Editeur : Editions Capricci. Collection : "Que fabriquent les cinéastes". Version originale portugaise avec sous-titres français ou espagnols. 29 €

Supplément :

  • Un livre de 176 pages, 13.9 x 18.7 cm, avec 220 photos noir et blanc et couleurs. Entretien, inspiré, de Pedro Costa avec Cyril Neyrat. Rapprochement de photogrammes des films de Costa avec ceux de ses maîtres par Andy Rector, artiste californien.

 

Dans sa chambre, Vanda fume et tousse. Elle discute avec sa sœur Zita de leurs amis et des bars qu'ils fréquentent, le Climax et La cave. Le soleil assombrit ou éclaircit la pièce alors que, venant de la pièce d'à coté, on entend des bruits et la chanson de Nicoletta Il est mort le soleil. Zita dit que Pango, dit aussi Nhurro, Yuran ou Chumbito, s'est trouvé une piaule chez" la femme qui a tué son enfant". Vanda va préparer de la coke....

Film totalement habité de la présence du réalisateur, par sa façon de sentir la présence de ceux qu'il filme tout en l'exprimant magnifiquement avec presque rien : une caméra DV, des plans fixes et un choix de couleurs où ressortent le vert et l'ocre de l'ombre d'une chambre, d'une rue, d'un quartier parfois striés de lumière.

Une légende en construction

Avec Dans la chambre de Vanda, Pedro Costa décrit une adolescence déchue, accrochée à une chambre, un quartier qui raconte sa propre légende et nous la transmet avant de disparaître. La présence de ce que la critique appelle souvent des corps de cinéma et que l'on peut définir comme l'attention à la personne, toute à la fois personnage et acteur rattache le film au genre du documentaire de fabulation.

En se fondant parmi les gens du quartier, Pedro Costa raconte ainsi la légende de Fontainhas, banlieue destinée à disparaître où les hommes et les femmes tirent, comme chez les Straub, leur grandeur de leur souffrance quotidienne (la faim, le froid, le manque). Il se rapproche aussi de Ozu ou de Rossellini en incarnant dans le quotidien la dimension métaphysique de ses personnages.

La mise en scène simple et rigoureuse dans ses cadrages, toujours en plan fixe se fait souvent lyrique dans le choix des couleurs ou la position des personnages. Le montage alterne les scènes avec Vanda, toujours disserte, avec celles des jeunes hommes drogués qui l'entourent et dont la souffrance est souvent traitée sur la mode christique (shoot filmé comme un Georges de la Tour, visage barbu et émacié de Paulo-béquilles).

 

Un monde qui se construit sous nos yeux

La typologie des lieux est assez vite identifiable. La chambre de Vanda, celle qui définit son territoire d'adolescente, elle la partage avec sa soeur Zita. Le salon à côté est envahit de cageots vide autours du canapé où l'on regarde la minuscule télévision accrochée au mur. C'est la télévision qui diffuse les musiques entendues : Il est mort le soleil, la musique de Bach ou la chanson italienne. Sont également entraperçus la cuisine et le pas de porte où sont entreposés les fruits et légumes. On verra plus souvent l'arrière-cour pleine de cageots vides où est installé le barbecue alimenté du vieux bois et qui fume abondamment lorsque la viande cuit.

Du quartier, on verra la rue où Vanda commence sa tournée de légumes puis une sorte de non man's land fait d'herbes hautes qui conduit probablement au cimetière où, contrairement à ce que croit Vanda, ce sont les fleurs artificielles et non naturelles qui sont interdites

A l'arrière plan se profilent les nouveaux immeubles qui remplaceront le quartier détruit. On retrouve là la saisie dans l'architecture des mutations sociales telles qu'on a pu les voir dans La notte , Main basse sur la ville , La vie comme ça et qui seront à l'arrière plan En construction , I don't want to sleep alone ou Gomorra

Du quartier ne restera à la fin que ces quelques pierres de maison détruite avant que ne s'élève, sur fond noir, la musique de Kurtag qui nous incite peut-être à être dorénavant porteurs de la légende de Fontainhas détruit.

Les personnages sont souvent plus difficiles à identifier. D'abord parce qu'il n'y a pas d'action décisive. La chambre de Vanda est le lieu privilégié où se racontent les histoires du quartier. Il n'y aura en effet aucun drame de montrer. Tous seront racontés : le départ du père qui les a abandonné, l'arrestation de Nela dont le rouquin nous a informé en premier, la mort de Geny qui fait l'objet de la discussion entre Pedro et Vanda.

