Le nouveau monde

2005

Genre : Film épique

(The new world). Avec : Colin Farrell (John Smith), Q'Orianka Kilcher (Pocahontas), Christian Bale (John Rolfe), Christopher Plummer (Christopher Newport), August Schellenberg (Powhatan). 2h15.

Gazouillis d'oiseaux, transparences aquatiques, azurs verts, rutilement du jour, vertiges d'un jardin idyllique où toute la beauté sidère, du ciel aux arbres. En avril 1607, les trois caravelles anglaises du commandant Newport se profilent au large des côtes de Virginie.

Descendus de leurs fleuves impassibles, les Indiens Algonquins au torse nu et crête en palmier observent l'étrange arsenal de ces visiteurs à casque et armure.

Au nom de la Virginia Company, les colons viennent établir "Jamestown", un avant-poste économique, religieux et culturel sur ce qu'ils considèrent comme le Nouveau Monde qu'ils espèrent fertile en or. Le commandant Christopher Newport libère John Smith, un officier de l'armée, mis aux fers pour insubordination et ordonne que chacun s'attelle à la construction du fort et à l'ensemencement du maïs.

Même s'ils ne s'en rendent pas compte, le capitaine Newport et ses colons britanniques ont débarqué au cœur d'un empire indien très sophistiqué dirigé par le puissant chef Powhatan. Incapable d'acclimater leurs plantes, les colons dépérissent. Déstabilisés, ils chassent, humilient et tuent les Indiens plutôt que de solliciter leur aide.

Bientôt pourtant le commandant Newport n'a d'autre solution que de retourner en Angleterre chercher des vivres pour le printemps prochain. Il charge John Smith d'explorer le fleuve plus en amont pour chercher le secours d'un puissant chef indien qui n'est autre que Powhatan.

John Smith est rapidement fait prisonnier par les Indiens. Les yeux bandés, il est conduit dans le village de Powhatan. Sur le point d'être immolé, le conquistador barbu est sauvé par une princesse. Volontaire et impétueuse, elle se nomme Pocahontas, ce qui signifie "l'espiègle". Très vite, un lien se crée entre elle et Smith. Un lien si puissant qu'il transcende l'amitié ou même l'amour.

Renvoyé dans le fort, Smith s'est vu intimer l'ordre par Powhatan de partir au printemps. La situation est dramatique et seule la générosité de Pocahontas permet au fort de survivre pendant l'hiver. Elle donne même des graines de maïs qui poussent au printemps. Smith ne part pas et le fort est attaqué par les Indiens.

Pour avoir pactisé avec les colons et causé la mort de nombreux indiens, Pocahontas est exilée par son père.

Au fort, la situation se dégrade et Smith est déchu par ses pairs, pour avoir refusé d'acheter Pocahantas à ceux qui en ont la garde afin de les protéger contre les attaques de Powhatan.

Le capitaine nouvellement nommé échange une marmite conter Pocahontas qui reste prisonnière du fort.

Au printemps Newport revient comme promis, libère une nouvelle fois Smith et le mandate au nom du roi à partir pour de nouvelles explorations afin de trouver la route des Indes.

Smith abandonne Pocahontas qui meurt deux fois de chagrin, à son départ puis apprenant la fausse nouvelle de sa mort.

Elle épouse John Rolfe, un aristocrate veuf, vient à la cour de Jacques Ier et meurt dans les brouillards de la Tamise à 22 ans.

A ne voir dans Le nouveau monde qu'une évocation du paradis perdu, on risque de passer à côté de du trajet spirituel auquel nous convie Terrence Malick. Il n'est pas bien sur que les splendeurs visuelles qu'il nous livre répondent aux mots des grands écrivains américains qui exaltèrent la pureté originelle de la prairie. Les transcendantalistes, Thoreau, Whitman, étaient des apôtres de la fusion avec la nature, d'un panthéisme régénérateur, d'une rédemption par la mystique de la nymphe, la savane, la forêt nourricière.

Rien d'aussi statistique chez Malick. Certes il évoque bien un paradis perdu faute d'une soumission à un ordre du monde, faute d'une innocence hors de portée des colons. Mais le nouveau monde est moins une terre qu'un état d'esprit. Le nouveau monde que recherche John Smith est un nouveau monde pour lui, en lui, que cette terre lui donnera peut-être l'occasion d'atteindre. Le nouveau monde s'incarne autant dans la voix off que dans le regard qui enregistre les splendeurs visuelles.

Si Malick recourt à l'emphase c'est pour célébrer non pas tant la nature elle-même que sa reconcilliation possible avec la culture. Ni Grystoke ni La forêt d'émeraude n'avaient osé aller jusque là, célébrant la première et dénigrant la seconde. Malick réussit ainsi le triple exploit d'incarner cette réconciliation dans une histoire romanesque, dans l'Histoire des USA et sur le sol américain.

Jusqu'alors le cinéma (contrairement à la peinture) n'avait jamais su faire de l'installation dans le nouveau monde autre chose qu'une conquête appeurée teintée de mauvaise conscience. Il avait même presque occulté ses origines anglaises pour ne faire commencer son histoire qu'avec la conquête de l'Ouest et le noble idéal de la guerre de sécession.

Malick décrit ainsi la recherche permanente d'une avencée spirituelle vers la lumière. L'ouverture de L'Or du Rhin qui accompagne l'ouverture du Nouveau monde décrit bien cette recherche au long cours qui, faite de triomphes passagers, ne pourra se résoudre que par le crépuscule des dieux et l'acceptation concomitante de la condition humaine. Pleine de promesses, l'ouverture de L'or du Rhin comme celle du Nouveau monde évite l'image triomphaliste. Celle-ci ne sera donnée qu'à la toute fin du film : celle de l'arbre aux branches cassées qui s'élève vers la lumière.

Chaque grande séquence du film se donne en effet comme une branche cassée : quelque chose qui aurait pu être, qui meurt mais laisse subsister l'espoir d'une nouvelle naissance.

Pour éviter l'idée d'un trajet vers la déchéance, pour nous ramener sans cesse au tronc de l'espoir principal, Malick recourt à un montage subtil où une image de la fin de la séquence est donnée au début de celle-ci. Ainsi, au moins, du visage peint de Pocahontas avant que celle-ci n'apprenne le décès simulé de John Smith, ainsi de la maison hors du fort avant son mariage avec John Rolfe.

Ce refus d'une chronologie orientée pour une immanence de l'espoir s'incarne déjà dans les premières pensées de Pocahontas s'exprimant en anglais avant qu'elle n'ait appris cette langue. De même les colons, malgré les tares de certains d'entre-deux et leur impossibilité de se soumettre aux coutumes locales, ne sont-ils jamais caricaturés. Pocahontas finit donc par s'acclimater à la culture anglaise et sa mort, jusqu'alors toujours lu comme un symbole de l'échec, est-elle transformée en apothéose de l'espoir.

Le concerto pour piano de Mozart, second thème souvent entendu, anticipe, souligne puis rappelle cette possible alliance de la culture et du mythe ou de l'amour conjugal et de la passion amoureuse.

Jean-Luc Lacuve le 20/02/2006

Bibliographie : Jean-Luc Douin , le Monde du 15.02.2006