Editeur : Les éditions Montparnasse, août 2012. Une pièce de Marcel Pagnol Mise en scène d'Irène Bonnaud Réalisation de Dominique Thiel Spectacle enregistré le 1er Novembre 2008 - 2h44

Fanny est amoureuse de Marius, le fils de César. Cependant mettre les voiles pour prendre le grand large apparaît à ce jeune homme plus excitant que rester derrière le comptoir du bar de son père ou dans les bras de la charmante vendeuse de coquillages. Marius s'embarquera donc sur un bateau pour faire le tour du monde laissant son amante à sa solitude et son père à sa honte. Ainsi s'achève Marius, le premier volet de la trilogie marseillaise. Avec Fanny, on se retrouve sur le Vieux Port. Tous les jours, César et la belle jeune femme se morfondent en attendant une lettre du fils et de l'aimé. Au Bar de la Marine, la joyeuse compagnie de leurs amis discute, aussi sérieusement que s'il s'agissait d'une partie de belote, de cette triste situation. Pagnol a inventé un Marseille mythique. Dans la lignée d'Alphonse Daudet, ses personnages truculents, sensibles, colériques et pudiques, sont légendaires. Honorine, Escartefigue, Monsieur Brun, Panisse, César, Marius et Fanny nous font autant rire qu'ils nous fendent le coeur.

Tout cela est horriblement tragique mais on peut manger quand même. " (Acte I, 2e tableau, scène 6)

Interprètes de la troupe de la Comédie-Française : Catherine Ferran (Honorine) ; Andrzej Seweryn (Panisse) ; Sylvia Bergé (Claudine) ; Jean-Baptiste Malartre (M. Brun) ; Pierre Vial (Escartefigue et le Chauffeur de M. Panisse) ; Serge Bagdassarian (Frise-poulet, M. Richard et le Docteur Venelle) ; Marie-Sophie Ferdane (Fanny) ; Stéphane Varupenne (Marius, le Facteur et le Parisien) ; Gilles David (César). 2h44

Scénographie Claire Le Gal, Costumes Nathalie Prats-Berling, Lumières Daniel Lévy, Réalisation sonore Alain Gravier, Maquillages et coiffures Catherine Saint-Sever, Assistante à la mise en scène Sophie-Aude Picon, Assistante aux costumes Céline Marin.

Trente-cinq ans après sa disparition, Marcel Pagnol entre enfin à la Comédie-Française en 2008 avec Fanny, dans une mise en scène contemporaine d'Irène Bonnaud. Une vision moderne du volet le plus complexe et le plus riche de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol. Une adaptation sublime de cette pièce ancrée pour toujours dans la culture populaire française et à mille lieux ici des images d'Épinal de la Provence. A commencer par l'accent marseillais mis de côté cette fois pour donner une portée universelle. Des dialogues vifs, amusants mais l'action de la pièce se déroule -et c'est son originalité- quelque part entre les années 70 et maintenant…

Programmer Fanny au Théâtre du Vieux-Colombier en l'éloignant de son contexte marseillais, c'est retrouver chez Marcel Pagnol l'homme de théâtre, et rendre à sa prose dramatique une dimension universelle.

C'est aborder la trilogie par le centre, où la partition des parents est la plus forte, où la fable se suffit à elle-même. C'est suivre une femme déchirée par des sentiments contradictoires qu'une famille improvisée influence ; une femme dont l'élan fertile cèle un cruel bonheur. Au sein de cette réunion bancale, sans père d'un côté, sans mère de l'autre, le "monstre parent" prend les rênes, impose sa loi. Ici c'est le coeur qui parle d'abord, c'est lui qui donne les réponses sans pourtant rien résoudre. L'enfant à venir, aveu d'une nuit d'amour, est un prétexte à toutes les compromissions. Et la cellule familiale qui conseille, se déchire.

Il fallait pour ce pari une distribution inattendue, composée de personnalités fortes et singulières que la vie d'une cité portuaire a déposées là. Il nous fallait le regard d'une femme pour lire la pièce à travers les yeux de Fanny. Il nous fallait une sorte de proximité mouillée par les accents du monde entier, pour que nous pleurions avec Fanny la perte d'une jeunesse volée.


Fanny s'inscrit comme le deuxième volet de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol. Débutée avec Marius en 1929, achevée en 1946 avec César, la trilogie fut aussi une série de films. Fanny, créée en 1931, à la suite du succès rencontré par la première pièce, reprend les mêmes personnages, désormais plongés dans le désarroi et l'incertitude de l'avenir. Marcel Pagnol avait, avec Marius, tracé l'itinéraire initiatique de deux jeunes gens, impuissants à donner une chance à leur amour. Dans Fanny, il compose avec le personnage de Panisse, un portrait ambiguë des vertus et des petitesses d'une charité bien ordonnée. Pagnol retrouve alors une veine de moraliste laïque qui fit le succès de Topaze en 1928. Sans illusion, sans amertume ni mépris pour l'universalité des faiblesses humaines, il propose en alternative à la difficulté de vivre, un pessimisme à l'accent chantant.

Irène Bonnaud : "Je crains qu'on ne méconnaisse l'œuvre de Pagnol à cause de sa célébrité même. Un auteur trop populaire est parfois suspect et cette pièce, je m'aperçois que peu de gens l'ont lu. On a vu le film, souvent, mais la pièce est plus ample, plus riche, plus complexe. On dira": Fanny, c'est du théâtre de boulevard. Mais c'est un peu aussi une tragédie grecque. Une communauté bouleversée par un fils qui est parti, une parole qui circule, inlassablement, comme pour conjurer le malheur. Ici, tous, hommes, femmes, et même l'étranger, Monsieur Brun, ont leur mot à dire sur la décision à prendre. La cité s'interroge sur son destin, argumente, confronte les opinions, et la parole est au centre de tout, virtuose, passant du comique aux imprécations, du récit au duel verbal, du plaidoyer aux mots d'amour. Il est peu d'auteurs de théâtre qui soient d'aussi brillants dialoguistes, et ici, même les répliques fameuses, les ""mots d'auteur"", ne sont jamais gratuits. Mais c'est parce qu'ils adviennent et s'évanouissent dans l'urgence, comme si la survie de la cité en dépendait.

Pagnol réussit cette chose rare : réactiver les mécanismes des spectacles populaires, la farce, le mélodrame, le music-hall, en posant des questions qui sont fondamentales à toute communauté humaine - l'individu et le collectif -, la liberté et l'ordre, l'appartenance et l'exclusion. C'est une comédie dont la fin est violente, dure, brutale. A-t-on vraiment pris la bonne décision"? L'auteur ne le dit pas et toute tentative pour transformer la pièce en manifeste réactionnaire ou en brûlot anarchiste paraît absurde. C'est une bonne pièce parce que tous les personnages ont leurs raisons et qu'aucun d'entre eux n'a absolument raison. Et comme dirait Brecht, le rideau fermé, les questions restent ouvertes."

 

 
présentent
 
Fanny de Marcel Pagnol