Z32
2008

Un ex-soldat israélien a participé à une mission de représailles dans laquelle deux policiers palestiniens ont été tués.

Il cherche à obtenir le pardon pour ce qu'il a fait. Sa petite amie ne pense pas que ce soit si simple, elle soulève des questions qu’il n'est pas encore capable d'affronter.

Le soldat témoigne volontairement devant la caméra tant que son identité n'est pas dévoilée. Le cinéaste, tout en cherchant la solution adéquate pour préserver l'identité du soldat, interroge sa propre conduite politique et artistique.

La seconde Intifada(1), conflit israélo palestinien amorcé et conclut par Ariel Sharon entre 2000 et 2005, a fait environ 300 victimes. Celle dont est responsable le soldat Z32 est certainement l'une des plus absurdes et relève comme il l'indique du crime de guerre.

Avi Mograbi met en scène un dispositif qui a pour but de ramener l'acte de ce soldat au sein de sa propre mémoire, au sein de celle de son couple, et au sein de la société des hommes. Il court-circuite en cela la société israélienne qui serait en droit de juger ce soldat si, comme lui demande sa femme, il dénonçait ce soldat aux autorités afin que lui et son unité soit jugés.

La femme du réalisateur, un contrepoint bien commode que Mograbi réutilise avec délectation chaque fois qu'il le peut, représente le point de vue moral intransigeant, celui qui serait certainement valide si la société israélienne ne cautionnait pas à ce point les massacres qu'elle commet en représailles aux attentats qu'elle subit pour les oublier encore plus vite.

Valse avec la conscience

Comme le déclara Ari Folman après Valse avec Bachir à propos des massacres de Sabra et Chatila : "Des milliers d'ex-soldats israéliens ont enfoui leurs souvenirs très profondément. Ils pourraient vivre ainsi le reste de leur vie. Mais cela peut toujours exploser un jour, causant on ne peut savoir quels dommages. C'est exactement ce que l'on nomme la maladie du stress post-traumatique".

Folman met en place un dispositif de fiction appuyé sur une base documentaire pour faire surgir in fine la vérité en son sein sous forme d'images réelles des camps. Son travail consiste à faire revenir le réel enfoui dans l'inconscient du soldat. Folman explique comme Mograbi les conditions d'endoctrinement qui conduisent les soldats à commettre des actes criminels. La réflexion de Mograbi prolonge celle de Folman, en travaillant non plus sur l'inconscient mais sur la conscience du personnage.

Il laisse d'abord le soldat qui a accepté de se confesser se mettre ne scène comme il le souhaite, lui confiant une caméra pour enregistrer ses discussions avec son amie. La première difficulté étant alors de trouver le ton juste. Il faudra plusieurs tentatives pour que l'un et l'autre repensent cet acte et prennent conscience que celui qui l'a commis n'est plus celui qui discute à présent.

Si Z32 ne va pas jusqu'à déclarer formellement à son amie qu'il a du remord, c'est que cela lui semblerait déplacer tant il lui semble ne plus avoir de rapport avec le soldat qu'il était et que par dérision il nomme, Ronny.

Mograbi renforce ce travail de mise à distance en confrontant Z32 à une reconstitution. Neutre dans la mise en place d'un dispositif pour faire surgir une parole vraie, neutre dans son accompagnement du soldat, il accepte d'être "dans la même barque" que lui. Comme lui, il met à distance l'acte criminel et gagne une proximité de cinéaste avec le soldat qui met en scène le travail de sa conscience.

Le pouvoir de catharsis de la tragédie

Dans son rapport au soldat Z32, Mograbi cherche la distance juste qui sera finalement celle de la mise à distance de l'acte criminel par le ressassement et le travail de la conscience. Il procède au mouvement exactement inverse en ce qui concerne le travail de réintégration de l'acte criminel au sein de la mémoire collective.

C'est bien dans la présentation du témoignage que Mograbi se révèle d'une inventivité et d'un lyrisme hors du commun. Mograbi a bien conscience de la tragédie israélienne qui interdit à ce peuple de se réconcilier avec lui-même pour enfouir obstinément le souvenir de ses massacres.

Il chante d'abord seul puis avec un ensemble de musiciens assumant le rôle du choeur de la tragédie. Celui-ci commente d''abord l'action "Comment ce fils chéri de ses parents a-t-il pu en arriver là ?" avant de donner le sens de son engagement : celui qui fait le contraire de ce qu'on lui demande : "Ne ramène pas parmi nous ce qui s'est passé ailleurs."

Les trucages participent aussi de ce double mouvement, de neutralité dans la relation proche, et de lyrisme, aussi extravagant que bouleversant. Ils renforcent l'universelle humanité du soldat en filmant les gros plans sur un oeil, une bouche puis en l'affublant d'un masque conçu numériquement qui pourrait être celui de tout le monde.

L'alliance du bricolage le plus jubilatoire (la cagoule noire qui finie trouée de multiples façons) et de la technologie la plus moderne due au Fresnoy, studio National des Arts Contemporains, permet ce jeu sur le masque tragique, parfois tellement invisible que Mograbi s'amuse à faire passer un bras, une cigarette entre lui et le visage réel comme autant de marques d'une distance brechtienne.

Jean-Luc Lacuve le 23/02/2009

(1) La seconde Intifada (source wikipedia) désigne l'ensemble des événements ayant marqué le soulèvement des Palestiniens à partir de septembre 2000, en référence à la Première Intifada déclenchée en 1987.

Ressources internet : UNE PRISE EN DV, 2 article de David Vasse pour le Café en revue (24.01.2016)

 

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Avec : Avi Mograbi, sa femme, Z32 (nom de code donné au soldat dans les archives de "Shovrim Shtika"), "Briser le silence", une association d'anciens soldats israéliens avec laquelle Avi Mograbi collabore bénévolement, la compagne de Z32. 1h21.

Genre : Film expérimental
 
Thème : conflits israélo-palestiniens