Foxcatcher

2014

Cannes 2014 : Grand Prix du Jury Avec : Channing Tatum (Mark Schultz), Steve Carell (John Du Pont), Mark Ruffalo (Dave Schultz), Sienna Miller (Nancy Schultz), Vanessa Redgrave (Jean du Pont), Anthony Michael Hall (Jack), Brett Rice (Fred Cole), Guy Boyd (Henry Beck). 2h14.

Mark Schultz, médaille d'or en lutte aux Jeux olympiques de Los Angles vit pauvrement dans son triste appartement de vieux garçon de Stanford. Il est invité dans un collège pour parler de sa médaille d'or devant un maigre public d'enfants que son discours nationaliste laisse perplexe. La secrétaire du collège en lui remettant son chèque de 20 dollars lui laisse entendre qu'elle aurait préféré la venue de son frère ainé, Dave, plus charismatique. Mark rejoint celui-ci dans leur spartiate salle de lutte où il est désormais entraineur. Dave est très protecteur vis à vis de Mark mais celui-ci se montre parfois agressif, inutilement brutal dans une prise.

Le soir, Dave reçoit un appel téléphonique du secrétaire du richissime John Du Pont qui veut le voir dans sa propriété de Pennsylvanie. John du Pont convainc Mark d'emménager dans sa propriété en lui parlant des valeurs patriotiques de l'Amérique qu'il va défendre avec le sport. Mark échoue à convaincre Dave de déménager, celui-ci préférant le confort de sa famille.

Mark emménage à Foxcatcher où John a recruté une équipe tout exprès pour les championnats du monde de Clermont-Ferrand. Mark triomphe mais les 387 jours qui les séparent dorénavant des jeux de Séoul promettent d'être longs. Qui plus est, John contraint Mark à prononcer un discours très creux en sa faveur et n'hésite pas, pour cela, à lui faire prendre de la cocaïne. Mark s'enfonce alors dans l'oisiveté et la drogue partageant de rares moments d'amitié avec John. Voyant les choses se gâter, John fait appel à Dave pour mener l'entrainement que Mark dédaigne.

Et, lors des sélections pour les jeux de Séoul, c'est la catastrophe. Mark se fait battre sans pouvoir réagir dans le premier combat. Désespéré, se cognant la tête contre un miroir, cassant tout dans sa chambre, il s'empiffre de tous les plats à sa portée. Dave force sa porte et l'aide à perdre les cinq kilos dont il a besoin pour participer au combat qui va décider de sa sélection. Éloignant John, Dave donne à Mark les conseils nécessaires pour qu'il gagne le combat et sa sélection pour Seoul. John n'a pas l'occasion de s'en réjouir : il est parti car sa mère est morte.

John est de plus en plus solitaire et névrosé. Il fait tourner un documentaire à sa gloire avant les jeux de Seoul qui se révèle une catastrophe sans appel pour Mak, laminé au premier combat où son manque de motivation apparait clairement à tous. Mark a obtenu ce qu'il voulait : s'éloigner de John. Dave reste à Foxcatcher pour entrainer l'équipe et s'occuper de sa famille qui l'a suivie dans son nouveau travail. Un jour de déprime, John s'en va trouver Dave et le tue. Il sera condamné à la prison où il mourra en 2010. Mark est devenu champion de mixt martial art (MMA), sorte de catch plus violent que rémunérateur.

Bennett Miller a bien besoin de préciser qu'il s'agit d'une histoire vraie tant sa description psychologique de John Du Pont en fait un iréel vieux garçon névropathe et ridicule. Le second personnage principal, Mark Schultz, souffre du même comportement d'homme mal dégrossi, refugié dans des valeurs frustres et simples qui, d'une certaine manière, le sauveront de l'influence de John Du Pont. Reste Dave, aussi bon frère, bon père, bon entraineur et bon sportif que possible et victime toute désignée de la folie du premier et de la faiblesse du second.

Scénario solide

Avec ces éléments psychologiques invariants, Miller construit la mécanique du drame en bon artisan hollywoodien cherchant l'oscar : maquillages impeccables pour faire ressembler les acteurs aux personnages réels en insistant bien sur la prothèse d'oreille de Channing Tatum et nasale de Steve Carell ; emploi de vrais lutteurs pour l'équipe Foxcatcher ; un peu de critique sociale égratignant la toute puissance des riches par ailleurs détestables : mère peu aimante et cassante, serviteurs serviles et craintifs, corruption généralisée du sport par l'argent, de la compétition amateur ou aux largesses envers des fédérations, facilement corrompues.

Le court moment d'amitié entre ces deux solitaires que sont John et Mark, l'un et l'autre privés de l'amour de leur mère et de relations amoureuses, tourne court tant ils sont incapables de commencer à construire quelque chose en commun qui ne soit pas corrompu par l'argent et la servilité (scène avec l'équipe recrutée qui a vite compris de quoi tout cela retournait). Le vide de la grande propriété est alors en adéquation avec le vide d'humanité de John qui, dans un sursaut de croyance au coach qu'il aurait pu être si la vidéo qu'il a achetée révélait un peu de vérité, s'en va, par jalousie dérisoire, tuer Dave.

Les scènes de luttes ne sont guère intéressantes. Championnat de Clermont-Ferrand, sélection pour les jeux olympiques de Séoul et pauvre combat de Séoul sont expédiées trop rapidement pour qu'on s'y intéresse.

Mise en scène froide et répétitive

L'extrême froideur de la mise en scène impressionne tant elle se refuse à donner la moindre chance aux deux personnages principaux, les piégeant toujours dans leur névrose du manque de reconnaissance : discours de John dit 'aigle doré' dont la vacuité fait toujours l'objet d'un contre-champ sur un personnage non dupe, ainsi sur l'équipe des sportifs lorsque Du Pont après Clermont-Ferrand lutte, déjà saoul, avec eux ; sur le lutteur payé pour qu'il gagne sa dérisoire statuette; contrechamp sur un vol d'oies sauvages quand John s'entraine au pistolet en survêtement peu seyant ; sur la mère en fauteuil roulant lorsqu'il croit être convainquant en coach ; pénible séquence du réalisateur vidéo qui ne peut dire les choses en face à Dave ; servilité du chauffeur incapable d'arrêter son patron dans ses tirs meurtriers.

Cette redondance du regard de témoin par rapport à une psychologie que l'on a déjà cernée n'est pas d'une grande subtilité. Pas davantage convaincante la corruption de l'idéal américain par des héritiers dégénérés de la grande industrie alors qu'elle serait encore défendue par des pauvres, sauvés par le sport ou une bonne famille américaine.

Bennett Miller ne fait guère confiance à l'intelligence du spectateur dans ses longues 2h14 de film, en rajoutant sur le petit train que Du Pont mère s'entête à rappeler à son fils pour bien nous faire comprendre qu'il est immature ou encore en nous servant ce plan inutile de la remise d'enveloppe au vieux lutteur qui s'est couché pour faire gagner Du Pont.

Le film a pourtant convaincu Jane Campion qui lui a donné le prix de la mise en scène au Festival de Cannes.

Jean-Luc Lacuve le 02/02/2015