Sont délivrés progressivement les indices qui permettent de recomposer la famille de Vanda. Lena sa mère a été abandonnée par son mari après la naissance de Zita alors qu'elle avait déjà Nela et Vanda. Elle s'est remariée avec Miranda avec lequel elle a eut Diogo. Lorsque Paulo-Béquilles dira avoir été sauvé par le père de Vanda c'est probablement Miranda dont il parle.

Pango est un personnage presque aussi important que Vanda et Zita. Il est connu sous plusieurs noms : Nhurro, Yuran ou Chumbito. Ami d'enfance de Vanda, il habite tout près car ce sont souvent les mêmes bruits que l'on entend chez Vanda comme dans son squat. Tous les jeunes hommes du quartier gravitent autour de lui car son squat est assez tranquille pour se shooter tranquillement. Y viendront ainsi notamment Nando qui met toujours une certaine mauvaise grâce à l'aider, puis Paulo-béquilles qui y laissera sa cuillère en argent puis le Rouquin, le garçon aux merles, avec lequel il entretient peut-être une relation homosexuelle

Pour Mallarmé, l'art rétribue les imperfections du monde. Avec Dans la chambre de Vanda, Pedro Costa substitue une légende qui se construit à un monde qui s'écroule. Cette inscription mérite bien 2h50 de film comme A l'ouest des rails avait tout autant besoin de ses neuf heures pour décrire la mutation d'une ville chinoise.

 

Le livre

 

Beau livre (les pages et photogrammes sur fond blanc de la conversation avec Costa alternent avec ceux sur fonds noirs des photogrammes et commentaires de Andy Rector), compacte (facile à lire ou relire chez soi ou dans une file d'attente) et bien relié (des multiples lectures n'ont pas entamé la solide reliure).

L'analyse-rêverie, comme il la définit lui-même, de Andy Rector établit des correspondances entre des photogrammes du film et ceux des Straub, de Yasujiro Ozu, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Marguerite Duras, D. W. Griffith, Dreyer, John Ford, Fritz Lang, Howard Hawks ou Jacques Tourneur.

Le coeur de l'ouvrage est constirué par la conversation avec Pedro Costa avec Cyril Neyrat qui eut lieu du 13 au 15 août 2007 à Sintra dans la maison du réalisateur à 15 kilomètres de Lisbonne dans la montagne et dans la maison qu'habitat Hans Christan Anderson.

Dans son avant-propos Cyril Neyrat déclare

Avec Dans la chambre de Vanda, Pedro Costa a rapporté les malheurs et les hauts faits des petits de ce monde. Il la fait dans la langue noble d'une tradition réaliste du récit cinématographique, inaugurée par Griffith au début du siècle dernier. Huit ans après sa sortie, le statut et l'aura de ce film n'ont fait que grandir. (p. 6)

 

Au fil des courtes questions et des longues réponses, sans doute réécrites pour la fluidité de la lecture, Pedro Costa explore la genèse du film. On retiendra tout particulièrement ce qui explicite l'intense beauté du film :

  • Vu le film tel qu'il est maintenant, la forme qu'il a, il ne peut venir que de choses comme la fatigue, le dégout. Pas d'une recherche. Ni d'une rupture, au sens d'un film qu'on ferait en se disant : "j'ai une idée, je vais faire u film avec cette forme, dans ce milieu. ". Il vient sûrement des années d'avant le cinéma, d'autre chose que du cinéma Il ne vient pas de l'enfance mais sûrement d'une adolescence, c'est à dire de la chambre. C'est banal, poétiquement banal, tous les adolescents comprennent ce désir d'être un peu enfermé, de ruminer ses pensés, ne pas parler, inventer, rêver, prendre des drogues. La poésie, Pessoa, Rimbaud, le rock, les complicités, des rêves de changer les choses ou de ne rien changer du tout. De tout ce qui fait une chambre d'adolescent. Cela vient sûrement de là ; de ce que je n'arrivais pas à dire. Les films faits jusqu'à Vanda avaient pris des détours laborieux. Je mes sentais un peu loin de moi, même si je sentais déjà qu'il ne fallait pas trop faire des films sur soi, ça me dégoûtait déjà. (p. 9)
  • C'est Vanda qui un jour a décidé de repeindre sa chambre en vert. La couleur des autres qui arrivaient d'Afrique ; c'est les Africains qui ont donné ce côté un peu souk ou casbah souterraine, presque, avec des couleurs ocres (p. 126)

 

J. L. L. le 10/10/2008

 
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