est ce qu'ils ne sont plus, ou ce qu'ils ne 
          pourrons pas ou plus être. Cette souffrance se traduit parfois par des 
          comportements extrêmes, certains devenant même incestueux (le père qui 
          va chercher un amour interdit auprès de son fils endormi ou encore le 
          père qui se marie avec sa fille, portrait craché de sa défunte femme, 
          parce qu'il ne supporte pas l'idée qu'elle ait une sexualité extérieure 
          ; à une échelle moindre, la relation entre l'un des ados et la mère 
          de sa petite amie est aussi un acte incestueux mais contourné, de la 
          part de la mère). Dès lors, sachant le contexte réaliste de ce film 
          (dont le traitement, lui, ne l'est pas tellement) le dénouement ne peut 
          être que dramatique : l'un des ados tue sauvagement ses deux grands-parents 
          et, les trois autres, dans une scène très belle et quasiment surréaliste 
          (dans le sens où elle est filmée comme un songe, un rêve érotique ouaté), 
          se retrouvent, se parlent et se taisent, se touchent et font l'amour. 
          Ils semblent presque ne former qu'une entité, un corps multiple et blessé, 
          respirant à l'unisson. Mais cette scène dégage un profond désespoir, 
          finissant de noircir le tableau que nous livre Clark (et son jeune scénariste 
          Harmony Korine) en inscrivant cet instant dans une sorte de 4ème dimension, 
          inaccessible autrement que par la rêverie.  
        KIE LA PETITE PESTE 
          de Isao Takahata 3*. Kié est une fillette qui lorsqu'elle n'est pas 
          à l'école travaille dans la gargotte de son père, Tetsu. Ce dernier 
          vit séparé de sa femme et passe ses journées entre une salle de jeux 
          et les bars, à traîner avec ses copains. Kié porte tout sur ses épaules, 
          palliant la faiblesse, la fainéantise et la lâcheté de son père, tâchant 
          de maintenir un minimum de cohérence dans cet univers chaotique. Une 
          enfance sacrifiée ? Non, car la fillette est joyeuse, gaie pleine d'entrain 
          et d'un optimisme à tout crin. Dans sa vie civile, elle a renoncé provisoirement 
          à son statut d'enfant pour endosser le rôle d'adulte responsable, de 
          son père, du snack et des contingences ménagères de la maison. Il n'y 
          a qu'à l'école où son enfance peut encore s'exprimer, laissant enfin 
          s'extérioriser une juvénilité étouffée. Elle lutte gentiment pour reconstruire 
          un monde dans lequel elle trouverait une place plus conforme à ce qu'elle 
          est réellement, et non plus par défaut. Certes son père en bagarreur 
          impénitent est d'une irresponsabilité qu'on prête traditionnellement 
          à l'enfance, mais il aime sa fille, il souffre aussi de la séparation 
          d'avec sa femme mais il se couperait le petit doigt plutôt que de l'avouer. 
          Si les personnages paraissent si justes, c'est bien grâce à la vérité 
          qui émane de leurs sentiments. La fillette reste une fillette malgré 
          la vie qu'elle mène, Takahata ne lui a pas collé un esprit d'adulte, 
          juste ce qu'il faut de ténacité et d'éveil pour lui faire endosser ses 
          charges. De même son père, si négatif que puisse paraître son portrait, 
          est un homme blessé à l'intérieur duquel bat un cœur tendre. Et on retrouve 
          chez d'autres personnages cette subtilité de traitement et cette absence 
          de jugement : chez le tenancier de la maison de jeu qui le jour où son 
          chat se fait tuer (après une émasculation sauvage suite à un combat 
          avec le chat de Kié), ruiné par le chagrin décide de se reconvertir 
          et ouvre à son tour une gargotte, arrête de boire et vit dans la tristesse 
          du souvenir de ce(lui) qu'il a perdu. Le film est traversé par l'humour 
          : les deux chats par exemple, sont hauts en couleurs et donnent lieu 
          à une scène réussie, un duel final, filmé comme dans un western spaghetti. 
          Bref, le film est une réussite d'un réalisme sentimental prégnant et 
          d'un humour grinçant mais pas cruel avec des touches potaches, comme 
          la fascination que Takahata semble avoir pour les cojones de chats. 
         
