Editeur : Les éditions Montparnasse, janvier 2008. Une édition développée avec le critique de cinéma et réalisateur N.T. Binh. 1h38. Son mono restauré dolby digital. Avec livret de 32 pages. Prix de vente conseillé : 19 €.

Suppléments

  • Entretien avec Claude Rich : souvenirs du tournage"- 15 minutes.
  • Rencontre Resnais-Sternberg : analyse croisée du film et du scénario- 19 minutes
  • "Propos d'Alain Resnais à propos du film"- 12 minutes Interview de François Thomas Réalisation : NT BINH
  • Un livret d'accompagnement de 32 pages avec quatre articles issus du dossier Positif consacré à Je t'aime, je t'aime lors de sa réédition en 2002, (L'écho du temps, l'écho du cœur de Michel Cieutat ; Resnais le conciliant, propos de Jacques Sternberg recueillis par François Thomas et Claire Vassé ; Une part de mon héritage de Mag Bodard, propos recueillis par François Thomas ; Un Fanstasio contemporain, entretien de Claude Rich par Philippe Rouyer et François Thomas).

     

Dans une clinique, Claude Ridder se débat entre la vie et la mort à la suite d'une tentative de suicide. Un mystérieux personnage s'intéresse à son cas. Dès sa sortie de clinique, on lui propose d'aller dans un centre de recherches afin de devenir le sujet d'une expérience sans précédent que les savants s'apprêtent à réaliser dans le plus grand secret : un voyage dans le temps d'une durée de une minute...

   

Hyper intellectuels, les films de Resnais font aussi toujours preuve d'un grand sens du romanesque. Bien souvent, l'histoire d'amour constitue le principal de l'histoire racontée, le principal des plans. Ici l'histoire de Claude Ridder et de Catrine est l'une des plus tragiques racontées par Alain Resnais.

Une tragique histoire d'amour

Claude ne peut arracher Catrine à une vision pessimiste des choses. Malgré sa légèreté son goût de vivre son détachement de toute forme de croyance, il ne peut empêcher de sombrer celle qu'il a justement choisie comme un défi. Aussi détaché qu'elle de la réalité des choses, il devrait nager perpetuellement pour la ramener aux rives du bonheur. Mais lui comme elle finiront noyés. Ce thème est figuré par l'épisode des deux nageurs noyés et par l'image totalement détachée de toute référence à l'histoire de Claude où il est perdu perdu en mer habillé de sa chemise.

On en trouve aussi bien sur l'écho dans la célèbre description de Catrine par Claude sur la plage normande :"Toi, tu es étale, tu es un marécage, de la nuit, de la boue. Lugubre, tu donnes envie de se laisser couler en toi lentement mais à pic.. Tu sens la marée basse, la noyade, la pieuvre."

Leurs moments de bonheur ne peuvent être que passagés : l'apparition de Catrine huit ans avant, la discussion dans le café, l'épisode dans le sud, la baignade près de la mer mais aussi dans l'arrière pays montagneux, le scarabée inondé, la plage normande où Catrine révèle que Dieu a créé le chat à son image.

Mais bien vite les tensions se révèlent notamment avec les infidélités de Claude. A l'arrêt de tramway devant le kiosque de France-soir, Catrine évoque une femme qui fut sans doute une maîtresse de Claude et qui est peut être la femme du tramway et de l'escalier.

Claude se trouve piégé par Catrine comme l'indique la prédominance des scènes de retour dans leur chambre à la couverture rouge et au poster de Magritte

Claude n'a pas tué Catrine. Certes "l'assassin" habite au 21. Mais le seul plan qui le montre voyant le poêle à gaz s'éteindre est un plan en caméra subjective, indicateur d'irréalité. Resnais avait en effet d'abord envisage de ne pas montrer Claude Rich à l'écran et de ne le filmer qu'en caméra subjective. Il ne reste que ce plan qui comme chaque fois que Ridder n'apparait pas de face au centre de l'image évoque un cauchemar. La présence de Nicole, la femme à la baignoire lors de l'interrogatoire dit aussi clairement qu'il s'agit d'un rêve. La séquence suivante commence enfin avec Ridder se revaillant en sursaut et allumant sa lampe de chevet.

