Editeur : MK2. Avril 2010. 20 €

Avril 1994 – Rwanda. Aux premiers jours du génocide, les occidentaux fuient le pays. Avant d'être évacuée, une famille belge cache la jeune nourrice de leurs enfants, Jacqueline, dans le faux plafond de leur maison. Malgré la terreur, Jacqueline sort de sa cachette pour rejoindre ses enfants restés seuls. La jeune mère découvre leurs corps sans vie parmi les cadavres. Chassée de son village, traquée comme une bête, elle se réfugie dans la forêt....

Contrairement à Terry George dans Hôtel Rwanda (2004) qui prenait pour héros un "juste" Hutu qui sauvait des centaines de Tutsi, Philippe Van Leeuw s'attache au destin de Jacqueline, une Tutsi victime brisée par le génocide.

Le cinéaste belge n'a que faire des bonnes intentions à la sauce hollywoodienne que développait le cinéaste irlandais. Il décrit avant tout l'horreur intérieure que subie Jacqueline, défaite et traumatisée alors que les Hutus sont montrés moins comme une horde sanguinaire et idéologues que comme des villageois embarqués dans une guerre de clan, tellement sauvage qu'elle finit par s'épuiser au fil des jours.

Un hors champ implacable...

Van Leeuw choisit un nombre restreint de décors pour décrire le martyr de son personnage mais sait leur donner une forte densité. C'est d'abord le décor de rêve d'une chute d'eau dans la brousse où Jacqueline joue avec ses deux enfants. Cette chute d'eau, qui rappelle furieusement celle de la fin Greystoke, Van Leeuw en filme le bouillonnement, le cadrant de plus en plus serré jusqu'au noir couleur de sang pourri alors que, hors champ, se font entendre les cris du massacre.

C'est ensuite le grenier de la famille belge où Jacqueline est protégée par un faux plafond de la maison qui est vidée de tout son mobilier. Alors que par les pillards hutus s'activent pour débarrasser le mobilier, Jacqueline, protégée par le faux plafond, est surtout victime des cris d'enfants hors champ que l'on torture et assassine. Lorsqu'elle descend dans la pièce nue du salon des belges, il n'est nul besoin de montrer les corps des enfants pour savoir qu'ils n'ont pas survécus.

S'en suit la marche de Jacqueline vers sa maison. Son dépouillement, identique au salon belge pillé suffit à indiquer la mort des deux enfants dont les corps reposent au milieu de la pièce.

...pour une béance intérieure impossible à refermer


Le bord du lac, la forêt à l'orée de laquelle se situe le village de Jacqueline, la petite rivière et les sables mouvants constituent le décor où se déroulent les trois derniers quarts du film. Jaqueline y survit, mutique, alors que l'homme blessé, qui n'a pas compris toute l'horreur des massacres, espère encore et agit.

Jacqueline tel un personnage rossellinien détruit par une horreur qui empêche toute action erre comme un fantôme dont la seule apparition, du haut de la forêt, déclanche une haine liée plus à la mauvaise conscience qu'à la sauvagerie.

Personnage somnambule, condamné à l'irréconciliation, magnifique et mutique, elle incarne l'irrémédiable béance intérieure qu'ont subit les Tutsis victimes du massacre de leurs proches.

 

J.-L.L. le 7/4/2010

 

 
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