        KIKI LA PETITE SORCIERE de Hayao Miyazaki. 3*. 
          Kiki est, comme le titre l'indique, une petite sorcière, fille 
          de sorcière et petite fille de sorcière
bref, chez 
          elle, la sorcellerie est atavique. Elle a atteint l'âge pivot 
          de 13 ans, âge auquel toutes les petites sorcières en devenir 
          doivent quitter le domicile familial pour une durée de un an 
          et ceci afin de faire leur preuve seule. Elle décide de s'arrêter 
          dans une ville littorale et monte un service de livraison à domicile. 
          L'histoire est un classique apprentissage de la vie. Kiki, livrée 
          à elle-même, seulement accompagnée de son fidèle 
          et traditionnel chat noir, va peu à peu prendre conscience d'une 
          réalité à laquelle elle avait été 
          jusque là étrangère. Son apprentissage passera 
          bien sûr par toutes les étapes obligées : rencontre 
          amoureuse, déception, renoncement, joie, tristesse, amitié, 
          peur pour finalement triompher de toutes les choses qu'elle craignait 
          par méconnaissance. A la fin de son itinéraire, elle sera 
          non pas changée mais endurcie sans avoir perdu cette part de 
          naïveté que l'on prête à l'enfance. Certes 
          tout ceci n'a rien de nouveau, c'est un thème des plus classiques, 
          mais là où Miyazaki subjugue littéralement c'est 
          dans le graphisme : les dessins sont à tomber, la description 
          qu'il fait de la ville, une ville imaginaire qui est comme nimbée, 
          fourmille de détails vivants, elle exhale ce qu'on pourrait assimiler 
          à du bonheur
bref c'est une ville idéale, mais qui 
          n'est pas pour autant coupée de certaines des dures réalités 
          de la vie. Dans ce décor enchanteur la jeune héroïne 
          traverse son initiation et apprend la valeur de la vie en se réappropriant 
          ses pouvoirs qu'elle se donnait pour acquis. 
          Un très beau dessin animé, auquel il manque cependant 
          la magie féerique et panthéiste qui rayonne dans les grandes 
          réussites de son auteur (Le voyage de Chihiro, Princesse Mononoke 
          ou Le château dans le ciel), indiqué pour les enfants mais 
          tout à fait appréciable par les adultes sensibles à 
          l'extraordinaire talent de ce génie Japonais. 
        KILL BILL de Quentin Tarantino. 4*. Black Mamba 
          est une ex-tueuse pour une organisation redoutable qui raccroché 
          le katana. Pensant qu'elle s'est faite oubliée de ses anciens 
          compagnons d'armes, elle s'apprête à célèbrer 
          son mariage, entourée d'une poignée de proches et d'un 
          ftus quasiment à terme. Presque mariée, presque 
          mère
mais voilà, son passé la rattrappe. Un 
          commando surgit dans la petite église texane et s'en suit un 
          abominable massacre où tout le monde est laissé pour mort. 
          Tout le monde sauf elle, plongée dans un coma profond qui durera 
          4 ans. Elle se réveille, dresse la liste noire de ses bourreaux 
          et part à leur recherche pour assouvir sa soif de vengeance. 
          Sur un scénario vu des milliers de fois, Tarantino construit 
          un film à la forme surprenante et éblouissante, car cette 
          vengeance n'est qu'un prétexte à un gigantesque hommage 
          de l'auteur aux cinémas qui l'ont nourris : films de yakusas 
          et de sabre japonais, films d'arts martiaux chinois, western spaghettis, 
          série B américaine
et même un soupçon 
          de Truffaut (La mariée était en noir, sic). Les clins 
          d'yeux pleuvent aussi vite que les coups de sabre de l'héroine, 
          le sang gicle par hectolitres, les corps se strient, se démontent, 
          se découpent, les cris et hurlements fusent
les combats 
          finissent tous dans des flaques d'hémoglobine poisseuse. Tout 
          est fait dans la démesure, en cela la mise en scène est 
          en osmose avec le sujet : ici, la tiédeur n'a pas cours. D'un 
          point de vue technique le réalisateur recycle, assaisonne à 
          sa sauce un tas d'ingrédients disparates pour en faire un plat 
          qui porte sa signature, teinté de son humour toujors aussi vachard 
          et limite : une dose de noir et blanc pour les flash back, une dose 
          de dessin animé pour raconter l'histoire d'une des tueuses (idée 
          déjà utilisée pour Natural born killers du monolithique 
          Oliver Stone, sur un scénar original de QT himself), des combats 
          au sabre en couleurs avec une nette prééminence du rouge 
          (avec en préambule une rencontre avec le mythique acteur nippon 
          Sonny Chiba, interprète du Street Fighter, et qui reprend son 
          rôle ici, dans une série de films ultraviolents produits 
          dans les années soixante dix, films dont il était fait 
          référence dans True Romance de Tony Scott, là encore 
          sur un scénar initial de QT) et même une scène en 
          ombres chinoises sans compter les hommages au Frelon vert, série 
          kitschissime avec Bruce Lee, Kung Fu (idem, mais avec David Carradine), 
          aux films de Fukasaku, de Suzuki
son film est un patchwork qui 
          ne ressemble à rien d'autre qu'à lui-même, une uvre 
          shootée à la cinéphagie la plus hétéroclite 
          irradiante d'envie, de suffisance aussi, une sorte de divertissement 
          ultime et protéiforme qui se grave dans les spectateurs, qui 
          nécessite d'eux une implication totale (un renoncement) pour 
          en apprécier toutes les nuances cachées, toutes les saveurs 
          insoupçonnées. Le jeu de Uma Thurman en est un exemple 
          : d'un personnage relativement unidimensionnel elle fait sortir des 
          émotions multiples, elle enrichit " gracieusement " 
          son rôle de vengeresse en en faisant une femme qui, bien que fermement 
          décidée à accomplir sa destinée, a une vraie 
          existence, qui ne se définit pas uniquement par ses actes. Elle 
          nous rend sympathique cette Black Mamba aux noirs desseins.  
          Rien n'est neuf mais rien ne sent le réchauffé, grâce 
          aussi au montage ludique (une marque de fabrique chez Tarantino) qui 
          juxtapose sur la pellicule des évènements qui appartiennent 
          à des chronologies différentes, mais sur lesquels cette 
          mise en contact sauvage apporte des éclaircissements. Bref, ce 
          film est un spectacle visuel, avant tout, un divertissement riche et 
          faussement linéaire, violent, drôle, fascinant, référencé, 
          plein et dense, equilibré
pour qui accepte de se laisser 
          emporter, ce Kill Bill vol.1 est inoubliable. Mention spéciale 
          au mixage de la BO, exécutée de main de maître par 
          le roi du platinage artistique, The RZA (ex Wu Tang Clan). 
        KILL BILL Vol. 2 de Quentin Tarantino. 3*. Suite 
          et fin de la terrible vengeance de Black Mamba sur ses anciens compagnons 
          d'arme. Après O-Ren Ishii et X, c'est le tour de Budd, Elle Driver 
          et enfin Bill. Comme dans le premier, Tarantino brouille la chronologie 
          de cette anti-quête, il digresse, avec moins de bonheur que dans 
          le premier opus, et nous promène dans l'apprentissage de B. avec 
          un vieux maître chinois et dans la répétition, laborieuse 
          à tous points de vue, du mariage (juste avant le carnage initial). 
          On fait même connaissance avec sa fille B.B., qui a survécu 
          au meurtre raté de sa mère.  
          Il semble que le film ait souffert de sa séparation en deux tomes 
          : en effet si le premier a un équilibre parfait, découenné, 
          le second pâtit de longueurs assez rédhibitoires. Certes 
          l'humour, parodique fait passer la sauce, mais les ruptures de rythme 
          sont pesantes. Peut-être faut-il les voir comme un hommage appuyé 
          aux films dont s'est inspiré le metteur en scène (les 
          vieux films d'arts martiaux chinois, contenant tous, ou presque ce type 
          de séquence d'apprentissage aux forts relents spiritualistes 
          " toc ", ou les westerns de Leone, " Il était 
          une fois dans l'ouest " plus particulièrement, pour la séquence 
          du mariage où la tension monte progressivement alors qu'il ne 
          se passe rien, on a juste la sensation de l'inéluctable tragédie*)
 