 

Prisonnier du passé

Resnais confronte toujours le passé au présent et Gilles Deleuze avait bien raison de trouver la structure du film assez simple :

"Malgré l'appareil de science-fiction, Je t'aime, je t'aime est le film de Resnais où la figure du temps est la plus simple, parce que la mémoire y concerne un seul personnage. La machine mémoire ne consiste pas à se souvenir, mais à revivre un instant du passé. Seulement, ce qui est possible pour l'animal, pour la souris, ne l'est pas pour l'homme. L'instant passé pour l'homme est comme un point brillant qui appartient à une nappe, et ne peut en être détaché. Instant ambigu, il participe même de deux nappes, l'amour pour Catrine et le déclin de cet amour. Si bien que le héros ne pourra revivre qu'en parcourant à nouveau ces nappes, et en en parcourant dès lors beaucoup d'autres (avant qu'il connut Catrine, après la mort de Catrine…). Toutes sortes de régions sont ainsi brassées dans la mémoire d'un homme qui saute de l'une à l'autre, et semblent émerger tour à tour du marécage originel, universel clapotement incarné par la nature éternelle de Catrine "

La volonté inconsciente de Claude le ramène perpétuellement au passé. Après les deux balbutiements très rapides du plan de plongé sous-marine, la troisième plongée, lors de cette minute de 16 heures du 5 septembre 1966, dure très exactement 57 secondes sur le DVD soit, au rythme 24 et non 25 images par secondes au cinéma, la minute voulue par l'expérience.

Mais y aura ensuite seize nouveaux retours dans la sphère soit, au total, vingt plongées dans le passé à partir de la sphère-cerveau. A celles-ci s'ajoutent celles à partir des retours pris en charge par les savants depuis l'extérieur de la sphère.

Les amorces sont d'abord majoritairement le plan dans l'eau (neuf fois), la sortie (huit fois), le tramway (trois fois) mais aussi, quand le film se centre sur la mort de Catrine, la chambre de Glasgow et l'annonce du meurtre à la confidente ("J'ai tué Catrine à Glasgow, il y a deux mois".)

Jean-Luc Lacuve le 15/01/2008

 

Entretien avec Claude Rich : souvenirs du tournage"- 15 minutes

Interview de Claude Rich par François Thomas et NT BINH. Avec son humour pince sans rire Claude Rich raconte la première idée de Resnais de filmer en caméra subjective :

- "Attention Claude, on ne vous verra jamais à l'écran."
- "Alain, avec vous c'est très bien."
- "La caméra sera vous. On vous verra quand vous passerez devant les miroirs."
- "J'espère qu'il y aura beaucoup de miroirs !"

Mais, huit jours avant le tournage, Resnais, embarrassé, appelle Claude Rich : "Je vous avais dit qu'on ne vous verrait pas. Si, on vous verra, mais on vous verra… tout le temps. Ce sera vous le centre de l'image. Vous serez toujours au centre de l'image"

Claude Rich s'est beaucoup attaché à ce Claude Ridder, personnage de Musset qui n'arrive pas à vivre mais qui a tellement envie de vivre. Et ce d'autant plus que
Catherine est le prénom de sa femme : "Je l'appelais Catherine, elle m'appelait Claude : c'était ma vie aussi". Claude Rich portait également ses habits personnels dans le film.

"J'ai été enthousiasmé par le sujet de Jacques Sternberg. Rarement un acteur a eu l'occasion d'avoir un rôle aussi complet. En deux heures, on voit tous les moments de sa vie. On le voit heureux, malheureux. C'est la vie d'un homme qui défile... Le personnage vit en déchronologie. Mais dans la vie quand on se souvient des choses, on se souvient en déchronologie."

