Renault, la puissance et les rêves

1997

Anasthasie, chantée par François Béranger

Avec : Patrick Fridenson (historien), Michel Hillibert, Clara et Henri Benoits (anciens délégués CGT à Billancourt), Jamaa Ourami (délégué CFDT à Flins), Pierre Bezier (inventeur, ancien directeur des méthodes mécaniques) Michel Faivre Duboz (directeur projet Megane), Raymond Levy (PDG de Renault de 1987 à 1992), Philippe Worms et François Béranger.

Le film s'ouvre sur des images d'archives décrivant de façon lyrique une nouvelle génération d'hommes où le rêve se mêle à l'efficacité. Renault invente la prise directe au tournant du siècle, un système de boite de vitesse et de transmission qui rend ses voitures plus souples, efficaces et silencieuses. Après un premier succès en course la réputation de ses voitures est faite : solidité performance et endurance. Dans le petit atelier familial de Billancourt aux portes de la capitale, il fabrique des voitures légères qui tranchent sur les voitures de luxe de ses concurrents. Renault fabrique ses moteurs, ses roues et possède sa propre fonderie : l'aventure industrielle est en marche.

1905, première grosse commande : la fabrication des taxis parisiens, première fabrication de série en France. Dans l'automobile, les ouvriers sont très qualifiés Louis Renault :

"L'ouvrier français a le tempérament un peu artiste, il aime à fignoler son travail, à lui donner un cachet de personnalité, il voudrait qu'on puise le reconnaître dans son œuvre, cette façon de travailler ne peut plus convenir dans l'avenir. Il ne nous sera possible d'améliorer notre production qu'avec l'organisation rationnelle de l'usine et la spécialisation du travail."

Mise en place du taylorisme en 1912 qui change de fond en comble le travail ouvrier. Selon l'historien Patrick Fridenson, c'est un ingénieur qui l'introduit de son propre chef et il convainc son patron Louis Renault d'aller rencontrer Taylor et Ford aux Etats-Unis ce qui sera le premier grand pèlerinage aux Etats-Unis. A son retour, Louis Renault généralise chronométrage des opérations et outils standards. Grande grève de 1913, symbole des combats ouvriers contre les nouvelles méthodes. Après 44 jours de grève, l'échec est total. Renault a rompu tous les contrats de travail, a réembauché les ouvriers un par un, 450 d'entre eux ne sont pas repris les listes noires s'allongent.

1914, Renault fait la guerre en fabriquant fusées, avions, canons, fusils et chars r légers. Il améliore aussi la production en reprenant à Ford l'organisation du travail à la chaîne dont les premiers essais en France se font à partir de 1917 pour les chars.

En 1918, Renault est un empire 22 000 personnes dans les usines de Billancourt. En produisant ses propres machines, Renault ne dépend plus que de lui-même. Il s'adresse aux classes moyennes, contrairement à Citroën où tout est pour la voiture. Renault a un mot d'ordre "voir grand et faire vite" ; voitures de tous modèles et de toutes puissances de 6 CV à 40 CV et véhicules utilitaires. Entre 1920 et 1930, il passe de 150 000 véhicules à plus d'un million dont plus de la moitié dans les villes de moins de 20 000 habitants.

1922, Renault généralise les chaînes de montage. Le nombre des ouvriers sur chaînes les OS dépasse les ouvriers qualifiés il veut que l'ouvrier travaille par réflexe et donne le rendement maximum. Michel Hillibert, ancien délégué CGT à Billancourt rapelle qu'en serrant la main à un ouvrier, on savait sur quel outil il travaillait. L'ouvrier a la main déformée par tel ou tel outil et souffre de son incapacité à décrire son travail.

1929, construction des ateliers de l'île Seguin, surnommée l'île du diable, l'ordre et la propreté règnent. Pour Renault vivre c'est consommer, progrès civilisation rendement. 1934 lutte contre l'extrême droite. Grèves du 1936, Clara et Henri Benoits, anciens délégués CGT de Billancourt rappelllent les mannequins de chefs d'ateliers pendus sur les machines, Louis Renault surnommé le saigneur de Billancourt. 1938 répression des grèves. Renault envie les méthodes allemandes Les bombardement allié de 1942 et 1943 sanctionnent cetet collaboration. Louis Renault meurt le 24 octobre 1944.

16 janvier 1945 ordonnance de nationalisation des usines Renault, un mythe : ne plus travailler pour l'intérêt particulier d'un homme mais pour tous les français, pour tous les ouvriers. Mot d'ordre "retroussons nos manches pour l'avenir du pays". Pierre Faucheux premier PDG avec la 4 chevaux plusieurs centaines de véhicules par jour. Machines transferts de Pierre Bezier, directeur des méthodes mécaniques avec l'atelier U5. Nouvelle 4cv 300 par jour

1947 : deux grandes grèves qui rompent les relations PDG CGT . Une voiture deux fois moins chère que la moins chère des voitures d'avant guerre

1952 : décentralisation de l'usine de Flins. Grandes grèves. Renault devient le laboratoire social du parti communiste et, éventuellemnt, son tremplin révolutionnaire : baromètre des rapports de force 1952 , 1955 Pierre Dreyfus remplace Le faucheux qui s'est tué au volant de sa frégate. A la fin des années 50 la moitié de la production est exportée. 1955 : premier accord d'entreprise 3ème semaine de congé et système de retraite. Yves Georges directeur des études 1956-1976 :Innovation r4, r16, r5 avec traction avant plus pratique et une grande porte derrière, refroidissement en circuit scellé, pas de point de graissage, haut de gamme pour accompagner la clientèle dont la famille s'agrandit. Ce ne sont pas les Trente glorieuses pour rien !

1968 : usines de Flins et de Cléon. Jamaa Ourami, délégué CFDT à Flins, parle des grèves de 1973. Michel Faivre Duboz, directeur du projet Megane. Fin des années 70 : l'âge des robots. Pierre Bezier innove avec un système de modélisation mathématique et de la conception assistée par ordinateur. Raymond Levy, PDG de Renault de 1987 à 1992 : la tache et la culture de l'ouvrier se sont enrichis. Le personnel actuel est de niveau bac + . Renault devient société anonyme le 31 mars 1992. L'usine de l'île Seguin ferme en 1995. Le nombre de col blanc dépasse les cols bleus, les coûts commerciaux dépassent les coûts de développement plus d'argent pour vendre que pour concevoir, la qualité est nécessaire mais pas suffisante.

Daniel Goeudevert, ancien vice-président de Volkswagen, a commenté ainsi ce documentaire lors de son passage sur la cinquième chaîne de télévision:

"Le film décrit une époque en train de disparaître : le sentiment d'avoir appartenu à une communauté qui était industrielle. Ce sont les propos des syndicalistes qui constituent les moments les plus émouvant de ce film. Ils parlent de Renault comme d'une famille et ils regrettent ce temps. L'industrie se déshumanise. "

Le film met en parallèle les images des usines de l'île Seguin, à l'abandon aujourd'hui, et les rêves d'antan des industriels aussi bien que des ouvriers.

Le film se termine de manière nostalgique en regrettant que Renault ne revendique plus autre chose que d'être une puissance ordinaire. Dans une société sans rêve où les hommes plient devant l'incroyable poids des choses, l'entreprise ferme une usine en Belgique et en ouvre une autre au Brésil.

Qui prendra la relève de François Bérange qui, au fil de l'eau, devant les ateliers désaffectés de l'île Seguin, entonne une vibrante chanson ouvrière : Anasthasie ?