Editeur : Montparnasse, février 2009. 15 €

Suppléments :

  • Paris-Beyrouth, 2005/2006 Court-métrage - 6 min La capitale libanaise filmée par Vincent Dieutre.

  • Sur la grâce (esquisse). Spectacle donné au Centre Georges Pompidou

 

Des hommes, la nuit dans un cimetière avec des lampes torches à la recherche des ossements des jansénistes enterrés loin de Port Royal. Dans une grange froide eu aux murs nus, huit hommes et femmes, rassemblés, lisent des textes en ancien français des auteurs jansénistes.

Vincent Dieutre veut en savoir plus sur le jansénisme, Port-Royal et les courants de pensée du 17e siècle. Il arpente le terrain désolé de Port Royal les champs dans la vallée de Chevreuse abandonnée aujourd'hui aux coquets pavillons de banlieue, il arpente aussi la célèbre abbaye parisienne de la paroisse saint Merri. Il interroge Philippe Sellier, professeur de la Sorbonne sur la pensée de Jansénius, soutenant que la grâce du salut était accordée aux uns et refusée aux autres, dès la naissance. Cette doctrine religieuse qui refusait l'accord avec la raison avec les compromis a été combattue par les jésuites proche du pouvoir et se trouvera éclipsé par la pensée des lumières.

Le rapport au monde de l'art est une dimension importante de la constitution du personnage que Vincent Dieutre joue dans son propre cinéma. Alors qu'habituellement, le film se centre sur lui, ici les neuf dixièmes du temps sont consacrés à la foi janséniste, à sa pensée exigeante et folle. Le premier carton l'indique : "Le jansénisme débuta par de grands hommes et finit dans de sanglantes convulsions". Tel sera donc le parcourt depuis l'arrivée d'Angélique Arnauld à port Royal (1602) jusqu'aux convulsionnaires de 1732. Pourtant un second et dernier carton prévient "le réel en histoire est ce qui résiste à l'historique". Il ne sera ainsi pas question ici de refaire un Corpus christi documentaire érudit, aussi docte qu'un peu ennuyeux.

Même si le passionnant Philippe Sellier fournit beaucoup de clés de compréhension du mouvement, le film est emporté par l'implication d'hommes et de femmes qui se lèvent la nuit, armés de torches, recherchant les traces d'ossements disparus, qui arpentent la vallée de Chevreuse, qui lisent avec application des textes anciens.

Le vrai sujet du film est plus la tension vers la découverte de ce que fut cette foi que la vérité de cette foi elle-même.

La matière, l'incandescence et le fragment guideront cette quête. La matière d'abord du film : le gain de la pellicule de la caméra super 8 dès les premières images, sur certains acteurs lisant, sur le château de Versailles sous la neige lorsque tout est dit pour les jansénistes, cette fragilité ce basculement toujours possible entre la laideur et le sublime, entre des gros plan sur des visages dégoûtés de singer les confessions ou se dégageant suprêmement beaux devant un arrière plan bleuté. Ce mélange entre vidéo et super-8 mais aussi entre présent et passé (filmer Port-Royal aujourd'hui devenu hôpital Cochin et station de métro, un scooter devant le porche d'une église, les phares des voitures éclairant la paroisse saint-Merri), autant de façons d'actualiser dans la modernité une quête qui risquait de ne rester que théorie passée.

L'incandescence c'est accepter de tourner dans une grange non chauffée, la lumière des lampes, des phares, toute cette modernité fragile et bricolée assumée comme un écho à l'incandescence de la foi janséniste.

Le fragment résume probablement le mélange des matières évoqué et tous les basculements rendus possibles par la transposition dans la quête moderne de l'incandescence du passé. Fragments sur la grâce donne l'impression rare d'un film sans aucun plan inutile où chaque grain de matière où chaque son enregistré s'inscrit dans une quête exigeante dans laquelle la raison ne peut rien. Telle est probablement la source de l'intérêt de Vincent Dieutre pour ce mouvement janséniste et l'intérêt d'en parler aujourd'hui : la raison par sa puissance a effacé le sentiment de la chute que chacun parfois est à même d'éprouver. La violence de notre siècle a peut-être besoin de se régénérer à ce qu'éprouvèrent ces hommes confrontés à un choix extraordinaire. La raison est un choix. Pascal, le premier, en osa les termes dans son fameux pari. Il opta lui pour la foi mais laissa le champ libre au siècle des lumières.

Sachons nous rappeler que ce ne fut qu'un choix. Philippe Sellier le rappelle au détour de l'une de ses lumineuses explications : l'idéologie c'est de faire passer pour naturel ce qui n'est qu'une fabrication historique.

J.-L. L. le 11/12/2006 (après la sortie salle)

 

Ciné-club de Caen

 
présentent
 
Fragments sur la grâce de Vincent Dieutre