Il se souvient de Olga qui s'est suicidée sans qu'il ne perçoive sa difficulté de vivre et narre la dernière scène avec la maquilleuse parlant du veau Maringaud, l'empêchant de se concentrer avant qu'il ne pleure réellement dans la dernière prise. "Moi, couché sur la table, j'étais en train de mourir… le dernier plan ce personnage allait mourir pour de vrai en même temps qu'il allait mourir à l'écran. J'ai pleuré sur le film, sur la fin du film, la fin de Claude Ridder et sur la fin de la joie d'avoir fait ce film".

En guise d'épilogue, Claude Rich évoque sa frustration de n'avoir pas pu voir projeter le film à Cannes du fait de la grève imposée par Truffaut et Godard. Il espérait avoir le prix. Quand, dans le train qui les emmene de Paris à Cannes, Resnais est averti de la grève, il est inquiet de trahir Mag Bodard. Mais il se montre solidaire des grévistes et, à Lyon, quitte le train pour remonter sur Paris. Claude Rich arrive à Cannes mais le film n'est pas projetté du fait de la grève. Une séance spéciale, 35 ans après, sera organisée à Cannes pour les 40 ans de Positif en 2002.

 

Rencontre Resnais-Sternberg : analyse du film et du scénario- 19 minutes

Une analyse du film, de sa structure et de son découpage par François Thomas, auteur de L'Atelier de Alain Resnais (Flammarion). Analyse entrecoupée d'une interview par Dominique Rabourdin de Jacques Sternberg qui raconte sa rencontre et explique la nature de sa collaboration avec Alain Resnais.

François Thomas rappelle la structure voulue par Sternberg : des flash-back sur des temps morts et non des moments essentiels. Le récit est assez simple : Claude Ridder rencontre Catrine. On suit les étapes de leur relation. On apprend qu'elle est morte puis comment. Claude se suicide.

Il y a des flash forward, des amorces, des balbutiements, des ratés de la machine qui se détraque. Les temps morts sont distribués de manière aléatoire : près de la mer, attendant un tramway à Bruxelles. Le film se déroule de 1951 à 1966 et plus particulièrement de la rencontre Catrine vers 1959 à la fin. Avant, quelques scènes de bureau décrivent le travail ingrat de Claude.

Claude est obsédé par le temps. Il a écrit un roman avec un office municipal qui distribue le temps avec, in fine, panne général de temps. Il organise une course de temps et téléphone à l'horloge parlante. Les scènes du passé sont une succession de séquences d'un seul plan.

Dans les rêves, claude apparait de dos, avec un éclairage insuffisant ou alors il n'est pas là au début du plan. Le film comporte 330 plans mais apparaît plus éclaté que Muriel, le temps d'un retour dont la structure est linéaire mais qui comporte un millier de plans.

Propos d'Alain Resnais à propos du film"- 12 minutes

Le cinéaste passe en revue l'équipe du film : Claude Rich qui s'est imposé à lui de manière tellement évidente, le travail de Albert Jurgenson au montage…

Pour Resnais le "Je t'aime, je t'aime" du titre est comme un "Bib bip" : un vaisseau en perdition, un SOS.

Alain Resnais revient sur son souhait de travailler avec les romanciers lorsqu'ils sont encore totalement étrangers à l'univers du cinéma. C'est Chris Marker qui le renvoie vers Sternberg dont il a lu les livres. Il l'apprécie aussi pour son humour, son surréalisme fantastique, sa belgitude et sa passion pour les cartoons du New-yorker..

Le film n'obtient que la moitié de l'avance sur recette escomptée. C'est Truffaut qui va, sans le dire à Resnais, convaincre Mag Bodard de terminer la production.

Claude Rich, s'impose dès le l'écriture comme l'interprète irremplaçable.. Resnais est sensible à sa voix, à ses changements de tonalité imprévisibles émouvants ou amusants dans les passages comiques.

Jean Boffety au cadrage veille à ce que le personnage principal soit toujours au centre, jamais sur les cotés. La musique traduit l'ambiance d'irréalité fantastique inquiétante.

 

 
présentent
 
Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais