Editeur : Carlotta-Films. Janvier 2011. Nouveau master restauré. 15 €

Supplément :

  • Bande annonce.

La vie d'une famille dans un bidonville romain. Le patriarche Giacinto possède un magot (un million obtenu en indemnité pour la perte d'un oeil brûlé à la chaux vive) que ses enfants essaient de lui voler chaque nuit. Mais Giacinto ne dort pas tout à fait sachant que ses enfants veulent s'approprier son trésor, il trouve toujours de nouvelles cachettes et défend son bien avec un fusil dont il se sert sans scrupule.

Scola, qui s'est toujours intéressé aux différentes composantes de la société romaine, situe son film dans un bidonville qui rappelle ceux que la France connaît à la même époque, à Nanterre notamment. Scola renonce à son idée de départ de tourner un documentaire et reconstruit totalement le bidonville sur une butte près de saint Pierre de Rome dont on aperçoit de nombreuses fois la coupole dans le film.

L'histoire demeure néanmoins très minimaliste, procédant par accumulation de scénettes. Elle ne démarre vraiment que lorsque le patriarche se choisit une nouvelle femme. Il est ainsi laissé beaucoup de place à la description des distorsions dans leur perception de la réalité par les exploités et les marginalisés de la société.

Un pamphlet politique irrécupérable

Cette description va totalement à l'encontre de la vision positive donnée par De Sica en 1951 dans Miracle à Milan. Au lieu de pauvres gens opprimés, patients, prêts à souffrir en silence, Scola nous montre des individus vicieux, bestiaux, avares, hargneux, dont la dépravation économique a complètement sapé les valeurs morales.

Bien loin du paternalisme bienveillant de De Sica et de l'idéologie progressiste du néo-réalisme, Scola est en revanche très proche de Accattone et Mamma Roma. Pasolini avait aussi décrit ces êtres à la marge qui ne désiraient rien tant que ce que la société de consommation donnait aux autres et cherchaient à l'acquérir par le vol ou la prostitution. Pasolini avait accepté de faire une préface au film où il aurait été filmé en gros plans et aurait expliqué l'évolution du sous-prolétariat entre Accattone (1961) et Affreux sales et méchants (1976). Sa mort, le 1er novembre 1975, a empêché le tournage de cette préface.

Pour les catholiques, le pauvre est exemplaire et le paradis lui appartient. Pour les marxistes, il justifie la révolution. Dans les deux cas, le pauvre est détourné de sa véritable signification pour des besoins idéologiques. Pour Pasolini comme pour Scola, il ne faut pas l'idéaliser, il a de réelles raisons d'être méchant.

Cette analyse n'est pas recevable par la démocratie chrétienne mais pas davantage par la gauche car il n'y a pas d'incitation à la rébellion. Les pauvres, sans conscience de classe, s'accommodent de l'ordre social et l'utilisent de manière minimaliste.

Féroce pamphlet politique, le film refuse ainsi toute démonstration, toute idéologie rassurante. Il livre juste un constat nihiliste et furibard, d'une cruelle drôlerie, scandé par les aphorismes de Giacinto "La famille c'est comme la merde, plus elle est proche et plus ça pue" ou ses ruses pour planquer le magot.

Panoramiques sur un personnage shakespearien

Le film bénéficie de l'interprétation d'une star (Nino Manfredi), de professionnels du théâtre et d'habitants des bidonvilles. Manfredi, qui se compose un masque inoubliable avec son œil à demi fermé, exécute une scène d'anthologie lorsque, après avoir été empoisonné par les pâtes, il tombe de sa bicyclette et s'administre un lavage d'estomac avec une eau mise sous pression grâce à la pompe à vélo. Il y manifeste la volonté de survie du personnage qui le range parmi les figures des rois shakespeariens déchus s'accrochant à leur couronne.

Scola aime bien les tournages dans des lieux uniques que ce soit un bal, un appartement, une terrasse ou la diligence de La nuit de Varennes. La pièce unique du baraquement de Giacinto lui permet ainsi de multiples panoramiques dont celui de 3mn30 qui parcoure deux fois la pièce avec démarrage d'une moto, bagarres et monologues de Giacinto.

 

 
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