DVD

Editeur : Bac Films. Juillet 2008. VOSTF (Anglais) : Mono 1h27

Suppléments :

  • Présentation du film par Noël Simsolo
  • A propos d'Ernst Lubitsch par Noël Simsolo

Lady Maria Barker, épouse d'un diplomate anglais qui la néglige un peu, décide de donner un peu de piquant à sa vie et prend un amant. Las, le mari rencontre l'amant, se prend d'amitié pour lui et l'invite à la maison...

Un des films les plus éblouissants de Lubitsch où la pensée du spectateur est sans cesse convoquée. Ce n'est cependant ni un drame ni une comédie. Il fut ainsi un retentissant échec, menaçant moins la carrière du réalisateur que celle de Marlene Dietrich pourtant formidable dans le registre de la femme délaissée.

L'une des raisons de l'échec public du film est l'absence de dramatisation. Aucun des deux hommes prétendant à l'amour de Maria n'a de défaut prêtant à sourire ou le déconsidérant vis à vis de l'autre.

An uncertain feeling

Il ne s'agit donc pas de décider entre l'amour et l'argent mais de choisir entre un amour éteint mais sans doute potentiellement fort et le trouble amoureux. Celui-ci est décrit par Halton. C'est plus et moins que l'amour. C'est un sentiment indéfinissable (an uncertain feeling), c'est un secret que l'on partage deux. A Ange qui lui dit que son mari ne pense pas en secondes mais en années, Halton répliquera qu'il préfère 60 minutes avec elle que les amours de Cléopâtre et César qui finalement tiennent sur 25 pages d'un livre d'histoire. "Si c'est beau, qu'importe la fin " dira aussi Halton qui garde intact l'intensité du moment et l'inscription à jamais dans la mémoire des mots prononcés : "vous avez des yeux gris, des cheveux bruns, un charmant sourire, vous êtes séduisant".

Maria se souvient pourtant toujours intensément de la première valse dansée avec Frederik qu'elle joue à la place de l'air du café Danube. Quand Halton lui demande si elle est comblée en faisant non de la tête, elle baisse la sienne.

Elle a déjà exprimé sa solitude à Frederik en lui racontant son rêve. Elle a eut le temps de faire le tour du monde pendant qu'il parle toujours à la SDN. Elle l'a alors emmené à Paris sur un banc (réminiscence de la promenade avec Halton) où elle avait peur et froid. Elle conclut par le réveil de Graham avec le télégramme. Elle voudrait que son mari l'ait battue et portée à l'étage.

C'est paraillement par un appel au trouble et à l'incertitide qu'elle defie son mari tenté d'ouvrir l'ultime porte du salon : "Si tu n'y entre pas, il te restera un doute. Tu seras mois sur de toi, tu seras moins sur de moi et ça pourrait être merveilleux."


Qui est Maria ?

Maria partagée entre deux hommes est elle-même deux femmes à la fois. c'est ce que dira halton: "Nous voyons le même objet sous deux regards différents. Un abat-jour bleu, une fois éclairé vous apparaît du plus beau vert."

Le travelling qui découvre au travers de ses cinq fenêtres l'établissement de la duchesse Anna fait découvrir dans les fenêtres deux et trois une jeune femme qui fait examiner une bague par Anna. Il n'est ainsi pas trop difficile de conclure qu'il s'agit d'une maison de rendez-vous pour riches touristes à la recherche de belles étrangères avec qui l'aventure peut aller d'une nuit au mariage. Dans ce club privé, on y est recommandé. Halton vient de la part du capitaine Buckler.

Maria se fait annoncer comme une veille amie. Six ans qu'elle n'a pas vu Anna. Elle était partie à Rome pour se marier à Savoldi, ce qu'elle ne fera finalement pas. Elle se dit aujourd'hui dans une situation délicate, n'a pas besoin de bons conseils : la raison et la logique ne peuvent l'aider. Elle vient ainsi probablement interroger Anna sur la façon de reconquérir son mari. Que celui-ci connaît d'ailleurs il évoquera le même genre d'établissement qu' Un après-midi à Paris.

On pourra aussi s'interroger sur le fait de savoir si Maria et Halton ont fait l'amour à Paris. Certes ce dernier a loué un salon privé avant la promenade au parc. Mais il a tout raconté à Frederik avec qui il partage l'intimité d'une ancienne maîtresse commune et Frederik dira : "Il a tout sublimé : une nuit dans le parc, le bouquet de violette puis elle disparaît". Si le plan des lèvres de Maria dans la coupe de champagne vaut acceptation sexuelle, il est aussi probable que Maria n'a pas succombé lors de cette première soirée.

 

Laisser au spectateur le soin de conclure.

La mise en scène est brillantissime et comporte plusieurs morceaux de bravoures. Le premier est le travelling qui part de la porte et passe en revue les cinq fenêtres avec la femme à la bague. Le second sont les départs hors champs successifs des deux amants avec la marchande de violettes.

Mais la "Lubitsch touch" appliquée avec le plus de constance est l'ellipse qui pose un suspens et laisse au spectateur imaginer le plan de conclusion. On ne voit ainsi pas le réceptionniste lire le vrai nom du passeport différent de celui, Mme Brown, donné par Angel. Au champ de course, on ne voit pas Maria découvrir Halton à la jumelle. On entend seulement le commentaire de Emma qui la dit bouleversé. Le plan sur la photo retournée dit seul que Halton sait que la maîtresse de maison est Ange avant de la voir pénétrer dans la pièce. Le plan sur le combiné du téléphone fait comprendre à Frederik qui est Ange.

L'utilisation du hors champ donne lieu à l'autre très célèbre scène du film, celle des commentaires des domestiques. Ils constatent que madame ne cesse d'émietter son pain puis philosophent sur l'inintérêt de la conversation autour de la tour Eiffel et de Notre-dame. Ils pensent que ça s'arrange lorsque Frederik raconte sa blague de l'Ecossais qui a lieu d'acheter un piano se met à fredonner. Ils sont enfin consternés que madame ait coupé sa viande sans y toucher et que Halton n'y a non plus presque pas touché.

La satire est là violente envers les domestiques qui n'ont qu'une version tronquée de la situation et concluent faussement. Puisque sir Frederik a mangé ce n'est donc pas la faute de la viande. La conclusion est donc : "pour M. Halton, jamais de veau." Les plans sur les portes expriment aussi le cloisonnement des milieux ou des sexes.

L'humour avec les domestiques que ce soit Graham, le valet de chambre ou Walton, le majordome, sera constant. Ils sont devenus difficiles sur les conversations. Les valets ont leur honneur : l'un a quitté son maître après vingt ans car il avait adhéré au labour party. Emma est ravi de voir ces "célébrités" en chair et en os mais se fait réprimander pour connaître un chauffeur américain et Walton sera fâché que Emma ait appris à danser la rumba. Graham est outré que les délégués français n'aient pas même de valets de chambre. Suivant les conseils de son maître : "Un homme politique doit savoir braver l'opinion publique"...et déranger son maître le matin.. Lorsque il est intérogé sur le temps, archi pluvieux, il répond "pas mauvais" et Frederick lui dira " C'est un mélomane qui a du vous persuader d'être valet"

l'humour s'exprime aussi par les nombreux sous-entendu sexuels :" J'ai déjà vu Mona Lisa. La tour Eiffel ? Le grand machin métallique !! Vous n'allez pas me proposer notre-dame". ou " Organiser une grande fête, pas trop grande, à six quatre... deux."


J.-L. L. le 31/09/2008

 

 

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Ange de Ernst Lubitsch