          en fin de compte on réalise qu'on n'a rien appris de nouveau 
          sur le personnage de Black Mamba. Pour Bill par contre on apprend qu'il 
          est le père de l'enfant, que Budd est son frère. C'est 
          peu pour 140 minutes. Même la musique déçoit : en 
          dehors des emprunts répétés à Ennio Morricone 
          le peu de musique originale passe quasi inaperçu. Heureusement 
          les combats, chorégraphiés avec maestria par Yuen Wo-Ping, 
          sont toujours aussi impressionnants et dynamiques, d'une grande violence. 
           
          Je n'ai pas grand chose d'autre à dire concernant ce second opus, 
          si ce n'est que je suis intimement persuadé que le film mérite 
          mieux que cette configuration en diptyque ; il aurait fallu remonter 
          l'ensemble, mélanger tous les chapitres, écrémer 
          ça et là
enfin, je ne suis qu'un spectateur un peu 
          déçu par cette mouture-là. 
        
        
        
        
        
        
        
        
        
        
        
        
        
         Cf. la scène du massacre de la famille par la bande de tueurs 
          dans le film de Leone 
        
        KITCHEN STORIES de Bent Hamer. 2*.Dans la Norvège des 
          années 50, un bataillon de Suédois débarque dans 
          un petit bled avec leur Volvo et leur caravane aux lignes arrondies. 
          Ils sont envoyés par un scientifique étrange, spécialiste 
          des comportements ménagers dans le but d'étudier les déplacements 
          d'une tripotée de consommateurs cobayes à l'intérieur 
          de leur cuisine. Trônant sur une chaise surélevée 
          placée dans un coin de cette cuisine, ils doivent observer et 
          consigner par écrit toutes les allées et venues de leur 
          sujet, sans jamais chercher à communiquer avec eux. Le film va 
          suivre l'un d'eux, Torfe, assigné au domicile de Isak, un vieux 
          bonhomme solitaire. Entre les deux hommes les rapports vont inévitablement 
          évoluer : d'une curiosité réciproque teintée 
          de malaise ils vont s'acheminer vers une sorte d'amitié, chacun 
          découvrant alors la chaleur d'une relation humaine fortuite, 
          comblant par-là une bribe de leur solitude respective.  
          D'emblée le cinéaste se place dans le registre de l'absurde. 
          La situation déjà, l' "espion " perché 
          sur sa chaise d'arbitre, qui ne pipe mot et qui toise son cobaye du 
          lever au coucher du soleil, et le dit cobaye qui tente vainement de 
          faire comme s'il était seul dans sa cuisine. Mais le Suédois, 
          tout observateur qu'il est, est un homme, c'est une présence 
          humaine, et dans la vie de ce vieux loup, c'est une chose assez rare. 
          Probablement un peu agacé par le mutisme de l'autre, il va à 
          son tour se mettre à l'épier, par le biais d'un trou foré 
          à l'aplomb de la chaise. Ajouté à cela une poignée 
          de gags, comme le superviseur de l'expérience qui passe son temps 
          en avion à boire et à s'envoyer en l'air ou l'ami de Isak, 
          qui, jaloux de l'importance que semble avoir pris Torfe dans la vie 
          de son vieux camarade, décide d'abandonner sa caravane sur une 
          voie ferrée en pleine nuit, alors que le Suédois dort 
          dedans
 
          Bref, l'humour pisse-froid scandinave (qui joue notamment sur la durée 
          des scènes où il ne se passe presque rien, et où 
          la banalité de ce qu'on voit finit par devenir absurde à 
          force d'insistance et d'invariabilité) a été mieux 
          utilisé, plus drôle, qu'on pense par exemple à Kaurismaki. 
          Le déroulement des faits est un peu prévisible mais il 
          y a une vraie dimension humaine dans les liens que tissent les deux 
          hommes, une réelle sympathie. Ca permet de reléguer au 
          second plan l'esthétique clinquante, pubesque du film avec son 
          insistance sur des détails matériels (le décorum, 
          le package 50's) et sa bande son sur-audible, il ne manque plus que 
          le son grésille et que l'image tressaute pour faire film d'époque. 
          Kitchen stories est un petit film amusant et simple (dans son contenu), 
          pas désagréable du tout. 
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